Les plantes, au travers de leur système racinaire sont un acteur majeur dans l’évolution des propriétés biologiques, chimiques et physiques du sol qu’elles colonisent. Une forte partie de ces évolutions se déroule dans le sol proche des racines, la rhizosphère, zone dans laquelle les interactions racines/micro-organismes/sol sont intenses. Au travers de leurs travaux récents, les auteurs montrent que la rhizosphère est un levier de tolérance au déficit hydrique des cultures et que plus globalement, les systèmes racinaires peuvent être un outil pour la gestion de l’hydrologie des parcelles cultivées.
Le changement climatique à l’œuvre risque de se traduire non seulement par une augmentation de la température moyenne, mais également par un changement de régime des précipitations et une récurrence accrue d’épisodes intenses : sécheresses, pluies intenses (GIEC, 2021)
Figure 1. L’effet rhizosphère du sol. L’effet rhizosphérique vis-à-vis de l’eau, implique la plante (à travers ses racines, leurs exsudations, rhizodéposition et absorption), les microorganismes (activités cataboliques, production de biomasse et d’exopolysaccharides), le sol (et ses propriétés physicochimiques et hydrophysiques).
Dans cette zone de sol interagissent la plante, le sol, mais aussi les microorganismes associés au travers de relations trophiques et communication chimique. La rhizosphère est donc un « hot spot » de l'activité microbiologique et des processus métaboliques du sol (Hinsinger, 2009). Cette forte activité de la microflore est soutenue par l’apport des rhizodépots, riches en carbone, qui vont être utilisés comme source d’énergie et de croissance pour les microorganismes. Dans le mucilage exsudé par les racines se trouvent majoritairement des exopolysaccharides (EPS), qui sont des polymères de sucres, plus ou moins complexes. Ces EPS sont également secrétés par les microorganismes de la rhizosphère (à l’origine des biofilms). Les effets « eau » et « carbone » peuvent induire à la fois une fissuration des macro-agrégats, mais également une coalescence des micro-agrégats, la résultante globale étant une modification de l’agrégation dans la rhizosphère, avec une modification de l’espace poral dans lequel l’eau peut circuler et se stocker par rapport au sol non rhizosphérique (Lu et al., 2020). En plus de cette modification de la porosité, se superpose un effet physicochimique créé par les EPS. Ces polymères, peuvent fortement absorber l’eau (de 200 à 800 fois leur poids) et forment des hydrogels qui peuvent modifier la rétention de l’eau dans la rhizosphère (Le Gall et al., 2021 ; Buchmann et al., 2020). De plus, les EPS présentent aussi un caractère hydrophile ou hydrophobe suivant leur état d’hydratation susceptible de tamponner les variations de teneur en eau près des racines. Comme on voit ci-dessus, les racines peuvent avoir un effet global et local, rhizosphérique, sur le sol en lien avec ses propriétés hydriques et donc influencer la tolérance des plantes par rapport au déficit en eau. La section ci-dessous décrit quelques-uns de ces effets rhizosphériques sur le sol que nous avons étudiés et leur lien avec de la tolérance de la plante au déficit en eau.
À travers une expérimentation au champ avec une culture de maïs, nous avons pu mettre en évidence des liens entre propriétés biologiques, physico-chimiques et hydriques dans la rhizosphère du maïs (en la comparant au sol non rhizosphérique – « sol moyen ») : le sol prélevé adhérant aux racines (agrégats de quelques millimètres) montre une biomasse microbienne trois fois plus élevée que le sol moyen (prélevé entre les rangs), soulignant l’effet « hotspot » biologique. D’un point de vue physico-chimique, plus d’EPS sont également présents dans la rhizosphère (environ 20 % en plus) et d’un point de vue propriété hydraulique, les caractéristiques de rétention de l’eau sont changées dans la rhizosphère, avec une augmentation de l’ordre de 8 % de la rétention. Cet effet sur la rétention s’explique en partie par les teneurs en EPS du sol variant du sol moyen au sol rhizosphérique (figure 2). Enfin, dans la rhizosphère du maïs, on montre également que les communautés microbiennes du sol ont une résistance plus élevée face à un stress climatique de sécheresse et température élevées par rapport au sol moyen (données non montrées ici).
Figure 2. Modification de la rétention en eau du sol par les EPS. Corrélation entre la quantité d’exopolysaccharides (EPS) dans le sol et rétention en eau de ce sol à 15 MPa. Les points en bleu représentent les échantillons de sol rhizosphérique (avec globalement plus d’EPS et une rétention plus élevée) et les points en orange représentent les échantillons de sol prélevés à l’extérieur des rangs de maïs (sol moyen) (avec globalement moins d’EPS et une rétention plus faible).
