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Expertise sur les populations d’aloses et de lamproies

Les lamproies et aloses migratrices sont des espèces menacées, en particulier en France. Dans ce contexte, des données temporelles d’abondance d’individus ou d’indices de leur présence provenant de différentes sources ont été collectées et groupées selon les tendances d’évolution de leurs populations. En parallèle, une revue de la littérature et un panel d’experts ont été constitués afin de déterminer les pressions les plus à même d’expliquer ces tendances. Ce travail alerte sur la situation de ces espèces et incite à renforcer les mesures de conservation et de gestion.

Introduction

La grande alose (Alosa alosa) et la lamproie marine (Petromyzon marinus) sont les migrateurs amphihalins1 qui ont connu le plus grand déclin ces dernières années, notamment en France. Ces espèces sont désormais classées respectivement en danger critique (CR) et en danger (EN) d’extinction sur la dernière liste rouge des espèces menacées de poissons d’eau douce de France métropolitaine, datant de 2019 (Anonyme, 2019). Ces deux mêmes espèces étaient respectivement classées vulnérable (VU) et quasi menacée (NT) sur la précédente liste rouge de 2010 (Anonyme, 2010). Les trois autres espèces de lamproie et d’aloses anadromes2: la lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis), l’alose feinte de l’Atlantique (Alosa fallax) et l’alose feinte méditerranéenne (Alosa agone) sont elles aussi dans un état potentiellement préoccupant, puisqu’elles sont respectivement classées vulnérable (VU) pour la lamproie fluviatile et quasi menacées (NT) pour les deux espèces d’aloses.

Les déclins de ces populations ont été assez brutaux, en une décennie environ, alors même que les populations françaises de grande alose et de lamproie marine étaient les plus importantes d’Europe, au cœur de l’aire de répartition de ces espèces, et soutenaient des pêcheries importantes (Bagliniere et al., 2004 ; Beaulaton, 2008 ; Beaulaton et al., 2008). La population de grande alose du bassin Gironde-Garonne-Dordogne notamment a connu un important déclin au milieu des années 2000 alors qu’elle était considérée comme une population de référence (Rougier et al., 2012). Cependant, les évolutions restent à ce jour encore mal documentées dans la plupart des bassins versants et ne font pas consensus auprès des acteurs concernés par les poissons migrateurs.

L’aire de répartition actuelle des aloses et des lamproies est largement réduite par rapport à ce qui a pu être documenté par le passé. Merg et al. (2020) ont ainsi estimé qu’à l’échelle de la France, l’aire de répartition des lamproies anadromes a diminué de 41 % et celle des aloses de 69 % par rapport à la distribution historique (1750-1900). Sur le bassin Gironde-Garonne-Dordogne, la grande alose fréquentait encore le Lot, le Tarn, et la Garonne jusqu’à Toulouse dans les années 1950. Sur le bassin de la Seine, l’espèce était répartie sur les grands axes du bassin jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, puis considérée éteinte dans les années 1960 (Le Pichon et al., 2020). Sur le bassin du Rhin, plusieurs centaines de milliers de grandes aloses étaient autrefois capturées annuellement, faisant du Rhin l’un des principaux bassins abritant l’espèce à l’échelle de son aire de répartition, jusqu’à sa disparition vers 1940 (De Groot, 2002 ; Scharbert et Clavé, 2011).

Concernant la lamproie marine, il est fait état d’observations très en amont sur le bassin Gironde-Garonne-Dordogne par le passé : sur la Vézère, à Argentat sur la Dordogne, sur la Cère ou à Carbonne sur la Garonne (Anonyme, 2022). Sur la Charente, la station de Crouin, à cent kilomètres de l’océan, a longtemps constitué le front de colonisation de l’espèce (Postic-Puivif et al., 2023). Historiquement, ce front était situé à Voulême, à deux cent soixante-dix kilomètres de l’embouchure (source : Cellule Migrateurs Charente Seudre3). Sur la Seine, des données historiques signalent la présence de la lamproie marine bien en amont de Paris (Beslagic, 2013), tandis que sur la Loire l’espèce est considérée comme pouvant coloniser a minima l’ensemble des zones occupées par la grande alose, notamment le Haut-Allier (Steinbach, 2000).

