Le littoral de la commune de Kafountine, espace de cohabitation difficile pour le tourisme balnéaire : étude de l’axe Abéné-Kafountine
Chapeau
Les littoraux concentrent diverses activités socio-économiques souvent difficiles à concilier. Cet article explore l'impact de l'occupation désordonnée des zones côtières sur le tourisme balnéaire, en se concentrant sur le littoral de l'axe Abéné-Kafountine au sud du Sénégal. À travers une cartographie des activités et des enquêtes qualitatives, il révèle une occupation anarchique entraînant insalubrité et conflits d'utilisation. L'étude propose des solutions pour une gestion plus durable et concertée de ces espaces.
Introduction
Sur le littoral du Sénégal, le développement du tourisme avec l’installation progressive de plusieurs infrastructures d’hébergement sur les stations balnéaires donne lieu à l’émergence d’une nouvelle activité économique dominée entièrement par l’hôtellerie (Diallo, 2019). L’émergence de cette nouvelle activité vient concurrencer la pêche et l’agriculture et génère des conflits d’usage et des litiges fonciers (Sène et Diémé, 2018).
Au regard du développement de la pêche, il arrive que les déchets ou les produits halieutiques non désirés et laissés sur l'estran du quai en marée basse soient emportés par les vagues au retour de la marée, puis transportés vers les plages où se baignent les touristes. Cette proximité est parfois source de conflits (Thior et al., 2021). Ces conflits sont liés en partie à une gestion sectorielle du littoral.
Ce constat nous a poussé à émettre diverses interrogations concernant plus particulièrement l’axe Abéné-Kafountine, dans le sud du Sénégal. Quels types d’activités se concentrent sur son littoral ? N’entraînent-elles pas la naissance de pratiques interdites et d’occupations anarchiques ou incontrôlées ? Le littoral bénéficie-t-il d’une bonne coordination entre les différents acteurs ? Quelles sont les conséquences de la cohabitation de différentes activités socio-économiques sur le littoral ? Ces conséquences ne seraient-elles pas pénalisantes pour le tourisme littoral ? Dans l’affirmative, quelles sont les principales contraintes pour ce secteur ? Comment les acteurs appréhendent-ils cette cohabitation ?
Pour répondre à ces interrogations, nous avons adopté divers outils et méthodes sur le littoral de l’axe Abéné-Kafountine.
Présentation de la zone d’étude
La commune de Kafountine est située au sud du Sénégal, dans la région de Ziguinchor, plus précisément dans la zone nord-ouest du département de Bignona. La commune se trouve à l’ouest de la Basse Casamance (figure 1).
Cette position géographique confère à la commune une importante richesse hydro-océanique propice au développement du tourisme balnéaire et du tourisme de découverte. Elle compte dix-neuf villages parmi lesquels quatorze sont des îles et cinq sont situés dans la partie continentale. Cette étude porte sur la partie continentale de la commune, plus particulièrement sur les trois localités qui ont une ouverture sur l’océan Atlantique (Abéné, Diannah et Kafountine). Elles concentrent la quasi-totalité des infrastructures d’hébergement. Les études de Bocoum (2018) montrent au total cinquante-trois structures d’hébergement (campements et hôtels) inégalement répartis dans la zone. Le village d’Abéné en concentre vingt-sept, Kafountine vingt-deux et Diannah quatre.
Figure 1. Localisation de la commune de Kafountine.
Matériels et méthodes
La méthodologie utilisée comporte un guide d’entretien adressé à des personnes ressources (hôteliers, touristes, femmes transformatrices de produits halieutiques, et guides touristiques) dans la commune de Kafountine. Nous avons effectué plusieurs déplacements sur le terrain qui nous ont permis de faire des observations participantes et de prendre des photos illustratives.
Nous avons réalisé la collecte de données cartographiques à partir d’un GPS. L’objectif de ce travail de terrain est de réaliser la cartographie de l’occupation du littoral et faire un zoom sur les quais de pêche qui concentrent différentes activités d’une grande importance pour le développement local. Ce travail nous permettra d’analyser l’occupation du littoral de l’axe Abéné-Kafountine et les conflits d’usage à travers divers types d’usages et de pratiques et de voir les éventuelles répercussions sur le tourisme. Après la collecte, nous avons utilisé Excel pour le prétraitement des données avant de réaliser la cartographie sur le logiciel ArcGis. Cette méthodologie nous a permis d’obtenir des résultats que nous allons analyser.
