Comment accompagner le développement d’agricultures favorables aux infrastructures agroécologiques sur le territoire ?
Chapeau
Certaines catégories de zones humides sont qualifiées d’infrastructures agroécologiques. C’est le cas par exemple des prairies humides gérées de façon extensive pour le pâturage. Compte tenu de leur mission d’appui et de conseil auprès des exploitants, les auteures issues des Chambres d’agriculture ont recueilli le témoignage de trois professionnels agricoles sur différents territoires qui montrent la complexité et la diversité des enjeux liés à la préservation de ces milieux naturels par l’activité agricole.
Les infrastructures agro-écologique (IAE) sont présentes partout dans nos paysages agricoles. Elles correspondent aux « habitats d’un agroécosystème dans ou autour duquel se développent une végétation spontanée essentiellement composée d’espèces bisannuelles, pluriannuelles ou pérennes, ou un couvert semé dit « de service » et intentionnellement non récolté » (Sarthou, 2016). Cette définition recoupe les zones humides, les prairies gérées de façon extensive comme les prairies humides, les mares, les haies, les arbres, les bosquets, etc.
Les zones humides, des infrastructures agro-écologiques aux enjeux complexes
Les zones humides
Le monde agricole a pris conscience des enjeux liés à la préservation de ces zones (services écosystémiques) et de leur intérêt pour l’agriculture, notamment en période de sécheresse. Pour développer et accompagner cette prise de conscience, les Chambres d’agriculture continuent de sensibiliser les exploitants, les guident dans l’adaptation de leurs pratiques et jouent un rôle d’interface et d’expertise technico-économique auprès des services de l’État et des collectivités dans le cadre de projets de territoire.
Nous proposons de croiser trois regards de professionnels agricoles sur différents territoires pour se saisir de la complexité et la diversité des enjeux liés à la préservation d’un milieu naturel par l’activité agricole.
Agriculture et zones humides dans un contexte de changement climatique – Témoignage de Luc Servant, agriculteur et élu à Chambres d’agriculture France et Nouvelle-Aquitaine
Luc Servant est agriculteur dans le nord du département de Charente-Maritime (17), à la limite du marais Poitevin sur une exploitation de grandes cultures céréales, oléagineux et protéagineux. Il est également président de la Chambre régionale d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine et vice-président de Chambres d’agriculture France.
Les zones humides en agriculture
Une zone humide est une zone qui a un intérêt environnemental fort du fait d'une présence marquée de l'eau temporairement ou tout au long de l'année. Historiquement, elles étaient considérées comme insalubres avec le développement du paludisme dans les zones non entretenues. De nos jours, l'élevage extensif est indispensable en particulier à l'entretien des prairies humides qui représentent près de 40 % de la surface agricole utile au sein des milieux potentiellement humides (Thiry et al., 2014).
Ces prairies permettent une complémentarité intéressante avec les terrains plus séchant qui ne produisent quasiment plus d’herbe en été dans un contexte de changement climatique. Cette complémentarité est de plus en plus intégrée dans les systèmes de pâturage des exploitations. Selon les conseillers du réseau des Chambres d’agriculture, cette complémentarité est le principal point d’intérêt souligné par les éleveurs.
Ainsi, la présence de zones humides sur l’exploitation permet une certaine flexibilité dans la conduite du pâturage en période sèche, voire d’éviter de complémenter les animaux les années de sécheresse et générer ainsi une économie substantielle pour les éleveurs.
Cependant, la production de l’herbe peut être rendue difficile s’il y a des crues tardives ou des niveaux d’eau élevés au printemps. Cela peut également favoriser le parasitisme des animaux d’élevage.
Concilier agriculture et zones humides
Le « Varenne agricole de l’eau et du changement climatique » (2021-2022), co-piloté par le ministère l’Agriculture et de l’Alimentation et le ministère de la Transition écologique, a permis de rappeler les capacités des zones humides à stocker l’eau en période hivernale et à la restituer en période d’étiage. Les Chambres d’agriculture ont souligné l’importance de concilier activité agricole et zone humide sur le plan de la gestion hydraulique des territoires et de compenser les éventuelles pertes de rendements avec des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) ou des paiements pour services environnementaux (PSE). Les échanges de parcelles sont également un levier d’action pertinent. Ces leviers sont potentiellement mobilisables dans le cadre de l’élaboration des projets territoriaux de gestion de l’eau (PTGE).
L’équilibre est complexe à trouver, mais cela peut être facilité par la mise en place de politiques et mesures agricoles adaptées. Un des rôles des Chambres d’agriculture est d’accompagner leur mise en œuvre aussi bien au niveau européen, national que local. Dans les territoires, les Chambres d’agriculture accompagnent les agriculteurs dans la mise en œuvre des MAEC. Ces mesures permettent de compenser la perte de rendement liée à la volonté de l’agriculteur de maintenir des pratiques extensives favorables à la biodiversité.
