La démarche Ellenberg : une alternative simple et robuste à la démarche réglementaire pour la délimitation des zones humides en France métropolitaine
Chapeau
En raison de la grande diversité des zones humides, il n’est pas toujours facile de les identifier, de les caractériser et de les délimiter. Or, pour préserver ces milieux menacés, les gérer et appliquer la réglementation, il est nécessaire de bien les connaître. En France, des définitions et des méthodes existent. Dans cet article, les auteurs proposent d’utiliser l’indice d’humidité d’Ellenberg pour délimiter les zones humides sur l’ensemble des régions biogéographiques et des grands types d’habitats présents sur le territoire, une alternative simple et robuste à la démarche réglementaire définie pour la délimitation des zones humides en France métropolitaine.
Une démarche réglementaire de délimitation qui a ses limites
Dans le cadre de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, la démarche réglementaire de définition et de délimitation des zones humides a été précisée par l’arrêté du 24 juin 2008 et la circulaire du 18 janvier 2010 sur la base de critères pédologiques et/ou floristiques. Les limites de l’utilisation du critère pédologique ont déjà été soulevées par Baize et Ducommun (2014). Concernant le critère floristique, deux méthodes peuvent être appliquées pour déterminer le caractère humide d’un relevé.
La première méthode vise à lister, strate par strate, toutes les espèces dont les pourcentages de recouvrement cumulés permettent d'atteindre 50 % du recouvrement total. Un relevé est considéré comme « humide » si au moins la moitié des espèces listées pour l’ensemble des strates du relevé sont indicatrices de présence de zones humides (table A de l’annexe II de l’arrêté). Au-delà de la complexité de la méthode, qui requiert une caractérisation du pourcentage de recouvrement de chaque espèce par strate, deux limites apparaissent. Tout d’abord, certaines espèces (Agrostis stolonifera, Juncus effusus, Molinia caerulea, Ranunculus repens, Salix atrocinerea, Salix cinerea…) considérées comme « indicatrices » de zones humides dans l’annexe II de l’arrêté ne sont en réalité pas strictement liées aux écosystèmes humides. Par exemple, Juncus effusus est une espèce à large spectre. Elle peut conquérir des zones humides tout comme des prairies surpâturées dans lesquelles un horizon hydromorphe est présent uniquement en surface, ce qui exclut de facto ces systèmes des zones humides selon le critère pédologique (classes pédologiques GEPPA
La seconde méthode vise à rattacher le relevé terrain à un habitat selon la nomenclature CORINE biotopes, ou à un syntaxon selon le prodrome des végétations de France. Le relevé est alors considéré comme « humide » si l’habitat ou le syntaxon auquel il appartient est caractéristique des zones humides (tables B (1) et B (2) de l’annexe II de l’arrêté). Si cette méthode apparaît a priori plus opérationnelle que la méthode citée précédemment, là encore des limites peuvent être soulevées. Tout d’abord, de nombreux habitats ou syntaxons, mentionnés pro parte (p.) dans les tableaux de l’annexe II, ne peuvent pas être systématiquement considérés comme caractéristiques de zones humides car ils sont décrits à un niveau hiérarchique supérieur de la nomenclature CORINE biotopes ou n’ont pas fait l’objet d’une déclinaison typologique plus précise. De plus, la caractérisation typologique d’un relevé est souvent établie par un grand nombre d’opérateurs, via les dominances des espèces et non sur la base de la composition phytosociologique du relevé, faute de temps et/ou de compétences, ce qui engendre un risque de mauvaise interprétation (Meinard et Thébaud, 2019).
Toutefois, une autre démarche de diagnostic, la démarche Ellenberg – largement reconnue par la communauté scientifique – peut pallier la plupart de ces limites méthodologiques.
