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Évolution des trajectoires paysagères et des connectivités hydrologiques dans deux bassins versants bocagers normands depuis deux siècles

Chapeau

Pour limiter l’augmentation fulgurante des connectivités hydrologiques, dans un contexte futur d’intensification des évènements hydrologiques, les trajectoires paysagères des bassins versants bocagers sont à repenser. Se pose alors la question de savoir comment dans les paysages passés, la structure bocagère régulait les connectivités hydrologiques ? Ce regard géohistorique permet d’apporter un éclairage nouveau sur les perspectives d’aménagement durable dans les territoires bocagers.

De la trajectoire paysagère à la modélisation des ruissellements

Du ruissellement dans des paysages bocagers

Le bocage est un paysage agricole composé de parcelles en culture ou en herbe, aux formes étroites et irrégulières, closes par des haies sur talus. Dans ce paysage, l’habitat humain se disperse sous la forme de hameaux, reliés les uns aux autres par un réseau de chemins creux bordés de talus. Le bocage constitue un paysage hérité de la fin du Moyen-Âge, et modelé par les sociétés rurales au cours de siècles de mutations paysagères. Il s’est particulièrement développé dans les régions de l’Ouest de la France à la fin du XVIIIe siècle, en lien avec l’essor et la spécialisation de ces régions dans l’élevage. L’exode rural, la crise agricole et la chute du prix de vente des céréales dans les années 1880 (Lhomme, 1970 ; Moulin, 1992), ont renforcé l’avancée de la vague herbagère dans l’Ouest (Frémont, 1968), convertissant la majorité des anciens labours en herbages clos par des haies sur talus. La Normandie est rapidement devenue un pôle d’exportation pour les produits issus de l’élevage : en 1875, le département de la Manche exportait 4 276 tonnes de beurre par an à destination de l’Angleterre (Association normande, 1875). Le début du XXe siècle a ainsi marqué l’apogée du bocage, avec plus de deux millions de kilomètres de haies recensées en France (Pointereau, 2006). Dans la première moitié du XXe siècle, le départ en 1914 de plus de 60 % de la population agricole masculine au front (Pouch, 2021) a favorisé l’extension du système d’élevage et des haies.

À partir des années 1950, la mécanisation des pratiques agricoles s’est accélérée, simplifiant la structure des paysages bocagers pour l’adapter à une agriculture mécanisée et productiviste. L’agrandissement et la fragmentation de la maille bocagère, la rationalisation des parcelles et le remembrement ont été les principales mutations qui ont affecté le bocage. En conséquence, 70 % des deux millions de kilomètres de haies présents en France jusque dans les années 1930, ont été détruits. Dans le Calvados, 650 km de haies disparaissent chaque année entre 1972 et 2016, un chiffre encore plus élevé pour la Manche, où sur la même période, 1 200 km de haies sont supprimés annuellement (ANBDD, 2021)1. Aujourd’hui le linéaire de haies est estimé à 750 000 km en France, tandis que celui de la Normandie est évalué à 170 900 km. Ce qui en fait la troisième région ayant la plus forte densité de haies (57 mètres de haies par hectare), derrière la Bretagne et les Pays de la Loire. Néanmoins, le département de la Manche demeure en tête avec la plus forte densité de haies à l’échelle du pays (103 mètres par hectare).

Ces mutations paysagères entraînent, comme le montrent de nombreuses études scientifiques, des répercussions sur le fonctionnement hydrologique des bassins versants. En effet, l'importance des transferts hydro-sédimentaires entre les parcelles agricoles situées sur les versants et le cours d'eau a déjà été mise en évidence lors des épisodes de pluies (Delahaye, 1992 ; Papy, 1992 ; Souchere et al., 1998 ; Reulier et al., 2017 ; Patault, 2018). Dans le bocage, la structure du paysage, caractérisée par une juxtaposition de champs bordés de haies, de fossés et de routes, plus ou moins interconnectés, complexifie la circulation des écoulements de surface. Certaines entités linéaires et surfaciques, telles que les réseaux de fossés et de routes, ainsi que certaines pratiques culturales (comme la faible couverture des sols en hiver, les sillons de culture parallèles à la pente et les entrées de champs en bas de pente), favorisent la connectivité hydrologique des écoulements de surface vers le cours d'eau (Merot et al., 1999 ; Ali et Roy, 2009 ; Gascuel-Odoux et al., 2009 ; Reulier et al., 2016 ; Viel et al., 2014). À l'inverse, d'autres facteurs favorisent la déconnectivité hydrologique, comme la densité des réseaux de haies qui selon leur orientation à la pente, permettent de dévier et de bloquer les ruissellements (Merot et al., 1999). Analyser la connectivité hydrologique revient alors à différencier trois types de connexions à l'échelle de la parcelle agricole (Viel, 2012) (figure 1) :

