Tourisme rural intégré, facteur de résilience des territoires enclavés : étude du campement villageois dans la localité d’Affiniam (Basse Casamance/Sénégal)
Le tourisme rural intégré offre une alternative intéressante au tourisme de masse, surtout dans les régions en développement. Ce concept repose sur une collaboration étroite entre les communautés locales et les touristes, en valorisant les traditions et les ressources locales pour favoriser un développement autonome. Lancée dans les années 1970 en Basse Casamance au Sénégal, cette initiative visait à limiter l’exode rural en créant des emplois et en facilitant la commercialisation des productions locales. Cette étude examine l’impact de ce modèle sur le village enclavé d’Affiniam, en Basse Casamance, en évaluant son rôle dans le développement socio-économique de la région.
Introduction
Le tourisme est souvent considéré comme une force motrice dans le processus de croissance économique des pays et des régions en développement ayant un potentiel touristique important (Plummer et Fennell, 2009). L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) a fait de ce secteur un cheval de bataille avec comme thématique forte, la lutte contre la pauvreté. Cette antenne des Nations Unies multiplie les enquêtes et les publications sur le sujet (OMT, 2002). C’est dans ce sens que s’inscrit le tourisme rural intégré (TRI) qui est une autre manière de penser et de faire du tourisme en permettant aux populations locales de dynamiser leur économie. Principaud (2010) affirme « comme dans beaucoup de pays du sud, des formes de tourismes dits alternatifs se mettent en place où la « rencontre » avec les autochtones a plus ou moins lieu, mais où la lutte contre la pauvreté est une réelle préoccupation ».
Cette gamme touristique est une réponse aux limites du tourisme de masse. Le tourisme rural intégré a été lancé dans les années 1970, en Basse Casamance, par l’Agence pour la coopération culturelle et technique (ACCT), devenue depuis 1995 Agence de la francophonie. Cette organisation avait chargé Christian Saglio, jeune ethnologue, spécialiste du développement local et futur conseiller technique du ministre chargé du tourisme, d’élaborer un projet de « tourisme de découverte ». Il s’agissait de favoriser les « contacts réels entre les invités et les invitants » (Saglio, 1985) et la découverte de nouvelles cultures et coutumes. Les enjeux étaient de permettre l’essor du tourisme de découverte en s’appuyant sur un patrimoine naturel et culturel au sens large et de créer de nouveaux emplois.
Le concept de tourisme rural intégré a été largement développé par Christian Saglio lors d’un séminaire à Washington fin 1976 publié par la Banque mondiale en 1979 (Saglio, 1979). Cette idée était proposée au Sénégal pour lutter contre l’exode rural et en particulier les jeunes. Le concept consiste à créer des campements villageois qui sont des structures d’accueil touristique modestes. Ils offrent des services moins importants que les hôtels. Dans ce cadre, il s’agit de permettre aux habitants des villages de construire leur structure d’hébergement afin d’accueillir des touristes chez eux. Ces campements sont communautaires, ils sont gérés par les habitants (comité de gestion) et ils doivent permettre le développement de différentes activités au niveau local. L'idée est de faire des campements villageois les premiers clients des producteurs locaux. Ce cercle vertueux, en favorisant la distribution des produits locaux, encouragera le développement des activités de chacun, tout en profitant à un tourisme étroitement lié à l'économie locale. Les effets seront particulièrement positifs pour les villages enclavés, où les productions étaient traditionnellement destinées à l'autoconsommation faute de marché. Cette initiative vise à mieux valoriser les richesses naturelles et culturelles, en plaçant la population au cœur du développement local. Pour sensibiliser la population, Christian Saglio s’est appuyé sur Adama Goudiaby, qui était le directeur du village artisanal de Ziguinchor et le relais des touristes, car il n’y avait pas d’antenne touristique dans la région. L’objectif était de convaincre la population d’accepter ce projet afin de construire des campements communautaires dans les villages de la Basse Casamance. Cette volonté collective de la population devrait permettre en quelques années un développement endogène efficient. Cette expérience lancée en Basse Casamance a permis de répondre selon Hillali (2007) au moins à quatre points essentiels :
– la population est impliquée dans l’organisation du tourisme ;
– elle bénéficie des retombées financières de ce tourisme grâce au travail qu’elle accomplit ;
– la prestation touristique est organisée de telle manière qu’elle ne déstabilise pas les équilibres écologiques, économiques, humains et culturels locaux ;
– le séjour est axé sur la compréhension des réalités locales et l’immersion culturelle.
