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Plantation de haies nectarifères pour les pollinisateurs : des agriculteurs accompagnés par le Parc national des Cévennes

Chapeau

L’une des orientations de la charte du Parc national des Cévennes est de promouvoir une agriculture respectueuse de la biodiversité et des principes de l’agroécologie. Dans un contexte d’évolution globale du climat et de raréfaction de la ressource nectarifère, le Parc a lancé de 2020 à 2023 un programme d'envergure afin d’être un territoire pilote pour l’accueil des pollinisateurs sauvages et domestiques.

Un programme apiculture et pollinisateurs

L’apiculture, historiquement familiale, puis professionnelle est une activité agricole faisant partie du patrimoine culturel des Cévennes. Le Parc est situé dans le sud du Massif Central, et couvre une superficie de 3 000 km2 dont le cœur, espace réglementé, couvre 937 km2. Environ trois cents apiculteurs sont recensés sur ce territoire qualifié de « terre de miel » car on y trouve une grande variété d’essences mellifères, en particulier le châtaigner et la callune. Mais les apiculteurs font face à l’effondrement de leurs colonies suite à l’apparition de problèmes sanitaires (varroa1 ; frelon asiatique…) et à l’appauvrissement des ressources. Les pollinisateurs assurent la reproduction de 80 % des plantes à fleurs via le transport du pollen. Ce service de pollinisation assure la diversité et la qualité de notre alimentation. Mais selon la Commission européenne, un tiers des populations d’abeilles et de papillons sont considérés comme en déclin. Au niveau national, la préservation des pollinisateurs est ciblée par plusieurs politiques dont le plan national d’actions France terre de pollinisateurs et le plan Biodiversité de 2020.

Au niveau local, le Parc a souhaité porter un programme d’actions « Territoire accueillant pour les pollinisateurs sauvages et domestiques », qui s’articule autour de trois axes complémentaires.

Projet de recherche en partenariat avec INRAE centre d’Avignon et l'ITSAP[2] 2019-2023

Il s'agit, sur le territoire du Parc, d'améliorer l'état des connaissances sur les interactions inter et intra-spécifiques des abeilles (sauvages et domestiques) quant à l'accès aux ressources nectarifères et de déterminer des modes de gestion des milieux permettant de concilier la conservation des abeilles sauvages et la production apicole. Ce projet a fait l'objet de deux thèses :

– Ressources florales, un bien commun ? Gestion spatiale et collective de l’apiculture conciliant production de miel et préservation des abeilles sauvages dans le parc national des Cévennes, Léo Mouillard-Lample ;

– Interactions entre apiculture et élevage dans les paysages agropastoraux du Mont Lozère, une approche par les ressources florales, Gabriel Gonella.

Projet de territoire pilote pour l'accueil des pollinisateurs (2020-2023) dans le cadre de l’Appel à manifestation d'intérêt (AMI) Biodiversité Massif Central

L’objectif de cet AMI est d’enrayer la perte de biodiversité́ sur le Massif Central en ciblant des milieux caractéristiques de ce territoire : forêts anciennes, milieux ouverts herbacés, tourbières, et des espèces emblématiques ou menacées liées à ces milieux et dont l’écosystème est interrégional.

Les trois actions phares sont :

– améliorer la connaissance scientifique sur les pollinisateurs, leurs milieux et leurs enjeux de conservation : inventaire des hyménoptères apiformes présents sur le territoire réalisé en 2020 par David Genoud (expert indépendant) (Genoud et Fonderflick, 2021) et constitution d’un groupe de travail sur la conservation des pollinisateurs en lien avec le plan national d’action ;

– accompagner les acteurs du territoire vers des pratiques favorables aux ressources nectarifères des milieux : accompagner les agriculteurs et les collectivités pour planter 20 km de haies nectarifères et favoriser une gestion spatialisée des emplacements de ruchers qui permettent un accès satisfaisant à la ressource tout en préservant les pollinisateurs sauvages ;

– lutter contre les dangers sanitaires qui menacent les pollinisateurs et encourager une apiculture respectueuse de la biodiversité : campagne de piégeage des fondatrices des frelons asiatiques au printemps et organisation de journées techniques pour les apiculteurs.

Projet d'élaboration d'un label dédié aux espaces naturels protégés accueillants pour les pollinisateurs en partenariat avec l’Office français de la biodiversité

Il s'agit d'élaborer à une échelle internationale un label prestigieux, dédié aux espaces naturels protégés, pour récompenser et valoriser une démarche d'excellence en matière de protection des pollinisateurs et d'optimisation des services écosystémiques rendus. Ce projet a fait l’objet d’une évaluation de pertinence et d’une étude de faisabilité.

