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La participation dans un territoire hydrosocial : entre impératif et réalité. Le cas de la Bande rhénane française

Chapeau

La nécessité de la participation est devenue essentielle dans les sphères académique, politique et institutionnelle liées à la conservation environnementale, particulièrement dans la gestion des territoires hydrosociaux. Cet article examine le rôle de la participation dans la Bande rhénane, en analysant les méthodes et les outils utilisés pour instaurer des processus participatifs dans ce territoire hydrosocial. En identifiant les principaux obstacles rencontrés par les acteurs sur le terrain en termes de participation, l’auteur propose des pistes pour promouvoir des processus participatifs dans le contexte rhénan et au-delà, dans les territoires hydrosociaux.

Contexte de l’étude

Depuis quelques décennies, la définition et la mise en œuvre des mesures de gestion de la ressource en eau et des milieux associés s'appuient très souvent sur des démarches présentées comme « participatives » (Hassenforder et al., 2020). L'utilisation de l'approche participative fait écho à une tendance internationale de gestion environnementale, dans laquelle l'intégration de divers acteurs et savoirs dans la prise de décision est de plus en plus présentée comme un élément clé pour structurer et réaliser des stratégies de conservation.

Cet article présente certains des résultats de la thèse doctorale de l’auteure (Osorio, 2022a), qui s’intéresse à la participation dans les démarches de gestion environnementale du territoire hydrosocial de la Bande rhénane française. Ce territoire transfrontalier, situé à l’est du bassin versant géré par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse (figure 1), fait actuellement l'objet d'importantes mesures de gestion et de restauration. Entre autres approches, la participation est souvent recommandée, mais avant notre recherche, aucune étude n'avait été réalisée pour évaluer la mise en œuvre de la participation par les acteurs sur le terrain. Cet article présente les résultats d'une enquête qualitative au cours de laquelle une révision documentaire a été réalisée et dix-huit parties prenantes issues de divers horizons (institutions publiques, syndicats, associations) ont été interrogées.

Figure 1. La Bande rhénane française au sein du bassin versant géré par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse.

Source : Osorio (2022a).

Résultats

Les trajectoires de gestion de la Bande rhénane et la place de la participation au fil du temps

Au cours de l'histoire, la Bande rhénane a connu de nombreuses transformations. Sa gestion actuelle s’est progressivement consolidée au cours de trois périodes historiques clés (figure 2). Aux XIXe et XXe siècles, le Rhin a été aménagé (rectification, régulation, canalisation), ce qui a modifié radicalement le fonctionnement du fleuve et de l'environnement riverain : les écosystèmes ont été morcelés et les populations riveraines éloignées du fleuve, dans une démarche d’aménagement ségrégative. La première période (1815-1981) est donc marquée par : (i) des transformations importantes du fleuve, des milieux aquatiques et riverains ; (ii) l'émergence de premières institutions liées à la gestion, la restauration et la protection de l'environnement rhénan ; (iii) l’établissement d’un cadre législatif visant à réglementer la protection et les actions de restauration et (iv) l’émergence des premiers espaces naturels protégés (ENPs) et de la protection de facto1.

La deuxième période (1982-2000) se caractérise par (i) la mise en œuvre de programmes d'actions transfrontaliers et de nouvelles réglementations ; (ii) l’émergence des nouveaux acteurs liés à la gestion ; (iii) l'augmentation du nombre et des types d'actions de restauration ; et (iv) la création d’un grand nombre d’ENPs aux échelles nationale et départementale. À l’époque, la participation des acteurs à la création des ENPs n’étaient pas vraiment habituelle selon certains acteurs de la Bande rhénane :

« Ce n’était pas vraiment l'époque où on demandait l’avis des habitants. Il n'y avait pas vraiment de consultation ou de concertation. L'opportunité s’est présentée et ils l’ont fait » (membre d’une association naturaliste, entretien réalisé en 2020).

