Focus sur le projet « Z », un espace de production de fruits renforçant les régulations biologiques dans un objectif zéro phyto
Chapeau
Comment produire des fruits en renforçant les services écosystémiques pour limiter, voire supprimer, l’utilisation des pesticides ? Avec le projet Z – pour zéro pesticide – l’unité expérimentale INRAE de Gotheron (Drôme) et ses partenaires explorent une approche agroécologique pour relever ce défi. En expérimentant un nouveau type de parcelle, un verger circulaire où tout repose sur la biodiversité et son agencement spatial, l’enjeu pour les chercheurs est de comprendre les processus qui se mettent en place et d’évaluer les performances environnementales, sociales et économiques de ce type d’organisation spatiale.
Introduction
L’arboriculture, culture pérenne, est fortement consommatrice de pesticides pour contrôler un ensemble de ravageurs et maladies. Divers travaux, en particulier dans le cadre du programme national Dephy Ecophyto (https://ecophytopic.fr/), ont identifié des combinaisons de méthodes alternatives pour réduire l'utilisation des pesticides (par ex. – 25 % en moyenne en arboriculture dans le réseau FERME entre pratiques initiales et pratiques moyennes 2015-1017
Nous avons fait l’hypothèse qu’il est nécessaire de repenser l’espace de production de fruits, sa composition, sa diversité et son agencement, ainsi que les pratiques et les zones associées à cet espace, afin de le rendre très défavorable pour les bio-agresseurs et a contrario très accueillant pour les auxiliaires, en vue de produire des fruits en mobilisant en priorité les régulations biologiques. Cette approche agroécologique est complexe et peu explorée ; elle s’appuie sur des connaissances et démarches précédentes (ex. : production fruitière intégrée, agriculture biologique, agroforesterie), et des approches inspirées des agroécosystèmes tropicaux et naturels (e.g. Malézieux, 2012) qui diversifient fortement l’espace de production. Reconcevoir de novo le verger est une approche complexe car elle suppose de piloter des processus biotiques et un ensemble d’interactions au sein de l’agroécosystème, à des échelles spatiales supra-parcellaires et temporelles longues. Elle demande également de repenser l’organisation du travail dans de tels espaces et le ou les modes de commercialisation des productions. L’objectif de ce focus est d’illustrer la démarche et de présenter le premier dispositif agroécologique planté dans le cadre du projet « Z » en cours de développement, en pointant les principes de conception identifiés, qui peuvent être déclinés dans d’autres contextes.
Encadré 1 – Le projet « Z ».
Le projet « Z » est un projet de longue durée (quinze ans) piloté par l’unité expérimentale INRAE de Gotheron, qui vise à aménager et reconcevoir une zone de dix hectares pour produire des fruits sans utilisation de pesticides (https://www6.paca.inrae.fr/ueri/Contrats-et-projets/Projet-Z).
Plusieurs projets relais permettent de développer les différentes étapes et dimensions de ce projet « Z ». La conception du premier dispositif mis en place à Gotheron (verger circulaire, photo 1) a été initiée dans le cadre des métaprogrammes INRAE Ecoserv et SMaCH (projet SAFIR) en 2016-2017 (https://www6.paca.inrae.fr/ueri/Contrats-et-projets/Metaprogramme-INRA-SMaCH-SAFIR).
Ce verger s’inscrit actuellement dans le projet multi-sites et multi-acteurs ALTO, coordonné par l’unité (Dephy EXPE Ecophyto, 2018-2023), qui associe plusieurs unités INRAE (Ecodéveloppement, PSH, EMMAH, UMR ABSys, Gotheron), des instituts techniques et organismes associés (CTIFL
À Gotheron, une phase de conception supra-parcellaire pour aménager la zone d’une dizaine d’hectares a été initiée dans le cadre du projet Be-Creative (PPR
Conception agroécologique et co-conception
Les principes suivants ont été considérés dans la démarche de re-conception agroécologique :
– mobiliser un ensemble de processus capables d’accroître la capacité « suppressive » de l’espace de production vis-à-vis des bio-agresseurs : effets barrière-dilution, utilisation de plantes pièges et répulsives, matériel végétal fruitier (faible sensibilité aux bioagresseurs), actions favorisant les auxiliaires... L’idée est donc de rendre l’espace très défavorable pour les bio-agresseurs lorsqu’ils cherchent à localiser et atteindre leur plante-hôte, à s’établir sur cette plante-hôte, à se développer et enfin à progresser vers d’autres plantes hôtes dans le verger. Il s’agira également d’être très accueillant vis-à-vis de la biodiversité fonctionnelle (fourniture de ressources et habitats pour les organismes auxiliaires) en vue de maximiser prédation et régulation ;
– optimiser l’agencement spatial et temporel ainsi créé pour le partage des ressources (lumière, eau, nutriments) entre plantes dans un espace multi-espèces et multi-strates ;
– considérer également le travail (organisation, faisabilité, trajets dans la parcelle...) dans la construction de cet agencement ;
– et enfin, réaliser les compromis nécessaires entre toutes ces dimensions, c’est-à-dire entre design « écosystémique » d’une part, et dimensions agronomique et opérationnelle d’autre part.