Compte tenu des enjeux de conservation, la réalisation d’un diagnostic national sur l’état des populations d’aloses et de lamproies anadromes en France, ainsi qu’une identification des facteurs connus ou supposés de déclin sont apparues nécessaires. Cet article présente les principaux résultats de l’élicitation d’experts visant à identifier les pressions, ainsi que les résultats des regroupements de séries temporelles d’évolution des populations en tendances synthétiques plus facilement visualisables que les données brutes. Ce travail s’est également appuyé sur une synthèse bibliographique qui n’est pas présentée ici.

Approche utilisée et description des méthodes

Élicitation d’experts

Le Pôle pour la gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement (MIAME) a constitué un groupe de neuf experts (co-auteurs de cet article, hormis Maud Charles et Marius Dhamelincourt qui ont été les chevilles ouvrières de ce groupe) regroupant des scientifiques aux profils complémentaires mais tous liés à l’étude des migrateurs amphihalins en général et aux aloses et aux lamproies en particulier. Ces experts ont participé à l’ensemble du travail et ont notamment contribué à l’élicitation. Cette méthode consiste en une représentation et une capitalisation des connaissances de chaque expert sous forme de distributions de probabilités (Mukherjee et al., 2015). Ces distributions sont traitées afin de mettre en évidence les connaissances et incertitudes existantes.

Différentes méthodes d’élicitation existent. Parmi celles-ci, on retrouve la méthode Delphi (Martin et al., 2012 ; Mukherjee et al., 2015), qui peut aboutir à un consensus (Delphi de décision), un dissensus (Delphi argumentaire) ou un cas intermédiaire (Delphi politique ou de scénario). Dans cette étude, il s’agit plutôt d’un Delphi argumentaire, visant à mettre en évidence des visions potentiellement différentes pour chaque question/proposition. Ici, les propositions correspondent à douze causes génériques de déclin identifiées via la revue bibliographique (encadré 1).

Encadré 1. Liste des pressions identifiées au cours du travail de synthèse.

La principale difficulté rencontrée pour l’évaluation d’experts était de proposer une liste de pressions synthétique mais suffisamment détaillée pour éviter des différences d’interprétations entre les experts. Les intitulés complets des pressions sont les suivants :

1. Réduction ou perte d’habitats liées à la présence d’obstacles physiques ou chimiques ou à la destruction des habitats (assèchement par exemple).

2. Altérations et modifications physiques des habitats (aménagement, envasement, perturbations hydrologiques, changement climatique, etc.).

3. Mortalités par pêche ciblée.

4. Mortalités par pêche non ciblée (prises accessoires) en mer et en eau douce.

5. Pêche illégale.

6. Mortalité directe par entrainement mécanique par les systèmes industriels (station de pompage des centrales nucléaires, hydro-électricité, agricultures et autres industries).

7. Impact négatif dû à la raréfaction de la ressource trophique.

8. Pollutions chimiques des masses d’eau (ponctuelles ou diffuses) dues aux activités agricoles, aux rejets domestiques et industriels entrainant l’écotoxicité du milieu.

9. Pollutions organiques des masses d’eau (ponctuelles ou diffuses) dues aux activités agricoles, aux rejets domestiques et industriels entrainant, entres autres, l’eutrophisation du milieu.

10. Augmentation de la pression de prédation, notamment par les espèces exotiques. 11. Maladies (virus, bactéries, parasites).