La démarche Ellenberg
La démarche Ellenberg a été définie par Heinz Ellenberg, botaniste allemand, qui a publié un référentiel présentant le preferendum des espèces végétales d’Europe centrale selon une échelle ordinale pour qualifier sept facteurs abiotiques, parmi lesquels l’humidité, la lumière, la réaction au pH, la trophie, et la salinité. Pour l’humidité, les valeurs sont comprises entre 1 (très faible) et 12 (très élevée). Ce référentiel a été ensuite adapté à la flore de nombreuses régions d’Europe. Ce référentiel a été produit en France par un groupe d’experts, sous l’intitulé Baseflor. Si le fait d'inventorier une espèce seule ne permet pas de caractériser précisément le niveau du gradient écologique dans lequel elle s'inscrit compte tenu de son amplitude écologique qui peut être étendue, l'assemblage d'espèces (ou communauté végétale) est en revanche beaucoup plus efficient. En effet, en combinant les preferenda de toutes les espèces constituant une communauté végétale, la réponse « moyenne » sur le gradient écologique dans lequel cette communauté végétale s'inscrit aura une amplitude plus réduite et sera donc plus informative pour définir un seuil dans le cadre du suivi de l'eutrophisation, de l'évaluation fonctionnelle des zones humides ou de leur délimitation (Bouzillé et al., 2014). Cette démarche scientifique, simple à mettre en œuvre, est considérée à ce jour comme fiable et efficace pour caractériser les écosystèmes (Zolotova et al., 2022).
D’un point de vue méthodologique, la démarche Ellenberg consiste à calculer, pour chaque relevé, la moyenne arithmétique des valeurs de l’indice d’humidité « F » (Feuchtig = humidité en allemand) de toutes les espèces inventoriées. Cette méthode, comparée aux deux méthodes de la démarche réglementaire décrites précédemment, présente plusieurs avantages. Premièrement, la caractérisation de l’abondance de chaque espèce n’est pas nécessaire, car l’intégration de l’abondance comme élément de pondération de la valeur moyenne d’indice d’Ellenberg du relevé n’est pas nécessaire. En effet, l’abondance d’une espèce dépend aussi d’autres facteurs écologiques, notamment biotiques, tels que la compétition interspécifique ou les modes de gestion. Deuxièmement, l’inventaire floristique au sein d’un relevé n’a pas besoin d’être exhaustif : des études ont montré qu’un inventaire incomplet (20-30 % d’espèces oubliées) ne modifiait pas significativement l’indice d’Ellenberg, ce qui présente l’avantage de minimiser l’effort consacré par le botaniste à rechercher les espèces peu abondantes et donc plus difficilement détectables dans le relevé.
Malgré ces avantages, l'application de la démarche Ellenberg pour la délimitation des zones humides est encore confidentielle en France. Une première étude appliquée à la région atlantique associant écologues, pédologues et hydrologues a souligné que la valeur seuil de l'indice d'humidité (F) d'Ellenberg pour déterminer le caractère humide d'un relevé au sens de la loi sur l'eau est comprise entre 5,7 et 5,8 (Bouzillé et al., 2014). Cette démarche basée sur l'indice d'humidité d'Ellenberg n'a jusqu'à présent été utilisée qu'à une échelle locale.
Cette étude vise à évaluer l’intérêt d’utiliser l’indice d’humidité d’Ellenberg pour délimiter les zones humides sur l’ensemble des régions biogéographiques et des grands types d’habitats présents en France métropolitaine. Pour cela, une comparaison des démarches réglementaires et Ellenberg est d’abord effectuée par région biogéographique et par grand type d’habitat naturel. Un exemple d’application de la démarche Ellenberg pour l’actualisation d’un inventaire local de zones humides à partir de relevés floristiques issus d’une base de données ouverte est ensuite présenté.
Comparaison des démarches réglementaire et Ellenberg sur l’ensemble de la France métropolitaine
Compilation de relevés de végétation d’archives
Un travail d’harmonisation effectué sur quatre bases de données d’archives a permis de compiler 188 830 relevés phytosociologiques couvrant une grande partie du territoire métropolitain et de ses régions biogéographiques, à l’exception de quelques secteurs de plaines céréalières et du littoral méditerranéen. Les bases de données de l’Inventaire forestier national (IFN) et d’EcoPlant, qui contiennent respectivement 106 201 et 1 450 relevés, décrivent les habitats forestiers tandis que les bases de données du Conservatoire botanique national alpin (CBNA) et de Coenose, qui contiennent respectivement 63 392 et 17 787 relevés, décrivent tous les types d’habitats.