La re-conception agroécologique initiée repose donc sur une intensification écologique mobilisant la diversité végétale, qui vise à augmenter la résilience et l’autonomie du système.
Des ateliers de co-conception et un ensemble d'actions ont été organisés pour mobiliser idées, créativité et divers types de connaissances, scientifiques, techniques, empiriques... portées par de nombreux acteurs de la filière (agriculteurs, conseillers, expérimentateurs, formateurs, chercheurs, naturalistes...), et les intégrer en cohérence dans l'objectif de conception agroécologique (Penvern et al., 2018). Cette démarche de co-conception a permis l'élaboration de « prototypes » de vergers qui ont servi de base pour concevoir le premier dispositif du projet « Z », un verger circulaire implanté en 2018 (photo 1).
Photo 1 – Verger circulaire implanté à INRAE Gotheron, premier module fruitier du projet « Z ».
Crédit photo : Thomas Nicolas.
Le prototype « verger circulaire » expérimenté
Le dispositif représente 1,7 ha, pour un diamètre de 145 m environ. Les principaux éléments structurants sont les suivants (figure 1) :
– un agencement en cercles concentriques : le cercle est la forme qui minimise le ratio périmètre/surface, permettant ainsi de limiter les « effets de bordure » et l’arrivée de bio-agresseurs (ex. : spores de tavelure, pucerons migrants…) depuis l’environnement du verger. Par ailleurs, cette forme ronde avec une mare centrale et des voies de circulation en rayon vise à « distribuer » au mieux la faune auxiliaire entre zones de biodiversité périphériques et centrales, et arbres fruitiers ;
– une hétérogénéité spatiale, avec alternance d’espèces fruitières ou autres espèces entre cercles, alternance de variétés sur le cercle, et plusieurs strates qui assurent différentes fonctions ;
– la faible sensibilité variétale aux maladies et ravageurs est également un élément important des choix de plantation.
L’ensemble du dispositif est mécanisable avec des distances de plantations supérieures ou égales à 6 m x 4 m. L’irrigation est différenciée par espèce fruitière. Le dispositif a été implanté dans une luzernière de deux ans, après destruction de la luzerne sur les cercles de plantation. Un entretien mécanique du rang a été réalisé pendant les trois premières années pour limiter la concurrence herbacée pour les arbres fruitiers. L’inter-rang est fauché de manière alternée par moitié d’inter-rang afin de limiter la suppression massive de ressources pour les auxiliaires ; la luzerne n’est pas exportée de la parcelle mais utilisée pour fertiliser, laissée sur place ou déportée sur le rang de fruitiers. Aucun pesticide ni intrant de biocontrôle n’est appliqué sur la parcelle afin d’observer les processus de régulation se mettant en place sans interférence des pratiques.
Plus en détail
Le cercle externe (R9), première barrière, a également une fonction de brise-vent avec des essences forestières de haut jet implantées au nord et au sud (vents dominants en vallée du Rhône). Il vise une production secondaire avec des châtaigniers et amandiers en situations est et ouest. Les espèces de cette haie double ont été sélectionnées pour leur richesse en auxiliaires ; elles proposent une diversité de ressources et d’habitats tout au long de la saison avec des feuillages persistants (nerprun alaterne, viorne tin), des floraisons précoces, de saison (saule, cornouiller, seringat, arbre de Judée…) et tardives (Eleagnus).
Le cercle R8, implanté avec un duo de variétés de pommiers, a une fonction de piège et de production. L’une des variétés (Florina) vise à piéger le puceron cendré : lors du vol de retour sur pommier à l’automne, ce puceron migrant se reproduit et pond sur cette variété, sans conséquence pour la production l’année suivante du fait de sa très faible sensibilité variétale. L’autre variété (Akane), très précoce, ne permet pas au carpocapse de réaliser son cycle complet vu la date de récolte : cet évitement permet de limiter les populations en situation périphérique de la parcelle.