Résultats
Occupation du sol de la zone d’étude
Pour étudier l’occupation du littoral de la commune de Kafountine allant de la localité d’Abéné à Kafountine, nous avons découpé la zone en trois. Ce choix s’explique par l’éloignement des différentes localités et aussi par une occupation différente de l’espace côtier. Dans ce cadre, nous allons analyser l’occupation du littoral de Kafountine, d’Abéné et de Diannah.
Occupation du littoral de la localité de Kafountine
Kafountine reste l’une des localités les plus convoitées de la région. Cette convoitise est favorisée par son quai de pêche qui est le plus important dans la région et le deuxième au niveau national après Cayar. En outre, son tourisme balnéaire joue aussi un rôle important dans la dynamique économique de la commune. Son littoral est fréquenté par des acteurs qui s’investissent dans diverses activités économiques. Cet espace concentre des installations touristiques, des bâtis et d’autres activités économiques (pêche, transformation de produits halieutiques, commerce, etc.). Nous avons réalisé une cartographie pour analyser l’occupation du littoral et les conflits d’usage qui en découlent (figure 2).
Figure 2. Occupation du littoral de la localité de Kafountine.
L’occupation du littoral de la localité de Kafountine est essentiellement composée d’aménagements touristiques et du quai de pêche qui renferme différents sous-secteurs. L’observation de la figure 2 permet de voir que le quai de pêche a une position centrale et sépare en deux les aménagements touristiques. Il cohabite avec des campements, dont les plus proches sont La Nature, Sonkobantang et Mama Maria.
Installé en 2009, le quai de pêche de Kafountine repose sur une aire d’influence estimée à 29,88 ha (relevé de terrain à partir d’un GPS). La création de ce quai a permis de valoriser les produits halieutiques à travers la transformation et de minimiser les gaspillages. D’après le chef de service de pêche, « Près de quatre mille personnes travaillent dans le secteur de la transformation des produits halieutiques. Étant très dynamique, il consomme plus de la moitié des produits débarqués au quai de pêche ». (Entretien personnes ressources ; Bocoum, 2021).
Le quai de pêche de Kafountine est composé d’une première zone alimentant tout le site : la zone de débarquement des pirogues (zone vert émeraude, figure 2). Cette zone concentre plus de trois cents pirogues, les unes stationnées sur la plage et les autres dans l’eau. Derrière les pirogues, sous les arbres de filaos, se trouve une zone dédiée à la fabrication ou réparation des pirogues et des filets de pêches. Deux autres zones industrielles permettent aux acteurs d’assurer la conservation de produits frais (zone orange, figure 2).
Au nord du quai de pêche, nous avons la zone de séchage de poissons (zone jaune figure 2). Le quai abrite une zone industrielle composée d’usines de glace pour la conservation des produits destinés au transport. Au nord et au sud, nous retrouvons des sites de séchage et de salage de poisson (zone jaune, figure 2). Cette zone est essentiellement composée de claies en bois pour exposer les produits transformés au soleil. Les étalages sont aménagés de façon parallèle mais désorganisés. Ils occupent toutes les aires vides et sont installés à proximité des fumoirs. Ainsi, elles permettent le séchage des produits (fumés ou salés). Cette activité est très importante dans ce quai et elle occupe la plus grande partie du site comparée aux autres compartiments.
Les fumoirs sont essentiellement localisés vers le sud du quai de pêche de Kafountine (zone marron, figure 2). Cette activité, autrefois pratiquée par la population locale, s’est développée peu à peu. Aujourd’hui, on rencontre dans la localité plusieurs propriétaires de fumoirs de nationalités différentes : Sénégalais, Burkinabés, Guinéens, Nigériens, Maliens, Ivoiriens, Ghanéens, Gambiens, etc. Ces arrivées massives de population ont participé à l'augmentation de l’occupation des espaces du quai. Elles apportent ainsi un savoir-faire et une main d’œuvre professionnelle et abondante. Depuis lors, l’activité de la transformation par fumage a favorisé un boom démographique dans la commune et une hausse du chiffre d'affaires pour certains ménages même si les fumoirs polluent beaucoup. Sur ce site, on retrouve des tas de bois sur la route ou derrière les fumoirs (planche de photos 1). Ces fumoirs de type artisanal consomment beaucoup de bois et dégagent énormément de fumée.
