Évaluation et valorisation de la biodiversité et des services rendus par les bandes fleuries en grandes cultures
Chapeau
La plupart des travaux passés ont étudié les effets des bandes fleuries sur un nombre restreint de services écosystémiques rendus, sans les considérer dans leur ensemble et en laissant de côté leurs interactions. Dans ce contexte, un dispositif a été mis en place à partir de 2018 au sein d‘un réseau de trente parcelles agricoles afin d’évaluer les effets de bandes fleuries, insérées dans une diversité de modes de production. Les travaux présentés ici analysent les synergies et antagonismes entre services rendus par ces bandes sur la multifonctionnalité des systèmes agricoles.
Introduction
Alors que l'utilisation des produits phytosanitaires persiste et peine à se réduire et que leur efficacité est parfois limitée, que la biodiversité des milieux agricoles s'effondre, la profession agricole rencontre des pressions croissantes de ravageurs sur certaines cultures. En plaine céréalière, les bords de champs et les rares zones non cultivées représentent souvent l'unique refuge pour la faune et la flore et auraient donc une place sensible dans le maintien de cette biodiversité, aussi bien ordinaire que patrimoniale, et des services qu'elle rend. L'émergence d'une agriculture multifonctionnelle, favorable à l'expression d'une diversité de services écosystémiques (pollinisation, régulation des ravageurs, maintien des sols, fertilisation…) nécessite la mise en œuvre de combinaisons originales de leviers agroécologiques à différentes échelles (Duru et al., 2015). La gestion des habitats nécessaires à la biodiversité par l'agriculteur à l'échelle locale, via des aménagements agroécologiques (bandes fleuries) apparaît comme un des leviers possibles et pragmatiques. Cependant, la plupart des travaux passés ont étudié les effets de ces bandes sur un nombre restreint de services, sans les considérer dans leur ensemble et en laissant de côté leurs interactions. Cette approche simplificatrice fait l'impasse sur d'éventuelles synergies ou antagonismes entre services, dont la combinaison pourrait accroître de façon importante les bénéfices, en favorisant une multifonctionnalité de l'agriculture.
Dans une expérimentation au champ entre 2013 et 2017, l'unité mixte de recherche Agronomie (INRAE Grignon) avait comparé la capacité de différentes bandes fleuries pérennes, contrastées pour leur diversité spécifique et fonctionnelle, à fournir des ressources alimentaires aux parasitoïdes. Le taux de parasitisme (régulation par des microguêpes parasitoïdes) de quatre insectes s'attaquant au colza et à la féverole a augmenté avec la proportion de plantes dans les bandes fleuries fournissant du nectar disponible et accessible pour les parasitoïdes (Gardarin et al., 2021). Les bandes fleuries semées avec le plus grand nombre d'espèces (vingt-neuf espèces) sont celles qui sont restées les plus diversifiées au cours du temps, et sont donc les plus susceptibles de fournir des ressources pour une diversité d'insectes participant à la régulation des ravageurs de diverses cultures. Néanmoins, l'impact de bandes fleuries sur une diversité d'organismes, incluant les ravageurs de cultures, et leur régulation, reste peu documenté en parcelles agricoles, et surtout à l'échelle pluriannuelle.
Dans ce contexte, un dispositif a été mis en place au sein d’un réseau de parcelles d'agriculteurs afin (1) d’évaluer quantitativement les effets de bandes fleuries, insérées dans une diversité de modes de production, à savoir l’agriculture biologique, l’agriculture de conservation des sols (encadré 1) et conventionnelle, sur les auxiliaires des cultures, la régulation biologique des insectes phytophages, sur la conservation des pollinisateurs et de vertébrés inféodés aux plaines agricoles, et (2) d’encourager le développement de ces aménagements en mobilisant la profession et l’enseignement agricole ainsi que les porteurs d’enjeux et le conseil agricole.
