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Gestion des déchets solides ménagers au Cameroun : limiter les décharges anarchiques à Yaoundé par le tri à la source et la pré-collecte porte-à-porte

Avec la croissance rapide de la population, les villes camerounaises font face à une gestion des déchets solides de plus en plus complexe. Cette situation a conduit à une prolifération anarchique des décharges près des habitations, créant des risques sanitaires et environnementaux. Cette étude explore les causes de ce phénomène et propose des solutions pour améliorer la gestion des déchets dans les villes.

Introduction

Les pays d’Afrique sub-saharienne connaissent un accroissement très rapide de la population. Depuis 2005, le taux moyen annuel de croissance de la population du Cameroun est estimé à 2,4 %, soit une population globale de 23 248 044 habitants en 2017, et susceptible de s’établir à plus de 46 496 000 habitants en 2046 (Stratégie nationale de développement 2020-2030, SND30). Environ 53,2 % de sa population réside en milieu urbain.

Le volume des déchets générés étant fortement corrélé à l’accroissement de la population, on observe une augmentation de la production de déchets solides dans les villes camerounaises. Or ces métropoles sont caractérisées par de très faibles capacités d’aménagement urbain. La forte hausse démographique combinée aux défaillances liées à l’organisation urbaine ont conduit à de sérieux problèmes de gestion des déchets solides. Au Cameroun, environ 80,3 % des déchets solides se retrouvent dans les décharges à ciel ouvert, 19,3 % dans des décharges appropriées et seulement 0,4 % sont recyclés (Kaza et al., 2018).

À Yaoundé, on assiste à une prolifération anarchique des lieux de décharge d’ordures à proximité des lieux d’habitation (photo 1). Lorsqu’ils sont mal gérés, les déchets accumulés peuvent constituer un site de reproduction pour les insectes, les reptiles et les rongeurs, aggravant ainsi le risque de propagation de maladies, la pollution de l’environnement, et impactant négativement le secteur touristique.

Photo 1. Une décharge à ciel ouvert au quartier Oyom-Abang (Yaoundé).
Source : Fulbert Francky Monebene.

Une observation des sites de décharges d’ordures de Yaoundé révèle que les déchets solides mis à la décharge sont mélangés. On y retrouve notamment des matières plastiques, métalliques, des papiers et cartons, du textile, ainsi qu’un important volume de matières organiques (Coffey et Coad, 2010). Ce mélange, dû principalement à un manque de connaissances des producteurs de déchets, entraîne la contamination des matériaux recyclables par les matières organiques humides et généralement en décomposition, limitant ainsi, la qualité, la valeur et la disponibilité des matériaux entrant sur le marché du recyclage.

Selon une étude du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP, 2009), un système efficace de tri des déchets et de recyclage réduit considérablement le volume des déchets mis à la décharge et contribue à la récupération d’une importante quantité des ressources. Plusieurs autres études recommandent aux autorités publiques de prendre des mesures incitatives pour développer des marchés de recyclage locaux, régionaux, nationaux ou internationaux (U.S. EPA, 2023 ; Arrey et Loumou Mondoleba, 2021), dans la mesure où ce secteur revêt un important potentiel en termes de création d’emplois, de salaires et de recettes fiscales pour les villes (U.S. EPA, 2023).

On estime à huit milliards USD la perte de matériaux recyclables non récupérés en Afrique. Cette valeur pourrait atteindre jusqu’à soixante milliards USD d’ici à 2050 (U.S. EPA, 2023). Le manque à gagner est également lié à un système de collecte défaillant. Au Cameroun, le taux officiel de collecte des déchets solides dans les villes varie entre 15 et 40 %. Ainsi, 60 à 85 % des déchets générés restent dans les quartiers (Stratégie nationale de gestion des déchets 2007-2015 – MINEPDED, 2007). Ce faible taux de collecte est dû au fait que les bacs à ordures sont généralement disposés uniquement près des routes bitumées. Près de 40 % de la population de Yaoundé n’a pas accès au service de collecte de déchets assuré par HYSACAM (Hygiène et Salubrité du Cameroun), la principale société agréée dans ce domaine (Arrey et Loumou Mondoleba, 2021). Les espaces inhabités les plus proches des concessions servent alors de dépotoirs à déchets.