Le cercle R7 ou cercle « müesli » est constitué de noisetiers, petits fruits, grenadiers, figuiers, plaqueminiers, arbousiers et néfliers. Ce sont des espèces de diversification, sans fruitiers à pépins ni à noyau. Ce cercle constitue à nouveau une barrière, entre les pommiers de R8 et ceux des rangs intérieurs (R1 à R6).
Les cercles R1 à R6 sont constitués de six spirales emboîtées d’espèces fruitières, avec trois spirales de pommiers et trois spirales de fruitiers à noyau : prunier, abricotier, pêcher (figure 1). Chaque spirale est constituée d’un duo de variétés qui alternent un arbre sur deux. Cette diversité vise à accroître la résilience du système, c’est-à-dire sa capacité à produire malgré des aléas climatiques ou des attaques de bio-agresseurs. Le choix d’implanter des spirales permet d’alterner les espèces à pépins/à noyau entre cercles (recherche d’effet barrière) tout en ayant le même nombre d’arbres en production dans chaque spirale en vue de produire des volumes valorisables (ce qui ne serait pas le cas si R1 était planté avec une espèce donnée). Enfin, cet agencement permet d’optimiser les trajets au sein de la parcelle, avec possibilité de travailler sur une même espèce fruitière et donc sans « trajet à vide » sur une spirale donnée, ce qui limite le temps de déplacement et le tassement du sol.
Figure 1 – Design du verger circulaire, INRAE Gotheron : composantes végétales et fonctions attendues.
Des habitats artificiels et aménagements ont également été mis en place : mare centrale entourée d’une zone de biodiversité ; nichoirs à mésanges, prédateurs insectivores ; perchoirs à rapaces pour le contrôle des campagnols ; abris à chauve-souris consommatrices d’insectes ; pierriers et branchages pour favoriser les reptiles et les petits mammifères prédateurs de campagnols… Des arbustes et des plantes aromatiques offrant des ressources pour les auxiliaires ont été implantés en corridor le long des trois axes principaux de circulation en relais entre R9 et la mare centrale, ou sont associés aux espèces fruitières dans le cercle R7.
La strate herbacée est constituée d’une luzerne qui a évolué au fil du temps et dont les fonctions sont la couverture du sol, la fertilisation (sur place ou en fauche déportée sur le rang) et la fourniture de ressources florales pour les auxiliaires.
Ce dispositif évolue au fil du temps, avec enrichissement en plantes de service en fonction des besoins identifiés (contrôle de bio-agresseurs, fourniture d’azote, continuité florale toute l’année...). Implanté début 2018, ce verger est encore jeune, et les aléas climatiques (gels) ont affecté le tout début de production. Un cortège d’auxiliaires abondant et diversifié est présent, et des taux de prédation élevés (proies sentinelles) sont observés. Les principaux ravageurs sont les campagnols, et le puceron cendré du pommier en 2021. Le contrôle des bio-agresseurs reste à évaluer après cette phase juvénile. Plus globalement, les travaux actuels consistent à piloter, faire évoluer et évaluer ce dispositif de manière multicritère (évaluation agronomique, environnementale, technico-économique et socio-technique...) et à caractériser les processus se mettant en place : répulsion/attraction, prédation, compétition… La présence de bio-agresseurs, de leurs antagonistes et leurs relations (prédation) sont suivies et spatialisées. Sont également enregistrées des données agronomiques, technico-économiques et de faisabilité : travail et machinisme, organisation du travail, productions (quantité, qualité) et valorisations possibles…
Conclusion
Ce dispositif a pour objectif de faire (ou non) la preuve de concept que la diversification de l'agroécosystème avec une visée d'effet « suppresseur » vis-à-vis des bio-agresseurs permet de produire sans pesticides. La démarche est « intense en connaissances », que ce soit dans la phase de conception pour organiser les plantes et les aménagements, et optimiser les associations, dans le pilotage de ce système « hors référentiel », et dans les partages d'expériences multi-acteurs et les travaux interdisciplinaires qu'elle suscite (Simon et al., 2019).
L’approche développée s’accompagne d’un changement de paradigme avec une diversification parcellaire et supra-parcellaire du verger en vue de renforcer les régulations biologiques, vers une unité de production multi-fruits (voire multi-productions) et multifonctions. Cette « déspécialisation du verger » questionne l’espace de production, son organisation, les pratiques réalisées et la valorisation des productions. Le travail réalisé peut être approprié dans d’autres contextes grâce à une approche par fonctions qui rend génériques les choix réalisés ; dit autrement, ce n’est pas le nom des variétés choisies ou tel choix d’aménagement qui sont importants mais leurs caractéristiques et les fonctions attendues, qui peuvent être remplies différemment dans d’autres contextes.