Encadré 1 – L’agriculture de conservation
L'agriculture de conservation repose sur la mise en œuvre de trois grands principes que sont (1) l'absence de perturbation du sol autre que celle occasionnée lors du semis par une dent légère ou un disque, (2) la couverture maximale du sol par des couverts d'interculture et par des résidus et (3) la diversification des espèces cultivées dans le temps, à l'échelle de la rotation, et dans l'espace via des associations végétales (Scopel et al., 2013). L'agriculture de conservation est souvent mise en avant comme un moyen de réduire les coûts de production, l'érosion des sols, de restaurer la fertilité des sols, y compris la biodiversité qu'ils contiennent (Henneron et al., 2015)
Mise en place du dispositif
Mise en place des bandes fleuries dans un réseau de parcelles d'agriculteurs
Avec l’appui des chambres d’agriculture, un réseau de parcelles d’agriculteurs a été constitué dans les régions Centre-Val de Loire et Île-de-France. Chez vingt-cinq d’entre eux, des bandes fleuries intra-parcellaires (deux tiers des cas) ou en bord de parcelle ont été semées à l’automne 2018 ou en 2019. Les bandes mesurent 3 à 6 m de large et 200 à 800 m de long.
Le mélange de semences utilisé diffère fortement de ce qui est proposé dans le commerce. Sa composition floristique est basée sur l'expérience de l'association Hommes et Territoires et sur des expérimentations qui ont été préalablement réalisées par l’UMR Agronomie à Grignon. Dans l’objectif de favoriser la biodiversité en général, nous avons choisi des espèces appartenant à une diversité de familles botaniques et ayant des caractéristiques fonctionnelles contrastées (par exemple, période et durée de floraison, forme de la fleur, etc.) pour composer un mélange de quarante-deux espèces majoritairement pérennes (tableau 1). Toutes les espèces sont adaptées à la zone d'étude et une majorité d'entre elles est retrouvée spontanément en plaine céréalière. Les semences utilisées sont majoritairement originaires du Bassin parisien ou sinon d’ailleurs en France en cas d’indisponibilité. Le semis des bandes a été réalisé manuellement par l’UMR Agronomie, après une préparation minutieuse du sol, réalisée préalablement par les agriculteurs. Une dizaine de bandes s’étant mal implantées en 2018 (mauvaise germination à cause de conditions trop sèches à l’automne 2018, ou bien trop d’adventices), ont été re-semées avec succès en 2019 voire début 2020.
Tableau 1 – Composition du mélange semé.
Nom commun |
Nom scientifique |
Début de floraison (n° de semaine) |
Fin de floraison (n° de semaine) |
Présence de nectar |
Nectar accessible |
||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Parasitoïdes de grosse altise |
Parasitoïdes de méligèthes |
Principales espèces de syrphes |
|||||
Achillée millefeuille |
Achillea millefolium |
25 |
36 |
oui |
non |
non |
oui |
Alliaire pétiolée |
Alliaria petiolata |
15 |
21 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Anthémis des teinturiers |
Anthemis tinctoria |
23 |
29 |
oui |
non |
non |
oui |
Anthrisque sauvage |
Anthriscus sylvestris |
17 |
25 |
oui |
non |
non |
oui |
Avoine jaunâtre |
Trisetum flavescens |
20 |
25 |
non |
non |
non |
non |
Barbarée commune |
Barbarea vulgaris |
16 |
21 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Benoîte des villes |
Geum urbanum |
19 |
25 |
oui |
non |
oui |
oui |
Bleuet |
Centaurea cyanus |
19 |
28 |
oui |
non |
oui |
oui |
Bouton d'or |
Ranunculus acris |
17 |
25 |
oui |
non |
oui |
oui |
Carotte sauvage |
Daucus carota |
26 |
37 |
oui |
non |
non |
oui |
Carvi |
Carum carvi |
19 |
30 |
oui |
non |
oui |
oui |
Centaurée jacée |
Centaurea jacea |
27 |
39 |
oui |
non |
non |
non |
Centaurée scabieuse |
Centaurea scabiosa |
26 |
39 |
oui |
non |
non |
oui |
Chicorée sauvage |
Cichorium intybus |
26 |
44 |
oui |
non |
non |
oui |
Coronille bigarrée |
Securigera varia |
22 |
41 |
oui |
non |
non |
non |
Fétuque élevée |
Festuca arundinacea |
23 |
26 |
non |
non |
non |
non |
Gaillet mou |
Galium mollugo |
18 |
30 |
oui |
non |
non |
non |
Julienne des dames |
Hesperis matronalis |
17 |
25 |
oui |
non |
non |
non |
Knautie des champs |
Knautia arvensis |
23 |
35 |
oui |
oui |
oui |
non |
Lierre terrestre |