Photo 1. Tas de bois devant les fumoirs de poissons au Quai de Pêche de Kafountine.
Source : Bocoum (février 2022).
Nous avons également une importante zone de chargement qui accueille quotidiennement plusieurs dizaines de camions (planche de photos 2). Cette zone représente le noyau de la filière transformation car elle permet aux transporteurs de relier les zones de production, les lieux de commercialisation et de consommation.
Photo 2. Zone de chargement de produits transformés au Quai de Kafountine.
Source : en haut : Bocoum (janvier, 2021) ; en bas : Bocoum (février 2022).
Il y a deux zones de chargement, l’une pour les produits frais et l’autre, pour les produits transformés. Beaucoup de jeunes s’activent dans le chargement de ces gros porteurs. De plus, le quai abrite une importante zone commerciale qui concentre des boutiques, des magasins, des stations de carburants, des services et de petites tables de commerces.
Au-delà du quai de pêche de Kafountine qui occupe un espace vaste, nous avons des aménagements touristiques le long du littoral (zone rouge, figure 2). Il s’agit de campements, d’auberges, de cabanes, de résidences et de restaurants-bars. Kafountine compte une importante concentration d'infrastructures sur le littoral. Ces dernières cohabitent avec les activités pratiquées au Quai de Pêche de Kafountine. Après ces aménagements touristiques, nous avons l’habitat et la forêt (zone violette et zone vert sapin, figure 2). Le phénomène d’urbanisation a fait reculer la végétation, même si elle reste, toutefois, toujours importante dans cette localité. Entre les aménagements touristiques et les maisons, nous avons de petites forêts avec une absence totale d'éclairage publique. Sur cette carte réalisée sur la zone du littoral, l’habitat occupe 346,18 ha (figure 2).
Occupation du sol du littoral de la localité d’Abéné
Comme le littoral de la localité de Kafountine, celui d’Abéné est devenu une base pour différentes activités économiques qui partagent l’occupation du littoral. L’occupation du littoral concerne en grande partie des structures d’hébergement et de restauration, surtout sur l’axe allant du campement le Kossey au campement Atlantic (figure 3). Abéné dispose également d’un quai de pêche qui est le deuxième au niveau de la région après celui de Kafountine (figure 3). En outre, son tourisme balnéaire, mais aussi culturel, joue un rôle important dans le développement local. Son littoral est fréquenté par des acteurs qui s’investissent dans divers secteurs économiques.
La figure 3 montre une occupation diverse de l’occupation de l’espace du littoral. Le quai de pêche d’Abéné et les aménagements touristiques occupent la partie qui se situe vers l’océan. Le quai de pêche d’Abéné comme celui de Kafountine se trouve au milieu et partage les aménagements touristiques en deux. Il est moins important en termes d’espace et d’acteurs que celui cité précédemment, mais il constitue un élément essentiel du développement local.
Figure 3. Occupation du littoral de la localité d'Abéné.
Le quai de pêche d’Abéné couvre une superficie de 3,02 ha. Il est composé d'aires de débarquement. Il enregistre une cinquantaine de pirogues stationnées sur la plage et sur l’eau. Avec l’encombrement du quai de pêche de Kafountine, beaucoup de pêcheurs commencent à s’orienter vers le quai de pêche d’Abéné. Derrière ces pirogues se trouvent les ateliers de fabrication et de réparation de filets de pêche. Le développement de la pêche a permis simultanément le développement de l’activité de transformation de produits halieutiques. Cette transformation concerne essentiellement le séchage et le salage de poisson. En revanche, le fumage de poisson n’est pas pratiqué dans ce quai. Sur ce site, une bonne partie est occupée par des claies de séchage de poissons.
Nous rencontrons aussi une zone commerciale et une zone occupée par des cabanes de restaurants qui permettent de répondre aux besoins des visiteurs de la station balnéaire. Nous avons également quelques entrepôts de stockage et une usine chinoise.