Cette étude vise à analyser l’apport du tourisme rural intégré dans des territoires enclavés en Basse Casamance. Elle est appliquée dans la localité d’Affiniam, village de la commune de Mangagoulack, elle-même située dans l'arrondissement de Tendouck et le département de Bignona, une subdivision de la région de Ziguinchor (figure 1).
La localité d’Affiniam a été retenue dans cette étude pour son enclavement depuis plusieurs années. Dans ce cadre, diverses interrogations sont émises : le tourisme rural intégré est-il accepté par la population locale ? A-t-il réussi à mobiliser la population autour du projet de développement local ? La gestion est-elle intégrée comme convenue ? L’installation du campement a-t-elle permis la valorisation de la culture locale ? Quelles sont les activités proposées aux touristes ? Quelle est la perception des acteurs qui gèrent le campement sur la participation de la population dans les activités du campement ? Comment la population juge l’apport du campement dans le développement de leur localité ?
Matériels et méthodes
La méthodologie utilisée pour analyser les apports du campement villageois dans le développement d’Affiniam comporte un guide d’entretien adressé à trois personnes ressources : le responsable du campement, un artiste et un touriste. Deux déplacements (journaliers) sur le terrain ont permis de faire des observations et de prendre des photos illustratives. Enfin, une enquête aléatoire par questionnaire a été réalisée auprès de la population. Sur la base des données du recensement démographique de 2013, un échantillonnage aléatoire simple a été appliqué pour interroger 20 % des 252 ménages de la localité, soit un total de cinquante personnes (une personne par ménage).
Résultats
Les campements villageois d’Affiniam : objectifs et style de construction
Après l’acceptation du projet de tourisme rural intégré, il est prévu que chaque village construise son campement à partir des matériaux locaux (coût faible) et une architecture locale. Il s’agit d’utiliser du banco, de la paille, des rôniers (planche de photos 1) pour se distinguer des hôtels et des campements privés construits le plus souvent avec du béton. Le banco signifie en langue mandingue « sable », mais il est utilisé par presque toutes les ethnies. Réalisé à base de terre argileuse et de paille hachée, ce matériau sert à faire les murs dans la construction des bâtiments. La paille est utilisée pour faire la toiture des maisons. Elle est naturelle, renouvelable, biodégradable et elle est accessible au niveau local. Les troncs de rônier, un genre de palmier, servent à faire la charpente, sur laquelle sera rangée les pailles. En effet, lorsque les palmiers sont morts, ils perdent leurs feuilles et les troncs sont récupérés pour être découpés en longues poutres. Ces dernières sont imputrescibles, résistantes aux termites et peuvent durer plusieurs dizaines d'années ; ce qui fait qu’elles sont très sollicitées dans la construction traditionnelle, pour leur accessibilité et leur faible coût.
Avec une architecture authentique inspirée du bâti local, les campements villageois permettent d'accueillir les touristes dans les villages en leur offrant un confort simple mais fonctionnel. Les voyageurs se trouvent dans le village, à la rencontre de sa population, ce qui facilite dialogue et échanges de connaissances. Les campements villageois associent plusieurs aspects : d’une part, le respect de la nature, des valeurs traditionnelles et des coutumes (à travers les modes de construction, la richesse culinaire) et d’autre part, le développement local (à partir des initiatives locales). C’est une démarche contraire à celle des hôtels et des campements privés qui ne font pas ou peu bénéficier la population locale des retombées du secteur. Ces campements villageois doivent favoriser le développement des activités locales, telles que le maraîchage, l’élevage, l’artisanat, la récolte du vin de palme et la valorisation des produits locaux.
Activités du campement villageois d’Affiniam
Le campement d’Affiniam a été construit en 1978 par les habitants du village. Il fait de l’hébergement et de la restauration. Il compte seize chambres qui donnent sur l'impluvium central avec une capacité de quarante lits. La construction du campement a permis selon Lucie, gérante du campement, « de maintenir des touristes dans le village en leur proposant des hébergements et différentes activités. Les activités que nous organisons se font avec la population et nos clients apprécient. Nous avons des fidèles clients qui reviennent régulièrement et parfois accompagnés d’autres qui viennent découvrir. Nous faisons de sorte que tout se passe bien pour les visiteurs, cela est facilité par la participation massive de la population dans les activités » (Entretien, Bocoum, 2024).