Lors de cette même période, en 1992, la loi française sur l’eau a été promulguée. Cette loi a profondément modifié la gestion de l’eau, en reconnaissant que l’eau et les milieux aquatiques associés font partie du patrimoine commun de la nation. Pour mettre en œuvre les principes de cette loi, un outil de planification a été créé: le schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE). Le SAGE vise à élaborer de manière concertée des plans intégrés de gestion de la ressource en eau à l'échelle d'un bassin versant (Allain, 2001).

Enfin, la troisième période (des années 2000 à nos jours) se caractérise par : (i) la création des ENPs de niveau européen et l’attribution de statuts de protection internationale ; (ii) la mise en place de programmes d'action transnationaux promouvant la coopération transfrontalière ; (iii) l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux partenariats pour la gestion et la restauration du territoire hydrosocial rhénan ; et (iv) des actions de restauration de plus en plus nombreuses et ambitieuses.

Parmi les statuts de protection européenne, la Bande rhénane bénéficie du statut de site Ramsar, « Rhin supérieur – Oberrhein », depuis le 5 septembre 2008 en raison de ses milieux très riches et originaux formés de forêts alluviales, de prairies et de zones humides abritant une grande biodiversité (Convention Ramsar, 2008). Cette désignation a apporté un bénéfice direct aux acteurs locaux et a permis aux différents acteurs de mener des actions visant la conservation des zones humides rhénanes. C’est le cas par exemple des communes riveraines qui ont valorisé le label « Zone Ramsar » pour leur promotion touristique (Ministerium für Umwelt, Klima und Energiewirtschaft Baden-Württemberg, 2021). D'autres acteurs ont également utilisé le label pour mener des activités dans le domaine de l'éducation à l'environnement et dans le cadre de projets communs, comme l'indique l'extrait d'entretien suivant :

« On rayonne sur deux parties de l'Allemagne, le Baden Wurtemberg et le Palatinat. (…). On travaille avec la structure équivalente côté Wurtemberg, le “Natur Zentrum de Karbrug” où on intervient ensemble chaque année notamment dans le cadre des journées Ramsar. On invite des classes françaises et des classes allemandes à se rencontrer sur la thématique des zones humides. On s'associe aussi à l'éco-mobile, qui est un bus pédagogique, une sorte de laboratoire mobile pour l'étude des zones humides » (membre d’une association naturaliste, entretien réalisé en 2020).

La reconnaissance de l'importance environnementale des écosystèmes de la Bande rhénane aux niveaux européen et international (via des statuts de protection) a ainsi conduit à la multiplication d’initiatives dans les domaines éducatif et touristique par les acteurs locaux. À l’échelle européenne, on retrouve aussi les programmes de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR), les programmes Interreg qui sont financés par les Fonds européens de développement régional et l'Instrument financier pour l'environnement LIFE. Ces programmes visent à promouvoir la coopération européenne concernant les politiques publiques aux niveaux social, économique et environnemental.

En complément de ces mesures, des acteurs comme le Conservatoire d'espaces naturels (CEN) d'Alsace, la Direction régionale de l'environnement Alsace (DIREN, aujourd'hui DREAL2), l'Office national des forêts, le Réseau associatif régional d'éducation à la nature et à l'environnement en Alsace (ARIENA) et alsace Nature engagent des actions en partenariat visant la restauration de la Bande rhénane. Ces différents partenariats montrent une volonté croissante, de la part des acteurs liés à l'environnement dans la Bande rhénane de travailler de manière collaborative. Il semble cependant qu'il reste encore une marge de progression importante, notamment en termes de partage d'informations et de culture du travail en commun (Weber et Tribillon, 2014).

Il apparaît donc que les programmes d'actions transnationaux qui ont été élaborés pour la Bande rhénane à partir des années 2000 (programmes de la CIPR, Interreg et LIFE) ont progressivement mis en avant la coopération et, plus récemment, la participation de différents acteurs et la gouvernance transfrontalière, à différents niveaux. Des recherches scientifiques ont également préconisé la coopération dans le cadre des restaurations du territoire hydrosocial rhénan, par le biais d'une base de données partagée et d'échanges d'expériences (par exemple, Schmitt et al., 2012). Cependant, la coopération transfrontalière rhénane pourrait se heurter à de nombreuses difficultés, telles que la barrière linguistique et culturelle, la méconnaissance des systèmes de prise de décision, les rapports complexes entre les niveaux local et national et le déficit d'informations et de données à l'échelle transfrontalière (Pradier, 2014). Dans ce contexte, quelles sont les motivations des acteurs de terrain pour mettre en place des processus participatifs et à quelles difficultés sont-ils confrontés ?.