Cette station balnéaire d’Abéné concentre beaucoup de campements touristiques qui se situent à quelques mètres de l’océan. Nous avons également quelques résidences secondaires. La petite zone forestière, qui sépare la zone côtière et le village, se dégrade petit à petit face à la pression foncière. La distance qui sépare la zone côtière du village est importante et le déplacement est assuré par des taxis motos. Il y a donc une séparation entre la zone d’habitation et la zone résidentielle ou d’hébergement même si on rencontre quelques campements dans le village.
Le tourisme balnéaire repose également sur l’Aire Marine Protégée d’Abéné, située à cheval entre les communes de Kafountine et de Kataba, sur une façade littorale de près de 20 km. Cette zone d’une superficie de 119 km² se répartit en deux territoires distincts : une partie marine et une partie terrestre qui englobe la mangrove littorale des petits estuaires.
Occupation du sol du littoral de la localité de Diannah
Nous avons réalisé la carte d’occupation du sol du littoral de la localité de Diannah afin de la comparer à celle d’Abéné et Kafountine (figure 4). La plage de Diannah attire de plus en plus de touristes du fait qu’elle n’est pas encombrée et qu’elle offre un environnement calme pour la baignade. À quelques mètres de l’eau, nous retrouvons quelques installations touristiques dans la verdure. Nous constatons une quasi-absence de conflits d’usage sur cette plage car elle n’accueille pas d’autres types d’activités économiques.
L'observation de la figure 4 montre que la zone côtière de Diannah est moins affectée par l'artificialisation. Quelques campements longent la côte, mais la zone reste clairement dominée par la végétation et l’activité agricole (zones verte et rouge, figure 4). La végétation que nous avons digitalisée sur cette carte couvre 446,43 ha et la zone agricole 248,14 ha. Cette zone est devenue la nouvelle orientation pour la baignade du fait de la tranquillité et de la qualité de la plage. Elle est très éloignée du village ; on ne note quasiment pas d’habitation (zone violette, figure 4). La plage, vaste et propre, est moins affectée par l’érosion côtière comparée à Kafountine et à Abéné. On note également la présence de mangrove vers Diannah bolong.
Le morcellement et l’imbrication des différentes activités socio-économiques, décrits par l’analyse cartographique des différentes zones étudiées nous permet de mieux comprendre, les répercussions des conflits d’usage sur le tourisme littoral.
Figure 4. Occupation du littoral de la localité de Diannah.
Le littoral, espace de cohabitation difficile pour le tourisme balnéaire
Dans des zones denses en activités comme la localité de Kafountine, et dans une moindre mesure la localité d’Abéné, l’insalubrité de la plage est clairement perceptible contrairement aux zones moins denses comme la localité de Diannah qui bénéficie d’une plage salubre. Cette insalubrité se justifie par plusieurs facteurs conjugués, en l’occurrence la présence de deux quais de pêche et des activités qu’ils génèrent.
Prolifération de déchets sur la plage
L’impact de l’insalubrité de la plage dans l’axe Abéné-Kafountine est une question cruciale pour le développement du tourisme. Cette situation est encouragée par l’absence de points de dépôts d’ordures ou de collectes régulières de poubelles. De ce fait, certains se rassemblent et brûlent les déchets (ce qui dégage beaucoup de fumée) et d’autres laissent tout derrière eux, sachant que la plupart des déchets qui sont produits ne peuvent pas être brûlés. Ces éléments cumulés génèrent par endroit beaucoup de mouches et d’odeurs désagréables. D’après le chef d'antenne touristique de Kafountine : « On sent les odeurs par endroit, mais dans les zones où il y a beaucoup d'activités indépendantes, la situation est plus récurrente et cela s’explique pour un problème d’organisation et de savoir-vivre de certains travailleurs » (Entretien acteurs touristiques ; Bocoum, 2021).
