Filières économiques de l’offre de Solutions d’adaptation aux changements climatiques fondées sur la Nature : des perspectives pour améliorer la structuration de l’offre
Chapeau
Face au contexte de changements climatiques et d’érosion de la biodiversité, les Solutions d’adaptation fondées sur la Nature (SafN) apparaissent comme des réponses à privilégier dans les territoires. Différents facteurs favorables au déploiement de ces solutions ont été mis en avant lors du Forum Life Artisan (« Accroître la résilience des territoires aux changement climatiques par l’incitation aux Solutions d’adaptation fondées sur la Nature ») du 15 et 16 mars 2022. Dans cet article, les auteurs présentent les retours d’une étude menée dans le cadre du projet Life Artisan et d’un atelier réunissant les acteurs de l’offre SafN organisé lors du forum.
Introduction
Le dernier rapport du GIEC
Le projet Life Artisan (« Accroître la résilience des territoires aux changement climatiques par l’incitation aux Solutions d’adaptation fondées sur la Nature ») piloté par l’Office français de la biodiversité (OFB) vise justement à placer les SafN au centre de la déclinaison du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-2) et de favoriser leur mise en œuvre sur l’ensemble du territoire.
Par SafN, nous faisons référence à des « actions qui visent à favoriser la conservation de la biodiversité et la fourniture de services écosystémiques ciblés sur les impacts des changements climatiques permettant à nos sociétés d’être plus résilients face à ces enjeux », selon la définition retenue par le projet Life Artisan.
Si ce concept est récent, une diversité de pratiques existantes, voire anciennes, peut s’en approcher (figure 1). Des acteurs se positionnent déjà sur l’offre SafN et différentes têtes de réseaux contribuent à son émergence.
C’est pourquoi, dans le cadre du projet Life Artisan, l’ADEME
Dans le cadre du premier forum du projet Life Artisan le 15 mars 2022, un atelier a été organisé auprès des acteurs de l’offre des SafN et leur écosystème afin de partager des pratiques en lien avec trois enjeux identifiés par l’étude et créer des synergies entre les acteurs.
Figure 1 – Le concept des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature est récent, mais une diversité de pratiques existantes, voire anciennes, peut s’en approcher.
Crédit photo : Exemple de gestion des eaux humides, Nivelle (Nord) le long de la Scarpe canalisée : Daniel Jolivet (CC BY 2.0).
Résultats de l’étude des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature menée par l’ADEME dans le cadre du projet Life Artisan
Un cadre visant à assurer la cohérence et la pertinence des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature
Les SafN sont des aménagements, ouvrages ou processus reposant sur les écosystèmes qui visent à s’adapter aux conséquences actuelles et futures du changement climatique, tout en contribuant à améliorer la biodiversité. Une diversité de pratiques peut s’approcher du concept de SafN à condition de les mobiliser dans une approche systémique et structurée. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a ainsi proposé un cadre sur lequel s’appuie le projet Life Artisan pour faire le lien entre concept et mises en œuvre avec huit critères et indicateurs.
Figure 2 – Cadre proposé par l’Union internationale pour la conservation de la nature visant à assurer la cohérence et la pertinence des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature.
Source : UICN.
Une mobilisation des acteurs autour du concept des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature encore trop limitée à quelques secteurs d’application
La chaine de valeur des SafN étant complexe et impliquant de nombreuses parties prenantes, il est souvent difficile d’identifier les acteurs concernés et leurs interactions. Aucune filière économique organisée de SafN n’a ainsi clairement pu être identifiée dans le cadre de l’étude, mais de plus en plus d’acteurs, de profils diversifiés, se positionnent au sein de leur secteur sur les questions d’adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité. Les cinq études de cas réalisées au cours de l’étude permettent d’illustrer cette diversité et d’identifier des pratiques mises en œuvre par des acteurs en lien avec les critères proposés par l’UICN. Des têtes de réseau et programmes de démonstration contribuent à l’émergence des filières SafN. Le niveau d’appropriation du concept et de mise en place des pratiques des SafN s’est également révélé hétérogène selon les secteurs concernés (figure 3).
Figure 3 – Niveau d’appropriation du concept et de mise en place des pratiques des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature selon les secteurs concernés.