– les parcelles directement connectées au cours d’eau, ce sont celles situées à proximité du réseau de drainage ;

– les parcelles indirectement connectées, il s’agit généralement des parcelles éloignées du cours d’eau et connectées indirectement par le biais des réseaux de routes et de fossés, facilitant ainsi le transfert des ruissellements vers le cours d’eau ;

– les parcelles exclues de la dynamique des connectivités sont considérées comme étant non connectées, il peut s’agir de parcelles encloses par des haies.

Néanmoins, la connectivité hydrologique des parcelles agricoles évolue au cours du temps, à mesure que la structure bocagère se transforme. De fait, l’agrandissement des parcelles et la réduction des linéaires de haies, induits par la mécanisation agricole depuis les années 1970, ont contribué à accroître la contribution des parcelles à la charge solide des cours d’eau. En d’autres termes, l’ouverture des paysages a entraîné une augmentation des parcelles indirectement connectées (figure 1), engendrant par conséquence de nombreux enjeux environnementaux tels que les pertes en sol, la pollution des milieux aquatiques, l’augmentation de l’aléa d’inondation, etc.

Figure 1. Évolution des types de connexions hydrologiques (connectivités et des déconnectivités).

Source : Guillemois (2024).

Croisement de la géohistoire et de la modélisation multi-agents

L’intérêt de l’étude présentée ici est de comprendre le lien complexe entre les mutations paysagères et les connectivités hydrologiques, sur le temps long (deux siècles). En mettant en avant à travers le temps les combinaisons spatiales limitant ces connectivités, l’objectif est de proposer des pistes de réflexion sur les aménagements futurs à mener dans les bassins versants. Le concept de paysage est abordé ici dans sa dimension matérielle et temporelle. Il est considéré comme un support de processus physique évoluant au cours du temps, où les différentes entités (haies, routes, parcelles) qui le composent interagissent entre elles.

Cette étude compare les trajectoires d’évolution paysagères et hydrologiques de deux petits bassins versants agricoles et bocagers normands. Le premier est celui du Tortillon (10 km²), situé dans le sud du Calvados dans la commune de la Valdallière. L’activité agricole y est dominante et le linéaire de haies encore dense (65 mètres linéaires par hectare) malgré sa forte altération depuis les années 1970. Le second est le bassin versant de la Divette amont (12 km²), situé dans le nord de la Manche principalement sur la commune de Vasteville. Le paysage de la Divette est également essentiellement agricole, mais contrairement au premier bassin, son linéaire de haies a été davantage préservé et représente une densité bocagère de 150 mètres linéaires par hectare.

La méthode combine une approche géohistorique pour reconstruire l’évolution des paysages depuis 1830, et une modélisation multi-agents pour simuler les connectivités hydrologiques dans ces paysages reconstruits. Pour chaque zone d’étude, les reconstructions (figure 2) s’étendent de 1830 à 2020 et s’appuient sur l’utilisation des plans cadastraux et leurs états de sections associés ainsi que des images aériennes (militaires américaines et britanniques, et modernes françaises). L’intégralité de ce corpus est géoréférencée et numérisée dans un système d’information géographique (SIG). Chaque reconstruction vise à restituer la structure paysagère et l'occupation du sol. Pour les documents cadastraux, l’exploitation des états de sections renseigne sur l’occupation du sol de chacune des parcelles cadastrales. Les linéaires de haies, sont reconstitués à l’aide d’autres plans conservés aux archives (plans terriers, plans routiers, etc.). Pour les images aériennes, la reconnaissance des différentes occupations du sol et des linéaires de haies, se fait par photo-interprétation.