Cette étude a pour objectif d’analyser le problème de la prolifération anarchique des décharges à ordures à Yaoundé et d’évaluer des pistes pour limiter cette prolifération. Dans ce sens, elle cherche notamment à :

– comprendre les causes de la multiplication anarchique des décharges ;

– identifier les facteurs qui influencent le comportement des producteurs de déchets à les trier et les acheminer vers les décharges contrôlées provisoires, mises en place par les autorités ;

– identifier les facteurs qui freinent la récupération et le traitement de ces déchets mis en décharge par les structures agréées ;

– proposer des outils de promotion du tri à la source et de pré-collecte porte-à-porte.

Cadre conceptuel

Définition

Dans cette étude, le concept de « déchets solides ménagers et assimilés » regroupe à la fois, les déchets issus des activités des ménages, et ceux provenant des activités économiques, commerciales et artisanales, similaires aux déchets ménagers par leur nature, composition et caractéristiques (décret 2012). Les producteurs de ces déchets incluent les ménages, les restaurants, les hôtels, les entreprises commerciales ou industrielles, les écoles, les administrations publiques, etc. Les décharges contrôlées ou agréées sont mises en place par les autorités, tandis que les décharges sauvages ou anarchiques sont des sites improvisés par les populations pour y déverser leurs ordures. Les structures de traitement des déchets sont des sociétés privées agréées par l’administration et dont la mission consiste à trier, collecter, transporter et recycler les déchets solides.

La pré-collecte consiste à rassembler et acheminer les déchets de leur lieu de production aux décharges agréées, afin d’être collectés pour la décharge définitive. La pré-collecte est assurée principalement à Yaoundé par les ménages, les associations, les prestataires et les bénévoles.

Le tri des déchets est une pratique de gestion des déchets solides consistant à séparer et stocker les matériaux présents dans ces déchets afin de promouvoir le recyclage et la réutilisation des ressources et réduire le volume des déchets à collecter et à éliminer (Eugenia et al., 2002). En d’autres termes, il s’agit de trier les déchets en matières recyclables et non recyclables, et de les stocker dans des conteneurs séparés pour faciliter leur recyclage et leur élimination. En général, la chaîne de gestion des déchets solides au Cameroun comprend les étapes suivantes : production, collecte, transport et mise à la décharge définitive.

La production des déchets

À Yaoundé, la quantité moyenne de déchets générés par ménage et par jour est estimée à 2,75 kg. La composition de ces déchets se répartit comme suit : environ 61,70 % de déchets organiques fermentescibles, 13,60 % de déchets valorisables, et 24,70 % d’autres déchets (Ngninkam et Tanawa, 2006). Cette composition semble avoir évolué au fil des années. Ainsi, en 2018 en Afrique Sub-Saharienne, elle est estimée à : 43 % de déchets organiques, 10 % de papiers et cartons, 9 % de matières plastiques, 5 % de métaux, 3 % de verres et 30 % d’autres déchets inertes. Le Cameroun génère 0,42 kg de déchets par habitant et par jour (Kaza et al., 2018), soit un total d’environ 1 890 tonnes de déchets par jour à Yaoundé.

La collecte, le transport et la mise à la décharge définitive

La collecte est l’ensemble des opérations liées au ramassage des déchets des décharges provisoires, aux lieux de traitement ou d’élimination. Au Cameroun, il n’existe pas de véritable décharge contrôlée (Stratégie 2007-2015 – MINEPDED, 2007). À Yaoundé, les déchets sont déversés et traités en périphérie de la ville, dans la décharge semi-contrôlée de Nkolfoulou d’une superficie d’environ cinq hectares. Gérée par la société Hygiène et Salubrité du Cameroun (HYSACAM), elle accueille tous types de déchets solides. À ce jour, seuls les effluents liquides (lixiviats) y sont traités. La méthanisation et le compostage des biodéchets sont envisagés.