Glechoma hederacea |
12 |
20 |
oui |
oui |
oui |
non |
Lotier corniculé |
Lotus corniculatus |
22 |
37 |
oui |
non |
non |
non |
Luzerne cultivée |
Medicago sativa |
21 |
37 |
oui |
non |
non |
non |
Marguerite commune |
Leucanthemum vulgare |
18 |
27 |
oui |
non |
oui |
oui |
Mauve des bois |
Malva sylvestris |
21 |
39 |
oui |
non |
non |
non |
Mélilot |
Melilotus officinalis |
22 |
34 |
oui |
non |
non |
non |
Millepertuis |
Hypericum perforatum |
25 |
38 |
non |
non |
non |
non |
Origan |
Origanum vulgare |
25 |
34 |
oui |
non |
non |
oui |
Panais |
Pastinaca sativa |
22 |
29 |
oui |
non |
oui |
oui |
Pâquerette |
Bellis perennis |
44 |
22 |
oui |
non |
oui |
oui |
Petit boucage |
Pimpinella saxifraga |
27 |
34 |
oui |
non |
non |
oui |
Pissenlit |
Taraxacum officinale |
11 |
20 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Plantain lancéolé |
Plantago lanceolata |
20 |
28 |
non |
non |
non |
non |
Réséda des teinturiers |
Reseda luteola |
27 |
44 |
oui |
non |
non |
non |
Sainfoin |
Onobrychis viciifolia |
18 |
30 |
oui |
non |
non |
non |
Séneçon jacobée |
Senecio jacobaea |
25 |
40 |
oui |
non |
non |
oui |
Stellaire intermédiaire |
Stellaria media |
8 |
41 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Tanaisie |
Tanacetum vulgare |
29 |
41 |
oui |
non |
non |
oui |
Trèfle blanc |
Trifolium repens |
21 |
40 |
oui |
non |
non |
non |
Véronique à feuilles de lierre |
Veronica hederifolia |
7 |
14 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Véronique de Perse |
Veronica persica |
9 |
21 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Vesce commune |
Vicia sativa |
16 |
26 |
oui |
oui |
oui |
oui |
Vipérine |
Echium vulgare |
23 |
39 |
oui |
non |
non |
oui |
Durant l’année suivant le semis, la végétation des bandes était dominée par des espèces spontanées (vulpin, ray-grass, matricaire…). En général, une ou deux fauches réalisées en mai-juin ont été nécessaires pour réduire leur compétitivité, permettre aux espèces semées au développement plus lent, de s’installer, et pour empêcher leur montée à graines. Cette fauche est cependant susceptible d’avoir des effets négatifs sur la reproduction et la survie des populations animales présentes dans les bandes en constituant un piège écologique.
Chaque année, nous observons en moyenne vingt-deux espèces semées par bande, avec les pérennes qui remplacent progressivement les quelques espèces annuelles semées. Les plantes semées représentent 30 % de la couverture végétale en 2019, 66 % en 2020 et 70 % en 2021, le reste de la couverture végétale étant très dépendant du stock semencier préexistant (vulpin, ray-grass, picris, etc.). Nous considérons que les bandes fleuries sont après trois ans toutes correctement implantées (figure 1). La diversité des espèces présentes répond à nos attentes. Les agriculteurs en sont également satisfaits.
Figure 1 – Exemples de bandes fleuries en mars (A), mai (B), juin (C) et octobre (D).
Principales observations réalisées
Afin d’évaluer l’intérêt des bandes pour la biodiversité et les services associés, nous comparons des couples de parcelles avec et sans bande, de cultures similaires (ex. : blé d’hiver ou colza), conduites selon le même mode de production et situées dans des contextes paysagers proches. Dans cet article, nous ne décrivons pas en détail les systèmes de culture mis en œuvre et nous restreignons notre analyse aux grands modes de production (agriculture biologique, de conservation des sols et conventionnelle).
Nous caractérisons les grands groupes biologiques susceptibles de répondre à la présence de bandes fleuries, à savoir (1) les arthropodes épigés (vivant à la surface du sol), via des pièges Barber, comprenant notamment les collemboles, carabes et araignées, ces organismes pouvant être considérés respectivement comme des proies alternatives, des prédateurs et des ressources pour les niveaux trophiques supérieurs, (2) les arthropodes volants, via des tentes malaises et des pièges lumineux, comprenant notamment les hyménoptères pollinisateurs, des diptères ainsi que des prédateurs (comme les syrphes) et les lépidoptères, (3) les vertébrés, à savoir les oiseaux diurnes, via des points d’écoute et les chauves-souris grâce à des enregistrements d'ultrasons.