Trois principaux leviers identifiés pour favoriser la structuration de l’offre de Solutions d’adaptation fondées sur la Nature
Afin de renforcer le déploiement des SafN tout en respectant les principaux critères du standard défini par l’UICN, des actions doivent être mises en place pour :
1. Renforcer la mise en réseau des acteurs de l’offre, en s’appuyant notamment sur les têtes de réseaux identifiés dans l’étude mais également plusieurs initiatives et plateformes existantes ;
2. Motiver la demande afin d’augmenter les débouchés et conditions de mise en œuvre des SafN en levant certaines barrières financières, réglementaires et sociales ;
3. Faciliter la montée en compétences et l’outillage des acteurs de l’offre pour permettre des actions efficaces et renforcer la dissémination des connaissances.
À ce titre, l’étude a fait état de plusieurs enjeux concernant à la fois le développement de la demande et de l’offre des SafN :
Côté demande : comprendre et accompagner l'opérationnalisation
• Sensibiliser, informer et développer les connaissances : des acteurs encore peu familiarisés avec le concept de SafN et appréhendant mal la pluralité des bénéfices potentiels.
• Identifier des modèles de financement : les SafN posent des questions spécifiques en termes de financement : coût parfois plus important en termes de conception et entretien, temporalité et échelle de l'action.
Côté offre : améliorer la lisibilité des enjeux et l'évaluation des actions
• S’engager plus clairement sur l’adaptation aux conséquences du changement climatique (par exemple, mieux prendre en compte des questionnements de la viabilité à long terme des solutions au regard du changement climatique), et la préservation de la biodiversité (identifier les enjeux en s’appuyant sur un état initial).
• L’échelle, un enjeu clé pour la réussite des projets : identifier les différentes étapes nécessaires à un déploiement à plus grande échelle.
• Suivi et évaluation des solutions : des étapes nécessaires pour assurer l’efficacité et la promotion de ces solutions.
• Savoir fédérer une diversité de compétences et d’acteurs.
Pour plus d’informations sur le contenu de l’analyse, les fiches acteurs et les recommandations dans le rapport final et la synthèse de l’étude réalisée disponibles ici.
Atelier dédié à l’offre des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature lors du premier Forum Life Artisan
L’atelier s’est tenu à la fois en présentiel au Grand Palais de Lille et en distanciel. Il a regroupé un certain nombre d’acteurs se situant à différents niveaux de la chaîne de valeur des SafN (figure 4).
Figure 4 – Typologie des acteurs participant à l’atelier dédié à l’offre des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature lors du premier Forum Life Artisan.
Les objectifs de l’atelier étaient de :
– présenter les principales conclusions et recommandations de l’étude auprès des acteurs de l’offre ;
– consacrer un temps d’échange entre les acteurs en petits groupes sur les principaux enjeux identifiés lors de l’étude autour de trois thématiques : l’adaptation au changement climatique (groupe 1), les bénéfices nets des SafN sur la biodiversité (groupe 2) et l’approche systémique (groupe 3) ;
– créer des synergies entre acteurs et identifier de prochaines actions pour les suites à donner à l’étude réalisée.
Les discussions des groupes 1 et 2 sont synthétisés ici.
Groupe 1 – Adaptation au changement climatique
Le groupe s’est interrogé sur les questions suivantes: comment s’assurer que mon projet de SafN vise à répondre à un enjeu d’adaptation aux changements climatiques ? Comment s’assurer que mon projet permette effectivement de répondre à ce besoin d’adaptation ? les outils à disposition dans mon secteur d’activité sont-ils suffisants ?
Voici les principaux messages clés partagés par les participants en réponse à ces questions :
– la prise en compte de l’adaptation au changement climatique constitue un véritable enjeu pour les SfN pour être des « SafN », c’est-à-dire des solutions fondées sur la nature qui répondent effectivement à des besoins d’adaptation aux changements climatiques ;
– actuellement, les principales difficultés identifiées portent sur certains freins psychologiques/culturels notamment des donneurs d’ordres, un manque de retours d’expériences réussies sur les SafN comme solutions pour l’adaptation aux changements climatiques et des connaissances parfois insuffisantes dûes à l’accès et la diffusion encore limités des données ;
– plusieurs éléments structurels bloquent également le développement des SfN pour des politiques d’adaptation, comme les modèles financiers d’aménagement qui raisonnent par risque financier sans prendre en compte le coût de l’inaction, l’insuffisante valorisation des co-bénéfices des solutions, des méthodes et processus rigides qui ne conviennent pas à la gestion adaptée des SafN ;
– face à ces difficultés, plusieurs leviers ont été identifiés notamment le fait de renforcer le partage d’expériences et de bonnes pratiques à travers des programmes démonstrateurs, une implication forte des têtes de réseaux. Objectif : déconstruire certaines idées reçues des SafN et montrer des exemples de réussite. Il convient également d’encourager les territoires et acteurs économiques à accepter de faire de l’expérimentation et tester de nouvelles solutions. Plusieurs organismes pourraient également se mobiliser pour favoriser l’accès aux données à l’instar de ce que font certains observatoires régionaux du changement climatique et favoriser la diffusion de connaissances ;
– enfin, plusieurs ressources existent et sont notamment disponibles sur le site du Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique et pourraient être diffusées plus largement.