Un inventaire des abeilles sauvages dans le Parc national des Cévennes

En 2020, un inventaire des hyménoptères apiformes a été réalisé sur le territoire du Parc par David Genoud, un expert indépendant. Le rapport (Genoud et Fonderflick, 2021) est téléchargeable librement sur le site internet de l’établissement public du Parc national des Cévennes (EP PNC). Depuis 1899, 264 espèces d’abeilles sauvages ont été observées de façon ponctuelle ou régulière sur le territoire (tableau 1). Parmi ces 264 espèces, 199 sont présentes en cœur de Parc et 64 sont considérées comme patrimoniales. Au niveau national, 972 espèces sont recensées.

Tableau 1– Nombre d'espèces pour chaque famille d'abeille inventoriée sur le Parc national des Cévennes.


Famille

Colletidae

Andrenidae

Apidae

Halictidae

Megachilidae

Melittidae

Nombre d’espèces

16

65

73

49

58

3

Cette liste commentée nous donne des informations sur leurs habitats, leurs ressources, leurs enjeux de conservation… L’évolution globale du climat (sécheresses estivales) et des pratiques agricoles peut causer la disparition de certains habitats (prairies, naturelles, landes à callunes…) et la raréfaction de la ressource, ce qui entraine le déclin des espèces inféodées à ces milieux. La connaissance de ces enjeux a pour objectif de mettre en place des mesures favorables à la conservation des abeilles sauvages. Malheureusement certaines populations sont fortement menacées, voire ont déjà disparu. Des endémismes marqués ont aussi été révélés dans certains îlots géographiques ou habitats originaux qui confèrent au Parc une responsabilité majeure dans la conservation d’espèces remarquables.

Ces données donnent une indication sur la présence de ces espèces et leur distribution sur le territoire mais pas sur leur abondance. La qualification de la rareté d’une espèce tient compte de la distribution sur le territoire, de la fréquence d’observation et de l’abondance locale. Mais, en raison du déficit de connaissances sur ce groupe taxonomique, le statut de chaque espèce a été évalué grâce aux dires d’experts et aux données historiques. La qualification de la rareté est jugée « approximative » pour un grand nombre d’espèces méconnues sur le territoire, mais celle-ci est adaptée pour des genres tels que les bourdons et les andrènes.

Afin d’augmenter et diversifier la ressource en nectar et en pollen pour les pollinisateurs sauvages et domestiques, l’EP PNC a réalisé des plantations de haies composites nectarifères avec les agriculteurs et les collectivités.

Des appels à projets de plantation de haies nectarifères

Une sélection d’essences locales

L’EP PNC a lancé des appels à projets à destination des agriculteurs et des collectivités pour planter des arbres et arbustes produisant du nectar et du pollen. Cinquante-quatre agriculteurs et dix-neuf collectivités ont pu bénéficier de ce programme en plantant un total d’environ 20 km linéaire de haies.

Outre l’intérêt pour les pollinisateurs, les appels à projets ont mis en avant les intérêts des haies pour les porteurs de projets. En effet, les haies présentent de nombreux bénéfices (effet brise-vent, stabilisation du sol, production de fruits sauvages…) et permettent notamment de limiter les effets de l’évolution globale du climat (figure 1). Une liste d’une trentaine d’essences locales a été proposée. Le tableau 2 reprend la liste d’essences proposées par l’EP PNC dans le cadre de ces plantations de haies.

Figure 1 – Quelques-uns des services rendus par les haies.

Tableau 2 – Liste d'essences mellifères proposées par l'Établissement public Parc national des Cévennes pour les plantations de haies.


Milieu propice

Calcaire

Schiste

Granite

Alisier blanc

Sorbus aria (L.) Crantz, 1763

x

x

x

Alisier torminal

Sorbus torminalis (L.) Crantz, 1763

x

x

Amélanchier

Amelanchier ovalis Medik., 1793

x

x

x

Arbousier

Arbutus unedo L., 1753    

x

x

Aubépine à un style

Crataegus monogyna Jacq., 1775

x

x

x

Cerisier de Sainte Lucie

Prunus mahaleb L., 1753

x

x

Chèvrefeuille des bois

Lonicera periclymenum L., 1753

x

x

Cognassier

Cydonia oblonga Mill., 1768

x

x

x

Cormier

Sorbus domestica L., 1753

x

Cornouiller mâle

Cornus mas L., 1753

x

Cornouiller sanguin

Cornus sanguinea L., 1753 subsp. sanguinea

x

Églantier (Rosier des chiens)