Un autre problème concerne les canaux d'évacuation des eaux usées à ciel ouvert, qui relient les zones de chargement des camions ou les zones de transformation des produits halieutiques à l’océan. Ces canaux sont souvent utilisés comme dépotoir d’ordures. On y observe beaucoup de déchets plastiques et de déchets halieutiques. En outre, plusieurs canaux de ce genre évacuent des eaux très sales et nauséabondes vers l’océan. D’après le gérant du campement La Nature qui jouxte le quai de pêche de Kafountine : « Quelquefois on se baigne et quand on sort de l’eau on sent des odeurs sur nous. C’est une situation que beaucoup de touristes ont décrit et voilà maintenant on ne voit plus de touristes qui se baignent dans cette zone. Cette situation fait mal aux propriétaires qui sont sur cette zone car ils ont leurs structures ouvertes avec des employés et des taxes à payer mais ils ne reçoivent plus de clients. Nous avons rencontré les autorités locales à plusieurs reprises mais rien n’a changé, maintenant on fait qu’observer désespérément la situation ». (Entretien personnes ressources ; Bocoum, 2021).
Par endroit, il y a beaucoup de poissons ou de déchets versés sur la côte : intestins de poissons, écailles ou eaux usées liés aux intenses activités sur cette zone. Cette situation joue négativement sur la promotion touristique et n'encourage pas les touristes à camper sur la plage.
Problème lié à la fumée et à l’encombrement du littoral
La transformation de produits halieutiques par le fumage est une activité très pratiquée à Kafountine et Abéné avec le développement de l’activité de pêche. Ils sont construits de manière traditionnelle et consomment beaucoup de bois. Cette activité de fumage artisanal dégage beaucoup de chaleur et de fumée. Il est facile de voir de loin la fumée qui se dégage chaque jour sur ce site. D’après la responsable du Campement Bendoula : « Cette source de pollution perturbe les touristes surtout ceux qui ne sont pas habitués par cette situation et est très dangereuse. De plus, la route principale qui passe près de ce site est en permanence occupée par des charrettes, motos, camions qui approvisionnent les acteurs en bois. Il n’y a pas de contrôle strict, le bois est déversé sur la route et les touristes perdent beaucoup de temps avant d’accéder aux campements ou aux résidences ». (Entretien responsable d’hébergement ; Bocoum, 2021).
Cette situation a entraîné la fermeture de certains campements touristiques, comme ce fut le cas d’un campement situé au sud du quai de pêche de Kafountine. Après plusieurs années d’accueil de touristes, le campement a du changé de vocation à cause des nuisances et abrite dorénavant des fumoirs de poissons.
La planche de photo 3, prise au quai de pêche de Kafountine, montre l'importance de la fumée qui se propage chaque soir sur la zone. À côté de cette situation, nous pouvons également mentionner les tas de bois sur les routes, les pirogues devant les campements qui gênent l’accessibilité et créent des encombrements. Au quai de pêche de Kafountine, ces bois sont déchargés et empilés sur la seule voie qui traverse le site et le sépare en deux afin de rallier les campements.
Photo 3. Dégagement d'importante fumée dans les zones de fumage de poisson au quai de pêche de Kafountine.
Source : Bocoum (février 2022).
L'observation de la planche de photos 4 montre une quantité importante de bois qui est déchargée sur cette route destinée à alimenter les fumoirs de poissons. D’après la responsable du campement Kassoumay Ressort, « Cette voie qui nous rallie au village est toujours encombrée à cause d’un problème d’organisation. Les gens se garent n’importe où et déchargent d’importantes quantités de bois sur la route. Personne n’essaye de penser à l’autre et chacun fait son activité comme s’il était seul sur la zone. Il y a beaucoup de touristes qui ont déploré cette situation et nous également acteurs on s’est mobilisé et rencontré les élus pour qu’ils essayent de réglementer cette occupation illégale sur cette route. Il nous arrive avec les touristes de faire en voiture plus d’une heure juste dans le quai de pêche à cause des camions qui stationnent où des bois sur la route. Imaginez un touriste qui fait des kilomètres pour venir se reposer et arriver à ce niveau à être coincé pendant plusieurs dizaines de minutes dans un espace où il y a beaucoup de fumée et d’odeur, vous pensez que ce dernier reviendra ici ou recommandera ces lieux touristiques ? ». (Entretien responsable d’hébergement ; Bocoum, 2021).
Photo 4. Tas de bois et encombrement de la route qui mène vers les campements et résidences.
Source : Bocoum (février 2022).
