PREMHYCE, une plateforme nationale pour la prévision des étiages
Chapeau
En France, de nombreux usages sont concernés par les pénuries d’eau en rivière. Dans un contexte de changement climatique, il apparait nécessaire de pouvoir mieux anticiper les périodes d’étiage afin d’améliorer la gestion de la ressource en eau. Le projet PREMHYCE a permis de mettre au point une plateforme opérationnelle de prévision des étiages applicable à l’échelle nationale.
Contexte et enjeux de la prévision des étiages
Dans beaucoup de pays, les cours d'eau sont les principales sources d'approvisionnement en eau. De nombreux usages sont concernés (refroidissement des centrales thermiques, énergie hydroélectrique, alimentation en eau potable, irrigation, industrie, navigation, loisirs, etc.), et peuvent être fortement impactés par les pénuries d'eau en rivière. Ces usages doivent par ailleurs être compatibles avec le maintien de la qualité de la vie aquatique, se traduisant par exemple par le respect d'un débit minimum biologique dans les cours d'eau. Il est donc nécessaire d'anticiper le plus précocement possible les périodes d'étiage afin d'améliorer la gestion de l'eau et de prendre des mesures pour atténuer l'impact socio-économique et écologique des pénuries d'eau. Les sécheresses extrêmes survenues en France en 1976, 2003 et plus récemment en 2017 et 2022 soulignent la nécessité de bénéficier de systèmes de prévision performants. Cela est renforcé par la perspective d'avoir des étiages plus sévères et plus fréquents en été en raison des évolutions climatiques en cours.
À partir de 2011, l'Office français de la biodiversité (OFB) et la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de la Transition écologique ont soutenu le projet de recherche PREMHYCE (Prévision des étiages par des modèles hydrologiques, comparaison et évaluation), piloté par INRAE et impliquant Météo-France, le BRGM
Comment prévoit-on les étiages ?
La prévision des débits en rivière est dépendante des caractéristiques de la réaction hydrologique du bassin versant aux conditions météorologiques futures, et de l’état de saturation du bassin à l’instant de la prévision. Pour établir ces prévisions, on utilise un modèle hydrologique, qui est une sorte de jumeau numérique du bassin versant, capable de simuler la réponse du bassin en termes de débits dans la rivière à des conditions de pluies et de températures données.
Contrairement aux crues, qui ont généralement des dynamiques rapides, typiquement de quelques heures à quelques jours, les étiages sont des phénomènes lents dont les dynamiques caractéristiques sont de l’ordre de la semaine au mois. Quand on cherche à les anticiper, on s’intéresse donc à des délais (ou horizons) de prévision de cet ordre de grandeur voire de plusieurs mois (on parle alors de prévision saisonnière). À ces échéances, notre connaissance des conditions météorologiques futures est très incertaine. Pour tenir compte de cette incertitude, on utilise un ensemble de scénarios réalistes des conditions météorologiques futures comme entrées du modèle hydrologique, qui va ainsi produire un ensemble de simulations de débits formant la gamme probable des débits pour chaque jour de la plage de prévision. Cette gamme de débits futurs sera informative pour le gestionnaire si elle est significativement différente et/ou plus réduite que la gamme correspondant à la variabilité naturelle des débits pour le jour considéré (obtenue par exemple par des enregistrements de débits sur une longue période antérieure, comme il en existe beaucoup en France, comme la base nationale HydroPortail – Dufeu et al., 2022). Ce sera le cas si les scénarios météorologiques futurs donnent une vision relativement précise de ce qui va se produire dans les jours suivants, et si la réponse du bassin versant à l’horizon visé est effectivement dépendante des conditions initiales d’humidité du bassin, autrement dit de la longueur de la mémoire du bassin. Pour ces raisons, il existe un horizon maximal au-delà duquel la prévision produite par le modèle n’apporte pas plus d’information que la variabilité naturelle des débits. On parlera d’horizon maximal utile, qui varie de la semaine à quelques mois suivant les bassins
Concrètement, les modèles hydrologiques vont, à partir d’un jour j de prévision, prévoir des débits sur une plage de prévision allant de j + 1 à j + L (avec L l'horizon de prévision, exprimé en jours), en connaissant à la fois les données météorologiques observées et les débits observés jusqu'au jour j, et en utilisant des scénarios de conditions météorologiques futures, sur la plage j + 1 à j + L. Les observations de débits peuvent être utilisées dans un schéma d'assimilation et/ou dans une procédure de correction statistique, qui permettent de corriger les erreurs du modèle le jour j et de le mettre davantage en adéquation avec le fonctionnement réel du bassin versant.