Rosa canina L., 1753

x

x

Érable champêtre

Acer campestre L., 1753

x

Érable de Montpellier

Acer monspessulanum L., 1753    

x

x

x

Érable sycomore

Acer pseudoplatanus L., 1753    

x

x

Filaire à feuilles étroites

Phillyrea angustifolia L., 1753

x

x

Frêne commun

Fraxinus excelsior L., 1753

x

x

Frêne oxyphylle    

Fraxinus angustifolia L., 1753

x

x

Fusain d'Europe

Euonymus europaeus L., 1753

x

x

x

Houx

Ilex aquifolium L., 1753    

x

Laurier noble    

Laurus nobilis L., 1753

x

x

Merisier

Prunus avium (L.) L., 1755

x

x

x

Nerprun alaterne

Rhamnus alaternus L., 1753

x

x

x

Nerprun purgatif

Rhamnus cathartica L., 1753

x

Noisetier

Corylus avellana L., 1753

x

x

x

Poirier à feuille d'amandier

Pyrus spinosa Forssk., 1775

x

Poirier sauvage

Pyrus communis subsp. pyraster (L.) Ehrh., 1780

x

Pommier sauvage

Malus sylvestris Mill., 1768

x

Romarin officinal

Rosmarinus officinalis L., 1753

x

Saule marsault    

Salix caprea L., 1753

x

x

x

Sorbier des oiseleurs

Sorbus aucuparia L., 1753

x

x

Sureau noir    

Sambucus nigra L., 1753

x

x

x

Tilleul à grandes feuilles

Tilia platyphyllos Scop., 1771

x

x

x

Viorne tin

Viburnum tinus L., 1753

x

x

x

Avec une diversité de six essences d’arbres et d’arbustes, la haie composite permet d’avoir des floraisons étalées tout au long de l’année. Ces essences sont adaptées aux types de sol que l’on trouve sur le territoire du Parc :

– les vastes plateaux calcaires des Causses,

– le socle granitique du Mont Lozère marqué par des landes à callunes,

– le sol schisteux des Cévennes à dominante forestière (châtaigneraie)

Dans cette opération, le Parc soutient la filière d’arbres et d’arbustes labellisée « Végétal local », qui garantit un approvisionnement en végétaux issus du milieu naturel local et porteurs d’une large diversité génétique. Au total, l’EP PNC a passé commande de dix-neuf mille plants. Ces végétaux sont issus de collecte en milieu naturel. Ce qui signifie que la commande doit prendre en compte la disponibilité des essences. Pour la commande fin 2022, Tilia platyphyllos ne faisait pas partie des essences disponibles. Il a donc été remplacé par d’autres essences.

Un accompagnement technique : de la conception à la plantation

Dans le cadre du programme « Territoire accueillant pour les pollinisateurs », les porteurs de projets ont pu bénéficier de plants et de fournitures (paillage, protections, tuteurs – photos 1 et 2) financés à 100 %, mais également d’un accompagnement technique réalisé par l’Association COPAGE (Comité pour la mise en œuvre du plan agri-environnemental et de gestion de l'espace en Lozère) pour les projets lozériens et la SCOP AGROOF (société coopérative et participative) pour les projets gardois.

Photo 1 – Livraison des plants et fournitures à Florac le 14/01/2022.

© Natacha Maltaverne (Parc national des Cévennes).

Photo 2 – Pose des protections autour du jeune plant.

© Natacha Maltaverne (Parc national des Cévennes).

Suite à la validation des candidatures, une visite de terrain a eu lieu sur chaque site projet pour réaliser un diagnostic. Pour les projets en zone cœur (zone protégée et réglementée), un agent du Parc était également présent pour vérifier que le projet est en accord avec la réglementation. Les visites de terrain ont permis au COPAGE et à AGROOF de repérer sur chaque site projet l’emplacement de la future haie, d’estimer le linéaire total, de relever les essences présentes qui sont adaptées au milieu et d’échanger avec le porteur de projet sur ses objectifs, ses contraintes… À partir des éléments recueillis, COPAGE et AGROOF ont également réalisé un plan d’aménagement pour chaque projet. Le document conçu par AGROOF contient les coordonnées du porteur de projet, une vue d’ensemble du projet grâce à une photo aérienne sur laquelle est représenté l’ensemble des haies avec la mesure du linéaire total. Pour chaque haie, il détaille ensuite le linéaire, la liste des essences et des fournitures et les quantités. Les essences sont catégorisées en « arbres », « grands arbrisseaux » et « petits arbrisseaux ». Une matrice de plantation est donnée pour chaque haie. Il s’agit d’un schéma présentant la répartition de ces catégories de plants et précisant la distance entre chaque plant. L’EP PNC s’appuie sur ces plans d’aménagements pour passer commande auprès de la pépinière et faire le suivi des projets.