Ces bois empilés et coupés sur place laissent de petits morceaux que les acteurs ne prennent pas le soin de ramasser, ce qui peut également causer des soucis d’insécurité pour ceux qui se déplacent à pied mais aussi en voiture, moto ou vélo (risque de crevaison).
Au-delà des encombrements causés par l'accumulation de bois sur la route, l’encombrement des pirogues sur le littoral gênent également l’accessibilité de la plage. Ce cas est noté à Kafountine devant les campements : La Nature, Sonkobantang, Mama Maria) à Abéné (Campement Baobab, Campement Le Kossey). Il est également important de préciser que ces zones sont sévèrement frappées par l’érosion côtière ce qui fait qu’on note la présence de beaucoup de pirogues dans l’océan. De même, d’autres occupent la devanture des campements empêchant une vue vers l’océan et l’accessibilité à la plage. Cette situation entraîne de vives tensions entre les pêcheurs et les responsables d'hébergement. Le responsable du campement Sonkobantang s’est prononcé sur cette question : « Comme vous pouvez le constater on n’a plus une facilité d'accès à la plage même si nous sommes à quelques mètres de celle-ci. Les pêcheurs ont occupé progressivement la devanture de nos campements, nos clients ne peuvent plus se baigner devant les campements, ils sont obligés de se déplacer vers le campement Sitokoto. Le fait que nos propres clients se déplacent pour aller se baigner ou trouver une tranquillité ailleurs n’est pas bien pour nos activités car notre restaurant et bar ne fonctionnera plus comme avant et c’est le cas déjà car le touriste ne va pas aller se baigner ailleurs pour une journée et opter de revenir à midi pour manger où chercher à boire. Le touriste préfère tout avoir à ses côtés. Je ne sais pas comment t’expliquer combien nous avons souffert de cette cohabitation et nous avons dénoncé partout mais rien à changer et je pense que tu n'as pas besoin qu’on t’explique les dégâts tu as tout en face de toi » (Entretien responsable d’hébergement ; Bocoum, 2021).
L’occupation de la devanture des campements sur la plage par des pirogues engendre non seulement une insalubrité avec des poissons et des filets de pêche sur la plage mais un problème de sécurité pour les touristes.
Vers l’adoption d’un zonage pour la gestion durable du littoral
La concentration de différentes activités sur le littoral mériterait d’être accompagnée d’un bon aménagement à travers un zonage réglementaire afin de permettre à chaque secteur de se développer convenablement sans compromettre l’épanouissement des autres. Autrement dit, il s’agirait dans ce cadre d’organiser le littoral en corrigeant les erreurs d’aménagement du territoire qui existent depuis longtemps. Cette solution pourrait régler le problème d’insalubrité car chaque zone serait responsable de la propreté de son espace. Le tourisme balnéaire est un pilier important du secteur touristique des deux communes, offrant une plage propice à la détente des touristes. Par conséquent, maintenir la propreté de cette zone est essentiel pour favoriser le développement du secteur. Pour réaliser l’assainissement de cette zone, il est impératif de promouvoir une gestion collective. D’après nos constats, les gestions sur la zone sont typiquement sectorielles et celles-ci ont des limites du fait que chacun met en avant son activité.
Le littoral de Kafountine et celui d'Abéné sont tous deux confrontés à une densité d'activités et de populations, tandis que la localité de Diannah est moins développée en termes d'infrastructures et dispose de nombreux espaces vacants. De plus, cette zone est moins touchée par l'érosion côtière en raison de la faible densité d'installations sur la côte. Dans cette optique, il serait judicieux de rediriger les activités balnéaires vers cette zone qui offre une côte vierge et préservée. Des aménagements souples comme la construction de cabanes en rôniers de palmiers pourrait être envisagées. Cette solution aiderait à atténuer les conflits d'usage et à faire de Kafountine la principale zone d'activités (pêche et transformation des produits halieutiques), tandis qu'Abéné deviendrait une zone de protection partielle d’espace (AMP). Par ailleurs, Abéné et Kafountine pourraient également être des destinations touristiques secondaires (figure 5).
Figure 5. Vers un zonage du littoral de la commune de Kafountine (axe Abéné-Kafountine).