Figure 2. Démarche méthodologique des reconstructions géohistorique.

Sources : Guillemois (2024) ; Archives départementales du Calvados et de la Manche, Enquêtes agricoles disponibles sur Gallica, NARA and NCAP (images aériennes militaires), IGN (images aériennes modernes), et BD Topo IGN.

La seconde étape consiste à modéliser la dynamique des écoulements à l’aide du modèle multi-agents LASCAR, Landscape StruCture And Runoff dont le fonctionnement et l’efficacité ont déjà été démontrés dans plusieurs travaux (Reulier et Delahaye, 2019). À l’issue des simulations, les différents éléments de la structure paysagère agissant sur les connectivités hydrologiques pourront être identifiés. De même, la connectivité des parcelles, dont le ruissellement potentiel a rejoint le cours d'eau, sera caractérisée sous la forme d'un gradient de connectivité. Plus le gradient est élevé, plus la part de la parcelle connectée hydrologiquement au cours d’eau est importante (figure 1). Certaines parcelles en fonction de leur localisation et de leur proximité aux réseaux de routes, peuvent être facilement connectées au cours d’eau. À l’inverse, d’autres encloses par des haies sur talus ou à proximité de prairies infiltrantes, vont être déconnectées totalement ou partiellement des dynamiques d’écoulement.

Comparaison des trajectoires paysagères et hydrologiques

Évolution des structures bocagères et des connectivités

Figure 3. Trajectoires paysagères des bassins versants de la Divette et du Tortillon.

Sources : Guillemois (2023) ; Archives départementales de la Manche et du Calvados (cadastres et états des sections 1830) ; images aériennes militaires août 1944 (NCAP, NARA) et françaises post 1950 (IGN).

Figure 4. Évolution des connectivités hydrologiques des bassins versants de la Divette et du Tortillon.

Sources : Guillemois, 2023 ; LASCAR ; Archives départementales de la Manche et du Calvados (cadastres et états des sections 1830) ; images aériennes militaires (NCAP, NARA) et françaises (IGN).

Les différents temps de l’évolution des paysages

Depuis deux siècles, l’activité agricole a profondément transformé les deux bassins versants (figure 3). Au milieu du XIXe siècle, les paysages semble partager de nombreuses similitudes et illustrent un système agricole de subsistance où les cultures prédominent. Au début du XXe siècle, la vague herbagère liée à l’essor de l’élevage laitier va transformer les paysages. Les prairies se développent sur les anciens labours et occupent ainsi entre 50 et 75 % de la surface agricole utile (SAU) des bassins. Dès les années 1970, l’intensification de l’agriculture marque un tournant dans les trajectoires paysagères des deux bassins versants. Pour le bassin du Tortillon (côté droit), les cultures redeviennent majoritaires dès les années 1980 et se développent jusqu’à occuper en 2020, 59 % de la SAU du bassin. Dans cette logique productiviste, la rationalisation et l’agrandissement des exploitations vont nettement augmenter la surface moyenne des parcelles agricoles (à 3 ha contre 0,5 ha en 1944). Cela a un impact sur les linéaires de haies qui se réduisent de 187 km en 1944 à 73 km en 2020. En revanche dans la Divette (côté gauche), la dynamique est tout autre. En effet, la structure paysagère semble stable entre les années 1940 et 1984, l’occupation du sol est toujours dominée à plus de 75 % par les prairies. Quelques parcelles de cultures et de prairies s’agrandissent, impactant légèrement le linéaire de haies qui diminue de 16 km.