Les dix campements villageois dans la région de Ziguinchor totalisent 141 chambres et 317 lits. D’après la gérante du campement, « nous accueillons plus de touristes entre les mois de novembre et d’avril. Je n’ai pas les statistiques exactes, mais nous recevons entre 250 à 300 touristes. La plupart d’entre eux sont des personnes âgées. Ici, quasiment tout le monde est en contact avec les touristes, car Affiniam n’est pas un grand village, mais les jeunes sont plus présents dans les activités. Les touristes ne veulent pas rester enfermer dans leurs chambres, ils viennent pour découvrir le village et la culture. Ils font des balades avec les jeunes et des activités culturelles comme les danses traditionnelles. Les contacts entre les touristes et la population se font à travers ces activités que les jeunes pilotent. Les touristes sont en sécurité, ce n’est pas comme dans les grandes villes, où, ils sont suivis par des jeunes qui quémandent ou qui les perturbent ». (Entretien, Bocoum, 2024).
Les touristes ont la possibilité de faire des excursions et des visites : lieux de cultes, barrage d’Affiniam, centre de promotion rural. En côtoyant la population ils peuvent apprendre la culture locale, participer aux activités rizicoles, aux danses de « Koumpo » et aux nuits culturelles. Nous avons interviewé un touriste français d’une cinquantaine d’années que nous avons rencontré dans le village : « cela fait plus de dix ans que je viens à Affiniam. Dans l’année, je viens une à deux fois. Je pense que tout le monde me connait ici. C’est la tranquillité, le paysage et surtout la population qui est très accueillante et généreuse qui m’attirent à Affiniam. Je me sens bien quand je viens pour mes vacances, car je me repose bien tout en découvrant plusieurs choses sur la culture locale et j’aime la gastronomie diola. » (Entretien, Bocoum, 2024).
Apports du campement villageois dans le développement d’Affiniam
Les cinquante personnes (une par ménage) enquêtées se répartissent comme suit : agriculteurs (32 %), pêcheurs (21%), secteur de l’artisanat (16 %), ouvriers (9 %), acteurs touristiques (7 %), commerçants (5 %) et autres (10 %). Cent pour cent des personnes interrogées connaissent le campement villageois : 96 % affirment que ce dernier participe au développement de leurs activités et 4 % affirment le contraire. Avec une question à choix multiple, nous avons cherché à savoir comment le campement participe au développement des activités des autochtones (figure 2).
Parmi les personnes interrogées, quarante affirment que le campement rend le village attractif, avec des visites qui favorisent de plus en plus le développement de diverses activités socio-économiques. Pour trente-sept personnes, il constitue le premier client pour les producteurs locaux (pêcheurs, transformateurs de produits locaux, récolteurs de vin de palme, etc.). Pour vingt-quatre personnes, il participe à la promotion de leurs activités en leur donnant plus de visibilité. Dix-sept personnes affirment qu’il leur a permis de se maintenir dans le village en facilitant l’écoulement de leurs produits ; ce qui n’aurait pas été possible à l’époque où le village était enclavé et difficile d’accès. Enfin, dix personnes parlent d’autres apports tels que la valorisation des savoir-faire ou l’animation culturelle. Le village d’Affiniam qui a développé le tourisme rural intégré a pu tirer des profits que nous pouvons classer dans trois volets : social, économique et environnemental.
Apports du campement d’Affiniam sur le volet social
La question à choix multiple sur l’apport du campement villageois sur le volet social a permis de constater divers points de vue. Comme l’indique la figure 3, tous les enquêtés ont parlé de la construction de l’école (primaire et préscolaire). Soixante-quatorze pour cent ont parlé des subventions apportées dans les activités du village. Cinquante-et-un pour cent ont mentionné l’aide aux familles et aux enfants orphelins et 33 % le désenclavement de la localité. Parmi les autres citations, on retrouve : la valorisation de la culture locale (29 %), la construction de la case de santé du village (23 %), la réduction de l’exode rurale (13 %) et autres apports (11 %).
Les enquêtes ont permis de constater que la création du campement villageois a permis de maintenir les jeunes dans le village en pratiquant leurs métiers et de valoriser certaines productions qui initialement n’étaient destinées qu’à la consommation locale (pêche, récolte de vin de palme, etc.). Il faut noter que les bénéfices du campement ne sont pas destinés exclusivement aux ménages individuels, mais sont utilisés pour répondre aux besoins collectifs du village ou aider les plus nécessiteux, comme la prise en charge des frais de scolarité des enfants orphelins. Indirectement, il permet aux ménages d’avoir des revenus à travers les activités qu’ils effectuent, tels que petits commerces, pêche, transformation de produits ou artisanat. Cette collaboration est gagnant-gagnant : d’un côté, elle permet aux habitants de profiter des retombées économiques du tourisme, et de l’autre, elle assure au campement un approvisionnement local en ressources, telles que poissons, légumes, fruits et jus locaux, essentielles à son fonctionnement. Enfin, des services sociaux de base ont également vu le jour, comme la case de santé, l’école primaire et préscolaire (planche de photos 2).
