Chapeau

Pour faire face aux impacts du changement climatique et relever le défi du déclin de la biodiversité, la question de la dépoldérisation des petits marais littoraux est de plus en interrogée. C’est dans ce contexte qu’a été mené le programme de recherche « Pertinence environnementale de la restauration des petits marais et prés salés » (PEPPS, 2018-2021). Dans cet article, les auteurs présentent les objectifs et l’approche de ce programme. Ils font également le point des principaux apports en termes de connaissances sur les dynamiques et les processus de la restauration des petits marais salés tant des points de vue écologiques que sociaux.

Une diversité de « petits marais » le long du littoral armoricain

Le programme de recherche sur la pertinence environnementale de la restauration des petits marais et prés salés (PEPPS) s’est intéressé à des espaces anciennement poldérisés ayant été restaurés de façon volontaire ou accidentelle, comparés dans la mesure du possible à des marais de référence « naturels », n’ayant pas été poldérisés. Partant du constat que les petits marais qui parsèment le littoral armoricain sont moins étudiés alors qu’ils constituent potentiellement un élément majeur de la trame littorale, Il s’est focalisé sur des « petits systèmes » en comparaison à de grands marais comme la Baie du Mont Saint-Michel. PEPPS s’est ainsi intéressé à quatre sites majeurs : l’Aber-en-Crozon (Finistère), le marais de L’Islet (Côtes d’Armor), les anciens marais salants de Séné (Morbihan) et Rostu dans le bassin du Mès (Loire-Atlantique) – figure 1.

Figure 1 – Les quatre sites « ateliers » du programme PEPPS (« Pertinence environnementale de la restauration des petits marais et prés salés »).

Photos : A.-L. Pailloux.

Une approche pluridisciplinaire et partenariale indispensable

L’ambition du programme PEPPS était d’évaluer la pertinence environnementale de la restauration de petits marais et prés salés du littoral armoricain en croisant des approches complémentaires au sein d’un pôle de compétences pluridisciplinaires associant écologie (animale, végétale, fonctionnelle) et sciences humaines et sociales (sociologie, économie, géographie) ainsi que différents partenaires praticiens (voir encadré 1 « Pour en savoir plus »). Par leur ancrage à certains espaces naturels et par leur expertise scientifique et technique sur les marais maritimes, ces partenaires possèdent un savoir théorique et appliqué indispensable pour comprendre les enjeux et les dynamiques en cours sur les sites ateliers.

Le programme PEPPS visait à l’amélioration de la connaissance des milieux pour répondre aux enjeux de conservation et aux attentes des élus et de gestionnaires de sites.

Encadré 1 – Pour en savoir plus

Le colloque dont sont issus les articles de ce numéro et dont les échanges sont synthétisés dans l'article de Dèbre et al., ce numéro) a été l'aboutissement du programme de recherche sur la pertinence environnementale de la restauration des petits marais et prés salés (PEPPS, 2018-2021) mené par une équipe pluridisciplinaire associant chercheurs et praticiens. Ce programme de recherche a mobilisé des chercheurs des universités de Rennes 1, de Bretagne Occidentale et de Bretagne Sud spécialisés dans l'étude de ces milieux et de leur fonctionnement, de la restauration écologique et de l'analyse des représentations sociales des espaces. Des gestionnaires d'espaces naturels et différentes structures expertes y ont été également intégrés : gestionnaires d'espaces naturels (Réserves naturelles nationales de Séné et de la Baie de Saint-Brieuc, Parc naturel régional d'Armorique, Syndicat mixte de la Ria d'Etel, Conservatoire du littoral), structures thématiques (Forum des marais atlantiques, Agence de l'eau Loire-Bretagne) et collectivités territoriales (communes, communautés de communes, conseils départementaux). Il a été financé par l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, la région Bretagne, les départements des Côtes d'Armor et du Finistère ainsi que la Maison des sciences de l'Homme de Bretagne.