Encadré 1 – Résultats de l’étude : s’engager plus clairement sur l’adaptation aux conséquences du changement climatique.
Si la majorité des solutions étudiées à travers la revue de littérature s’adresse directement à des besoins d’adaptation au changement climatique (ex. : régulation des niveaux d’eau pour la restauration de tourbières ou abaissement des températures pour la plantation d’arbres ou de haies), elles peinent à se poser la question des résultats obtenus face aux impacts climatiques à venir, faute d’expertise ou de mise en place d’une gestion flexible. Le niveau d’appropriation du concept de SafN et des critères et pratiques à intégrer est inégal en fonction des secteurs d’activité et des types d’acteurs.
Ce défaut entraîne plusieurs points de blocage au développement de l’offre :
• la mobilisation de la demande et du financement sur un objectif d’adaptation bien déterminé : les acteurs contribuant au financement de SafN ont fait remonter des limites concernant des projets visant à gérer des risques actuels en s’appuyant sur des services écosystémiques (par exemple, cas d’interventions dans des milieux humides), sans s’intégrer complètement dans une démarche d’adaptation et en particulier sans chercher à anticiper l’évolution du climat ;
• la mise en place d’actions complémentaires : certaines organisations cherchent à combiner les SafN avec des solutions grises, c’est-à-dire des solutions d’ingénierie classique reposant davantage sur des infrastructures (ex. : instauration de digues dans le littoral) ;
• un questionnement sur la viabilité à long terme : par exemple, pour le secteur du bâtiment et aménagement urbain, la conception des solutions de végétalisation ne s’appuie pas forcément sur un diagnostic tenant compte de projections climatiques à moyen et long terme, ce qui serait cependant nécessaire pour assurer leur résilience vis-à-vis d’impacts climatiques (stress hydrique et thermique). Dans le tourisme, la sensibilisation du secteur aux enjeux de l’adaptation et des SfN reste encore insuffisante pour insuffler des changements en profondeur.
Pour aller plus loin : des exemples de leviers mobilisés par des acteurs de l’offre SafN identifiés dans les études de cas :
• intégrer les enjeux d’adaptation au changement climatique et de préservation des écosystèmes dans les projets de végétalisation des collectivités en s’appuyant sur des travaux de modélisation et de représentation facilitant le croisement des enjeux ;
• s’appuyer sur diagnostics réalisés à l’échelle du territoire, préciser les enjeux à des échelles plus fines.
Groupe 2 – Bénéfices nets pour la biodiversité
Ce groupe a abordé les questions suivantes : est-ce que je dispose d’une connaissance de l’état initial des écosystèmes et des facteurs de pression ? Comment s’assurer que mon projet permet effectivement de répondre à un objectif en termes de gain net pour la biodiversité ? Quels dispositifs/protocoles d’évaluation et de suivi sont à ma disposition?
Voici les principaux messages clés partagés par les participants en réponse à ces questions :
• une acculturation globale aux enjeux de la biodiversité est nécessaire pour les prendre en compte dans les projets. Des actions très simples sont possibles à condition d’intégrer des compétences en écologie dès la conception du projet de manière à identifier les objectifs en termes de préservation de la biodiversité. Ces compétences sont actuellement impliquées trop tardivement dans les projets, induisant des marges de manœuvre très réduites ;
• il est impossible de s’engager sur une performance en termes de biodiversité à l’échelle d’un projet : s’agissant du vivant, tout n’est pas chiffrable et contrôlable mais des bonnes pratiques sont déjà connues et diffusées via les centres de ressources et retours d’expérience ;
• les étapes de diagnostic de l’état initial et de suivi et évaluation peuvent a priori apparaître lourdes et coûteuses. Pourtant le niveau d’exigence n’est pas le même en fonction du type de projet :
– des dispositifs très complets sont mis en œuvre dans le cadre de projet de recherche et permettent d’acquérir des connaissances, sur lesquelles pourront s’appuyer des projets plus opérationnels. D’ailleurs, des acteurs de la recherche sont demandeurs de pouvoir s’impliquer dans le suivi sur des territoires ayant déployé des actions ;
– pour d’autres : beaucoup d’informations sur la biodiversité à proximité des sites peuvent fournir un premier niveau d’information ;
• le suivi doit s’appuyer sur une approche multi-critère ne reposant pas uniquement sur des indicateurs de résultats mais intégrant des indicateurs de moyens (gouvernance, compétences…).