Afin d'évaluer l'impact de la biodiversité sur la régulation des insectes phytophages des cultures, nous suivons la régulation par prédation et par parasitisme des espèces les plus préoccupantes sur les grandes cultures présentes sur les parcelles : bruches sur la lentille et la féverole, pucerons printaniers sur les féveroles et pucerons d’automne sur céréales, altises et méligèthes sur colza. Ces mesures ont consisté en des comptages de pucerons et de leurs prédateurs sur les cultures, en l’utilisation de proies sentinelles et à la détection par observation visuelle ou par élevage des parasitoïdes dans leurs hôtes.
Nous avons enfin évalué la perception des bandes fleuries, en tant que service culturel, par les habitants des départements concernés. À travers un questionnaire, ils ont été invités à indiquer leur perception esthétique et ce qu'ils jugent de l'intérêt pour la biodiversité de différentes bandes fleuries, contrastées pour leur diversité végétale et pour leur gestion.
Résultats sur la biodiversité et les services fournis par les bandes
Floraison des bandes et fréquentation par les insectes pollinisateurs
Le suivi de la végétation des bandes fleuries tous les mois d’avril à septembre a permis de suivre l’évolution de la floraison du couvert. En première année d’implantation, les bandes fournissent une ressource en pollen et en nectar, principalement assurée par les espèces annuelles et bisannuelles. Dès la deuxième année, le couvert se diversifie et la floraison est plus précoce et augmente fortement grâce aux relais de floraison des espèces vivaces. Les bandes fleurissent dès le mois de mars et la floraison se poursuit jusqu'en septembre-octobre.
Entre la première et la deuxième année, on note une augmentation significative de l’abondance florale lors des trois premiers mois, en revanche, aucune différence n’est significative pour les trois derniers relevés (certainement dû aux conditions météorologiques extrêmes de l’été 2020).
La fréquentation du couvert par les insectes pollinisateurs suit le même profil d’évolution temporelle que l’abondance florale du couvert : le couvert a attiré beaucoup plus de pollinisateurs en deuxième année d’implantation et ceci sur l’ensemble des périodes de relevés. En plus d’être plus nombreuses, les interactions plantes-pollinisateurs (le fait qu’un pollinisateur se pose sur une fleur) en deuxième année d’implantation sont beaucoup plus complexes et variées que celles de la première année (les visites concernent plus d’espèces de fleurs différentes). Les potentiels de ressource mesurés avec l’indice de Ricou (Ricou, 2014) montrent que quelques soient la composition des bandes et la quantité de fleurs (variabilité interbande des abondances florales totales et de la richesse spécifique), les ressources pollinifères et nectarifères sont équilibrées au sein de chaque groupe de pollinisateurs étudiés (syrphes, bourdons, abeilles sauvages). Un modèle linéaire généralisé a permis d’étudier les facteurs d’influence du nombre de visites : la composition des bandes (abondance florale et la richesse spécifique) explique significativement le modèle, à laquelle s’ajoutent les conditions climatiques au moment du relevé (température, vent, la période et l’heure du relevé) et des paramètres de conduites culturales (type de mode de production, durée de la rotation).
Afin de mettre en lumière les relations qui se jouent entre les plantes et les pollinisateurs, nous avons construit des réseaux d’interactions pour faire ressortir les espèces floristiques majoritairement attractives pour chacun des groupes de pollinisateurs sur l’ensemble des périodes. La décomposition de ce réseau par période permet de voir l’adaptation des pollinisateurs en fonction des ressources florales disponibles. La marguerite commune (floraison en mai), l’anthémis des teinturiers (floraison en juin) et la carotte sauvage (floraison en juillet) sont les espèces les plus attractives grâce à leurs floraisons nombreuses qui se succèdent. Toutefois, d’autres espèces moins abondantes mais dont la floraison est plus étalée dans le temps, permettent de compenser la disponibilité en nectar et pollen lors de la défloraison des espèces à floraison massive. C’est le cas du bleuet, du panais, de la vipérine et de la luzerne cultivée qui restent fleuris tout au long de la période active des pollinisateurs. D’autres espèces sont visitées de manière beaucoup plus spécifique. C’est le cas de la knautie des champs qui est visitée uniquement par les petites abeilles sauvages ou encore de la vesce cultivée par les bourdons.