Présentation de la ville de Yaoundé, site de l’étude

Situation géographique, démographique et administrative

Yaoundé est située au sud de la région du Centre. Elle est éloignée d’environ 200 km de la côte atlantique, et s’étend sur 304 km2, dont une superficie urbanisée de 183 km2 (INS, 2020). Yaoundé est à la fois la capitale politique du Cameroun, le chef-lieu de la région du centre et du département du Mfoundi. La ville est répartie en sept communes d’arrondissement. La population de Yaoundé est estimée à environ 4 100 000 habitants en 2020 (Arrey et Loumou Mondoleba, 2021), soit une densité moyenne de 13 486 habitants par kilomètre carré. L’augmentation de la population de Yaoundé est évaluée à 100 000 habitants chaque année. La taille moyenne des ménages à Yaoundé est de 4,6 personnes (Enquête complémentaire à la quatrième Enquête camerounaise auprès des ménages-EC-ECAM4 – INS, 2020).

Climat, relief et hydrographie

Yaoundé bénéficie d’un climat tropical de savane caractérisé par une alternance de saisons, avec une pluviométrie moyenne de 1 747 mm (EC-ECAM4). Ce climat, propice à la décomposition des déchets organiques limite le volume et la valeur des déchets recyclables si ces derniers ne sont pas triés et séparés des autres déchets au moment opportun. Yaoundé est un site de collines, et se situe à une altitude d’environ 760 mètres. Ces différentes collines confèrent à la ville un relief accidenté, rendant difficiles les opérations de collecte et de transport des déchets. La ville est traversée par plusieurs cours d’eau susceptibles d’emporter des ordures provenant des décharges à ciel ouvert vers les fleuves et la mer.

Cadre réglementaire de la gestion des déchets solides ménagers et assimilés au Cameroun

La présente étude s’est limitée à l’exploitation des normes internes pertinentes en matière de gestion des déchets solides au Cameroun, notamment :

– la loi n° 96/12 du 05 août 1996 portant loi cadre relative à la gestion de l’environnement (MINEPDED, 1996) ;

– le décret n° 2012/2809/PM du 26 septembre 2012 fixant les conditions de tri, de collecte, de stockage, de transport, de récupération, de recyclage, de traitement et d'élimination finale des déchets (MINEPDED, 2012) ;

– la Stratégie nationale de gestion des déchets (MINEPDED, 2007) ;

– le plan communal de gestion des déchets.

De manière générale, la réglementation camerounaise en matière de gestion des déchets intègre les grands principes du développement durable. De manière concrète, les déchets ménagers et assimilés sont gérés conformément au plan communal ou intercommunal de gestion des déchets élaboré par les collectivités territoriales décentralisées (CTD). Ce plan communal ou intercommunal définit notamment les opérations de tri, pré-collecte, collecte, transport, mise en décharge, traitement, valorisation, et élimination finale des déchets.

Une analyse des normes internes en matière de gestion des déchets solides au Cameroun révèle que le tri des déchets à la source et la pré-collecte porte-à-porte ne sont pas prévus dans la réglementation camerounaise.

Déroulement de l’étude

Provenance des données

Cette étude repose sur des entretiens menés auprès d’un certain nombre d’acteurs impliqués dans la chaîne de gestion des déchets solides au Cameroun, ainsi que sur une revue documentaire. Ces activités ont été complétées par plusieurs avis d’experts. La collecte des données a inclus une enquête ciblant deux catégories d’acteurs : les producteurs de déchets et les structures en charge de leur traitement.

Les producteurs de déchets solides ménagers et assimilés

L’enquête auprès des producteurs de déchets a été menée auprès des ménages, des restaurants, des hôtels, des entreprises commerciales ou industrielles, des écoles, et des administrations publiques. Au total, 276 producteurs des déchets issus de toutes les strates socio-économiques ont répondu au questionnaire. La répartition géographique des répondants est la suivante : Yaoundé (210 répartis dans plus de 70 quartiers), Douala (40), Bertoua (9), Zoétélé (5), Bafoussam (3), Ebolowa (3), Bankim (3) et Penka-Michel (3). Parmi les personnes interrogées, 76,09 % résident à Yaoundé et 93 % appartiennent à la catégorie des ménages.

Les sociétés de traitement des déchets solides

Un échantillon de 23 sociétés de tri, de collecte et de recyclage des déchets solides non dangereux a été constitué. Cet échantillon est tiré selon un sondage aléatoire simple dans le répertoire des structures ayant obtenu un permis environnemental de gestion des déchets délivré par le ministère en charge de l’environnement. Deux modèles de formulaire de questions ont été élaborés, l’un adressé aux producteurs de déchets, l’autre destiné aux structures de tri, de collecte et de traitement. Les formulaires ont été administrés à la fois par voie numérique, par téléphone, mais aussi de façon directe (renseigné par les personnes soumises à l’enquête). Les données ont été collectées de début mars à fin avril 2024.