Figure 2. Ligne de temps des évènements majeurs liés à la gestion environnementale de la Bande rhénane.

Cette figure présente les trois périodes de temps proposées et les évènements sont triés par échelle.

Motivations pour la mise en œuvre de processus participatifs dans la Bande rhénane

La participation est actuellement un thème central dans les sphères académiques, politiques et institutionnelles liées à la conservation de la nature et plus particulièrement à la gestion des ressources en eau. Cette tendance n'est pas une exception dans les recommandations institutionnelles pour la gestion environnementale de la Bande rhénane, mais quelles sont les principales motivations des acteurs de terrain pour initier des processus participatifs ?

Certains acteurs de terrain déclarent ne mettre en œuvre des processus participatifs que lorsqu'ils le jugent nécessaire :

« Les projets que nous avons sont régis par un comité de pilotage qui représente l’ensemble des acteurs présents sur le site. C'est avec eux que la concertation s'est faite pour l'instant. La participation plus large dépend des opérations, mais si on n’en a pas besoin, on ne va pas forcément la faire » (maître d’ouvrage, entretien réalisé en 2020).

D'autres acteurs soulignent que la réalisation des processus participatifs dépend des contraintes techniques des projets, qui sont pour eux la priorité :

« Pour ce qui est de la mobilisation citoyenne et de la consultation du public, je dirais que c'est aussi un objectif, mais ce n'est pas le premier sur lequel on a travaillé pour l'instant (..) On fait d'abord parler la technique et après, en fonction des différentes contraintes techniques, on verra ce qui est faisable » (employé d’une institution publique, entretien réalisé en 2020).

Par ailleurs, lorsque divers acteurs sont intégrés dans les processus de décision, par exemple dans la définition des enjeux de gestion, c'est l'acceptation des opérations choisies qui est recherchée. Ainsi, à la question : « quelle place occupe la participation dans vos démarches de gestion/restauration ? » le gestionnaire d’un espace protégé rhénan et l’employé d’une institution publique ont répondu :

« L’adhésion des acteurs est importante, mais pas la participation, c’est-à-dire que c’est le gestionnaire qui est chargé d’identifier les enjeux à partir du diagnostic (…) et à ce niveau-là, il n’y a pas de participation. Après dans les opérations qui sont proposées on va essayer qu’il y ait le plus d’adhésion possible, mais sans forcément faire de la participation. La participation vient une fois le plan de gestion rédigé » (gestionnaire d’un espace naturel protégé rhénan, entretien réalisé en 2019).

« L’idée d’associer toutes les personnes c’est pour éviter un blocage du projet de la part de quelqu’un qui n’avait pas été identifié et qui va s’y opposer. L’idée est quand même d’aboutir » (employé d’une institution publique, entretien réalisé en 2020).

Ensuite, aux questions « qu’est-ce que « l’adhésion » pour vous ? » et « quel processus utilisez-vous pour faire adhérer les acteurs à votre gestion ? » le gestionnaire d’un espace protégé rhénan a répondu :

« C’est l’acceptation, c’est-à-dire que le projet soit compris, que les enjeux soient connus, c’est ça pour moi (…). Il n’y a pas vraiment de processus spécifique, mais ça passe dans le comité par les discussions, mais il n’y a pas forcément d’outils supplémentaires qui sont mis en place » (gestionnaire d’un ENP, entretien réalisé en 2019).

Le concept d’« acceptation » qui signifie une approbation des mesures au point de les défendre (Depraz, 2005) est utilisé dans le cadre des ENPs depuis les années 1990.