Les résultats détaillés ont fait l'objet d'un rapport de synthèse (Salgueiro-Simon et al., 2022) disponible en ligne (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03929368) et de publications scientifiques.

Sur le volet écologique, il s’agissait notamment de caractériser l’organisation et la structure des écosystèmes restaurés ainsi que le rétablissement des fonctions écologiques et notamment du rôle de nourricerie des marais littoraux pour les poissons. Pour répondre à ces objectifs, différentes méthodes ont été déclinées en fonction des enjeux de chaque site (cartographies fines de la végétation, mesures topographiques, prélèvements de poissons et analyses trophiques, prélèvement d’arthropodes par aspiration…).

Les approches sociologiques et économiques participaient quant à elles à la caractérisation de l’histoire, des pratiques et des représentations des sites sous trois angles : l’histoire sociale des lieux donne à voir l’évolution des usages qui y ont cours ; l’histoire politique – ou institutionnelle – montre l’intégration des prés salés dans les politiques publiques à différentes échelles ; l’histoire socioculturelle aborde l’évolution des représentations locales des sites et des prés salés. Elles sont complétées par la quantification des services écosystémiques rendus par les prés salés dans le cadre de la restauration écologique.

Principaux apports du programme

Entre méconnaissance des marais et attachement aux lieux, leur dépoldérisation est perçue à partir de leur impact sur l’espace vécu

Les nombreux entretiens et observations réalisés dans le cadre du programme PEPPS ont permis de tirer des enseignements sur trois axes fondamentaux à prendre en compte lors de la mise en œuvre d’opérations de restauration de marais : la (mé)connaissance écologique des marais, leurs représentations et celles des opérations de dépoldérisation.

Premier résultat, à l’exception des gestionnaires ou des personnes initiées, l’écologie et la gestion des espèces et des milieux, et les marais eux-mêmes sont peu connus des personnes enquêtées. En effet, si les acteurs et usagers des sites emploient une diversité de termes pour les désigner en fonction des sites, les « prés salés » ne sont quasiment jamais ni identifiés en tant que tels, ni nommés. Quand ils sont abordés, ils sont situés par rapport à des objets partagés de description de l’espace (la dune, la rivière, la plage). Ils peuvent être décrits comme « mouvants ». Ces descriptions renvoient à ce que Emmanuelle Lambrey (2004) décrit sur la peur de l’organique, des milieux en mouvement dont certaines composantes semblent invisibles ou difficilement appréhendables et pour lesquelles on ne peut pas facilement stabiliser des pratiques et qui de fait sont l’objet de fantasmes et de légendes.

L’enquête révèle néanmoins quatre grands types de représentation des marais étudiés :

–     celles de lieux accueillant une biodiversité spécifique sont principalement présentes dans les discours des gestionnaires et des personnes sensibilisées ;

–     ces marais sont des lieux vécus, inscrits dans les discours sur le territoire et l’histoire locale ;

–     pour certains enquêtés, ils sont une ressource à valoriser, principalement pour l’activité touristique ;

–    le dernier type de représentations, particulièrement dominantes caractérise les marais à partir de leurs dimensions esthétiques et paysagères.

Comme Lydie Goeldner-Gianella et Christophe Imbert l’avaient déjà analysé en 2005 à propos du marais de l’Islet, le registre esthétique est surreprésenté dans tous les discours étant donné qu’il concerne le visible, sens immédiatement mobilisé (Goeldner-Gianella et Imbert, 2005). C’est souvent d’ailleurs à partir de cette dimension paysagère que les évolutions des sites sont exprimées. Ces représentations du paysage s’appuient également sur des approches sensibles, des descriptions d’ambiances perçues, de ressentis et d’émotions. La référence commune au calme et à la paix du lieu renvoie au caractère « sauvage » des sites non bâtis pour les uns, ou au caractère reculé, isolé et intime pour les autres. Cette caractéristique exprimée par les enquêtés révèle leur besoin et leur recherche de lieux où ils peuvent se mettre à distance des autres et des nuisances liées à leur présence et leurs activités. Se mettre à l’écart du monde, un instant, soit pour s’y ressourcer, soit pour échapper au contrôle social et y développer des pratiques festives, de sociabilité, ou encore d’expérimentation et de transgression, notamment pour des adolescents et des jeunes adultes.