Les Chambres d’agriculture travaillent aussi avec les services de l’État au niveau national et les gestionnaires locaux de milieux humides (collectivités, services déconcentrés de l’État, agriculteurs, etc.). Ensemble, ils évaluent les besoins des agriculteurs et apportent les conseils adaptés aux conditions de production spécifiques à ces zones. Un élevage en zones humides ne se conduit pas comme un élevage en milieu plus séchant, l’intérêt et les contraintes environnementales doivent être bien identifiés et intégrés dans la conduite de l’élevage.
Le dialogue et l’échange entre les acteurs sont absolument nécessaires, c’est ce qui donne les meilleurs résultats.
Maintenir les zones humides dans un contexte de changement climatique
Aujourd’hui, l’agriculture est reconnue pour les services environnementaux qu’elle apporte en entretenant ces milieux capables de retenir l’eau en hiver et la restituer en été, réservoir d’une biodiversité riche, etc. Le réseau des Chambres d’agriculture est engagé au quotidien pour accompagner les agriculteurs face à l’enjeu de changement climatique. En effet, les zones humides jouent un rôle majeur grâce à leur potentiel d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre par le stockage de carbone et la compensation des émissions des autres secteurs d’activités. Les zones humides métropolitaines (tourbières comprises), représentent un puit de carbone de 0,2 million de tonnes de CO2eq par an (Commissariat général au développement durable, 2019).
L’expérience montre qu’il est possible de concilier agriculture et zones humides. Le maintien de l’agriculture dans ces secteurs est donc décisif afin de faire vivre ces zones humides et leurs territoires à long terme, dans un contexte de déclin du nombre d’éleveur.
Des milieux humides valorisés par les agriculteurs – Retour d’expérience de Bertrand Dury, conseiller et pédologue à la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire
Les crues hivernales qui s’étendent sur le lit majeur de la vallée de la Saône apportent aux prairies humides une fertilisation naturelle. Le type de sol et les microreliefs conditionnent quant à eux la présence de prairies diversifiées généralement à fort intérêt écologique.
Ces prairies inondables (photo 1) anciennement exploitées en prairies de fauche et de pâture ou en vaine pâture (mise en commun des troupeaux pour une exploitation des parcelles par le pâturage) sont aujourd’hui peu à peu délaissées du fait de la diminution du nombre d’agriculteurs avec une perte de 26 % du nombre de chefs d’exploitations sur le département de Saône-et-Loire en 2020 et une baisse des effectifs d’animaux (moins 7 % des effectifs bovins à l’échelle de la région Bourgogne-Franche-Comté – Observatoire prospectif de l’agriculture Bourgogne-Franche-Comté).
De plus, l’activité d’élevage en prairies humides dégage des marges économiques plus faibles en raison de certains freins à l’exploitation de ces parcelles : conditions d’engorgement des sols au printemps avec un risque permanent d’inondation, mécanisation difficile, coût et temps d’entretien des parcelles important. Ces difficultés entrainent l’adaptation des systèmes de production avec davantage de surfaces de cultures (plus 9 % de surface en polyculture-poly-élevage en 2020 en Bourgogne-Franche-Comté – Observatoire prospectif de l’agriculture Bourgogne-Franche-Comté).
Enfin, le développement d’espèces exotiques envahissantes, telle que l’euphorbe ésule (Euphorbia esula), vient compliquer l’entretien de ces prairies par l’élevage car cette espèce n’est pas consommée au pâturage par les animaux (refus au pâturage).
Photo 1 – Prairie inondable humide.
Crédit photographique : Chambre d'agriculture de Saône-et-Loire.
Gestion des parcelles en zones humides par un éleveur situé dans le Val-de-Saône – Témoignage de Daniel Levêque, éleveur à Saint-Germain-du-Plain (Saône-et-Loire)
Daniel Levêque est éleveur dans le Val-de-Saône à l’est du département de Saône-et-Loire sur une exploitation en polyculture-élevage avec cent-soixante hectares de surface agricole utile dont cent-quarante-cinq hectares se situent en zone inondable dans le lit de la Saône. Cent hectares sont des zones humides et quarante-cinq hectares sont en culture.