Les causes de la multiplication des décharges sauvages à Yaoundé

L’état des ordures

Parmi les producteurs des déchets solides, les entreprises utilisent davantage des poubelles séparées pour les différents types de déchets. En revanche, environ 96 % des autres producteurs n’utilisent qu’une seule poubelle. La majorité d’entre eux ne connait pas les techniques de tri des ordures. Les ordures mélangées passent en moyenne cinq jours dans la poubelle avant d’être acheminées vers les décharges. Ce séjour prolongé accentue la contamination des déchets recyclables par les matières organiques en décomposition. Une fois que ces ordures mélangées sont acheminées à la décharge, il devient alors difficile de les trier et de collecter la fraction de déchets valorisables. Les opérations de valorisation des déchets (recyclage, compostage, réutilisation) sont elles-mêmes rendues difficiles, voire impossibles, dans la mesure où les matières contaminées devront au préalable être nettoyées. Ce qui est susceptible d’alourdir et de rendre coûteuse l’activité des structures de collecte et de traitement. Dans ces conditions, les déchets vont demeurer plus longtemps dans les décharges et s’accumuler au fil du temps.

La mentalité des producteurs de déchets

Il est également important de souligner les manquements civiques de certains ménages. Même dans les localités pourvues d’un service de collecte régulier et d’une décharge agréée, certains ménages continuent de déverser leurs ordures au sol, alors qu’ils disposent d’un bac à ordures fourni par les autorités à proximité. Ces actes d’incivisme rendent difficiles les opérations de collecte et sont susceptibles de prolonger le séjour des ordures dans les décharges à ciel ouvert.

Le désintérêt des structures agréées

La multiplication des décharges sauvages à Yaoundé est due à l’abandon de la collecte des déchets municipaux par plusieurs structures de traitement, pour les raisons évoquées ci-dessus. Elles préfèrent alors se focaliser sur la collecte des déchets industriels auprès de certaines compagnies, en contrepartie d’une rémunération financière directe. Ainsi, les déchets municipaux sont collectés exclusivement par la société HYSACAM. Or, cette société ne dispose pas de matériels adaptés pour accéder à certaines localités de la ville, souvent accidentées et dépourvues de routes.

Des groupes d’individus plus ou moins organisés, relevant du secteur informel, parcourent également les lieux de décharges provisoires à la recherche de déchets recyclables, mais rencontrent les mêmes difficultés présentées plus haut.

L’éloignement, voire l’absence des sites de décharge agréées dans certaines zones posent aussi problème : 55 % des producteurs des déchets n’ont pas un tel site à proximité, et font face à la faible fréquence de collecte de la part de la société HYSACAM (en moyenne un passage tous les six jours). Ces populations utilisent alors les décharges sauvages et 7,7 % incinèrent leurs déchets.

Enfin, dans certaines localités, les producteurs de déchets ne distinguent pas les décharges agréées des décharges sauvages et croient souvent que ces dernières sont créées par la commune, surtout que les agents communaux y collectent parfois les ordures.

Les contraintes et outils

Les contraintes liées au tri des déchets à la source

Environ 72 % des producteurs de déchets solides se disent disposés à trier leurs ordures à la source. Ils font face à plusieurs contraintes, dont le manque de connaissances sur les techniques de tri et d’équipement de stockage des déchets triés (81 %). Environ 50 % affirment qu’ils ne disposent pas de plusieurs poubelles pour effectuer ce tri. D’autres encore (37 %), ne sont pas motivés, soulignant le manque de mesures incitatives et ne voyant pas l’intérêt d’une telle opération, d’autant plus que le tri à la source n’est pas une exigence réglementaire.

Près de 90 % réclament des incitations telles que la sensibilisation sur les techniques de tri, des aides financières sous forme d’indemnité de tri, la distribution de poubelles. Plusieurs ménages se disent disposés à se conformer à toute réglementation visant à rendre obligatoire le tri des déchets à la source. D’autres veulent s’impliquer s’ils sont rassurés que le tri à la source aura un impact durable sur la gestion des déchets. En effet, ils estiment que le tri à la source ne servirait à rien si les déchets sont à nouveau mélangés à la décharge. Il faudrait donc que les sites de décharge adoptent les mêmes critères de tri avec autant de bacs à ordure que chez les producteurs de déchets.