12. Perte de la structure génétique due à l’augmentation de l’hybridation entre espèces (uniquement pour les aloses).

La première étape de l’élicitation correspond à la définition de l’objet sur lequel portera la méthode. Il s’agit ici des douze causes de déclin décrites précédemment. Ensuite vient le choix des experts. Ces derniers doivent être indépendants, avoir une bonne représentativité par rapport à l’objet visé (variété de thématiques de travail) et posséder des connaissances solides sur les populations d’aloses et de lamproies en France. Les différentes thématiques couvertes sont ainsi la dynamique des populations, l’écologie comportementale, la biologie de la conservation, la génétique au sens large ou encore les pêcheries. Par ailleurs, les experts sont largement répartis sur le territoire, permettant ainsi un ressenti différent, les problématiques pouvant varier entre les bassins versants considérés. La troisième étape correspond à l’élaboration du questionnaire. Un questionnaire accessible en ligne a été proposé, permettant aux experts de répondre à tout moment et anonymement. Les réponses des autres experts n’étaient pas visibles pour éviter un phénomène d’influence lié au groupe. Les experts ont dû fournir un intervalle entre 0 et 1 illustrant leur avis sur l’importance du critère énoncé dans la chute des populations d’aloses et de lamproies. Plus les valeurs de l’intervalle étaient proches de 1, plus l’impact du paramètre était jugé important. La largeur de l’intervalle proposé a permis d’évaluer l’incertitude de la réponse. L’approche et la méthodologie utilisées pour le traitement des résultats de l’élicitation sont semblables à celles utilisées par Drouineau et al. (2021) et Tableau et al. (2013).

Regroupement de séries temporelles en groupes de tendances

Les données utilisées sont les séries temporelles remontant au moins à 2005 (sources des données : Associations migrateurs de France4, EPTB5 Bresle, EPTB Charente, Quimperlé Communauté, SMATAH6-Région Bretagne, Eaux et Vilaine, Fédérations départementales de pêche et de protection du milieu aquatique du Calvados, de l'Ille-et-Vilaine, du Morbihan, de l'Eure et de la Manche, Université de Tours, IFREMER, INRAE, OFB). Pour les aloses, ces données proviennent de stations de comptage 7 (vingt-cinq séries pour les aloses, vingt-quatre pour les lamproies), de pêcheries (vingt séries pour les aloses, huit pour les lamproies), de comptages de bulls8 (cinq séries pour les aloses), de comptages de nids9 (neuf séries pour les lamproies) et de fronts de migration (une série pour les aloses). Les séries temporelles des différentes espèces d’aloses ont été analysées ensemble, tout comme celles des différentes espèces de lamproies. Sur ces regroupements de séries temporelles, une analyse factorielle dynamique (AFD) a été appliquée (Zuur et al., 2003b, 2003a). Cette méthode permet de résumer de nombreuses séries temporelles en un nombre de tendances réduit, donc plus facilement interprétables. Elle permet notamment d’analyser des séries courtes, ou avec des données manquantes. À chaque série on associe un poids pour chaque tendance calculée par la méthode. Cette combinaison de poids est utilisée pour regrouper ensuite les séries par groupes selon la proximité de leurs poids. La courbe moyenne de tendance de ces groupes peut ensuite être visualisée et interprétée. La méthode est détaillée dans la figure 1.

Figure 1. Détail des quatre étapes de la méthode de regroupement des séries temporelles. Le regroupement des séries temporelles a été effectué à partir des résultats d’une analyse factorielle dynamique (AFD) réalisée sur le logiciel R, avec le package MARSS10 (Holmes et al., 2021).

Pressions affectant les lamproies et les aloses selon l’élicitation d’experts

La figure 2 illustre les distributions des réponses des experts sur l’importance de chacune des pressions considérées pour les aloses. Cette représentation permet une identification des pressions plus aisée que l’analyse des réponses brutes. Les distributions sont globalement assez étalées, ce qui reflète notamment l’importante variabilité de réponse entre les experts, potentiellement liée à leur spécialité scientifique ou à la localisation des populations qu’ils étudient. Cependant, certaines pressions se détachent plus que les autres (médiane d’importance supérieur à 0,5), avec dans l’ordre décroissant la perte d’habitats, la prédation, les altérations d’habitats et la pêche ciblée. Les pollutions chimiques ont une valeur médiane aux alentours de 0,5. Pour les pressions dont l’importance dont la valeur médiane est située en dessous de 0,5, il est nécessaire de distinguer deux catégories. Premièrement, certaines pressions peuvent ne pas être clairement évaluées par manque de connaissance sur leur impact. Cela semble notamment être le cas pour les maladies, avec une incertitude importante. Ensuite, certaines pressions peuvent être mieux documentées (faible incertitude) mais avec un impact jugé moyen ou faible. La pêche illégale et la perte de structure génétique font partie de cette catégorie.