Les étapes successives de la méthode de prévision des étiages avec des modèles hydrologiques sont illustrées à la figure 1.
a) Les observations de précipitations, de températures et de débits sont rapatriées en temps réel et archivées pour constituer des chroniques continues jusqu’à l’instant de prévision. Les températures sont utilisées pour quantifier la capacité évaporatoire de l’atmosphère via le calcul de l’évapotranspiration potentielle. Elles peuvent également être utilisées pour simuler l’évolution du stock de neige lorsque le basin est influencé par la neige.
b) Le modèle hydrologique fonctionne en simulation, avec les entrées de pluies et de températures observées, jusqu’au jour j d’émission de la prévision. Les états internes du modèle hydrologique sont ainsi représentatifs des conditions d’humidité au jour j. À cette étape, une procédure d’assimilation basée sur les débits observés peut permettre de corriger les erreurs du modèle pour que celui-ci calcule des débits aussi proches que possible de ceux observés le jour j.
c) On sélectionne ensuite un certain nombre (noté N) de scénarios météorologiques (pluie et température). Ils sont utilisés comme entrées du modèle, qui va simuler N prévisions de débits correspondantes, sur la plage de prévision de j + 1 à j + L. Une correction des débits prévus peut être appliquée, en utilisant les erreurs des modèles en simulation sur les derniers pas de temps avant l'instant de prévision ou en appliquant un post-traitement de type quantile-quantile.
d) Les prévisions de débits sont analysées statistiquement afin de fournir des intervalles de confiance (typiquement regroupant 80 % des simulations) pour les différents horizons cibles et d’estimer les probabilités de sous-passer des seuils critiques (représentant classiquement des seuils de vigilance, alerte ou crise).
La plateforme PREMHYCE a été construite sur ce principe. En conditions opérationnelles, ces étapes peuvent être répétées chaque jour, de manière à actualiser les prévisions en fonction des besoins.
Figure – Étapes de la prévision des étiages à l’aide d’un modèle hydrologique.
a) Observations hydroclimatiques jusqu’à l’instant de prévision ; b) Simulation du débit par le modèle hydrologique à partir des observations climatiques et correction éventuelle de l’erreur à l’aide des débits observés ; c) Prévisions de débits selon différents scénarios météorologiques (pluie et température) ; d) Intervalle de confiance de la prévision après analyse statistique des prévisions de débits et estimation des probabilités de sous-passements de seuils (vigilance, alerte, alerte renforcée et crise).
La plateforme de prévision des étiages PREMHYCE
Bassins versants et observations hydro-climatiques
La plateforme PREMHYCE a été mise à disposition des gestionnaires opérationnels en 2018. Depuis, le nombre de bassins versants intégrés dans la plateforme est en constante augmentation. À ce jour, la plateforme produit quotidiennement des prévisions de débits pour plus de mille bassins versants français (dont dix pour le département de La Réunion). Majoritairement, ces bassins ne sont pas, ou peu, influencés. En effet, l’application des modèles sur des bassins influencés requiert qu’ils puissent prendre explicitement en compte ces influences, ce qui n’est pas le cas actuellement. Elle nécessite également que des données sur les influences soient disponibles jusqu’au jour de prévision, et que l’on puisse établir des scénarios réalistes d’influences futures sur la plage de prévision, ce qui requiert souvent des modèles spécifiques.
Afin de caler les modèles sur les bassins versants intégrés dans la plateforme, des séries historiques climatiques et de débits journaliers sont utilisées. Les données climatiques (précipitations, températures, évapotranspirations potentielles), disponibles d'août 1958 à aujourd'hui, sont issues de la réanalyse SAFRAN de Météo-France (Vidal et al., 2009). Les données de débits journaliers ont été extraites de l'HydroPortail. Cette longue période de données permet de tester l’efficacité des modèles dans des conditions très variées, avec des événements de sécheresse très marqués. On peut ainsi évaluer leur comportement en prévision et déterminer pour chaque bassin versant l’horizon maximal utile au-delà duquel la modélisation n’apporte pas de plus-value par rapport à la variabilité naturelle des débits.
Pour la prévision en temps réel, Météo-France fournit chaque jour à la plateforme les nouvelles estimations climatiques de la version temps réel de SAFRAN. Les données de débits qui sont nécessaires pour évaluer l’erreur des modèles et la corriger sont obtenues via l’interface de programmation d’application (API) Hydrométrie, qui permet d’extraire les données en temps réel. Toutes ces données sont ensuite archivées au sein de la base de données interne de la plateforme, notamment pour permettre des « rejeux » et analyser les performances post-événements.