Les figures 1 et 2 récapitulent une partie des données acquises auprès des personnes interrogées dans cette étude en les organisant en termes d’obstacles et de facteurs de succès pour le tri à la source.

Figure 1. Obstacles au tri à la source.

Figure 2. Facteurs de succès pour le tri à la source.

Les contraintes liées à la pré-collecte porte-à-porte

Plusieurs ménages n’ont pas un service de pré-collecte à domicile, bien qu’ils soient disposés à y participer et payer pour un tel service. Ils opteraient pour la pré-collecte en porte-à-porte (PàP) structurée de la manière suivante : les producteurs des déchets mettent leurs ordures préalablement triées dans des poubelles spécifiques et les agents de pré-collecte viennent les récupérer au domicile.

De la même façon, la majorité des structures agréées se disent disposées à offrir un service de pré-collecte PàP, mais sont confrontées à plusieurs difficultés infrastructurelles, techniques, financières et administratives. En effet, certaines zones de Yaoundé sont accidentées ou dépourvues de voies d’accès, ce qui rend difficiles les opérations de collecte des déchets par la société HYSACAM. De plus, se pose le problème de manque de matériel roulant adapté au relief et aux conditions d’urbanisation. Les camions lourds ne peuvent pas accéder aux zones reculées et enclavées de Yaoundé. Pour ces localités, les outils de pré-collecte tels que brouettes, chariots, pousse-pousse, tricycles sont plus adaptés.

Plusieurs structures de collecte ont également évoqué le manque de ressources pour financer les opérations de collecte et de recyclage. Selon le décret de 2012, le financement de la collecte des déchets municipaux incombe aux communes, mais les ressources disponibles sont souvent très limitées. De plus, la problématique de la gestion des déchets semble ne pas être une priorité de certaines communes.

Il convient tout de même de relever que la pré-collecte PàP offre des taux de récupération satisfaisants. En revanche, elle nécessite une flotte importante de véhicules de collecte et un effectif élevé, ce qui en augmente les coûts. De plus, le PàP est rigide, imposant des horaires de collecte parfois contraignants et ne prenant pas en compte les déchets des usagers autres que les habitants permanents. Son déploiement à Yaoundé pourrait s’avérer délicat, surtout dans un contexte de hausse récente des prix des carburants au Cameroun. Pour ces raisons, les systèmes de collecte en points d’apport volontaire (PAV) ou collecte de proximité pourraient constituer, dans un premier temps, une option complémentaire au PàP, avec la perspective de remplacer ce dernier autant que possible.

Lorsqu’ils sont bien organisés, ces nouveaux modes de collecte garantissent un service de proximité conforme aux exigences environnementales, et peuvent avoir des performances très proches, voire supérieures à celles du PàP. Dans un contexte budgétaire contraint, les PAV sont d'autant plus adaptés, permettant aux autorités de mieux contrôler les coûts de gestion des déchets municipaux. De plus, ces points de collecte sont accessibles en permanence, et jouent un rôle clé dans la communication et la sensibilisation. Néanmoins, l’implémentation des PAV présente des défis, tels que l’effort supplémentaire demandé aux usagers pour le transport des ordures du domicile au point de décharge, la difficulté de trouver de l'espace public pour installer les bornes de dépôt volontaire, les coûts supplémentaires associés, ainsi que le risque que ces lieux se transforment en dépotoirs.

Les outils pour une meilleure gestion des déchets

Les outils pour encourager le tri à la source englobent le renforcement du cadre réglementaire, la sensibilisation et les mesures incitatives.

Il s’agit notamment d’inscrire le tri des déchets solides ménagers et assimilés à la source dans le dispositif normatif camerounais en vigueur, plus précisément dans le plan communal de gestion des déchets, afin de rendre obligatoire cette opération. Par la suite, la promotion du tri à la source devrait être soutenue par une forte sensibilisation des populations sur les méthodes de tri, l’intérêt et le bien-fondé de cette opération. Il est également indispensable de mettre en œuvre des mesures incitatives telles que des indemnités de tri, la distribution de poubelles et la mise en place d’infrastructures adaptées au système de tri choisi.