Figure 2. Distributions de probabilités de l’importance des pressions sur les aloses, basées sur les réponses des experts. Plus la courbe est étendue avec une densité faible, plus les avis divergent ou sont incertains.
La ligne rouge pointillée indique la valeur intermédiaire d’importance (0,5). La zone en bleu foncé indique la zone médiane de la distribution, avec 50 % des valeurs de part et d’autre de cette zone. À l’inverse, la couleur jaune indique les queues de distribution, avec une majorité de valeurs au-dessus (valeurs extrêmes basses de la distribution, à gauche) ou en-dessous (valeurs extrêmes hautes de la distribution, à droite).

La figure 3 traite des lamproies et fait ressortir les cinq mêmes pressions pour les aloses, à savoir la perte d’habitats, la prédation, l’altération des habitats, la pêche ciblée et la pollution chimique (valeur médiane d’importance supérieure à 0,5). On observe que la perte d’habitats, la prédation et l’altération des habitats forment un groupe ayant une valeur médiane d’importance au-delà de 0,6. Un autre groupe distingue la pêche ciblée et les pollutions chimiques, aux alentours de 0,5 de valeur médiane.

Compte-tenu de ces résultats, il apparaît pertinent de considérer en priorité cinq pressions pour expliquer les tendances à la baisse, à savoir la perte d’habitats, la prédation, les altérations d’habitats, la pêche ciblée ainsi que les pollutions chimiques. Ces pressions doivent être l’objet de mesures de gestion. Néanmoins, les autres pressions ne doivent pas être écartées définitivement au regard des incertitudes observées et doivent être surveillées.

Figure 3. Distributions de probabilités de l’importance des pressions sur les lamproies, basées sur les réponses des experts. Plus la courbe est étendue avec une densité faible, plus les avis divergent ou sont incertains.
La ligne rouge pointillée indique la valeur intermédiaire d’importance (0,5). La zone en bleu foncé indique la zone médiane de la distribution, avec 50 % des valeurs de part et d’autre de cette zone. À l’inverse, la couleur jaune indique les queues de distribution, avec une majorité de valeurs au-dessus (valeurs extrêmes basses de la distribution, à gauche) ou en-dessous (valeurs extrêmes hautes de la distribution, à droite).

Tendances des populations d’aloses et de lamproies

La figure 4 présente les résultats du groupement réalisé à partir des résultats de l’AFD, pour les aloses. Ces tendances lissées indiquent l’existence de douze groupes, classés selon la survenue d’un pic d’abondance plus ou moins marqué mais commun à toutes les séries de chacun des groupes. Sur ces douze groupes, neuf présentent une tendance à la diminution. Les groupes dix à douze ont une tendance à la stabilité ces dernières années et sont principalement constitués de séries provenant de Bretagne et Normandie ou de données de pêcheries en estuaire.

L’analyse de la répartition des séries d’un point de vue géographique permet de relever certains points communs entre les séries. Ainsi, on remarque tout d’abord que les séries temporelles du bassin Gironde-Garonne-Dordogne présentent en général un pic vers le milieu des années 1990 (visible sur les groupes n° 1 et n° 2 notamment), plus ou moins prononcé. On peut grossièrement décaler ce pic au début des années 2000 pour la Loire (groupes n° 3, 4, 5, 7, 8 et 9). Plus récemment, les tendances de ces différents bassins sont proches, assez stables avec une légère tendance à l’augmentation. On observe en revanche certains bassins versants plus petits comme ceux du Scorff, de l’Orne, de la Vire et de la Vilaine (groupes n° 8, 10, 11 et 12) avec des valeurs augmentant légèrement depuis les années 1990. On remarque tout de même une période plus haute dans les années 2000 (sauf le groupe n° 12), comme pour la Loire, mais moins marquée. Les séries du Rhône, du Rhin et de l’Adour (clusters n° 6 et 12) sont relativement stables mais on retrouve ici aussi une période plus haute dans les années 2000, hormis pour le Rhin. Ces éléments indiquent que le déclin des populations d’aloses est quasi général mais s’est d’abord produit sur le bassin de la Garonne puis celui de la Loire, avec des diminutions moins marquées en Bretagne et Normandie.