Effets conjoints des modes de production et des bandes fleuries sur la biodiversité
Les effets des bandes fleuries sur la biodiversité et les fonctions et services de régulation des bio-agresseurs dépendent du mode de production dans lequel elles sont implantées et de l'organisme considéré (Serée et al., 2022).
En termes de bénéfices pour la biodiversité, la présence d’une bande fleurie dans les parcelles de céréales d’hiver favorise l’abondance des araignées dans les systèmes en agriculture biologique mais pas celle des carabes (figure 2). On observe surtout une très forte variabilité des effectifs au sein de chaque mode de production, limitant les comparaisons.
Figure 2 – Abondances de carabes (a) et d’araignées (b) selon le type de bordure (parcelle aménagée avec une bande fleurie ou parcelle sans bande fleurie) et le mode de production (CONV : agriculture conventionnelle ; AB : agriculture biologique ; AC : agriculture de conservation) pour dix couples de parcelles suivies en céréales d’hiver au printemps 2020 (d’après Serée, 2022).
Concernant les oiseaux, un léger effet global (tous modes de production) positif de l’implantation de bandes fleuries a été constaté sur l’indice d’abondance relative (p = 0,065). Néanmoins, cet effet varie avec le mode de production (figure 3a). Ainsi, l’implantation d’une bande fleurie permet de doubler l’indice d’abondance d’oiseaux nicheurs, dans les parcelles conventionnelles mais pas en agriculture biologique ni en agriculture de conservation. Dans ces deux derniers systèmes, les niveaux d’abondance dans les parcelles sont déjà plus élevés qu’en agriculture conventionnelle, même en l’absence de bandes fleuries. La présence de ressources trophiques (animale ou végétale) plus nombreuses dans ces parcelles en agriculture biologique et de conservation (ex. : résultats carabes et araignées) indépendamment de la bande explique probablement cette réponse, et celle plus marquée des oiseaux à la bande en conventionnel. L’effet de la bande se révèle donc par effet contraste avec les ressources offertes par la parcelle voisine.
La richesse en espèces d’oiseaux ne diffère pas selon la présence d’une bande fleurie mais selon le mode de production (figure 3b). Elle est significativement moins élevée en agriculture conventionnelle qu’en agriculture de conservation.
Figure 3 – Effectifs (a) et richesse spécifique (b) des oiseaux selon la présence ou non d’une bande fleurie, et du mode de production. La barre d’erreur correspond à l’écart-type autour de la moyenne (d’après Serée, 2022).
Concernant les chauves-souris, tous les sites suivis (parcelles avec ou sans bande fleurie) étaient fréquentés en 2019 et 2020 par au moins deux espèces, avec des richesses très variables entre sites allant jusqu’à douze espèces par site. Les groupes les plus représentés sont ceux des Pipistrelles, des Sérotines et des Noctules. Les Murins et les Oreillards sont nettement plus rares (Lec'vhien, 2021). L’analyse des enregistrements d’ultrasons est en cours mais les premiers résultats font ressortir un effet positif de l’implantation de la bande fleurie sur l’activité toutes espèces confondues. En moyenne, on double le nombre de contacts sur le site avec bande fleurie par rapport au site témoin (497 versus 274 respectivement pour deux nuits d’écoute), un contact étant l’enregistrement d’un ou plusieurs cris par tranche de 5 secondes au cours de la nuit. Ces premiers résultats montrent donc la réponse positive en termes de fréquentation des chauves-souris à l’implantation des bandes fleuries. Ces mammifères sont très mobiles et sélectionnent des territoires de chasse nocturne en fonction de la présence d’insectes volants, dans un rayon parfois de plusieurs kilomètres autour de leur gîte diurne.
Globalement, ces résultats sur les oiseaux et les chauves-souris questionnent sur leur rôle dans la régulation de certains insectes associés aux cultures car toutes les chauves-souris et une majorité des passereaux sont insectivores au printemps.