Ces représentations des marais comme espaces vécus sont également nourries par les pratiques, l’appropriation et l’attachement au lieu : la répétition de la venue sur un site le rend familier. Ainsi l’inscription des sites dans leur histoire locale permet des récits individualisés de l’évolution des pratiques. C’est justement seulement par la connaissance de cette histoire des usages et des pratiques, et de leurs transformations par la dépoldérisation, que cette dernière est évoquée. Elle est abordée à partir de son impact sur l’espace vécu (bouleversement des pratiques, du paysage, de ce qui est vu) et inversement : ce que l’on ne voit pas, ce dont on ne fait pas l’expérience, n’est pas raconté. Les récits de ces transformations dépendent ainsi des caractéristiques des sites (surface, accès, visibilité…) et de leur reconnexion. Quand cette dernière est perçue et racontée, il est néanmoins illusoire de tenter de repérer des représentations de la dépoldérisation communes aux sites étudiés, même si la fréquence d’un discours qui rend compte de la perte (perte d’accès, de paysage familier, de végétation « brûlée » par le sel, etc.) est indéniable. Cette recherche a cependant permis de constater que dans certains cas, d’autres discours, venant contrebalancer le précédent, relatent une dépoldérisation qui se serait inscrite dans une histoire locale et aurait contribué à construire une dynamique de territoire (lutte contre la privatisation et l’urbanisation du littoral, par exemple).

Cette enquête met en avant la dualité entre d’un côté savoir savant et représentations de la nécessité de la restauration du marais et de l’autre savoir empirique et représentations sensibles. Certains savoirs empiriques et pratiques du marais peuvent construire des représentations de la nécessité de sa restauration sans que celles-ci se superposent complètement à celles des gestionnaires. Par ailleurs, la nécessité de la préservation des espaces naturels, et notamment des marais, semble, dans les discours, être largement partagée par l’ensemble des enquêtés soit par conviction, soit en réponse à une injonction sociale dominante. Pourtant, les locaux mettent cette préservation sous condition du respect de la vie locale tel que le respect de l’histoire et de l’économie du territoire, ou le respect de certaines pratiques. Ainsi, l’appropriation forte du marais rend les usagers habituels et les riverains sensibles au changement qu’implique sa restauration. Cela est d’autant plus vrai quand la dépoldérisation a un fort impact sur les pratiques. L’appropriation forte peut ainsi induire une résistance au changement et ne constitue un gage d’acceptation et de respect de la restauration et de la préservation des marais, que lorsque les usagers en question intègrent à leur vie quotidienne les enjeux environnementaux. C’est à cette condition seulement qu’ils prennent soin des espaces dont ils comprennent les caractéristiques et les enjeux.

Cette analyse des représentations sociales des marais a été confortée par une analyse de la sémantique mobilisée pour nommer les marais, réalisée en collaboration avec le bureau d’études Inférences. Elle rend compte des multiples réalités des marais que le langage révèle, la diversité des univers de sens mobilisés pour les raconter et confirme l’invisibilité du pré salé : en dehors du langage des gestionnaires, il brille par son absence dans les descriptions des marais. La sémantique de l’espace vécu n’est pas celle des milieux : la référence à des éléments forts et communs du paysage étant parfois également supports de pratiques (la plage, la dune, la rivière, la digue, un chemin…) permet de distinguer et de situer des espaces qui ne correspondent pas forcément aux différents milieux naturels (l’arrière dune, de l’autre côté de la digue, etc.). Nous analysons dans un premier temps, comme nous l’avons exprimé précédemment, la forte distinction des discours entre savoirs savants et savoirs empiriques, avec pour ces derniers des représentations dominantes de l’esthétique du paysage et celles de l’espace vécu. L’analyse sémantique nous permet néanmoins de repérer cinq univers de sens communs aux différents collèges de locuteurs (gestionnaires, élus, associations, acteurs économiques et usagers/riverains) : ce qui concerne la « terre » et le « foncier » ; la gestion et la valorisation des « sites » et leur intégration au territoire ; les « gens » en relation directe avec les pratiques et leur histoire et enfin l’« eau » mobilisée dans des discours sur sa qualité mais aussi sur les pratiques qu’elle permet ou empêche.