Entre les deux bassins, les trajectoires paysagères sont marquées par une transformation foncière contrastée des exploitations. Dans le bassin du Tortillon, la division par deux du nombre d’actifs agricoles entre les années 1970 et 1990, va favoriser la redistribution des terres et participer à l’agrandissement et à la restructuration des exploitations agricoles. L’économie laitière va peiner à s’installer durablement, symbolisée par la fermeture en 1980 de la laiterie la plus proche du bassin « La beurrerie Préval de Vire », ouverte en 1936, encourageant en partie le retournement des prairies en cultures, notamment céréalières et fourragères. Dans le bassin de la Divette, les dynamiques sont différentes. En effet les structures agricoles sont en place depuis le début du XXe siècle et orientées vers une économie laitière aux nombreux débouchés : en 1957, la Manche comptait dix-sept coopératives laitières. Dans les années 1960, l’arrivée de nouveaux emplois industriels dans le secteur de La Hague a permis à une majorité d’agriculteurs d’améliorer leur niveau de vie en travaillant à l’usine tout en maintenant leur exploitation agricole. Ces différents facteurs ont donc eu comme effet pour le bassin de la Divette de conserver la structure bocagère, contrairement à celle en mouvement du Tortillon (Brunet, 1984). Si bien qu’aujourd’hui, la structure parcellaire de la Divette (surface des parcelles et SAU), a davantage de ressemblance avec la structure parcellaire du Tortillon dans les années 1984. La trajectoire paysagère de la Divette est donc sur un point de bascule, va-t-elle se poursuivre à l’image de celle du Tortillon ? C’est ce que semble montrer les reconstructions menées sur ces vingt dernières années, puisque depuis la fin des années 1990, la SAU occupée par les cultures sont en croissance passant de 21 % à 30 %. Les haies quant à elles, ont diminué de 19 % depuis 1984, ce qui représente un linéaire de 44 km. Le nombre d’actifs agricoles, quant à lui, diminue drastiquement dans les deux bassins : passant de 403 en 1970 à 89 en 2010 dans le bassin du Tortillon, et de 147 à 24 entre 1970 et 2010 dans le bassin de la Divette2.

Entre les mutations paysagères et les connectivités hydrologiques : un lien complexe

Les changements paysagers au cours de ces deux derniers siècles ont eu des impacts plus ou moins significatifs sur l’évolution des connectivités hydrologiques (figure 4). En 1830, la proportion des parcelles traversées par des écoulements rejoignant le cours d’eau paraît très élevée sur les deux bassins. En effet, 50 % de la SAU des bassins, est connectée au cours d’eau. Même si ces proportions sont importantes, elles restent à nuancer. En 1830, la SAU est principalement consacrée aux cultures céréalières, lesquelles sont naturellement favorables au ruissellement. Néanmoins, le travail des champs reste peu intensif limitant l’impact sur la sensibilité du sol. De fait, le labour se pratique majoritairement en planches à l’aide d’une charrue à versoir unique, permettant de séparer deux bandes de terre sur une faible épaisseur de part et d’autre d’une rigole (Boüard, 1965 ; Ministère de l’instruction publique, 1914). Les apports d’engrais lorsqu’ils sont possible proviennent du fumier de la ferme, amendé de chaux ou de tangue, notamment dans le bassin de la Divette plus proche du littoral. Dans l’arrondissement de Vire, où se situe le bassin du Tortillon, il est de coutume de semer du trèfle dans l’avoine, après la fauche la parcelle est laissée pendant deux ans en repos (Hédin, 1951 ; Ministère de l’instruction publique, 1914). Une pratique qui permet ainsi de reposer le sol et de renouveler sa fertilité, contribuant ainsi à réduire sa vulnérabilité face aux phénomènes d’érosion hydrique. Par conséquent, il est peu probable que ces surfaces soient sujettes aux transferts hydro-sédimentaires. De surcroît, la forte densité des haies plantées sur talus autour des terres (Ministère de l’instruction publique, 1914) et la présence des prairies en fond de vallée ont permis de déconnecter les écoulements avant qu’ils n’arrivent jusqu’au cours d’eau. À la fin de la vague herbagère dans les années 1940, sur les deux bassins un peu moins de 15 % de la SAU est connectée hydrologiquement au cours d’eau. Il est clair que la forte proportion de surfaces infiltrantes et de haies bloquant les écoulements contribue à limiter les connectivités hydrologiques. À partir des années 1980, alors que le nombre et la surface des cultures augmentent de 180 ha et que les haies régressent de 23 km, les connectivités dans le Tortillon augmentent et connectent 28 % de la SAU du bassin. Soit une surface de 313 ha traversée par des écoulements qui rejoignent les cours d’eau. Contrairement au bassin du Tortillon, dans celui de la Divette, le maintien de la structure bocagère participe à stabiliser les connectivités hydrologiques (figure 5). En effet entre les années 1940 et 1980, les surfaces connectées augmentent très légèrement, de seulement 20 ha, en lien avec l’agrandissement de quelques parcelles cultivées. Toutefois, les récentes mutations paysagères depuis les années 1990 impactent directement les connectivités, connectant désormais 21 % de la SAU du bassin au cours d’eau, soit 347 ha. Dans le bassin du Tortillon, où les mutations ont été les plus précoces et importantes, les connectivités hydrologiques ont été multipliées par quatre entre 1944 et 2020. En revanche, dans le bassin de la Divette où les surfaces infiltrantes ont été les plus préservées, on note une accélération du processus de connectivité sur la période récente sous l’effet des récentes mutations paysagères avec une multiplication par deux des connectivités entre 2002 et 2020. Les connectivités sont désormais plus nombreuses et également plus fortes ; en 2020, la part de la surface d’une parcelle connectée qui contribue au ruissellement est en moyenne de 63 % pour la Divette ; contre 47 % pour le Tortillon.