Scénarios climatiques
Deux types de scénarios climatiques sont utilisés dans la plateforme PREMHYCE :
– des scénarios à moyenne échéance (15 jours) produits par le Centre européen de prévision météorologique à moyen terme (ECMWF) et traité par Météo-France pour correspondre à la grille SAFRAN ;
– des scénarios à longue échéance (90 jours) basés sur l’archive climatique SAFRAN, chaque année représentant un scénario (donc 64 membres actuellement).
Un scénario de précipitations nulles est également utilisé comme cas le plus extrême de prévision.
Modèles hydrologiques
Les cinq modèles utilisés dans la plateforme (modèles GARDÉNIA du BRGM, GR6J d'INRAE, MORDOR-SD d'EDF, PRESAGES de l'Université de Lorraine et SIM de Météo-France) se distinguent par leur mode de construction et leurs caractéristiques de fonctionnement (tableau 1) :
– la résolution spatiale, d’une approche globale dans laquelle l’hétérogénéité du bassin versant n’est pas explicitée à des approches semi-distribuée ou distribuée, dans lesquelles le bassin versant est discrétisé en sous-bassins ou mailles pour prendre en compte son hétérogénéité ;
– le nombre de paramètres à optimiser et le mode d’estimation de ces paramètres ;
– des méthodes d’assimilation des débits (correction des états internes du modèle pour qu’il produise un débit simulé égal au débit observé à l’instant de prévision) ou des procédures statistiques de post-traitement qui permettent d’améliorer la prévision.
Tableau – Principales caractéristiques des cinq modèles hydrologiques utilisés dans l'outil de prévision PREMHYCE.
Modèle hydrologique |
Institut |
Type |
Résolution spatiale |
Nombre paramètres |
Méthode d’ assimilation |
Méthode de post- traitement |
---|---|---|---|---|---|---|
GARDÉNIA |
BRGM |
Conceptuel |
Global |
4 à 13 |
X |
|
GR6J |
INRAE |
Conceptuel |
Global |
6 à 8 |
X |
|
MORDOR-SD |
EDF-DTG |
Conceptuel |
Semi-distribué |
11 à 18 |
X |
|
PRESAGES |
Université de. Lorraine |
Conceptuel |
Global |
7 à 10 |
X |
|
SIM |
Météo-France |
Bases physiques |
Distribué |
Pas de calage |
X |
Avoir différents modèles à disposition dans la plateforme présente plusieurs intérêts :
– sélectionner les modèles qui paraissent les plus performants pour le bassin d’intérêt ;
– quantifier les incertitudes issues de la modélisation hydrologique dans la chaîne de prévision qui est également impactée par les incertitudes sur les observations utilisées et sur les prévisions météorologiques ;
– mettre en place des approches multi-modèles combinant les sorties de plusieurs modèles, de manière simple ou pondérée. Des travaux antérieurs dans le projet PREMHYCE ont notamment montré que les approches multi-modèles sont généralement plus performantes que les modèles pris individuellement, la combinaison permettant de mutualiser les forces et gommer les faiblesses des modèles.
Sorties de la plateforme
La plateforme produit quotidiennement des prévisions de débits sur l’ensemble des stations hydrométriques intégrées. Ces prévisions sont fournies aux utilisateurs sous forme de fichiers textes. À partir de ces résultats, des fiches (au format pdf) illustrant les résultats sont produites. Ces prévisions permettent d’estimer les risques de sous-passement de seuils (vigilance à crise) et d’assister les gestionnaires dans leur prise de décision.
Étant donné la quantité importante de fichiers produits par la plateforme chaque jour (deux types de scénarios x cinq modèles hydrologiques), une interface web (figure 2) a été développée pour faciliter la visualisation des résultats. Celle-ci permet d’avoir une vision d’ensemble, à l’échelle nationale ou d’un territoire donné, de l’état observé et de l’état prévu sur les différentes échéances de prévision (de 1 à 90 jours selon les scénarios utilisés).
Figure 2 – Interface de visualisation des prévisions émises par la plateforme PREMHYCE (
Utilisateurs
Les prévisions produites par la plateforme sont diffusées aux services publics sur demande. À ce jour, une trentaine d’utilisateurs opérationnels (DREAL, DDT, EPTB
Conclusion et perspectives
La plateforme PREMHYCE, développée pour et en collaboration avec les services de l’État et des collectivités gestionnaires de la ressource en eau, met à disposition depuis 2018, de manière continue, des prévisions de débits jusqu’à 90 jours, pour aider à la gestion de l’eau en période d’étiage. L’intérêt croissant pour la plateforme est le reflet d’une préoccupation importante chez les gestionnaires du devenir de la ressource à long terme, dans un contexte de changement climatique progressif.