Selon Depraz et Laslaz (2017), au sein des ENPs, il existe différents degrés d’acceptation sociale et toute absence de rejet ne peut pas être considérée comme une adhésion (figure 3). De plus, une attitude passive peut refléter davantage une tolérance, c’est-à-dire une résignation aux mesures, qu’une adhésion, qui est un processus actif incluant une implication personnelle (Depraz et Laslaz, 2017). Malgré ces différences entre les divers degrés d’acceptation sociale, l’extrait d’entretien ci-dessus montre que certains acteurs ne font pas de distinction entre ces degrés.

Figure 3 - L’échelle de l’acceptation sociale.

Source : Depraz et Laslaz, 2017 (traduit par l’auteure).

Les différents entretiens menés auprès de multiples parties prenantes impliquées dans les actions de gestion du territoire hydrosocial de la Bande rhénane française montrent que les processus participatifs se font principalement dans l’optique d’éviter les « blocages » des projets. Ce type de motivation révèle une certaine tendance à instrumentaliser la participation3, qui est parfaitement ressentie par certains acteurs comme le montre l’extrait d’entretien suivant :

« Souvent on est sollicité pour faire partie des comités de suivi des travaux (…) Après on peut parler de la manière dont on est associé et de l’efficacité, mais en général on participe aux travaux (…). Notre rôle n'est pas forcément d'être décisifs sur les projets, quelques fois on est associés à des travaux, mais on n'est pas associé assez tôt (…) pour pouvoir donner un avis sur le projet. Par exemple, on peut être associés en phase de travaux, mais pas associés en phase d’élaboration des projets. Ce qui est un peu dommage parce que ce sont des moments où il est intéressant de partager aussi. (…) Sur un projet qui peut avoir des impacts sur [l’ENP], mais on n’a pas du tout suivi ce qui se faisait, on a été associés uniquement aux réunions de travail sur le terrain, mais ça n’a aucun intérêt parce qu’une fois que les travaux sont partis, si on n’est pas d’accord sur ce qui se fait c’est trop tard. (…) C’est une association des acteurs, mais une association un peu « light » quand même. On a l’impression que c’est juste pour dire qu’on associe les autres. Mais on ne les associe pas vraiment sur le fond du projet » (Gestionnaire d’un ENP, entretien réalisé en 2020).

L’instrumentalisation des démarches participatives pourrait conduire à une perte d’intérêt pour les processus participatifs, voire à une perte de légitimité des processus. En effet, l’une des sources de légitimité du processus se situe dans la confiance qu’accordent les acteurs aux institutions et dans les procédures qu’elles mettent en place (Weber, 2004 [1919], cité par Arpin et Cosson, 2021).

Difficultés dans la mise en place des processus participatifs dans les espaces naturels protégés de la Bande rhénane française

Le manque d'intégration des parties prenantes au début et tout au long du processus de prise de décision a été identifié dans la littérature scientifique comme l'un des facteurs limitant les bénéfices de la participation aux actions de conservation (Reed, 2008 ; Kovács et al., 2017 ; Álvarez Fernández et al., 2020a). En effet, sans une intégration dès le début du processus, il n'est pas possible de garantir que les parties prenantes perçoivent l'existence de véritables alternatives (Kovács et al., 2017), ce qui pourrait limiter la participation active. De plus, sans une intégration tout au long du processus, les contributions des participants, notamment à l'identification des menaces, à la proposition de mesures plus réalistes et à des objectifs plus clairs, sont limitées (Álvarez Fernández et al., 2020a). L'association des parties prenantes liées à la gestion/restauration du territoire hydrosocial rhénan lors de la phase de mise en œuvre d'actions, et non dans la phase de prise de décision, est donc susceptible de limiter la portée de la participation, ce qui peut nuire aux actions de gestion/restauration elles-mêmes.