Figure 4. Tendances moyennes de chacun des groupes obtenus lors du groupement des séries selon leur similarité, pour les aloses. Chaque courbe est obtenue en moyennant les séries temporelles d’un groupe donné après traitement par l’AFD et en appliquant une moyenne mobile pondérée11 pour obtenir une courbe plus « lisse » et facile à interpréter.
La ligne pointillée verticale rouge indique le maximum de la courbe. ALA = grande alose ; ALF = alose feinte ou alose feinte du Rhône ; ALX = espèces non différenciées ; vert = stations de comptages de migrateurs ; orange = pêche professionnelle ou amateur ; violet = comptages de bulls. Illustrations : Matthieu Nivesse (voir ponapomi.ofb.fr).

La figure 5 présente les résultats du groupement pour les lamproies. Onze groupes ont été obtenus. On observe une tendance quasiment généralisée à la diminution, hormis pour les trois séries des groupes 9, 10 et 11 pour lesquels la tendance est plus stable depuis un pic survenu en 2015 ou 2016. Les séries concernées sont situées en Bretagne et en Normandie.

Pour les lamproies, on observe généralement un pic sur les séries, resserré autour de 2003 (année 2004 sur les graphiques suite au lissage à partir des tendances) pour le bassin Garonne-Dordogne et plus diffus pour les autres bassins, s’étalant jusqu’au début des années 2010 selon les séries. Les séries ayant eu ce pic de manière plus tardive semblent être celles situées sur les bassins versants les plus au nord, soit la Vilaine, la Vire, l’Orne ou le Rhin. Par ailleurs, on observe que les séries qui ont connu un fort déclin, allant jusqu’à l’absence d’observations d’individus ces dernières années, sont plutôt celles situées en amont de leurs bassins versants respectifs. C’est notamment le cas sur le bassin Gironde-Garonne-Dordogne et sur celui de la Loire, où l’on observe une baisse décalée dans le temps et moins brutale au niveau de l’estuaire qu’en amont.

Figure 5. Tendances moyennes de chacun des groupes obtenus lors du groupement des séries selon leur similarité, pour les aloses. Chaque courbe est obtenue en moyennant les séries temporelles d’un groupe donné après traitement par l’AFD et en appliquant une moyenne mobile pondérée pour obtenir une courbe plus « lisse » et facile à interpréter.
La ligne pointillée verticale rouge indique le maximum de la courbe. ALA = grande alose ; ALF = alose feinte ou alose feinte du Rhône ; ALX = espèces non différenciées ; vert = stations de comptages de migrateurs ; orange = pêche professionnelle ou amateur ; violet = comptages de bulls. Illustrations : Matthieu Nivesse (voir ponapomi.ofb.fr).

Des analyses complémentaires réalisées indépendamment pour les aloses et pour les lamproies n’ont pas permis de mettre en évidence un effet de la latitude, de la présence ou absence de pêche professionnelle, de la surface du bassin versant ou de la date de première détection du silure (espèce carnassière prédatrice). Cela indique qu’il est difficile en l’état actuel des connaissances de mettre en évidence un unique facteur de déclin, ce qui est cohérent avec l’élicitation d’experts qui identifie plusieurs pressions majoritaires.