Effets conjoints des modes de production et des bandes fleuries sur les régulations biologiques
Concernant la régulation, sur la culture de colza, le taux de parasitisme moyen s'élève à 30 % pour les altises d'hiver et à 20 % pour les méligèthes en 2019 et 2020 (Serée et al., 2022). La présence d'une bande fleurie associée à l'absence d'insecticide au printemps tend à doubler les taux de parasitisme des méligèthes, mais il n'y a pas d'effet sur le parasitisme des altises (figure 4). Ceci pourrait s'expliquer par le fait que dans notre dispositif, les bandes fleuries n'ont pas apporté plus de ressources en nectar que des bordures de champ spontanées, parfois riches en fleurs, durant la période d'activité des parasitoïdes d'altises en mars-avril. En revanche, le parasitisme de ces bio-agresseurs du colza augmente avec les ressources en nectar fournies par les adventices dans les parcelles.
Figure 4 – Taux de parasitisme (moyenne ± écart-type) des larves d’altises d’hiver et de méligèthes du colza selon une stratégie de gestion reposant sur la présence d’une bande fleurie combinée à l’absence d’insecticide de printemps, comparé à une stratégie de gestion ne mobilisant pas une bande fleurie et recourant à au moins un traitement insecticide de printemps.
En culture de féverole, les ressources en nectar fournies par les plantes en bord de champ (plus élevées en mai-juin dans les bandes fleuries par rapport à des bordures spontanées) permettent d'augmenter le nombre de larves de syrphes et de momies de pucerons verts dans les parcelles adjacentes (Serée et al., 2022). L'effet positif des ressources en nectar (bénéfice d'une bande fleurie) sur les syrphes et les parasitoïdes diminue avec l'augmentation de la proportion d'habitats semi-naturels dans le paysage (haies, forêts, prairies et jachères, dans un rayon de 500 mètres), mais aucune interaction n'est observée avec les techniques dans la parcelle. Ces résultats suggèrent que la mise en place d'une bande fleurie est plus efficace dans les paysages simplifiés et homogènes pauvres en habitats semi-naturels, mais reste favorable dans tous les modes de production. Malgré cet effet positif des bandes, le développement des populations de pucerons ne semble pas avoir été affecté par leurs prédateurs (syrphes, coccinelles), ni par le parasitisme, probablement en lien avec le nombre trop important de pucerons ou à cause d'une arrivée trop tardive des prédateurs.
Effets conjoints des modes de production et des bandes fleuries sur les services culturels
Les modes de production influencent l’aspect visuel des parcelles agricoles tout au long de la saison culturale. Par exemple, la mise en place de couverts d’interculture, l’absence ou la présence de travail du sol, la diversité végétale cultivée ou non, ainsi que la mise en place d’aménagements agroécologiques aux abords de parcelles et leur gestion peuvent modifier l’apparence des agroécosystèmes et leur perception esthétique et écologique par les habitants locaux. Comprendre quelles techniques ou quels aménagements participent à la qualité d’un paysage agricole est un élément essentiel dans la perspective de mettre en valeur des fonctions autres qu’écologique ou agronomique, telle que la contribution à la valeur esthétique des paysages ruraux.
Par un sondage en ligne, nous avons demandé à cinq cents répondants de classer des photos de parcelles agricoles seules, correspondant à quatre périodes différentes de la croissance d’une culture (interculture, préparation du lit de semences, reprise de végétation en sortie d’hiver et fin de cycle), ou combinées en une séquence temporelle (frise composée de quatre photos, une par période mentionnée précédemment) afin de représenter les successions d’états végétatifs des trois modes de production majoritaires de la région (agriculture biologique, de conservation des sols ou conventionnelle). Nous leur avons également fait évaluer trois niveaux de diversité en espèces dans les bandes fleuries, combinée ou non à une fauche l’été. Les répondants ont été invités à classer les photos ou les frises des moins aux plus esthétiques et des moins aux plus favorables à la biodiversité.
L’enquête nous a révélé une préférence marquée pour les parcelles présentant une forte couverture du sol tout au long de la saison culturale (par exemple, présence d'un couvert d’interculture, inter-rangs étroits, couverture végétale dense) et une végétation diversifiée (culture associée, présence d’adventices en fin de cycle). Les séquences temporelles reflétant la succession de l'aspect visuel des parcelles relevant de l'agriculture de conservation ont été jugées plus esthétiques et plus favorables à la biodiversité que les séquences « biologiques » et « conventionnelles ». Les bandes fleuries présentant une plus grande richesse végétale et non fauchées en été ont été perçues comme plus esthétiques et plus favorables à la biodiversité (Serée, 2022).