Disposer de prairies humides en période estivale nous permet d’assurer une certaine souplesse de gestion et de sécurité pour la production, particulièrement lors des années de sécheresse. Pour conserver ces prairies en bon état et continuer à pâturer sur ces zones inondables, il nous paraît déterminant d’entretenir régulièrement les biefs
Pour réaliser le dossier de déclaration des travaux nécessaires à l’entretien du bief, la Chambre d’agriculture joue le rôle d’interface entre nous et les acteurs concernés comme la direction départementale des territoires (DDT), l’Office français de la biodiversité (OFB), les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), les syndicats des bassins versants, etc. Elle réalise un diagnostic des zones humides et identifie les enjeux environnementaux en application de la doctrine Éviter-Réduire-Compenser (ERC). Ainsi, la Chambre d’agriculture nous accompagne dans la définition et la réalisation d’un plan de gestion de travaux qui sera mis en place sur trois années consécutives dans l’optique de redonner au bief concerné les conditions d’écoulements favorables aussi bien au niveau hydraulique qu’environnemental.
Dans un contexte de changement climatique, les MAEC proposées pour la préservation de la biodiversité de la vallée, comme le retard de fauche au 14 juillet, réduisent considérablement le potentiel de production herbagère de nos prairies humides. Le fourrage récolté à cette période est moins nourrissant et moins appétant. C’est pourquoi, nous avons décidé de ne pas nous réengager dans cette MAEC lors des derniers contrats.
En savoir plus
Maîtriser les notions de zones humides et de milieux humides en lien avec l’activité agricole - Guide à l’usage des conseillers ; Chambres d’agriculture France, juin 2020 : https://chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/National/2018_guide_zones-humides_VF.pdf
Concilier Agriculture et Zones Humides – 19 projets de développement agricole accompagnés par les Chambres d’Agriculture : http://pnmh.espaces-naturels.fr/sites/default/files/fichiers/concilier_agricultureZH_EXTERNE_VF_0.pdf
Podcast de Luc Servant « Préserver les zones humides : un atout pour l'agriculture et pour la biodiversité » : https://chambres-agriculture.fr/actualites/toutes-les-actualites/detail-de-lactualite/actualites/preserver-les-zones-humides-un-atout-contre-la-secheresse-et-pour-la-biodiversite/
Varenne de l’eau et du changement climatique – Rapport Thématique 3 « Partager une vision raisonnée des besoins et de l’accès aux ressources en eau mobilisables pour l’agriculture sur le long-terme : réalisations, avancées et perspectives », 1er février 2022 : https://agriculture.gouv.fr/tous-les-travaux-des-groupes-de-travail-du-varenne-de-leau
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Photographie d’entête : Chambre d'agriculture de Saône-et-Loire.
Notes
- D’après l’article L2111-1 du Code de l’environnement.
- Observatoire prospectif de l’agriculture Bourgogne-Franche-Comté, résultats 2020, CER FRANCE Bourgogne-Franche-Comté et Chambre régionale d’agriculture Bourgogne-Franche-Comté : https://saone-et-loire.cerfrance.fr/pages/observatoire-prospectif-de-lagriculture-bourgogne-franche-comte
- Observatoire prospectif de l’agriculture Bourgogne-Franche-Comté, résultats 2020, CER FRANCE Bourgogne-Franche-Comté et Chambre régionale d’agriculture Bourgogne-Franche-Comté : https://saone-et-loire.cerfrance.fr/pages/observatoire-prospectif-de-lagriculture-bourgogne-franche-comte
- Dans le cas du Val-de-Saône, canal qui permet l’écoulement de l’eau des crues vers des casiers d’inondation.https://www.eptb-saone-doubs.fr/missions/prevention-inondations/casiers-agricoles/
Références
- Commissariat général au développement durable (2019). EFESE – La séquestration du carbone par les écosystèmes français. La Documentation Française (ed.). Collection Théma Analyse, e-publication, http://www.zones-humides.org/actualité/évaluation-française-des-écosystèmes-et-des-services-écosystémiques
- Sarthou, J.-P. (2016) Infrastructure agroécologique : Définition, Dictionnaire d'Agroécologie, doi:10.17180/q9h6-f326
- Thiry, E., Berthier, L., Bardy M., Chenu, J. P., Guzmova, L., Laroche, B., Lehmann, S., Lemercier, B., Martin, M., Mérot, P., Squividant, H., Walter, C. (2014). Enveloppes des milieux potentiellement humides de la France métropolitaine. Programme de modélisation des milieux potentiellement humides de France. INRA et AgroCampus Ouest, Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.
Résumé
Certaines catégories de zones humides sont qualifiées d’infrastructures agroécologiques. C’est le cas par exemple des prairies humides gérées de façon extensive pour le pâturage. Compte tenu de leur mission d’appui et de conseil auprès des exploitants, les auteures issues des chambres d’agriculture ont recueilli le témoignage de trois professionnels agricoles sur différents territoires qui montrent la complexité et la diversité des enjeux liés à la préservation de ces milieux naturels par l’activité agricole.
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