En collaboration avec la population locale, les gérants du campement ont valorisé la diversité culturelle et traditionnelle et les retombés économiques du campement ont servi à financer les besoins vitaux et communs du village. Le tourisme rural intégré est en quelque sorte un facteur de résilience pour les territoires enclavés. En effet, ce village a pu se doter de pirogues pour permettre à la population de rallier la ville de Ziguinchor sans contraintes majeures.
Apport du campement sur le volet économique
Les résultats de l’enquête sur l’apport économique montrent que 73 % des enquêtés estiment que le campement a participé à la création d’emploi, 71 % d’entre eux disent qu’il a participé à la diversification des sources de revenus, 36 % d’entre eux mentionnent la création de marché d’écoulement des produits et 18 % évoquent la réduction de la pauvreté. Le tourisme rural intégré a un apport sur le volet économique en créant de l’emploi. Dans un entretien, la gérante du campement, Lucie, indique, « nous sommes six délégués qui travaillent ici et nous sommes tous d’Affiniam. Mais si nous avons beaucoup de clients, les jeunes du village viennent nous aider. Ce campement a permis aussi d’intervenir au niveau du dispensaire » (Entretien, Bocoum, 2024).
Les emplois indirects ne sont pas à négliger : guides touristiques, petits commerces, artisanat, etc. Après chaque saison, les acteurs locaux épargnent de l’argent pour le compte du village. Pour diversifier les sources de revenus, ils ont construit un foyer des jeunes qui met à disposition en location une salle de spectacle. La pirogue génère aussi des rentrées d’argent et de l’emploi avec des trajets journaliers du lundi au samedi (planche de photos 3).
Enfin le campement a joué un rôle important dans le développement de l’artisanat, et la création de GIE (Groupement d'intérêt économique) de femmes et du centre de formation et de la production de produits locaux (vannerie, savon, jus, confiture et miel). Les six personnes qui travaillent au campement sont payés en fonction des recettes obtenues. Après le bilan, 45 % des recettes sont consacrées au salaire des employés et les 55 % sont reversées au village pour régler les besoins essentiels, tels que la construction de bâtiments, le financement des activités communautaires ou le soutien aux enfants en difficulté.
Apports du campement villageois sur le volet environnemental
Concernant le volet environnemental, les résultats de nos enquêtes révèlent que 64 % des enquêtés ont évoqué la construction de la digue anti-sel, 48 % la valorisation de la récolte fruitière transformée en jus, 41 % la protection et le respect de la faune et la flore, 20 % le reboisement de mangrove et 11 % d’autres réalisations (figure 4).
Le mode de construction traditionnel adopté pour le campement (case à impluvium) permet de récupérer et de stocker les eaux de pluies. Les activités de reboisement sont organisées en collaboration avec l’association environnementale Oceanium. Les excursions sont effectuées dans le respect de la nature. Enfin, des fruits, qui pourrissaient auparavant, sont aujourd’hui valorisés et écoulés rapidement dans le campement.
Bilan du tourisme rural intégré avec le campement villageois d’Affiniam
Le bilan du tourisme rural intégré est satisfaisant d’après la gérante du campement, dans la mesure où il permet à la population locale de profiter des retombées du secteur et de dynamiser son développement local. Dans un entretien Julien D., artiste dans le village affirme : « à travers le campement, le village a pu se doter de pirogue et de foyer des jeunes. Ils constituent des biens communs pour le village et permettent de diversifier les revenus. Les bénéfices servent à régler les besoins collectifs du village. En cas de besoin, l’argent est décaissé sur les trois sources de revenus (le campement, le foyer des jeunes et la pirogue). Ce projet est porté par la population qui est très accueillante ; elle assure la sécurité des visiteurs et leur bien-être. Le bilan est positif pour moi car grâce à ce campement le village a pu avoir des revenus pour gérer les besoins des habitants sans attendre de l’aide extérieure ». (Entretien, Bocoum, 2024).