Conclusions et perspectives
En général, les bandes fleuries, via les ressources florales qu'elles procurent, ont un effet positif sur les insectes pollinisateurs et auxiliaires volants. Les oiseaux et les chauves-souris, également très mobiles, montrent aussi une réponse positive à la présence de bandes fleuries, en termes de fréquentation. Les arthropodes épigés en revanche ne semblent pas répondre, du moins à court terme, à la présence des bandes fleuries et nous n'identifions pas non plus d'effet marqué des modes de production. Les conséquences sur la régulation des ravageurs des cultures sont également variables selon les organismes étudiés. Sur féverole, les ressources trophiques en bord de champ ont permis d'augmenter les abondances de syrphes et de momies de pucerons verts, mais cela ne s'est pas traduit par une régulation accrue des pucerons. Dans le cas des altises et des méligèthes, il semble que ce soit plus les ressources florales fournies par les adventices dans la parcelle qui favorisent leur régulation par les parasitoïdes. Dans ces travaux, l'intérêt des bandes fleuries a été qualifié à travers la fourniture de nectar, considérant que c'est un facteur limitant important. De nombreuses autres variables intervenant dans les interactions entres plantes et arthropodes n'ont pas été prises en compte, telles que la qualité de la ressource en nectar, la capacité des bandes à fournir des proies et des hôtes alternatifs ou encore la qualité de l'habitat physique envers les prédateurs et parasitoïdes (Griffiths et al., 2008 ; Heimpel, 2019).
Enfin, dans le cadre de la thèse de Lola Serée, nous avons évalué la multifonctionnalité des modes de production, dans des parcelles avec ou sans bandes fleuries. Les modes de production ayant fortement recours à la biodiversité montrent un profil plus équilibré entre les services et biens fournis. À l’échelle du mode de production (une parcelle, plusieurs années), les parcelles conduites en agriculture de conservation des sols très diversifiées sont très légèrement moins performantes du point de vue de l’agriculteur, en termes de production (rendement) et économique (marge brute), mais elles sont plus performantes sur le service culturel, et semblent plus favorables à la biodiversité lorsqu’elles sont associées à une bande fleurie. Nous montrons une complémentarité entre la présence d’une bande fleurie et les différents modes de production dans la fourniture de biens et services écosystémiques. Ils suggèrent que les systèmes basés sur la biodiversité, dans la parcelle et ses abords, renforcent le profil de multifonctionnalité des modes de production.
Il convient de rester prudent sur ces premiers résultats. D’une part, de nombreux effets confondants, comme la forte variabilité́ interannuelle, limitent l’identification des effets des bandes et des modes de production. D’autre part, la faible voire l’absence de réponse de la biodiversité́ et de ses fonctions à l’implantation des bandes fleuries doit être relativisée vis-à-vis du pas de temps de l’étude. Un suivi en quatrième ou cinquième année après l’implantation serait bien plus conclusif quant à leurs effets durables sur la biodiversité́, les interactions entre organismes et les fonctions écologiques, dans les paysages agricoles. Enfin, il convient de relativiser leurs effets au regard de leur très faible proportion de la surface agricole cultivée (une à deux bandes maximum par exploitation).
Encadré 2 – Transfert et accompagnement des agriculteurs.
Des réunions annuelles entre chercheurs et agriculteurs du réseau ont été organisées, en lien avec les chambres d’agriculture, pour présenter les résultats de l’année, favoriser les échanges, et évaluer la perception des agriculteurs vis-à-vis des bandes fleuries. Une attente forte quant à l’efficacité de ces aménagements pour la régulation des insectes nuisibles s’est manifestée, en particulier la première année. Les exploitants relèvent d’autres sources de satisfaction et d’intérêt : l’aspect esthétique fleuri, l’attractivité constatée pour la faune, l’image positive de l’agriculture que cela renvoie et la complexité de l’écosystème étudié. Les difficultés ont concerné au départ l’implantation des bandes fleuries et la gestion des adventices. Une fois les bandes installées, la présence de campagnols ou de gibier demande parfois une adaptation. De manière générale, après trois ans, les agriculteurs sont satisfaits et ont l’intention de maintenir ces aménagements. Ils souhaiteraient que les bandes fleuries puissent être mieux valorisées dans le cadre de la Politique agricole commune, voire être reconnues comme service environnemental et sociétal. Des réflexions pourront être menées pour valoriser ces démarches via des dispositifs de type paiements pour service environnementaux.