L’évaluation prévue sera conduite dans la durée, et la co-conception agroécologique est poursuivie pour l’ensemble des dix hectares. Ce site d’expérimentation constitue également un lieu d’interactions avec un public très diversifié de professionnels, d’apprenants, de chercheurs pour échanger et partager connaissances, questions et diverses pistes pour repenser le verger de demain.
Notes
- https://ecophytopic.fr/sites/default/files/2021-07/Reseau_FERME_2018_VF_num_1.pdf
- En production végétale, la prophylaxie a pour objectif de prévenir l’apparition et/ou la propagation de ravageurs, maladies et adventices; diverses actions, en particulier des pratiques culturales qui peuvent être combinées entre elles, sont utilisées en verger (cf fiche technique n°1 du Guide Ecophyto Fruits : https://www.gis-fruits.org/Actions-du-GIS/Guide-Ecophyto).
- Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.
- Institut technique qualifié par le ministère de l'Agriculture, qui assure une mission de recherche appliquée finalisée au service des filières plantes aromatiques, médicinales et à parfum.
- Groupe de recherche en agriculture biologique.
- Le GRCETA de Basse Durance est une association d’arboriculteurs, créée en 1962, dont l’objectif est d’aider ses adhérents dans le travail d’amélioration technique, économique et sociale de leurs exploitations agricoles.
- Ligue pour la protection des oiseaux.
- Programme prioritaire de recherche.
Références
- Malézieux, E. (2012). Designing cropping systems from nature. Agronomy for Sustainable Development, 32, 15-29, doi:10.1007/s13593-011-0027-z
- Penvern, S., Chieze, B., Simon, S. (2018) Trade-offs between dreams and reality: Agroecological orchard co-design, in: Proceedings 13th European IFSA Symposium, 1-5 July 2018, Chania (Greece), http://ifsa.boku.ac.at/cms/fileadmin/Proceeding2018/2_Penvern.pdf
- Simon, S., Alaphilippe, A., Borne, S., Fleury, A., Galet, L., Girard, T. Guibert, O., Morel, K., Riotord, D., Velu, A., Hucbourg, B., Borioli, P., Drevet, A., Piffady-Durieux, A., Fichepoil, G., Mollaret, F., Stévenin, S., Buléon, S., Plénet, D., Capowiez, Y. (2018). BioREco, Méthodologie et expérimentation système pour la réduction de l’utilisation des pesticides en vergers de pommier. Innovations Agronomiques, 70, 73-86, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02124775
- Simon, S., Alaphilippe, A., Borne, S., Penvern, S., Dufils, A., Ricard, J. M., Lauri, P. É. (2019). Methodology to co-design temperate fruit tree-based agroforestry systems: three case studies in Southern France, in: Book of abstracts 4th World Congress on Agroforestry, 20-22 May 2019, Montpellier, p. 601, https://agroforestry2019.cirad.fr/replay/book-of-abstracts
Résumé
Comment produire des fruits tout en renforçant le service écosystémique de régulation des bio-agresseurs pour limiter voire supprimer l’utilisation des pesticides ? Une démarche de co-conception agroécologique, associant un ensemble d’acteurs du territoire et de la filière, a été développée dans le cadre du Projet « Z » (Zéro phyto) de l’unité expérimentale recherche intégrée (UERI) INRAE Gotheron pour aborder cette question complexe. L’approche vise à mobiliser, dans le temps et dans l’espace, une diversité d’espèces et variétés fruitières, de plantes associées et d’habitats, pour limiter l’arrivée, l’installation, le développement et la dispersion des bio-agresseurs dans la parcelle, et les dégâts qu’ils occasionnent. Ceci a conduit à repenser la diversité et l’agencement spatial du verger, pour rendre le milieu très défavorable aux bio-agresseurs, et très accueillant pour les auxiliaires, tout en organisant plantes et aménagements de manière fonctionnelle et qui optimise le partage des ressources entre plantes. Un prototype de verger circulaire a été implanté en 2018 à Gotheron. L’enjeu est maintenant de le piloter, de l’évaluer dans la durée de manière multicritère, et de comprendre les processus écologiques se mettant en place. Si ce dispositif exploratoire est encore jeune pour produire des résultats stabilisés, la démarche s’accompagne d’une dynamique multi-acteurs et d’échanges qui alimentent la transition agroécologique.
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