Figure 5. Évolution des connectivités hydrologiques et des surfaces infiltrantes depuis 1830 dans les bassins versants du Tortillon et de la Divette amont (en % de la SAU).

Sources : Modélisations des bassins versants (1944-2020) LASCAR ; IGN et NARA/ NCAP.

Pour les deux bassins, l’augmentation des connectivités au cours du temps est principalement liée à l’extension des surfaces cultivées aux dépens des surfaces infiltrantes. Toutefois, l’augmentation des cultures n’est pas toujours synonyme d’augmentation des connectivités. Par exemple sur la Divette, la hausse des surfaces de cultures de 80 ha entre 1984 et 2020 ne peut pas expliquer à elle seule la progression de 38 % des connectivités. L’agencement des parcelles dans le bassin sous forme d’îlots, le sens du travail du sol parallèle à la pente, leur proximité aux réseaux routiers, et la présence ou l’absence de haies, sont d’autres facteurs influant la connectivité (Reulier et Delahaye, 2019). Les différents scénarios menés avec le modèle LASCAR ont permis d’estimer que les linéaires de haies bloquantes réduisent la connectivité sur les deux bassins de 10 à 15 % en 2020, et de 30 à 35 % en 1944 (figure 6). Cela met en évidence l’incidence significative des haies dans la régulation et la limitation des connectivités hydrologiques entre les parcelles agricoles et le cours d’eau. Leur préservation est donc un élément important, notamment dans un contexte actuel où 23 500 km de haies ont été arasées chaque année sur la période 2017-2021 en France (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 2023).

Figure 6. Simulations sur le bassin du Tortillon en 1944 et en 2020 avec et sans linéaires de haies bloquants les ruissellements.

Sources : Modélisations des bassins versants (1944-2020) LASCAR ; IGN et NARA/ NCAP.

L’intérêt de comparer les trajectoires bocagères pour mettre en évidence les nouveaux enjeux des territoires

Le croisement des reconstructions paysagères et des modélisations met en lumière le rôle important et complexe de la structure bocagère dans la régulation des connectivités hydrologiques au cours de ces deux derniers siècles. En fonction des spécificités locales et historiques des territoires, ces dynamiques sont contrastées. Le maintien ou la modification de la structure bocagère est de fait un facteur contribuant à la régulation des connectivités et des enjeux associés. Dans une perspective historique, la modélisation des trajectoires hydrologiques met en avant les combinaisons spatiales vertueuses restreignant les connectivités. Les paysages hérités de la vague herbagère sont parmi ceux qui réduisent le plus les transferts hydro-sédimentaires ; la forte densité des haies et le maintien des prairies sur des zones stratégiques permettent de déconnecter une grande part des surfaces. L’évolution des pratiques agricoles, notamment au travers de la mécanisation agricole et du remembrement, est l’un des facteurs qui a contribué à accroître les connectivités hydrologiques depuis les années 1970.