Cette cartographie sert de repère pour lutter contre l’occupation anarchique du littoral mais aussi pour promouvoir une gestion durable de cette zone. Elle pourrait être une bonne méthode pour une efficience du développement local en permettant à chaque activité de s’implanter dans une zone spécifique. Bien que les conséquences à court terme puissent être importantes, il est impératif de repenser l'aménagement du littoral pour faire face aux conflits d'usage et à l'érosion côtière, surtout dans les communes qui manquent de ressources pour des projets de gestion d'envergure.
Aujourd'hui, la gestion de la zone côtière se trouve confrontée à des défis majeurs tels que le phénomène de l'érosion côtière entre autres qui, par les modifications lentes ou brutales qu'il occasionne, constitue une grande contrainte pour son aménagement (Sagne et al., 2020). Ainsi, toutes propositions d'aménagement devraient donc s'appuyer sur une connaissance solide des mécanismes qui règlent cette dynamique en tenant compte des potentiels risques et dommages aux grands enjeux de développement actuel sur ces littoraux. Le préalable pour la gestion efficace de cet environnement complexe implique une connaissance approfondie de son système de fonctionnement (Ndour, 2013).
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Photo d’entête : © Travel Nerd – Adobe Stock.
Références
- Bocoum, S. (2018). Tourisme et contraintes dans la commune de Kafountine (Basse Casamance). Mémoire de master 2 en géographie UASZ, 142 p.
- Diallo, A. (2019). Développement du tourisme et Croissance urbaine. Cas de la station balnéaire du Cap Skirring (Basse Casamance). Mémoire de Master II en Géographie, UASZ, 98 p.
- Diatta, S. S. (2018). Potentialités et impacts du développement touristique en basse Casamance : cas de la commune de Diembéring. Mémoire de master en Géographie, UASZ, 142 p.
- Ndour, A. (2013). Efficacité énergétique et développement de l’entrepreneuriat en bioénergie : cas des fours améliorés de fumage au Sénégal. Fiche de synthèse, 28 p. http://www.endaenergie.org
- Sagne, P., Fall, B., Ba, K., Faye, G., Sow, E. H., & Niang, I. (2020). Impacts of the storm surges on sandy beaches: example of northern coast of Dakar (Senegal). EWASH & TI Journal (4)1, 325-335
- Sène, A. M., & Diémé, I. (2018). Entre développement touristique et recul des espaces rizicoles dans la commune de Diembéring (région de Ziguinchor) : quelle alternative pour un développement local durable ? Belgeo, http://journals.openedition.org/belgeo/23362
- Thior, M., Sane, T., Wade, C. T., Sy, O., & Descroix, L. (2021). L’aménagement du littoral de la Casamance : quels enjeux au regard de sa dynamique actuelle ? Études caribéennes, 48, 19 p.
Résumé
Les littoraux sont des zones de concentration de différentes activités socio-économiques qui sont parfois difficiles à concilier. Le tourisme balnéaire par exemple, exige une plage de qualité et des eaux de baignade propres, ce qui peut entrer en conflit avec d'autres activités comme la pêche et la transformation des produits marins. Cet article vise à examiner comment l'occupation désordonnée des zones côtières par différentes activités socio-économiques impacte le tourisme côtier, et à proposer des solutions pour une gestion plus rationnelle de ces espaces. L’étude s’est focalisée sur le littoral de l’axe Abéné-Kafountine, au sud Sénégal. Une première évaluation de l'occupation des zones côtières entre Abéné et Kafountine a été effectuée pour analyser les conflits d'utilisation et leurs effets sur le tourisme. La méthodologie combine la cartographie des activités et une approche qualitative basée sur des entretiens et des observations. Les résultats de la cartographie de ces installations montrent une occupation anarchique du littoral, avec une centralisation des quais de pêche à Kafountine et à Abéné et la répartition de part et d’autre des aménagements touristiques. Cette situation combinée à un problème d’aménagement entraîne l’insalubrité de la plage. Les résultats des enquêtes qualitatives permettent de constater la frustration des hôteliers et des touristes qui déplorent la prolifération des ordures et la fumée sur la plage, ce qui pénalise le secteur touristique. Des pistes sont enfin explorées pour envisager une gestion durable et concertée de ces territoires.
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