Application de la démarche réglementaire
La démarche réglementaire a été successivement appliquée selon les trois critères (espèces indicatrices, habitats et syntaxons). Le critère « espèces indicatrices » a été appliqué aux relevés pour lesquels l’information d’abondance par strate était disponible. Ces relevés ont été respectivement classés « humide » ou « non humide » selon qu’ils remplissaient ou non ce critère.
Le critère « habitat » a été appliqué aux relevés pour lesquels un habitat (niveau 3 EUNIS) était automatiquement rattaché en combinant une liste d’espèces indicatrices avec des facteurs abiotiques et biogéographiques (EUNIS-Esy). Les relevés rattachés à des habitats aquatiques ont été exclus de l’analyse car ceux-ci sont très partiellement concernés par la réglementation. Une mise en correspondance des habitats listés dans l’annexe II de l’arrêté de la typologie CORINE biotopes vers la typologie EUNIS 2021 a été effectuée. Afin de déterminer une valeur seuil d’Ellenberg capable de bien distinguer les zones humides des zones non humides, une liste d’habitats xérophiles et mésophiles a été ajoutée à la liste de référence de l’annexe II de l’arrêté à partir des caractéristiques écologiques des syntaxons décrites dans la base européenne FloraVeg, puis en effectuant une correspondance entre les syntaxons et les habitats. En confrontant le rattachement EUNIS à la liste de référence des habitats, chaque relevé a donc été classé comme « humide », « pro parte humide » ou « non humide ». Les relevés classés comme « pro parte humide » ont été exclus de l’analyse car la comparaison avec la démarche Ellenberg nécessitait une assignation binaire (« humide » ou « non humide ») des relevés.
Le critère « syntaxon » a été appliqué aux relevés pour lesquels un rattachement syntaxonomique était déjà précisé dans les bases de données. Comme pour le critère « habitat », la liste de référence des syntaxons « humide » ou « pro parte humide » indiquée dans l’annexe II de l’arrêté a été complétée avec une liste de syntaxons « non humide » correspondant à des syntaxons xérophiles et mésophiles décrits dans la base FloraVeg. En confrontant le rattachement syntaxonomique à la liste de référence des syntaxons, chaque relevé a été classé comme « humide », « pro parte humide » ou « non humide ». Les relevés « pro parte humide » ont in fine été exclus.
Application de la démarche Ellenberg
L’application de la procédure Ellenberg repose sur la moyenne arithmétique des valeurs F d’humidité de toutes les espèces inventoriées au sein d’un relevé (encadré 1). L’indice moyen peut donc être obtenu simplement, soit manuellement en reprenant les valeurs indicatrices de chacune des espèces présentes, soit numériquement par l’utilisation de logiciels dédiés tels que Juice (Bouzillé et al., 2014) (encadré 2).
Dans cette étude, les valeurs d’humidité ont été extraites de BaseFlor, adaptation française du référentiel Ellenberg initialement conçu pour l’Europe centrale. BaseFlor décline les preferanda vis-à-vis de l’humidité édaphique pour un nombre très important de taxons sur l’ensemble du territoire (6 166). Bien que ces valeurs aient été établies à dire d’expert, elles sont considérées comme fiables puisqu’elles apparaissent comme très bien corrélées aux autres bases européennes de ce type (coefficient de Spearman ~ 0.9).
Encadré 1 – La méthode de calcul de l’indice.
L'indice d'Ellenberg d'humidité peut être calculé en plusieurs étapes dans un tableur ou idéalement avec le logiciel Juice, de la façon suivante :
1 – Télécharger le référentiel Ellenberg depuis le site Baseflor.
2 – Mettre en forme le tableau des relevés de végétation : en ligne les espèces, en colonne les relevés.