Des sessions de formations ont également été organisées pour préparer la plantation et des guides techniques ont été transmis à chaque porteur de projet sur le travail du sol, le paillage, la mise en jauge…

Des sites de livraison ont été définis afin de limiter le temps de déplacement des agriculteurs. Un allotissement des plants et fournitures a été effectué pour chaque porteur de projet[3]. Les agriculteurs réalisent eux-mêmes la plantation de leur haie sur leur parcelle en appliquant les méthodes présentées lors des journées techniques et grâce au plan d’aménagement qui leur a été transmis par AGROOF ou le COPAGE à l’issue de la visite de diagnostic.

Une sensibilisation auprès des scolaires

Des animations sont organisées par l’EP PNC dans les écoles afin de sensibiliser les élèves sur les pollinisateurs. Une animation sur les haies a été organisée avec des élèves de troisième du collège de Florac chez un agriculteur d’Ispagnac participant au programme de plantations. Lors de cette animation, des fiches « acteurs » ont été distribuées aux élèves par petits groupes. Ils se sont glissés dans la peau de maraicher, paysagiste, ethno botaniste… afin de proposer un projet de haie correspondant aux attentes de l’agriculteur. Des documents leur permettaient de comprendre les enjeux liés au déclin des pollinisateurs, et une liste d’essences avec des indications sur le type de sol et leur période de floraison était distribuée. Avec ces éléments et en questionnant l’agriculteur sur ses objectifs, les élèves ont pu faire une proposition de haie. Chez cet agriculteur, un chantier participatif a été réalisé avec les élèves de l’école d’Ispagnac (photo 4).

Photo 4 – Chantier participatif avec les élèves d'Ispagnac.

© Camille Savary (Parc national des Cévennes).

Conclusion

Ces actions de plantations ont été accueillies avec succès. Certains projets ont fait le choix de favoriser la régénération naturelle assistée, ce qui est encourageant pour favoriser la présence d’une végétation spontanée locale. L’opération « Plantons des haies mellifères » permet au Parc de renforcer le lien avec les agriculteurs du territoire à travers une action concrète favorable aux pollinisateurs et à la biodiversité. Pour les agriculteurs, la plantation de haies composites sur leur parcelle montre qu’ils sont sensibles à leur environnement. Cette action a une visibilité positive auprès des habitants. De nombreux particuliers souhaitant participer à cette opération ont contacté le Parc pour exprimer leur intérêt de planter des haies mellifères. De plus, cette opération représente un avantage économique non négligeable pour les agriculteurs, car les plants et fourniture ainsi que l’accompagnement technique ont été financés à 100 % dans le cadre de ce programme.

Au moment de la plantation, les plants ne dépassent pas 30 cm, il faudra donc quelques années avant que les haies ne deviennent fonctionnelles. Un suivi sera assuré par les agents du Parc. Une réflexion est en cours sur la stratégie à adopter pour évaluer l’impact de ces plantations sur les pollinisateurs.

Pour en savoir plus

Sur le programme « Territoire accueillant pour les pollinisateurs » : http://www.cevennes-parcnational.fr/fr/des-actions/accompagner-le-developpement-durable/le-programme-pollinisateurs

Sur la marque « Végétal local » : https://www.vegetal-local.fr/

Remerciements

Le programme d’actions « Territoire accueillant pour les pollinisateurs sauvages et domestiques » est animé et financé par le Parc national des Cévennes, avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’Union européenne et la Région Occitanie Pyrénées Méditerranée, ainsi que du Plan de Relance.

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Photographie d’entête : © Natacha Maltaverne (Parc national des Cévennes).

Notes

  • Parasite acarien des abeilles.
  • Institut technique et scientifique de l'abeille et des pollinisateurs.http://www.cevennes-parcnational.fr/fr/actualites/beau-succes-de-loperation-plantons-des-haies-melliferes

Références

  • Genoud, D., Fonderflick, J. (2021). Liste commentée des Hyménoptères Apiformes (Anthophila) du Parc national des Cévennes. Parc national des Cévennes, 97 p., http://www.cevennes-parcnational.fr/fr/actualites/264-especes-dabeilles-sauvages-recensees-dans-le-parc

Résumé

L’une des orientations de la charte du Parc national des Cévennes est de promouvoir une agriculture respectueuse de la biodiversité et des principes de l’agroécologie. Dans un contexte d’évolution globale du climat et de raréfaction de la ressource nectarifère, le Parc a lancé de 2020 à 2023 un programme d'envergure afin d’être un territoire pilote pour l’accueil des pollinisateurs sauvages et domestiques.

Auteurs


Camille SAVARY

camille.savary@cevennes-parcnational.fr

Affiliation : Parc National des Cévennes, 6 bis place du Palais, 48400 Florac Trois Rivières

Pays : France

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