Encadré 3 – Du projet de recherche au déploiement opérationnel du couvert fleuri en plaine : le cas du projet Capfilière Grandes Cultures en région Centre-Val de Loire.
En parallèle de ce projet, l’étude a été déclinée dans les départements du Cher et de l’Indre-et-Loire dans le cadre du Cap Filière Grandes cultures afin de communiquer les résultats au niveau local et promouvoir la mise en place de ces aménagements. Huit bandes fleuries ont été semées et suivies par les chambres départementales d’agriculture du Cher et de l’Indre-et-Loire et des suivis simplifiés de biodiversité et de régulation ont été réalisés. Après deux ans, les partenaires impliqués ont souhaité appuyer le déploiement du couvert fleuri de manière opérationnelle dans la plaine en apportant de l’information, de la démonstration et des outils de communication permettant aux acteurs techniques de s’approprier les intérêts de cet aménagement. À travers des visites d’essai et des actions pédagogiques, ces derniers ont pu disposer d’éléments techniques tels que la composition du mélange, les itinéraires techniques d’implantation et d’entretien du couvert mais aussi des informations sur les services rendus par le couvert et sur les auxiliaires des cultures favorisés en exploitant et vulgarisant les résultats de cette expérimentation. Des réflexions sur le déploiement opérationnel et économiquement acceptable du couvert ont donné lieu à la définition d’un deuxième mélange en affinant sa composition en termes d’espèces ou de proportion.
Remerciements
Nous remercions toutes les personnes ayant participé aux observations, l’ensemble des partenaires techniques du projet (notamment le Parc naturel Haute-Vallée de Chevreuse et le Muséum national d’histoire naturelle) et l’ensemble des agriculteurs. Ces travaux ont été financés par INRAE, la fondation François Sommer, AgroParisTech, l’Office français de la biodiversité, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, le LabEx BASC (« Biodiversité, Agroécosystèmes, Société, Climat ») et la région Centre-Val-de-Loire.
Références
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Résumé
L’effondrement de la biodiversité en milieu agricole, ainsi que les résistances accrues aux produits phytosanitaires obligent à repenser les systèmes agricoles. Pour cela, redonner de la place aux zones d’habitats et de ressources pour une biodiversité fonctionnelle, comme par l’implantation de bandes fleuries, est nécessaire. Les travaux présentés étudient les synergies et antagonismes entre services rendus par ces bandes sur la multifonctionnalité des systèmes agricoles à travers le suivi d’un réseau de parcelles chez une trentaine d’agriculteurs par une équipe pluridisciplinaire constituée d’acteurs de la recherche, du développement et du conseil agricole. Composées de 42 espèces différentes, les bandes s’implantent lentement et leur composition commence à se stabiliser au bout de trois ans, les espèces vivaces succèdent aux annuelles et offrent une floraison de mars à octobre. L’abondance de pollinisateurs fréquentant le couvert est corrélée positivement à l’abondance florale. Les réseaux d’interactions plantes-pollinisateurs mettent en évidence l’adaptation des visites des groupes de pollinisateurs à la ressource disponible. Les effets des bandes fleuries sur la biodiversité dépendent du mode de production dans lequel elles sont implantées et de l’organisme considéré : les effets sont positifs sur les pollinisateurs et sur les araignées en agriculture biologique. La présence d’une bande fleurie permet de doubler l’abondance des oiseaux nicheurs dans les parcelles conventionnelles, et dans l’ensemble de parcelles pour les chiroptères. En termes de régulation, la présence d’une bande double le taux de parasitisme des méligèthes dans les parcelles sans insecticide, et ce parasitisme des ravageurs du colza augmente avec les ressources en nectar fournies par les adventices des parcelles. En cultures de féveroles, les ressources en nectar fournies par les fleurs augmentent les prédateurs de pucerons, mais cela ne se traduit pas pour autant par une meilleure régulation des pucerons. La détermination des effets des bandes et des modes de production est limitée par de nombreux effets confondants, des variabilités interannuelles et un temps d’étude trop court par rapport au délai de réponse de la biodiversité. L'étude nécessiterait donc d’être poursuivie sur le plus long terme.
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