3 – Attribuer une valeur d’indice d’humidité d’Ellenberg à chaque espèce sur une échelle de 1 à 12 en se basant sur le référentiel Baseflor.
4 – Déterminer, pour chaque relevé, la moyenne arithmétique des valeurs d’humidité (« humidité édaphique » dans Baseflor) en calculant la somme des valeurs d’humidité des espèces du relevé, divisée par le nombre d’espèces identifiées dans le relevé. Exemple du relevé A de la figure 3 : (5 (Armeria maritima subsp. maritima) + 5 (Calluna vulgaris) + 7 (Pedicularis sylvatica subsp. sylvatica) + 5 (Potentilla erecta)) / 4 (richesse spécifique) = 5,5.
5 – Assigner chaque relevé à la classe « non humide » ou « humide » en seuillant l’indice d’humidité d’Ellenberg à la valeur de 5,7.
Encadré 2 – Le logiciel Juice, un outil gratuit pour l’analyse des relevés de végétation.
Le logiciel Juice est un outil gratuit qui offre une multitude de fonctionnalités pour l’analyse et le traitement des relevés de végétation. Comparé aux logiciels tableurs classiques, Juice offre une plus grande souplesse d’utilisation à travers une interface adaptée aux besoins spécifiques de l'étude de la végétation. Il permet notamment de calculer facilement et automatiquement les indices d’Ellenberg par relevé ou d’assigner un habitat EUNIS. Ce logiciel peut être téléchargé gratuitement sur le site de l’université de Masaryk. De nombreuses fonctionnalités de ce logiciels sont détaillées dans l’ouvrage « Connaissance de la biodiversité végétale : Démarches et outils technologiques » (Bouzillé, 2014).
Calcul du taux de concordance entre les démarches réglementaire et Ellenberg
Si la démarche Ellenberg a pu être appliquée à l’ensemble des relevés, cela n’a pas été le cas pour la démarche réglementaire en raison de l’absence éventuelle de caractérisation de l’abondance, de la strate, ou du rattachement à un habitat ou à un syntaxon pour certains relevés. Afin de maximiser le nombre de relevés pris en compte pour comparer les deux démarches, tous les relevés pour lesquels la démarche réglementaire a pu être appliquée pour au moins un des trois critères (« espèces indicatrices », « habitats », « syntaxons ») ont été conservés. Dans le cas où un relevé était caractérisé par plusieurs critères, le critère « syntaxons » puis le critère « habitats » – plus pertinents que le critère « espèces indicatrices » – ont été utilisés en priorité. Au total, 76 284 relevés (soit 40 % du nombre total de relevés collectés) ont été utilisés pour comparer les démarches réglementaire et Ellenberg (figure 1).
Figure 1. Distribution spatiale des 76 284 relevés phytosociologiques utilisés pour la comparaison des approches réglementaire et Ellenberg sur l’ensemble de la France métropolitaine.
Les contours représentent les régions biogéographiques européennes alpine (ALP), atlantique (ATL), continentale (CON) et méditerranéenne (MED).
La comparaison des démarches réglementaire et Ellenberg a été effectuée à travers l’analyse d’un taux de concordance. Celui-ci décrit la proportion (en pourcentage) des relevés dont l’assignation à la classe « humide » ou « non humide » est identique pour les deux démarches. Pour la démarche Ellenberg, l’assignation aux classes « humide » ou « non humide » de chaque relevé a été effectuée en seuillant itérativement les valeurs moyennes d’humidité comprises entre 1 et 12 par pas de 0,1 (figure 2). Le taux de concordance entre les deux démarches a été calculé pour l’ensemble des 76 284 relevés à chaque valeur seuil. Le taux de concordance a atteint sa valeur maximale (93 %) pour une valeur seuil de l’indice d’humidité de 5,7 ± 0,2, ce qui correspond à des milieux très frais sur l’échelle d’Ellenberg. À L’inverse, le taux de concordance atteint sa valeur minimale (26 %) pour une valeur seuil de l’indice d’humidité comprise entre 1 et 4, ce qui correspond à des milieux extrêmement secs à moyennement secs.