Un dernier enseignement relève plutôt d’une interrogation : comment développer des stratégies et des actions de préservation d’un milieu qui n’est pas identifié en tant que tel avec ses singularités et ses fragilités ?

Des marais écologiquement résilients, mais qui retrouvent lentement certaines de leurs fonctions

Dans le cadre de la démarche d’évaluation écologique, la diversité et l’agencement spatial de la végétation ainsi que les communautés d’arthropodes terrestres ont été utilisés comme indicateurs structuraux de restauration des sites. L’un des résultats majeurs des différentes études menées est la bonne résilience des petits marais salés, du moins en termes de retour des végétations et espèces halophiles (figure 2). En revanche, le rétablissement des fonctions de l'écosystème, et notamment de la fonction de nourricerie pour les poissons, apparaît plus lent et dépend des caractéristiques de chacun des sites étudiés. Les différentes approches ont pu être synthétisées par la construction de « roues du rétablissement » tel que proposé par la SER (Gann et al., 2019) – figure 2.

Figure 2 – Roues du rétablissement appliqué aux quatre sites d’étude du programme PEPPS.

Source : Salgueiro Simon et al. (2021).

Ainsi sur l’ensemble des sites, la végétation apparaît typique des marais salés et les arthropodes observés sont pour la plupart halophiles ou tolérants à la salinité. Concernant la diversité, si aucune différence entre sites naturels et restaurés n'apparaît pour les coléoptères carabiques, les richesses en plantes et araignées sont plus élevées dans les sites dépoldérisés. Ce résultat peut être mis en relation avec la plus forte complexité spatiale des marais restaurés dans lesquels une plus grande diversité de groupements de végétations a notamment été observée. Cette hétérogénéité s’observe également au niveau de l'arrangement spatial, les sites dépoldérisés présentant des patchs de tailles inférieures aux sites naturels. Pourtant, un plus fort gradient topographique est observé sur les sites naturels, ce qui engendre des gradients de végétation plus marqués que sur les sites renaturés. L'hétérogénéité observée ne peut donc pas être expliquée par le seul facteur topographique pourtant fondamental dans l’écologie des marais littoraux, mais est sans doute un marqueur d’un milieu dynamique au sein duquel les équilibres compétitifs sont toujours en cours d’évolution.

Au sein des écosystèmes étudiés, des dynamiques spécifiques semblent accompagner les processus de restauration. Ainsi, une évolution des équilibres entre deux espèces, la puccinellie (Puccinellia maritima) et l'obione (Halimione portulacoides) est constatée. La première domine les sites dépoldérisés plutôt récemment et la seconde les sites naturels ou dont la dépoldérisation est ancienne. Ceci peut s'expliquer (1) par l'ancien usage des sites dépoldérisés, par exemple le pâturage ou le piétinement qui favorisent le développement de P. maritima en affaiblissant l'obione ou (2) lorsque la dépoldérisation occasionne une mise à nue du substrat ou le remplacement d'une végétation plus terrestre, par l'aptitude de la puccinellie à coloniser de nouveaux substrats comme observé en baie de Saint-Brieuc, où le processus de colonisation primaire des groupements du bas schorre sur la slikke débute par la fixation des propagules de puccinellie (Sturbois et Bioret, 2018). De façon similaire, la proportion d'araignées halophiles est plus faible sur les sites dépoldérisés que sur les sites naturels avec une convergence progressive au cours du processus de restauration après la dépoldérisation (Salgueiro-Simon et al., 2021, p. 70 du rapport).