Conclusion
Face au contexte de changements climatiques et d’érosion de la biodiversité, les SafN apparaissent comme des solutions à privilégier, mises en avant par différentes institutions et politiques internationales et nationales. Le concept de SafN est récent, mais une diversité de pratiques existantes, parfois anciennes, peuvent en fait s’en approcher à condition de les mobiliser dans une approche systémique et structurée. L’Union internationale pour la conservation de la nature a ainsi proposé un cadre sur lequel s’appuie le projet Life Artisan pour faire le lien entre le concept et les mises en œuvre opérationnelles. Si différents acteurs se positionnent d’ores et déjà sur une offre SafN, les filières SafN sont encore en émergence avec de nombreux défis comme le renforcement de leur modèle économique, la recherche de débouchés et l’évolution de la prise d conscience des multiples bénéfices des actions en faveur de la nature. Leur accompagnement est un levier important pour favoriser le déploiement de ces solutions.
Selon l’étude de ces filières, menée par l’ADEME dans le cadre du projet Life Artisan, de plus en plus d’acteurs s’impliquent sur les enjeux d’adaptation au changement climatique et de biodiversité et des têtes de réseaux contribuent aux déploiements de ces solutions. La mobilisation et l’organisation autour du concept SafN sont cependant encore limitées à quelques secteurs d'application. La demande pour les SafN (financeurs privés, marchés publics, entreprises privées, citoyens) est à développer, en s’appuyant notamment sur des actions de sensibilisation et d’information et de consolidation de modèles de financement. Le contenu et la qualité des offres privées et publiques des SafN nécessitent également d’être renforcés.
Lors du premier Forum du projet Life Artisan, les échanges avec un panel d’acteurs de l’offre de SafN, réparti en trois sous-groupes, ont permis de consolider des enseignements de l’étude et de partager des bonnes pratiques autour de trois enjeux :
• répondre à un ou des enjeux de l’adaptation au changement climatique,
• répondre à un objectif de gain net pour la biodiversité,
• mettre en œuvre des approches intégrées.
L’enjeu d’acculturation des parties prenantes est ressorti globalement comme clé : des actions sont possibles et des ressources sont disponibles, mais elles sont encore insuffisamment connues. Le partage de retours d’expériences est un levier important pour sensibiliser et informer les acteurs. La question du financement a été discutée dans les trois sous-groupes : l’évaluation du coût de l’inaction est un moyen mobilisé par certains pour sensibiliser les acteurs de la demande. Pour la prise en compte d’enjeux « biodiversité », les acteurs ont souligné la faisabilité économique d’actions à condition de les avoir intégrées dès la conception du projet. La valorisation des différents co-bénéfices dans le montage financier de projet SafN reste cependant complexe. Sur l’enjeu biodiversité, les échanges ont mis en avant le besoin des bonnes pratiques à partager pour la conception et le suivi des projets.
Pour aller plus loin
Pour accéder aux différents livrables de l'étude : https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/5340-offre-des-solutions-d-adaptation-fondees-sur-la-nature-safn.html
Pour accéder à la note de cadrage du projet Life Artisan : https://www.ofb.gouv.fr/sites/default/files/Fichiers/Doc technique/Note de cadrage_projet-life-integre-ARTISAN_110621.pdf
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Photographie d’entête : © Adobe Stock – Mahara
Notes
- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
- Définition de la note de cadrage du projet Life Artisan, accessible à cette adresse : https://www.ofb.gouv.fr/sites/default/files/Fichiers/Doc technique/Note de cadrage_projet-life-integre-ARTISAN_110621.pdf
- Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Résumé
Face au contexte de changements climatiques et d’érosion de la biodiversité, les Solutions d’adaptation fondées sur la Nature (SafN) apparaissent comme des réponses à privilégier dans les territoires. Différents facteurs favorables au déploiement de ces solutions ont été mis en avant lors du Forum Life Artisan (« Accroître la résilience des territoires aux changement climatiques par l’Incitation aux solutions d’adaptation fondées sur la nature ») du 15 et 16 mars 2022. Dans cet article, les auteurs présentent les retours d’une étude menée dans le cadre du projet Life Artisan et d’un atelier réunissant les acteurs de l’offre SafN organisé lors du forum.
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