Figure 2 – Variation du taux de concordance entre les démarches réglementaire et Ellenberg pour les 76 284 relevés de végétation en fonction de la valeur de seuillage appliquée.
Une analyse plus détaillée des résultats par région biogéographique et grand type d’habitat a été effectuée sur les relevés assignés à un habitat EUNIS de niveau 1 en leur appliquant le seuil de 5,7 (tableau 1). L’analyse par région biogéographique montre que le taux de concordance varie de 90,6 % pour la région atlantique à 96,3 % pour la région méditerranéenne. L’analyse par habitat souligne que le taux de concordance varie de 82,4 % pour les habitats peu végétalisés à 99,2 % pour les zones humides au sens d’EUNIS 2021. Les taux de concordance les plus élevés (≥ 95 %) concernent les habitats humides (Q) quelle que soit la région biogéographique, les habitats peu végétalisés (U) – ayant moins de 30 % de leur surface couverte par de la végétation, ce qui inclus par exemple les éboulis et les falaises – en régions atlantique et méditerranéenne, les habitats anthropisés (V) – qui comprennent les végétations spontanées des cultures – en région atlantique, ainsi que les prairies (R), landes (S), et forêts (T) en région méditerranéenne. Les taux de concordance les plus faibles, néanmoins satisfaisants (~ 80 %), sont observés pour les habitats peu végétalisés (U) en région alpine, et pour les landes (S) en régions alpine et atlantique.
Tableau 1 – Variation du taux de concordance (en pourcentage, avec un intervalle de confiance à 95%) entre la démarche réglementaire et la démarche Ellenberg (seuillage de l’indice d’humidité à 5,7) selon la région biogéographique et le type d’habitat EUNIS niveau 1.
Région biogéographique |
|||||
---|---|---|---|---|---|
Habitat |
Alpine |
Atlantique |
Continentale |
Méditerranéenne |
Toutes |
M : Marins |
– |
93,7 ± 1,7 |
– |
Pas de données |
93,7 ± 1,7 |
N : Côtiers |
– |
88,6 ± 1,6 |
– |
Pas de données |
88,6 ± 1,6 |
Q : Humides |
99,2 ± 0,4 |
99,6 ± 0,3 |
99,1 ± 0,5 |
98,2 ± 1,4 |
99,2 ± 0,2 |
R : Prairies |
92,5 ± 0,4 |
89,9 ± 0,8 |
91,9 ± 0,7 |
97,0 ± 0,5 |
92,6 ± 0,3 |
S : Landes |
83,0 ± 1,3 |
82,1 ± 1,7 |
93,5 ± 0,9 |
96,7 ± 0,7 |
89,2 ± 0,6 |
T : Forêts |
94,4 ± 0,6 |
92,9 ± 1,2 |
94,5 ± 0,5 |
97,3 ± 0,5 |
95,0 ± 0,3 |
U : Peu végétalisés |
79,9 ± 2,8 |
100,0 ± 0,0 |
90,9 ± 8,5 |
95,0 ± 4,8 |
82,4 ± 2,5 |
V : Anthropisés |
93,5 ± 2,0 |
96,2 ± 1,4 |
88,5 ± 2,4 |
88,3 ± 1,8 |
90,9 ± 1,0 |
Tous |
92,0 ± 0,3 |
90,6 ± 0,5 |
93,8 ± 0,3 |
96,3 ± 0,3 |
Exemple d’application de la démarche Ellenberg : actualisation d’un inventaire local de zones humides
La démarche Ellenberg, simple à mettre en œuvre, peut s’appliquer à des relevés floristiques pour lesquels les informations sur la strate et/ou la dominance sont absentes des bases de données, et pour lesquels la démarche réglementaire ne peut donc pas s’appliquer. Dans cet exemple, nous avons choisi de mettre en œuvre la démarche Ellenberg sur l’île d’Ouessant en utilisant les relevés archivés dans l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) qui contient des dizaines de milliers de relevés floristiques librement accessibles depuis le portail français d'accès aux données d'observation sur les espèces mais dont la plupart sont dépourvus d’information sur la strate et la dominance.