Les différents indicateurs montrent donc une bonne résilience structurelle des sites dépoldérisés, même si certains marqueurs de l’histoire de la poldérisation restent visibles. En revanche, la résilience fonctionnelle semble moins évidente, notamment par rapport au rôle de nourricerie des différents sites pour les poissons. En effet, les différentes approches menées, qu’il s’agisse des échantillonnages de l’ichtyofaune, de l’étude des contenus stomacaux ou des approches par traceur naturel biochimique, suggèrent que les processus de restauration n’ont pour le moment pas permis de retrouver un fonctionnement trophique similaire à celui observé sur les sites naturels, illustré notamment par une faible utilisation des proies terrestres des prés salés par les poissons. Pour autant, les marais restaurés sont globalement fréquentés par les espèces de poissons habituelles des marais salés, montrant le rétablissement de l’accessibilité aux sites et une certaine attractivité.

Si les différents indicateurs montrent que la fonction de nourricerie existe sur les sites restaurés, elle n’est que partiellement rétablie à l'exception du site du Rostu où elle apparaît efficiente (e.g. présence de proies terrestres dans le régime alimentaire des jeunes poissons). Pourtant les communautés d’arthropodes semblent globalement bien rétablies, ce qui suggère que la présence de proies n’est pas limitante. Les raisons de leur faible représentation dans le régime alimentaire des jeunes poissons posent la question de l’accessibilité à ces proies (potentiellement différente de l’accessibilité aux sites) déjà observée ailleurs, en lien hypothétique avec l’hydrodynamisme ou d’autres facteurs encore inexplorés.

Pertinence et potentialité de la restauration des petits marais littoraux

L’intérêt pour les opérations de dépoldérisation s’est développé au cours des dernières années et le déploiement des solutions d’adaptation fondées sur la nature (SaFN) devrait encore amplifier ce phénomène. Néanmoins ces opérations ne se sont pas sans impact et il paraît intéressant de reposer la question de leur pertinence, ce qui est le principe même du programme de recherche PEPPS.

Ainsi le croisement des approches et surtout des résultats apportés permettent de répondre à cette notion sous les angles, de la potentialité autrement dit de l’existence de sites à « restaurer », de l'intérêt, c'est-à-dire du gain potentiel, de la faisabilité, et de l’acceptabilité.

Quelle potentialité ?

Le potentiel de site de petit marais pouvant faire l'objet d'opération de restauration a été largement confirmé. Dans le cadre du programme PEPPS, une étude par photo-interprétation a permis d'identifier la présence de près de dix mille entités de marais sur le littoral armoricain dont 11 % sont des parcelles poldérisées et environ 3 % des parcelles endiguées (Monassier, 2021 in: Salgiero-Simon et al., 2022). S'ils restent exploratoires, ces résultats confirment ainsi l'existence d'un maillage de petits marais le long du littoral avec de nombreuses entités de très petite taille, notamment dans le Morbihan et le Finistère. Le potentiel de sites à restaurer est donc important. À l'exception de certains secteurs comme la pointe du Finistère, la proximité des sites permet en outre d'envisager des échanges intersites et donc une trame écologique potentielle.

Figure 3 – Répartition des marais sur le littoral Manche-Armorique.

Source : Monassier (2021) in : Salgueiro Simon et al. (2022).

Intérêts – Gains potentiels

L'intérêt écologique des marais littoraux n’est plus à démontrer. Ces marais présentent en effet des écosystèmes et une biodiversité rares, adaptés notamment à des conditions de salinité et de submersion particulières. Ces spécificités, qui s’expriment tant au niveau de la flore que de la faune sont reconnues, et leurs fortes valeurs patrimoniales sont intégrées à différents dispositifs de gestion, de protection et de conservation (réserves naturelles, Natura 2000, sites Ramsar…).