La population a pu se fédérer autour du campement en mettant en avant une gestion intégrée. Quatre-ving-dix-huit pour cent des personnes interrogées affirment avoir constaté une « participation massive » de la population dans les activités du campement et 2 % ont affirmé le contraire. L’idée de base est de pousser la population à être autonome en construisant son propre campement. Elle n’attend plus l’aide du gouvernement pour lancer des initiatives ou faire des réalisations. Les résultats des enquêtes montrent également que 86 % des personnes interrogées participent à la gestion collective du campement. Enfin, 100 % des enquêtés affirment que le campement a permis le développement du village (figure 5).
Bien qu’il joue un rôle important dans la valorisation de la culture locale en favorisant l’organisation de cérémonies culturelles, le tourisme contribue également à la dévalorisation des cultures. La majorité des prestations culturelles et autres événements tenus en haute saison touristique s’organisent souvent à des fins lucratives (soirées culturelles, festivals...). Perdant également leur authenticité, les manifestations culturelles doivent de plus en plus s’adapter aux goûts des touristes. Il y a une tendance à exploiter économiquement leur culture traditionnelle pour satisfaire les touristes ; ce qui peut représenter une menace pour les pratiques des autochtones. Le risque est que les touristes participent parfois aux festivités sans en comprendre le sens profond, ce qui peut les pousser à aller plus loin pour saisir ces mises en scène, sans être conscients des limites à ne pas franchir.
Le tourisme met en contact des populations ayant des valeurs, des cultures, des niveaux de revenu et des modes de vie différents. Ce contact continu et direct entre des groupes d’individus différents peut entraîner un phénomène qualifié d’« acculturation ». Parfois, les populations sont en perte de repères culturels et traditionnels entraînant une plus forte tendance pour l’occidentalisation. Le développement du tourisme peut aussi être l’un des facteurs de débauche du tourisme sexuel. Il est considéré comme une source de pédophilie, de proxénétisme, de prostitution, et autres déviances (Diallo, 2019). Dans ce cadre, les résultats d’enquêtes montrent que même s’il a plusieurs effets positifs, l’installation du campement villageois a des effets négatifs selon 92 % des enquêtés : dégradation des mœurs (53 %), prostitution déguisée (28 %), perversion sociale (13 %) et autres effets : risque de maladie, marchandisation de la culture (6 %). Malgré ces effets pervers notés, 83 % des enquêtés jugent le bilan positif, pour 16 % il est moyen et 1 % pensent qu’il est faible.
Le campement villageois d’Affiniam, une expérience réussie du tourisme rural intégré à élargir
Le tourisme rural intégré n’est pas une gamme concurrentielle vis-à-vis du tourisme géré par des entités privées, mais plutôt différente, qui prône l’authenticité, le respect de la nature, le brassage entre touristes et population locale. Ce type de tourisme favorise une approche durable, responsable et équitable. La plupart des touristes viennent pour découvrir un milieu et des modes de vie différents, mais aussi pour connaître l’histoire du peuple et partager différentes expériences avec la population locale (culture, récolte de riz, mode de cuisine, décorticage des huîtres, danses, folklore, etc.). D’après Van de Walle (2011), il y a un désir d’échanger avec l'étranger se traduisant par une immersion dans la culture locale. Cela se traduit par cette quête de découverte auprès des populations locales au travers de parcours à thème, de festivals, de découverte de lieux historiques et des traditions. Cette cohabitation et ces moments conviviaux de partage permettent de mieux connaître la population et les problèmes qu’elle rencontre ; ce qui pourrait faciliter l’aide au développement et la mise en place de projets. Dans ce sens, plusieurs écoles, cases de santé, jardins collectifs ont été mis en place avec l’aide des touristes dans le cadre de chantiers participatifs.
Cette idée réussie à Affiniam mérite d’être transposée dans différents villages, notamment les plus enclavés pour favoriser leur développement. Le tourisme rural intégré a montré que la population en valorisant sa culture tout en étant au cœur des initiatives, peut être un acteur incontournable du tourisme. C’est dans ce cadre que le tourisme a été perçu comme arme de lutte contre la pauvreté dont l’expérience mérite d’être élargie dans toute la région en accompagnant les populations dans ces initiatives. « Des bénéfices pour les habitants surviennent quand leurs activités sont complémentaires aux activités touristiques, et particulièrement quand la population locale est responsable de la mise en tourisme de son territoire » (Huerta-Nunez, 2020). L'implication des autochtones dans les projets touristiques est à l'origine du concept de tourisme éthique qui s'est développé ces dernières années (Condès, 2004).