Bilan sur la situation des aloses et des lamproies en France

Ce travail de synthèse a permis de préciser la dynamique de déclin quasiment généralisé des aloses et des lamproies en France (neuf/douze groupes à la baisse pour les aloses et huit/onze groupes à la baisse pour les lamproies), constat commun à une grande partie de l’aire de répartition de ces espèces. La temporalité de ce déclin est illustrée grâce aux groupes constitués par l’analyse de séries temporelles. Le travail de classification ne montre pas d’explications évidentes aux patrons observés. Ce constat indique qu’à la fois des causes communes et des causes plus locales peuvent intervenir dans ce déclin. La revue bibliographique des pressions (non présentée ici) montre qu’elles jouent toutes un rôle dans le déclin actuel, sans que l’on soit en mesure de les hiérarchiser. L’élicitation d’experts conforte la revue bibliographique et donne les facteurs suivants comme étant les plus à même d‘expliquer les tendances observées : la réduction ou la perte de l’accessibilité et de la disponibilité des habitats, la pression de prédation, l’altération et les modifications physiques des habitats, la pêche ciblée, ainsi que la pollution chimique des masses d’eau. Ce travail a identifié plusieurs pistes d’amélioration des connaissances concernant l’habitat, la prédation, la pêche ciblée, les pollutions chimiques, la phase marine du cycle de vie et le diagnostic du fonctionnement des populations (encadré 2).

Encadré 2. Recommandations issues du travail de synthèse.

Le comité d’experts constitué, en se basant sur les résultats de l’élicitation et la synthèse bibliographique, a établi une liste de priorités de recherche au niveau local ou national, par thématique :

Tendances des populations

• National : s’assurer collectivement de la pertinence et de la cohérence des suivis.

• Local : conforter les suivis actuellement réalisés et initier de nouveaux suivis dans les territoires non ou peu couverts.

• Local et national : réaliser régulièrement des synthèses des suivis.

Habitats

• Local : déterminer la quantité de frayères disponible.

• Local : évaluer la continuité entre les habitats.

• National : développer des méthodes d’évaluation de la qualité des frayères.

• National : développer des méthodes d’évaluation de la quantité et de la qualité des zones de croissance.

Prédation

• National : passer des taux de prédation locaux à un taux de mortalité à l’échelle des populations.

• National et local : mettre en place des indicateurs d’abondance de silures par classe de taille.

Pêche ciblée

• National et local : obtenir des données fiables de capture lorsque la déclaration est obligatoire.

• National et local : récolter des données lorsqu’il n’existe pas d’obligation.

• Local : déterminer régulièrement les taux d’exploitation par les pêcheries professionnelles et amateurs.

Pollutions chimiques

• National : prioriser les approches par cocktails de polluants.

• National : identifier les composés problématiques dans un second temps.

Partie marine du cycle de vie

• National : acquisition de connaissances sur le cycle de vie en mer.

Fonctionnement des populations

• National : construire un modèle de dynamique des populations pour synthétiser les connaissances et quantifier les impacts des pressions.

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Photo d’entête : © U3E

Notes

  • 1. Qualifie les espèces aquatiques passant une partie de leur cycle de vie en mer mais remontant les cours d’eau pour s’y reproduire.
  • 2. Qualifie les espèces vivant alternativement en eau douce ou en milieu marin.
  • 3. https://www.migrateurs-charenteseudre.fr/tableau-de-bord/lamproie-marine/2014/front-de-migration-18/
  • 4. MIGADO (MIgrateurs Garonne Dordogne), LOGRAMI (Loire grands migrateurs), MRM (Migrateurs Rhône-Méditerranée), Saumon-Rhin, Seinormigr (Seine-Normandie migrateurs), Migrateurs Charente-Seudre, MIGRADOUR, Réserve naturelle de la frayère d’alose.
  • 5. EPTB : établissement public territorial de bassin.
  • 6. SMATAH : syndicat mixte d'aménagement touristique de l'Aulne et de l'Hyères.
  • 7. Dispositif de comptage généralement situé au niveau d’un dispositif de franchissement de barrage (passe à poissons).
  • 8. Acte de ponte durant lequel le mâle et la femelle frappent violemment la surface de l’eau avec leur nageoire caudale, lors d’un mouvement circulaire (son facilement identifiable).
  • 9. Comptage direct des nids de lamproies sur les sites de fraie, avec ou sans extrapolation du nombre d’individus.
  • 10. R est un langage de programmation open-source largement utilisé pour l'analyse statistique et la manipulation de données. Les packages sont des ensembles de fonctions permettant d’améliorer ou étendre les fonctionnalités de base de R.
  • 11. Une moyenne mobile pondérée est une moyenne calculée pour chaque valeur (ici les années) en prenant en compte les valeurs précédant et suivant la valeur considérée (fenêtre glissante). Cela permet de gommer les fluctuations passagères et de mieux mettre en avant la tendance générale. Elle est dite pondérée car dans le calcul plus de poids est apporté aux valeurs récentes, permettant notamment une meilleure sensibilité aux changements récents dans les données.