De plus, leur localisation à l’interface terre-mer offre un certain nombre de services écosystémiques, dont les plus cités dans la littérature sont les services de régulation (nutriments, climat, protection des côtes), ainsi que le service culturel de support aux activités récréatives. Les services d'approvisionnement liés notamment au pâturage qui est développé dans certaines régions, à la pêche récréative ou aux apports indirects pour l’économie marine, sont présents mais font l’objet de peu d’évaluations. L’aspect le plus documenté, mais encore sous-estimé, est celui des services de régulation avec notamment la protection côtière et la régulation du climat par le stockage du carbone. Enfin, concernant les services culturels, le support aux activités récréatives apparaît incontournable. Bien que la valeur récréative des marais salés ne fasse guère l'objet d'un débat, le service esthétique est moins reconnu dans la littérature.

Ces différents services peuvent paradoxalement se retrouver en opposition. Ainsi, activités de production ou récréatives peuvent présenter des impacts négatifs notamment sur la biodiversité, ce qui nécessite de prendre en compte les équilibres et les priorités au sein de chaque marais.

L’ensemble de ces services est bien sûr altéré par la poldérisation, même s'ils sont remplacés par d’autres, principalement des services d’approvisionnement (production agricole) qui ont souvent disparu par la suite, particulièrement dans les petits polders.

Faisabilité

Les travaux de PEPPS ont montré que même si le rétablissement de certaines fonctions écologiques est parfois partiel ou lent, la dépoldérisation permet la restauration effective des petits marais littoraux. Néanmoins, cette faisabilité écologique n’est qu’un des aspects à prendre en compte. En effet, outre les difficultés techniques, la faisabilité d’un tel projet dépend d’une multitude d’autres dimensions telles que le contexte politique et social local, les opportunités de financement et l’ensemble des contraintes juridiques ou réglementaires.

Autre aspect à prendre en compte, la dépoldérisation est également un processus foncier qui, tout en rendant possible la reconnexion à la mer, alimente fortement les représentations sociales des sites et de leur reconnexion. Son analyse permet de repérer la multiplicité des acteurs qu’il mobilise et le jeu d’échelles spatiales et temporelles qu’il engage. En effet, ce processus ne concerne pas seulement le marais, mais aussi les parcelles voisines. En déplaçant le tracé du domaine public maritime, la dépoldérisation implique du même coup, un déplacement des zones d’application des règles d’urbanisme et notamment de la loi « Littoral ».

L’histoire et les caractéristiques de la poldérisation puis de la dépoldérisation des sites insèrent par ailleurs ce processus dans un temps long qui a des conséquences parfois des décennies après sur les modalités de gestion de ces marais. Ce processus révèle également la vivacité des représentations sociales d’une « sanctuarisation » des espaces naturels reposant sur la soustraction de parcelles foncières aux jeux des évolutions territoriales et à leur modelage par les activités anthropiques alors même que les représentations d’une nature anthropisée demeurent culturellement dominantes.

Acceptabilité

Comme cela l’a été présenté précédemment, les marais littoraux, mais aussi les pratiques qui leur sont liées, font souvent l’objet d’un fort attachement local, et ce malgré une méconnaissance de leurs caractéristiques, gestion et intérêts écologiques. L'acceptation des transformations liées à la restauration – et donc le respect des mesures prises – implique que les enjeux environnementaux soient pleinement intégrés aux préoccupations et à la vie quotidienne des usagers et acteurs locaux.

Si cela n’a pas été spécifiquement vu dans le cadre de ce programme, il peut exister des enjeux contradictoires y compris d’un point de vue écologique qui peuvent conduire, si ce n’est à des conflits, du moins à des débats et donc venir entraver le déroulement d’un projet de reconnexion ou de dépoldérisation. En effet, sur les espaces poldérisés peuvent s’être développés ou implantés des éléments patrimoniaux forts (naturels ou anthropiques) voués à disparaître lors de la dépoldérisation. Il est donc important de considérer le bilan gains/pertes en amont du projet de dépoldérisation.