Outre le fait que les parties prenantes ne sont impliquées qu'à certaines étapes des projets, un deuxième problème lié à la participation a été identifié lors des entretiens : dans certains projets, l’identification initiale des parties prenantes était incomplète, ce qui peut augmenter la durée des processus et poser des problèmes d’organisation :

« On s'entend assez bien avec l’animateur Natura 2000. En premier lieu on s’est rendu sur place avec lui pour faire l’état des lieux, le relevé topographique, et ensuite on a consulté un peu tous les acteurs du site, propriétaires, gestionnaires ou utilisateurs, et on a discuté avec eux de ce qui serait envisageable, de ce qu’on pourrait faire. Cela a pris beaucoup de temps parce qu’au fur et à mesure des réunions il y a des acteurs qui s’ajoutent (…), à chaque fois il fallait reprendre de zéro pour tout réexpliquer » (membre d’une association environnementale, entretien réalisé en 2020).

Comme l'explique cet extrait d'entretien, le problème concernant l'identification et l'implication des parties prenantes est également lié au facteur temporel. En effet, la mise en place des processus participatifs peut conduire à une augmentation du temps consacré aux processus d'élaboration et de mise en œuvre des actions (Paletto et al., 2015). Cette contrainte peut être perçue par certains acteurs comme une perte de temps. Cela ressort également dans l'extrait d'entretien suivant :

« Ça reste une bonne expérience de rencontrer tout le monde et d’avoir entendu tout le monde (…). C’était vraiment une bonne expérience à refaire. Après, effectivement, je maintiens que quand il y a beaucoup d'acteurs (…), le principal point négatif est vraiment la perte de temps » (membre d’association environnementale, entretien réalisé en 2020).

Pour faire face à cette contrainte temporelle, certains décideurs réduisent le nombre d'acteurs impliqués, favorisant ainsi la rapidité du processus, comme le montre l’extrait d’entretien suivant :

« Il y a des acteurs que j'aurais plus associés parce que c'était prévu par arrêté préfectoral, mais il y a une volonté d’aller assez vite » (employé d’une institution publique, entretien réalisé en 2020).

Par ailleurs, l'identification des parties prenantes impliquées dans les projets de gestion du territoire hydrosocial rhénan semble parfois être un sujet sensible dont les acteurs institutionnels n’ont pas envie de parler. En effet, à la question : « Savez-vous si pour ce projet cette identification d'acteurs a été faite en préalable ? » les personnes interviewées préfèrent souvent ne pas répondre.

Conclusion

L'enquête menée auprès des acteurs de terrain de la gestion de la Bande rhénane met en exergue certaines difficultés concernant l'identification et l'implication des parties prenantes dans les projets de gestion environnementale. Le manque d'identification claire des acteurs dès la première étape du processus et la non-intégration de certains acteurs mettent en évidence des problèmes de représentativité et peuvent avoir un impact négatif sur le choix des stratégies et des mesures mises en place (Allen et al., 2019 ; Hassenforder et al., 2020). Cette situation peut conduire à une diminution de la compréhension des enjeux, à des décisions moins adaptées, à une baisse de la légitimité du processus et donc à une potentielle diminution de l'adhésion aux processus participatifs. Par conséquent, la clarté du processus (concernant ses objectifs et l'influence des parties impliquées) est essentielle pour accroître la confiance des personnes impliquées et la légitimité de la prise de décision concernant la protection et la restauration de la Bande rhénane française.

Par ailleurs, des approches participatives innovantes, adaptées au contexte de la bande rhénane et conçues pour éviter les effets potentiellement négatifs de la participation, tels que l'augmentation des délais et des coûts des démarches, pourraient être testées par les acteurs en charge de la gestion et de la restauration, afin de renforcer la participation des parties prenantes. C'est notamment le cas de la « participation contre-argumentative »4, qui a déjà été testée avec succès en 2021 dans la Réserve naturelle nationale du Delta de la Sauer (Osorio 2022a ; Osorio, 2022b). L'étape suivante, pour valider la pertinence de cette approche dans la gestion des territoire hydrosociaux, serait de la tester sur d'autres terrains, afin de confronter ces premiers résultats à de nouvelles configurations et d'enrichir cette proposition.

