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Valorisation agro-écologique de sédiments lacustres en contexte de revégétalisation de pelouse subalpine (Barrage du Mont Cenis, Alpes, France)

Chapeau

En montagne, les milieux naturels sont impactés par de nombreux aménagements touristiques et agricoles qui fragilisent le couvert végétal et nécessitent des actions de restauration écologique. Cet article présente les résultats d’une expérience de revégétalisation réalisée dans les Alpes françaises du Nord, où les sédiments lacustres issus de la vidange d’un barrage ont été utilisés pour enrichir le sol, et où deux mélanges de graines adaptées aux conditions locales ont été testés avec succès pour reconstituer le couvert végétal.

Contexte

Les chantiers de revégétalisation se multiplient en France pour des accotements routiers, des berges de cours d’eau, des champs photovoltaïques ou des aménagements de cols. Les semences utilisées, généralement des variétés sélectionnées pour leur capacité germinative et leur homogénéité, sont produites à basses altitudes et à travers le monde. Les semis sont réalisés sur des sols très remaniés, ayant perdu la stratification de leurs horizons et leur fonctionnalité. La reprise de végétation est souvent difficile et nécessite généralement un sursemis. Afin d’améliorer l’efficacité des semis dans ses travaux de renaturation, l’entreprise EDF s’est interrogée sur les méthodes à mettre en œuvre tant au niveau de la reconstruction du sol (Fourvel, 2018) que du choix des semences utilisées.

La première phase de réhabilitation réalisée au Mont Cenis a eu lieu dans les années 1990 sur des terrains aux abords du barrage EDF. Ces sols remaniés qui avaient perdu leur valeur pastorale historique ont été réhabilités par les alpagistes grâce à un vaste programme de reconstruction du sol et de réensemencement sur une surface de près de quatre-vingt hectares. La renaturation du site a été réalisée avec des apports annuels de matière organique locale (fumier, lisiers, boues de station d’épuration) sur la base de protocoles techniques validés par les agronomes de la Chambre d’agriculture.

En une petite dizaine d’années, les pelouses ont repris la place du paysage désertique existant après travaux, permettant aux alpagistes de fréquenter à nouveau le site pour l’estive.

En 2016, le barrage du Mont Cenis a fait l’objet d’une vidange totale de sa retenue pour permettre la maintenance des vannes et de l’usine de production électrique. Une partie des sédiments de curage issus de cette opération ont été régalés pour augmenter l’épaisseur du sol jugé trop squelettique par les alpagistes et deux mélanges de graines adaptées aux conditions locales ont été semés en 2017. Les suivis de végétation ont ensuite été réalisés par le Conservatoire botanique national alpin (CBNA) à partir de l’année 2018. EDF a réalisé des prélèvements de sol afin d’identifier et de mesurer les impacts agronomiques de l’apport de sédiments.

Sédiments et graines sur quatre zones test

Zone d’étude

Les sites revégétalisés sont situés dans un contexte de pelouses subalpines calcicoles (code EUNIS : E4.4311 – Gazons à Seslérie bleue et Laîche sempervirente des Alpes) à 1 950 mètres d’altitude (figure 1 A, B). Ces pelouses sont riches en espèces végétales (65 taxons recensés sur la zone témoin) et couvrantes (plus de 90 % de recouvrement du sol), exposées au sud et sur des pentes faibles. L’horizon supérieur du sol, peu profond, présente une forte pierrosité (jusqu’à 60 %) et reste plutôt sec. Le milieu est précocement déneigé par rapport aux versants environnants et peut donc être pâturé tôt en saison, dès le mois de juin à la fonte des neiges et jusqu’au mois d’octobre. Les alpages du Mont Cenis sont convoités depuis le Moyen-Âge ; ils font d’ailleurs partie de la zone de production de l’AOP1 Beaufort où bovins et ovins y pâturent largement.

Figure 1 – A : zone d’étude ; B : pelouse subalpine de référence ; C : site revégétalisé.