Références

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Résumé

Les aloses et les lamproies anadromes sont menacées dans une grande partie de leur aire de réparti-tion. Ce travail vise à déterminer les tendances des populations en France et à identifier les pressions les plus probables. Des séries temporelles provenant de différentes sources (vidéo-comptage, pêche professionnelle et amateur, nids, bulls et fronts de migration) ont été collectées et regroupées selon la similarité de leurs tendances. Ces groupes révèlent un déclin important au cours des dernières an-nées tant pour les aloses que pour les lamproies. La situation actuelle est particulièrement alarmante car les principales populations historiques sont à des niveaux très bas et préoccupants. Une méthode d’élicitation d’experts appuyée par une revue bibliographique a été réalisée pour déterminer celles expliquant a priori les tendances observées ces dernières années. Ce travail met en évidence le déclin presque généralisé des populations d’aloses et de lamproies en France. Il identifie plusieurs do-maines dans lesquels les connaissances peuvent être améliorées. Ces résultats doivent inciter les gestionnaires à une meilleure gestion de ces espèces sans délai.

Auteurs


Marius DHAMELINCOURT

marius.dhamelincourt@inrae.fr

Affiliation : U3E (Unité Expérimentale d'Écologie et d'Écotoxicologie aquatique), INRAE, OFB, Rennes / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Maud CHARLES

Affiliation : U3E (Unité Expérimentale d'Écologie et d'Écotoxicologie aquatique), INRAE, OFB, Rennes / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Catherine BOISNEAU

Affiliation : UMR CITERES (CItés, TERritoires, Environnement et Sociétés), Université de Tours

Pays : France


Françoise DAVERAT

Affiliation : UMR ECOBIOP (Écologie Comportementale et Biologie des Populations de Poissons), INRAE, UPPA, Saint-Pée-sur-Nivelle Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Guillaume EVANNO

Affiliation : DECOD (Dynamique et Durabilité des Écosystèmes), L'Institut Agro, IFREMER, INRAE, Rennes, France. Service de l’eau et des milieux aquatiques, Direction Surveillance, Évaluation, Données, OFB, U3E, Rennes / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Patrick LAMBERT

Affiliation : Unité EABX (Écosystèmes aquatiques et changements globaux), INRAE, Cestas / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Émilien LASNE

Affiliation : DECOD (Dynamique et Durabilité des Écosystèmes), L'Institut Agro, IFREMER, INRAE, Rennes, France. Service de l’eau et des milieux aquatiques, Direction Surveillance, Évaluation, Données, OFB, U3E, Rennes / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Sophie LAUNEY

Affiliation : DECOD (Dynamique et Durabilité des Écosystèmes), L'Institut Agro, IFREMER, INRAE, Rennes, France. Service de l’eau et des milieux aquatiques, Direction Surveillance, Évaluation, Données, OFB, U3E, Rennes / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Céline LE PICHON

Affiliation : UR HYCAR, INRAE, Université Paris-Saclay, Antony / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Cédric TENTELIER

Affiliation : UMR ECOBIOP (Écologie Comportementale et Biologie des Populations de Poissons), INRAE, UPPA, Saint-Pée-sur-Nivelle Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Laurent BEAULATON

Affiliation : Service Conservation et gestion durable des espèces exploitée, Direction de la Recherche et de l’Appui Scientifique, OFB, U3E, Rennes / Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leur Environnement, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France

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