Cette première analyse de la participation au sein de la Bande rhénane présente une analyse globale des programmes et dispositifs mis en place sur ce territoire. De futures études (qualitatives et quantitatives) pourraient se concentrer sur une analyse détaillée d'initiatives locales telles que le Plan Rhin Vivant (2019-2025), en étudiant la place de la participation dans ces initiatives, ainsi que les éventuelles difficultés de mise en œuvre, les bénéfices potentiels et les leçons à apprendre de ce type d'initiative.

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Photo d’entête : © JeanPierre – Adobe Stock.

Notes

  • Dans le contexte des espaces protégés, la formule « réserve de facto » est utilisée pour désigner les zones qui sont protégées de l'impact des activités anthropiques pour diverses raisons, telles que leur inaccessibilité, mais qui ne sont pas légalement désignées comme des ENPs (Joppa et al., 2008 ; Andrew et al., 2012 ; Farsac et al., 2013).
  • Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.
  • Utz (2017) définit la perspective instrumentale de la participation de la manière suivante : « La perspective est instrumentale lorsque la participation est mise en place dans l’optique de favoriser l’acceptation par le public. Elle constitue un moyen qui permet de faire aboutir une décision et doit contribuer à faire adhérer les opposants et à minimiser les conflits et les controverses. Il s’agit donc d’un outil visant à renforcer une position et qui n’a pas pour objectif de développer la relation entre les acteurs et les décideurs (Boonstra et Boelens, 2011). Cette perspective instrumentale se traduit généralement par une participation limitée aux acteurs institutionnels et proposant essentiellement des démarches informatives pour le public (Buletti et al., 2014) ».
  • Cette approche participative fait référence à un « processus rigoureusement organisé dans lequel les différentes parties prenantes influencent la prise de décision en exprimant des critiques et des contre-arguments à l’endroit du gestionnaire » (Osorio, 2022b).

Références

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  • Depraz, S. (2005). Le concept d'« Akzeptanz » et son utilité en géographie sociale: Exemple de l'acceptation locale des parcs nationaux allemands. L’Espace géographique, 34(1), 1-16. doi:10.3917/eg.341.01
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Résumé

La participation est à l’heure actuelle, un sujet central, voire un impératif, dans les sphères académiques, politiques et institutionnelles liées à la conservation de la nature et, plus spécifiquement, à la gestion des territoires hydrosociaux. Cet article examine la place de la participation dans le territoire hydrosocial de la Bande rhénane française, à partir d'une analyse des approches et des dispositifs utilisés pour mettre en œuvre des processus participatifs sur ce territoire. Pour ce faire, les documents de gestion ont été examinés et des entretiens semi-directifs ont été menés auprès des acteurs impliqués dans la gestion de ce territoire. Les résultats montrent que, bien que les programmes de gestion au niveau de la Bande rhénane et au niveau européen promeuvent la participation, celle-ci n'est pas pleinement intégrée dans la pratique par les acteurs de terrain. En effet, il y a très peu de démarches qui intègrent les différentes parties prenantes, et la plupart d'entre elles ne garantissent pas que les parties prenantes aient une influence sur la prise de décision. De plus, les approches dites « participatives » sont principalement adoptées dans le but d'éviter le « blocage » des projets, révélant ainsi une tendance à instrumentaliser la participation. Enfin, certaines démarches incluent les parties prenantes mais seulement dans la phase de mise en œuvre des actions et non pas dans les phases de prise de décision, ce qui peut conduire à une faible compréhension des enjeux et des décisions moins adaptées au contexte rhénan. À partir d'une identification des principales difficultés rencontrées par les acteurs de terrain en matière de participation, des pistes seront proposées pour la mise en œuvre de processus participatifs dans le contexte rhénan et plus largement dans les territoires hydrosociaux.

Auteurs


Angela OSORIO

angela.z.osorio@gmail.com

https://orcid.org/0000-0001-6377-7579

Affiliation : ICSH, Université de Caldas (Colombie) et laboratoire LIVE, Université de Strasbourg, 67000 Strasbourg

Pays : France

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