Si un effet rhizosphérique se fait effectivement sentir au niveau des caractéristiques microbiologiques mais aussi des propriétés hydrauliques du sol rhizosphérique, qu’en est-il d’un impact possible sur les relations hydriques de la plante et de sa réaction vis-à-vis d’un déficit en eau ? Nous présentons ci-dessous deux exemples, en laboratoire et au champ, qui montrent que l’effet rhizosphérique peut se traduire à travers un effet sur l’utilisation de l’eau par la plante.
Le premier exemple s’appuie sur une expérimentation en pot en conditions contrôlées avec différentes variétés de blé contrastées (selon leur date d’inscription au catalogue officiel et leur réponse aux micro-organismes de la rhizosphère), cultivées sur deux types de sol. Une limitation en eau est imposée à la fin du stade végétatif sur une partie des plantes, tandis que l’autre est en confort hydrique. De cet essai, il ressort une relation entre EPS et réaction de la plante au déficit en eau (vu par la variation de conductance stomatique lors de l’épisode de déficit hydrique) des différentes variétés de blé : la variation de conductance stomatique apparait amortie (signifiant moins de régulation stomatique de la plante) quand la quantité d’EPS est plus élevée dans le sol rhizosphérique. Cette quantité d’EPS varie à la fois suivant les variétés de blé et le type de sol (figure 3).
Figure 3. Variation de conductance stomatique et exopolysaccharides en déficit hydrique. Corrélation (inverse) entre la chute de conductance stomatique (et donc de transpiration) au cours de la sécheresse et la quantité d’exopolysaccharides (EPS) de la rhizosphère pour différentes variétés de blé. Carrés = sol limoneux, cercles = sol argileux.
Le deuxième exemple s’appuie sur un essai variétal de tomates industrielles au champ. Nous avons étudié ici dans quelle mesure l'activité microbiologique et les EPS de la rhizosphère pouvaient améliorer les propriétés hydrophysiques du sol en condition de déficit hydrique sur deux variétés de tomates. La quantité d’EPS, ainsi que les activités des micro-organismes (champignons en particulier) expliquent en partie les variations mesurées de rétention d'eau du sol. De plus, ces mécanismes sont significativement plus développés pour l'un des cultivars, qui présente également les meilleures capacités productives en condition de déficit hydrique mais également d’efficience d’utilisation de l’eau (figure 4) (Le Gall et al., 2021).
Figure 4. Effet rhizosphère et efficience d’utilisation de l’eau pour de la culture de tomate au champ. Comparaison de deux variétés de tomates Terradou (T) et H1015 (H) au stade fructification, soumises à un déficit hydrique au champ. Mesures de points caractéristiques de rétention en eau et d’exopolysaccharides (EPS) du sol rhizosphérique et données finales de rendement commercial, rendement en matière sèche et efficience d’utilisation de l’eau.
À travers ces exemples présentés ci-dessus, se dessine une possibilité de tolérance des plantes au déficit en eau du sol en lien avec une variation des propriétés du sol dans la rhizosphère. Cet effet pourrait passer par des effets plus ou moins directs : production d’EPS dans la rhizosphère, modification des propriétés de rétention du sol et d’activité microbienne. Suivant les espèces/variétés, mais aussi le type de sol, des effets plus ou moins forts sont visibles sur la régulation stomatique et l’efficience d’utilisation de l’eau. Au travers de ce constat, en élargissant le propos au cadre des solutions fondées sur la nature, on peut se poser la question de savoir si les racines et leur rhizosphère peuvent être un levier dans l’amélioration de la gestion de l’eau dans les agroécosystèmes ? Nous proposons dans un premier temps d’explorer cette question, à l’échelle de la plante, (a) en identifiant l’influence de différents types de sol et (b) en caractérisant les « traits rhizosphérique » d’espèces (ou de génotypes) variés et d’aborder ainsi la notion de « phénotypage souterrain étendu ». Dans un deuxième temps et dans un cadre plus large à l’échelle des systèmes de culture, l’effet « racines » sur le sol ouvre une piste de recherche sur la possibilité de préparer/faire évoluer le sol par la diversification des cultures (agroforesterie, agriculture de conservation, mélanges et cultures intermédiaires…). Cet effet racine, de l’échelle du segment racinaire à celle du profil racinaire (qui peut être profond avec des arbres, par exemple) peut provoquer une évolution globale de la porosité du sol, des propriétés de rétention et stockage de l’eau mais aussi de son transfert dans le sol, avec des implications non seulement sur l’alimentation hydrique des plantes mais également sur le partage infiltration/ruissellement ou le drainage et la recharge des nappes. Un tel effet a d’ailleurs déjà été mesuré sur le réservoir utilisable du sol (RU) dans une rotation prairie/céréales ; la rotation présentant un RU plus fort de 10 à 20 mm par rapport à une culture continue en céréales ou à une prairie permanente (Doussan et al., 2015).
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Photo d’entête : Денис Никифоров – Adobe Stock