Aujourd’hui, les connectivités hydrologiques dans les deux bassins, comme à l’échelle des régions bocagères, sont en constante augmentation et induisent des impacts sur la qualité des sols et des cours d’eau. Autrefois au cœur du système agricole, la haie se retrouve désormais externalisée et constitue une contrainte à l’agriculture moderne (Kalaora, 2016). Pourtant, face aux conséquences du changement climatique et aux enjeux environnementaux associés, la haie apparaît comme un réel levier d’action (CGAAER, 2023)3 sur lequel il faut agir. De fait, comme les modélisations ont pu le démontrer précédemment, un linéaire de haie implanté sur une parcelle contributrice permet de limiter de manière considérable les transferts-hydro sédimentaires. Cette approche permet de se saisir des logiques associées à l’agencement des entités bocagères dans les bassins versants et des enjeux d’aménagement qui en résultent. L’utilisation du modèle multi-agents LASCAR permet d’élaborer des scénarios d’aménagement. Il est ainsi possible de simuler le paysage d’un bassin versant avec de nouveaux linéaires de haies, de nouvelles occupations du sol, d’ajouter des réseaux de fossés, etc. dans le but de réduire les connectivités hydrologiques à l’échelle du bassin versant. D’autres aménagements sont à penser et peuvent enrichir les simulations, tels que la localisation des entrées de champs, qui situées en bas de parcelles représentent une porte de sortie aux écoulements. Etudier l’organisation de la structure bocagère dans les paysages d’hier, au regard des transferts hydro-sédimentaires, offre une nouvelle clef de lecture et peut guider vers une gestion future et durable de ces espaces.

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Photo d’entête : © Capnord – Adobe Stock.

Notes

  • Agence normande de la biodiversité et du développement durable.
  • Source : Agreste – Recensements agricoles (RA), pour les communes de Vassy et de Vasteville.
  • Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux.

Références

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  • Viel, V., Delahaye, D. & Reulier, R. (2014). Impact de l’organisation des structures paysagères sur les dynamiques de ruissellement de surface en domaine bocager. Étude comparée de 3 petits bassins versants bas-normands. Géomorphologie : relief, processus, environnement, 20(2), 175‑188. doi:10.4000/geomorphologie.10619

Résumé

Depuis le milieu du vingtième siècle, les paysages bocagers du nord-ouest de la France subissent d’importantes mutations. Sous l’effet de la transformation foncière des exploitations agricoles, les parcellaires sont rationnalisés, remembrés et les haies sont fréquemment arasées. Ces mutations ont pour répercussion de multiplier les transferts hydro-sédimentaires et les connectivités hydrologiques entre les parcelles agricoles et le cours d’eau, impactant l’environnement (érosion des sols, pertes en sol, la pollution des milieux aquatiques). Ces conséquences déjà pressantes et pesantes pourraient devenir récurrentes dans un contexte de changement climatique. À l’heure où les enjeux liés à l’aménagement et à la préservation des territoires bocagers sont à repenser, il est intéressant de s’interroger sur la « vertueusité » des paysages passés au-regard des transferts hydro-sédimentaires. Cet article étudie l’évolution des connectivités hydrologiques depuis deux siècles sur différents bassins versants bocagers, afin d’offrir des perspectives quant à la gestion durable et future des territoires.

Auteurs


Mathilde GUILLEMOIS

mathilde.guillemois@unicaen.fr

Affiliation : Laboratoire IDEES-Geophen, UMR 6554, Université de Caen Normandie, 14032 Caen Cedex.

Pays : France


Daniel DELAHAYE

Affiliation : Laboratoire IDEES-Geophen, UMR 6554, Université de Caen Normandie, 14032 Caen Cedex.

Pays : France


Romain REULIER

Affiliation : Laboratoire IDEES-Geophen, UMR 6554, Université de Caen Normandie, 14032 Caen Cedex.

Pays : France

Pièces jointes

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