La population locale ne bénéficie que d’une part très réduite des revenus du tourisme tout en supportant l’essentiel des risques. Le tourisme étant un secteur très fragile, il est nécessaire de tenir compte du risque lié à la création d’une dépendance à cette activité fortement impactée par les contextes nationaux et internationaux non contrôlables localement. La forte réduction voire l’arrêt du tourisme international liés à la pandémie Covid-19 ces dernières années, montre toute la fragilité de cette activité. De même, l’instabilité sociale et/ou politique impacte directement sur la baisse du secteur. Il invite également les circuits nationaux du tourisme à mieux valoriser leur offre. Les agences de voyages et guides touristique ont adopté des itinéraires de visites en fonction des besoins des touristes. Cependant, des efforts restent à faire pour mieux faire connaitre les atouts culturels et historiques longtemps laissés au second plan.
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Photo d’entête : Sergey – Adobe Stock
Références
- Bocoum, S. (2021). Tourisme rural intégré et développement local en Basse Casamance (Sénégal). [Conférence]. 6e édition des Rencontres internationales des jeunes chercheurs en tourisme 2021, Paris. https://hal.science/hal-03450151
- Condès, S. (2004). Les incidences du tourisme sur le développement. Revue Tiers Monde, 78(2), 269-291. doi:10.3917/rtm.178.0269
- Diallo, A. (2019). Développement du tourisme et croissance urbaine. Cas de la station balnéaire du Cap Skirring (Basse Casamance). Mémoire de Master II en Géographie, UASZ. 98 p.
- Hillali, M. (2007). Tourisme et solidarités en Afrique-Humaniser la modernisation pour valoriser la tradition. Téoros (26)3, 31. doi:10.7202/1071004ar
- Huerta-Nunez, A. (2020). Pour en lire plus : Touristes et habitants, Conflits, complémentarités et arrangements.
- OMT. (2002). Écotourisme et développement durable dans les réserves de biosphère : expériences et perspectives, Rapport Atelier du Programme sur l’Homme et la biosphère de l’UNESCO pour les pays européens et nord-américains (Euro MAB). Organisation mondiale du tourisme, Québec. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000127757_fre
- Plummer, R., & Fennell, D. A. (2009). Managing protected areas for sustainable tourism: prospects for adaptive co-management. Journal of Sustainable Tourism, 17(2), 149-168. doi:10.1080/09669580802359301
- Principaud, J. P. (2010). De la difficulté de développer le tourisme solidaire en Afrique subsaharienne. L’exemple (déjà ancien) du « tourisme rural intégré » en Basse-Casamance. Téoros (29)1, 90-100. http://journals.openedition.org/teoros/542
- Saglio, C. (1979). Tourisme à la découverte : un projet au Sénégal, en Basse-Casamance. Dans E. de Kadt (dirs). Tourisme, passeport pour le développement ? (pp. 316-330).
- Saglio, C. (1985). Un autre tourisme-Sénégal-tourisme rural intégré en Basse- Casamance. Espaces, 76, 29-32.
- Van de Walle, I. (2011). Le « tourisme durable » : l’idée d’un voyage idéal. Consommation & Modes de Vie, CMV244, 1-4.
Résumé
Le tourisme rural intégré est un type de tourisme alternatif qui place la population locale au cœur des initiatives favorisant ainsi son développement et permettant de bénéficier des retombées économiques du secteur. Lancé dans les années 1970 en Basse Casamance, il offre diverses richesses naturelles et culturelles. L’objectif est de créer des coopératives autour des campements villageois afin de réduire la pauvreté. Cette étude analyse l’apport du tourisme rural intégré dans le village d’Affiniam, longtemps enclavé et difficile d’accès. Elle s’appuie sur une approche quantitative (enquête) et qualitative (entretien et observation) pour évaluer la perception de la population. Les résultats montrent un bilan satisfaisant dans la mesure où l’installation du campement villageois a permis à la population locale de bénéficier des retombées du tourisme et de porter le développement de sa localité. Cent pourcent des enquêtés affirment que le campement a permis le développement du village, et 94 % indiquent participer aux activités du campement. Cependant, 92 % des enquêtés notent également des effets négatifs. Parmi ceux-ci, 53 % mentionnent la dégradation des mœurs, 28 % parlent de la prostitution déguisée, 13 % évoquent la perversion sociale et 6 % citent d’autres effets (risque de maladie, marchandisation de la culture). Malgré ces effets négatifs, 83 % des enquêtés jugent le bilan positif, 16 % le trouvent moyen et 1 % le considèrent faible.
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