L’île d’Ouessant est localisée dans la région biogéographique atlantique et est caractérisée par des habitats côtiers, landicoles et prairiaux. L’inventaire local des zones humides, qui a été réalisé en 1995 par le conseil départemental du Finistère est accessible depuis la plateforme du réseau partenarial des données sur les zones humides. Une vingtaine de relevés floristiques archivés dans l’INPN géoréférencés sur l’île avec une précision < 20 m étaient disponibles. L’indice d’humidité d’Ellenberg a d’abord été calculé pour chacun de ces relevés, ce qui a permis de les rattacher aux classes « humide » ou « non humide » en utilisant la valeur seuil de 5,7. Ces relevés ont ensuite été superposés à l’inventaire local des zones humides (figure 3). Le réseau hydrographique ainsi que le modèle numérique de terrain (RGE ALTI) ont été pris en compte afin d’identifier « la cote hydrologique pertinente ou la courbe topographique correspondante » aux relevés humides en conformité avec la procédure de délimitation des zones humides précisée dans l’annexe II de la circulaire du 18 janvier 2010.
L’analyse de la délimitation effectuée sur l’île d’Ouessant montre que la démarche Ellenberg permet d’une part de préciser l’enveloppe des zones humides qui avait été préalablement délimitée selon la démarche réglementaire, et d’autre part de compléter l’inventaire local des zones humides.
À titre d’exemple, sur le site du Creac’h (figure 3), les limites de l’inventaire local sont cohérentes avec les relevés de l’INPN, les relevés A (non humide) et B (humide) étant respectivement localisés à l’extérieur et à l’intérieur de l’enveloppe des zones humides. Cependant, la comparaison de ces relevés avec le modèle numérique de terrain souligne une sous-estimation de l’enveloppe des zones humides inventoriées entre les deux relevés, et à l’inverse une surestimation de cette enveloppe au sud-est du site. Sur le site de Kadoran, la valeur de l’indice d’humidité d’Ellenberg du relevé floristique C (6,7), associée à la présence d’un cours d’eau, indique clairement la présence d’une zone humide (identifiable sur la photographie aérienne par la présence d’une saulaie) qui a été omise lors de l’inventaire.
Cet exemple d’application sur l’île d’Ouessant, qui est transposable à l’ensemble de la France métropolitaine, montre que la démarche Ellenberg est une alternative à la démarche réglementaire pour actualiser un inventaire local de zones humides. Cette démarche est simple à mettre en œuvre car elle ne requiert que la liste des espèces inventoriées par relevé, ce qui permet de valoriser des dizaines de milliers de relevés floristiques disponibles en libre accès dans les bases de données de végétation régionales ou nationales.
Figure 3 – Exemple d’application de la démarche Ellenberg pour actualiser l’inventaire des zones humides de l’île d’Ouessant effectué à partir de relevés floristiques extraits de l’Inventaire national du patrimoine naturel.
Ces relevés floristiques ont été collectés par l’Office national des forêts en mai 2019. Composition floristique par relevé. A : Armeria maritima, Calluna vulgaris, Pedicularis sylvatica, Potentilla erecta ; B : Athyrium filix-femina, Calluna vulgaris, Hydrocotyle vulgaris, Potamogeton polygonifolius, Phragmites australis, Ranunculus flammula ; C : Athyrium filix-femina, Nasturtium officinale, Pteridium aquilinum, Rubus fruticosus, Salix atrocinerea.