Source : S. Huc, CBNA, 2021.

L’expérimentation

Fin 2016, les parcelles ont été délimitées et deux mélanges de sédiments composés de compost de déchets verts et de fumier ont été préparés. La parcelle 1b_PHYS1 de 1 400 m², dont le sol était limono-sableux et présentait une profondeur maximale de 6 cm, a reçu une épaisseur de 3 cm de sédiments (300 m³/ha), 1 cm de compost de déchets verts et 1 cm de fumier (100 m³/ha). Les parcelles 2b_CV2 et 2b_PHYS1 de 5 700 m² au total, plus sableuses et d’une profondeur de 2 à 4 cm, ont reçu 5 cm de sédiments, 2 cm de compost et 2 cm de fumier.

Ces sols receveurs sont caractérisés par une carence en phosphore [< 40 mg/kg] et en potassium [< 90 mg/kg], une teneur en azote total faible [< 0,27 %], une CEC (capacité d’échange cationique) elle aussi basse [< 7,3 mEq/100 g) et une teneur en matière organique satisfaisante [4-5 %].

Les analyses des sédiments à régaler ont montré une valeur agronomique assez proche de celle des sols locaux, avec cependant une teneur en matière organique plus faible de l’ordre de 2 % et des teneurs en nutriments NPK2 moindres, ce qui a nécessité les apports en amendements organiques. Il faut donc considérer l’apport de sédiments non pas comme un amendement mais comme une reconstitution de sol pour obtenir un support de culture permettant une couverture végétale pérenne.

L’apport de fumier et de compost doit permettre d’augmenter les teneurs en NPK et en matière organique ; l’ajout de compost contribuera aussi à l’amélioration de la structure du sol, de sa porosité et de sa rétention en eau, conditions essentielles d’un bon enracinement.

Le sol a ensuite été ensemencé avec deux mélanges de graines différents selon les parcelles :

• le premier est composé à 100 % d’espèces à certification obligatoire (encadré 1) et correspond aux mélanges généralement utilisés lors de chantiers de revégétalisation de prairies dans un but strictement agronomique. Ce mélange est nommé CV dans la suite de cet article ;

Encadré 1 – Espèces à certification obligatoire en fourragères.

La liste est définie par la réglementation communautaire : il s’agit d’espèces comme la luzerne, le trèfle violet, le ray-grass anglais… En France, la commercialisation concerne uniquement les variétés inscrites au catalogue européen ou français (https://www.geves.fr/catalogue/). Plusieurs normes de commercialisation doivent être respectées : germination, pureté spécifique, pureté variétale, absence de semences indésirables, absence de certaines maladies (seuil)… Les champs de production sont contrôlés ; les lots sont testés et certifiés par l’autorité compétente (Service officiel de contrôle et de certification) ou sous supervision.

• le second est plus expérimental, composé à 89,2 % d’espèces à certification obligatoire comme le précédent mélange et à 10,8 % d’espèces sauvages locales récoltées et produites dans les Alpes (figure 1 C), selon le référentiel technique de la marque Végétal local (encadré 2). Il répond davantage à un objectif agro-écologique permettant d’intégrer des écotypes locaux, garantissant une grande diversité génétique et une traçabilité des graines lors des phases de collecte et de production. Ce mélange est nommé PHYT dans la suite de cet article.

Encadré 2 – Végétal local.

Végétal local est une marque appartenant à l’Office français de la biodiversité (OFB). Les trois principales valeurs garanties par la marque au travers du référentiel technique sont la conservation (du patrimoine génétique local), la diversité (intra et interspécifique) et la traçabilité (garantie de l’origine locale et sauvage). La marque s’appuie sur la carte des zones d’origine pour garantir la traçabilité des végétaux tout au long des étapes de collecte, de production et de commercialisation. Cette marque s’applique à tous les végétaux sauvages d’origine locale (issus d’une zone d’origine) sauf les espèces protégées ou rares et les espèces horticoles, fourragères, agricoles ou sélectionnées (https://www.vegetal-local.fr).