Au regard de ces différents aspects, le développement d'opérations de dépoldérisation ou de reconnexion de petits marais littoraux apparaît donc pertinent. Il répond en effet à des enjeux importants en termes de biodiversité et d'adaptation aux changements globaux et notamment climatiques (élévation du niveau de mer et régime accru d'événements exceptionnels, dont les tempêtes). Néanmoins, les attentes par rapport à ces restaurations doivent tenir compte du rétablissement parfois partiel des fonctions altérées. Ainsi, si elle ne constitue une solution ni ultime ni unique au problème de qualité de l'eau, la fonction épuratrice des marais salés serait également à prendre en compte. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces opérations doit intégrer en amont l’ensemble du contexte territorial (politique, économique, social, etc.) et une connaissance des pratiques et représentations sociales des acteurs. Elle doit en outre prendre en compte la relative méconnaissance de ce milieu parfois observée en dehors du cadre scientifique ou de gestion.

Apports et limites de la transdisciplinarité

L’ensemble des approches développées dans le cadre du programme PEPPS, si elles ne permettent pas de répondre à toutes les questions posées par la restauration des marais littoraux, a permis d’améliorer la connaissance des dynamiques impliquées en intégrant une vision large et relativement complète des processus en jeu dans les domaines de la sociologie, de l’écologie, de la géographie et de l’économie. Les deux premiers axes sont ceux sur lesquels les acquis sont les plus conséquents.

L’approche pluridisciplinaire, si elle reste à renforcer, a permis de croiser un certain nombre de données, notamment au sein du volet écologique, mais aussi d’initier une évaluation transversale de la restauration de ces petits marais.

Ainsi, le programme PEPPS a montré à la fois la nécessité, mais aussi les contraintes et difficultés du dialogue interdisciplinaire. Celui-ci demande du temps, car il nécessite une acculturation réciproque des vocabulaires, méthodologies d'acquisition de données ou d’analyse propres à chacune des disciplines. Ceci implique des échanges réguliers, des rencontres permettant des échanges sur les méthodes et les résultats. Les questions relatives au croisement des données et des résultats montrent également la nécessité d’intégrer cet objectif le plus amont possible et de ne pas cantonner la transversalité aux seules composantes d’une thématique (i.e. écologie). Il s’agit notamment de bien expliciter les attentes et résultats attendus de chacune des approches développées afin d’optimiser la compatibilité des observations réalisées pour une analyse croisée.

Au-delà de l’interdisciplinarité, avec le programme de recherche PEPPS a été lancée une forte ambition d’interaction avec les acteurs de terrain intégrés au programme dans sa conception, sa réalisation et son analyse. Cette approche est en effet apparue indispensable à la réalisation d’une évaluation globale des opérations de restauration, analysées au plus proche du terrain et des attentes des gestionnaires. Sur ce point, si les relations entre les chercheurs et les gestionnaires sont clairement renforcées par le programme, il apparaît que le niveau d’intégration souhaité n’a pas été pleinement atteint. L’intensité des échanges et des interactions avec les gestionnaires est en outre variable. La question du temps disponible pour ces échanges (particulièrement en temps de restriction sanitaire) a sans doute été un élément limitant.

Si le programme PEPPS, avec d’autres, a contribué à mieux les connaître, les marais salés littoraux et leur restauration restent un champ d'investigation largement ouvert et propice aux approches transdisciplinaires. Les enjeux qu’ils présentent, du fait de leur position d’interface terre/mer, les placent au cœur des problématiques d'aménagement, de préservation des espaces littoraux et d’adaptation aux changements globaux. Pourtant, ces marais, largement présents sur le littoral, restent aussi largement méconnus de ceux qui les côtoient et mériteraient sûrement une plus grande considération et mise en lumière.

Les travaux du programme PEPPS, trouvent leur prolongement dans un nouveau programme intitulé « Dépoldérisation programmé de petits marais littoraux » (DPM 2021-2024), qui analyse les dynamiques écologique et sociale, non plus a posteriori mais au cours du processus de restauration.

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Photo d’en-tête : Marais du Séné, un des quatre sites « ateliers » du programme PEPPS. © A.-L. Pailloux

Notes