Conclusion
La démarche basée sur l'indice d'Ellenberg, qui permet de caractériser directement le degré d'humidité d'un relevé à partir de sa composition floristique, est une alternative simple et robuste à la démarche réglementaire pour la délimitation des zones humides. Les résultats de cette étude sur la France métropolitaine montrent une forte corrélation entre les deux approches pour une valeur d'Ellenberg de 5,7, avec toutefois une zone d'incertitude comprise entre 5,5 et 5,9. D'un point de vue opérationnel, les relevés floristiques peuvent être assignés avec certitude comme « non humide » ou « humide » si la valeur de l'indice d'humidité d'Ellenberg est respectivement inférieure à 5,5 ou supérieure à 5,9. Par ailleurs, même si le taux de concordance entre les deux démarches est très élevé, la démarche Ellenberg reste basée sur des données empiriques d'identification de preferendum écologique. Les recherches actuelles menées à l'échelle européenne visent à améliorer la fiabilité des indicateurs d'Ellenberg en considérant notamment les valences écologiques selon une courbe (Zolotova et al., 2022).
Remerciements
Cette étude a été financée par le ministère en charge de l’écologie (bourse n° 2103207978). Les auteurs remercient l’Institut géographique national, le Muséum national d'histoire naturelle, l'Office français de la biodiversité, AgroParisTech et le Conservatoire botanique national alpin pour la diffusion de leurs bases de données floristiques. Les auteurs remercient également Alix Augier (Forum des marais Atlantiques), Guillaume Gayet (PatriNat OFB-CNRS-MNHN) et Pierre Caessteker (OFB) pour leur expertise.
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Photo d’entête : Tourbière dans le massif du Sancy. G. Perrin.
Notes
- Classes pédologiques du Groupe d'étude des problèmes de pédologie appliquée.
- European Nature Information System.
- JUICE program (muni.cz) : https://www.sci.muni.cz/botany/juice/
Références
- Baize, D., Ducommun, C. (2014). Reconnaître les sols de zones humides. Difficultés d’application des textes réglementaires. Étude et Gestion des Sols, 21, 85‑101. https://www.afes.fr/wp-content/uploads/2017/09/EGS_21_1_2107_Baize_Ducommun_85_102.pdf
- Bouzillé, J.-B. (2014). Connaissance de la biodiversité végétale : Démarches et outils technologiques. Tec & Doc Lavoisier, 304 p.
- Bouzillé, J.-B., Clément, B., Hubert-Moy, L. (2014). Délimitation et caractérisation des zones humides. Dans J.-B. Bouzillé (dir.), Écologie des zones humides. Concepts, méthodes et démarches (p. 25‑54). Tec & Doc-Lavoisier, 262 p.
- Meinard, Y., Thébaud, G. (2019). L’identification syntaxonomique dans les démarches de gestion et/ou de restauration d’espaces naturels en France : pour ou contre ? Naturae, 6, 165‑173. https://sciencepress.mnhn.fr/fr/periodiques/naturae/2019/6
- Zolotova, E., Ivanova, N., Ivanova, S. (2022). Global overview of modern research Based on Ellenberg Indicator Values. Diversity, 15(1), 14. https://doi.org/10.3390/d15010014
Résumé
La délimitation des zones humides est un enjeu majeur pour la protection de ces écosystèmes. La démarche réglementaire décrite dans la circulaire du 18 janvier 2010 relative à la délimitation des zones humides présente des imprécisions, et son application requiert une expertise phytosociologique. La démarche basée sur l’indice d’Ellenberg, qui permet de caractériser directement le degré d’humidité d’un relevé à partir de sa composition floristique, n’a jusqu’à présent été utilisée qu’à une échelle locale. Cette étude vise à évaluer l’intérêt d’utiliser l’indice d’humidité d’Ellenberg pour délimiter les zones humides sur l’ensemble des régions biogéographiques et des grands types d’habitats présents en France métropolitaine. Pour cela, 76 284 relevés phytosociologiques archivés dans plusieurs bases de données ont été analysés. Le caractère humide de chaque relevé a d’abord été déterminé selon la démarche réglementaire puis en utilisant l’indice d’Ellenberg. Les résultats montrent une forte corrélation entre les deux approches (variant de 90,6 à 96,3 % selon les régions biogéographiques, et de 82,4 à 99,2 % selon les habitats) pour une valeur d’Ellenberg de 5,7 ± 0,2. Ils confirment que la démarche basée sur l’indice d’humidité d’Ellenberg est une alternative simple et robuste à la démarche réglementaire pour délimiter les zones humides.
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