Les méthodes implémentées dans la plateforme font l’objet de recherches par les partenaires de la plateforme, avec l’objectif d’améliorer progressivement la qualité des résultats produits. Les premiers retours d’expérience ont notamment mis en évidence la nécessité d’améliorer la cohérence temporelle des scénarios météorologiques utilisés, la qualité des modélisations hydrologiques en basses eaux sur des points jaugés ou non jaugés, l’estimation des incertitudes associées aux prévisions, ou encore les méthodes de combinaison des modèles dans des approches multi-modèles. Cela a conduit au démarrage en 2021 du projet de recherche CIPRHES soutenu par l’Agence nationale de la recherche, qui vise à mettre en place une chaîne intégrée pour la prévision hydrométéorologique des étiages et des sécheresses. Dans ce cadre, une première réunion d’un groupe utilisateurs élargi, en juin 2022, a également permis de dresser un inventaire des attentes des utilisateurs sur les fonctionnalités de la future interface.
Remerciements
Ces travaux ont reçu depuis 2011 le soutien financier de l’Office français de la biodiversité et la Direction de l’eau et de la biodiversité. Depuis 2021, le projet ANR CIPRHES (ANR-20-CE04-0009-02) contribue à l’amélioration des méthodes implémentées dans la plateforme PREMHYCE.
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Photographie d’entête : © D. François (Université de Lorraine)
Le lac-réservoir de Bouzey (Vosges) après la sécheresse exceptionnelle de l'été 2022.
Notes
- Bureau de recherches géologiques minières.
- Électricité de France.https://hydro.eaufrance.fr/https://hubeau.eaufrance.fr/page/api-hydrometrie
- Établissements publics territoriaux de bassin.
- Voies navigables de France.
- CIPHRES : Chaine intégrée pour la prévision hydrométéorologique des étiages et des sécheresses : https://www6.inrae.fr/ciprhes/
Références
- Dufeu, E., Mougin, F., Foray, A., Baillon, M., Lamblin, R., Hebrard, F., Chaleon, C., Romon, S., Cobos, L., Gouin, P., Audouy, J. N., Martin, R., Poligot-Pitsch, S. (2022). Finalisation de l’opération HYDRO 3 de modernisation du système d’information national des données hydrométriques. LHB, doi:10.1080/27678490.2022.2099317
- Tilmant, F., Nicolle, P., Bourgin, F., Besson, F., Delaigue, O., Etchevers, P., François, D., Le Lay, M., Perrin, C., Rousset, F., Thiéry, D., Magand, C., Leurent, T., Jacob, L. (2020). PREMHYCE : un outil opérationnel pour la prévision des étiages. La Houille Blanche, 106(5), 37‑44. doi:10.1051/lhb/2020043
- Vidal, J. P., Martin, E., Franchistéguy, L., Baillon, M., Soubeyroux, J. M. (2009). A 50-year high-resolution atmospheric reanalysis over France with the Safran system. International Journal of Climatology, 30(11), 1627‑1644. doi:10.1002/joc.2003
Résumé
De nombreuses activités humaines peuvent être fortement impactées par les pénuries d'eau (production d’eau potable, irrigation, production électrique, navigation fluviale, loisirs, etc.). Il est donc nécessaire d'anticiper les périodes d'étiage afin d'améliorer la gestion de l'eau pour mieux répondre aux besoins, tout en préservant le fonctionnement des écosystèmes aquatiques. Ceci est renforcé par la perspective d'étiages futurs plus sévères dans le contexte du changement climatique en cours. Pour répondre à ces enjeux, cinq institutions françaises ont développé un outil opérationnel de prévision des bas débits, PREMHYCE. Issu d’un projet de recherche initié en 2011 et soutenu par l’Office français de la biodiversité et la Direction de l’eau et de la biodiversité, il est testé depuis 2018 en temps réel sur plus de mille bassins versants en France métropolitaine et à La Réunion. PREMHYCE comprend cinq modèles hydrologiques qui sont implémentés sur des bassins versants jaugés et assimilent les dernières observations de débits en temps réel. Les prévisions de débits sont émises quotidiennement en considérant des ensembles de scénarios de pluies et de températures (issus d’un modèle météorologique jusqu’à une échéance de 15 jours et d’archives climatiques jusqu’à une échéance de 90 jours). Les résultats de la plateforme sont communiqués aux gestionnaires opérationnels partenaires, à l’aide de supports de communication adaptés, pour les aider dans la prise de décision. Une interface web de visualisation donne une vue d’ensemble en temps réel de la situation observée et prévue.
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