Les systèmes de collecte PàP et PAV seront facilités par l’amélioration des infrastructures et des procédures et par la création et le développement d’un marché du recyclage.

Ces activités intègrent le désenclavement des zones difficiles d’accès en construisant et aménageant des routes, afin de faciliter la pré-collecte des ordures et leur acheminement vers les sites de décharges agréées. Il conviendrait également de promouvoir l’utilisation d’équipements de pré-collecte légers tels que brouettes, pousse-pousse, chariots et tricycles, mieux adaptés aux localités difficiles d’accès. Aussi, il est important que les pouvoirs publics et les partenaires au développement garantissent aux structures impliquées dans la gestion des déchets solides ménagers et assimilés un appui institutionnel, financier et technique pour renforcer et pérenniser leurs performances.

L’amélioration des procédures consisterait à mettre en place un système de collecte régulière au domicile, qui permettrait entre autres de réduire le temps de séjour des ordures dans les lieux d’habitation. On pourrait ensuite envisager d’alléger les procédures d’agrément des sociétés de la filière des déchets afin d’augmenter les capacités de collecte et de traitement.

Enfin, il est capital que les pouvoirs publics et les communes assurent la coordination de la filière, en veillant à une implication accrue des acteurs concernés, plus précisément les associations et les acteurs du secteur informel, plus actifs dans les quartiers et zones difficiles d’accès.

Conclusion et recommandations

La prolifération des décharges anarchiques à Yaoundé est causée par la contamination des déchets recyclables par les matières organiques, résultant du mélange prolongé des ordures dans les poubelles et décharges. Cette situation complique le traitement des déchets récupérables. Les structures de collecte et de traitement préfèrent les déchets industriels, qui sont généralement triés à la source, délaissant les déchets municipaux à la société HYSACAM, dont les capacités de collecte sont limitées et qui fait face à des difficultés d'accès dans certaines zones enclavées de Yaoundé. Les déchets s'accumulent donc dans les décharges.

Les données recueillies dans le cadre de cette étude confirment que les producteurs de déchets ménagers à Yaoundé sont prêts à trier leurs déchets mais manquent de connaissances, d'équipements et de mesures incitatives. Les structures de traitement des déchets sont également prêtes à recycler l'ensemble des déchets ménagers mais sont découragées par leur contamination et les difficultés logistiques.

Pour lutter contre les décharges sauvages, plusieurs mesures sont recommandées :

– renforcer le cadre réglementaire pour imposer le tri à la source ;

– sensibiliser la population et mettre en place des mesures incitatives ;

– améliorer les infrastructures de pré-collecte ;

– faciliter le développement du marché du recyclage et soutenir les structures de traitement.

La gestion des déchets solides étant similaire dans toutes les villes du Cameroun, il est recommandé d'appliquer les conclusions de cette étude aux autres métropoles du pays.

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Photo d’entête : Fulbert Francky Monebene.

Références

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Résumé

Le Cameroun compte plus de 400 structures agréées pour le traitement des déchets solides, qui parcourent quotidiennement les décharges des milieux urbains, à la recherche des déchets valorisables. Malgré ce nombre important d’acteurs, les décharges sauvages des ordures dans les métropoles camerounaises ne cessent de se créer et de s’agrandir. L’enquête menée auprès des ménages et des sociétés de traitement des déchets en vue de comprendre l’origine de ce phénomène dans la ville de Yaoundé révèle que la multiplication des décharges anarchiques est due principalement aux défaillances dans le système de pré-collecte, mais surtout au fait que les ordures y sont acheminées étant mélangées, ce qui entraine la contamination des déchets recyclables par les matières organiques en décomposition. La contamination des déchets recyclables diminue leur valeur et décourage les structures de traitement de ces déchets, qui se contentent de collecter seulement une partie négligeable des matériaux qui les intéressent. Ainsi, les ordures vont demeurer plus longtemps dans les décharges et vont s’accumuler avec le temps. Un système de tri des déchets à la source et de pré-collecte porte-à-porte permet de préserver les déchets recyclables de la contamination, et d’éradiquer les décharges anarchiques des ordures dans les milieux urbains camerounais.

Auteurs


Fulbert Francky MONEBENE

fulbertmonebene@yahoo.com

Affiliation : Ministère des transports du Cameroun, Yaoundé, Cameroun

Pays : India

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