La composition des deux mélanges figure dans le tableau 1.

Tableau 1 – Mélanges grainiers semés en 2017 sur les sites étudiés.


Mélange CV

Mélange PHYT

Densité semée

110 kg/ha

100 kg/ha

Espèces à certification obligatoire

Dactylis glomerata

10 %

10 %

Schedonorus pratensis

21 %

15 %

Festuca rubra gazonnante

11 %

10 %

Festuca rubra traçante

11 %

10 %

Phleum pratense

8 %

7 %

Arrhenatherum elatius

11,2 %

Lotus corniculatus

4 %

2 %

Poa pratensis

12 %

Lolium perenne anglais

10 %

8 %

Onobrychis viciifolia

4 %

11,5 %

Trifolium repens nain

4 %

1,5 %

Trifolium pratense

3 %

Alopecurus pratensis

5 %

Espèces sauvages d’origine Alpes

Achillea millefolium

0,25 %

Daucus carota

1 %

Hypericum perforatum

0,25 %

Leucanthemum vulgare

0,8 %

Patzkea paniculata

1,5 %

Plantago lanceolata

1 %

Sanguisorba minor

5 %

Silene italica

0,5 %

Silene latifolia

0,5 %

Nombre d’espèces

11

20

Une zone témoin, sans dépôt de sédiment et sans semis, a été préservée et représente l’écosystème de référence.

Ainsi quatre sites ont fait l’objet d’un suivi de végétation (CBNA) et trois sites d’un suivi agronomique (EDF) : ils sont situés dans un rayon de 200 mètres sous le barrage de la retenue.

Le suivi pédologique de la végétation et des sédiments : méthodologie

Les sols ont été décrits par l’ouverture de profils (horizons, hydromorphie, densité racinaire) et de nombreux prélèvements à la tarière. Plusieurs paramètres physiques ont été mesurés comme la texture, la capacité de rétention en eau et la stabilité structurale (formation d’agrégats, risques de battance). Des analyses chimiques ont été réalisées (pH, éléments nutritifs, teneur en matière organique…) et leur innocuité a aussi été testée (analyses des métaux totaux et mobiles, comparaison aux seuils de l’arrêté « boues »).

Le suivi de la végétation a consisté à noter dans chaque zone :

• le taux de recouvrement de la végétation qui permet d’apprécier la reprise des espèces semées et des espèces spontanées issues de la banque de semences du sol. Ces taux sont mesurés par échantillonnage aléatoire avec 10 lancers de quadrat de 0,5 x 0,5 m (soit 0,25 m²) dans chaque zone. Chaque quadrat est subdivisé en 25 sous-quadrats, ce qui permet de noter le taux de présence de végétation en pourcentage ;

• la liste des espèces végétales détectables par zone. Seules les trachéophytes (plantes vasculaires) sont notées ; les lichens et les mousses sont exclus des relevés de végétation.

Ces attributs permettent ensuite d’analyser plusieurs indicateurs : la réussite du semis par les taux de recouvrement de végétation et les taux de reprise des espèces semées (rapport entre le nombre d’espèces semées observées et le nombre d’espèces semées totales), la renaturation de l’écosystème par la richesse spécifique et l’évolution du nombre d’espèces cibles, et la valorisation agro-écologique par l’analyse de deux familles botaniques (graminées et fabacées) qui jouent un rôle important dans l’alimentation du bétail. Les espèces cibles sont définies comme celles qui sont présentes dans l’écosystème de référence.

Résultats : des sols peu productifs adaptés aux espèces alpines

Caractéristiques des sols reconstitués

Les sols reconstitués avec les mélanges de sédiments, compost et fumier ont permis une augmentation de leur épaisseur ; de 2 à 6 cm à l’origine, les profondeurs observées sont aujourd’hui de l’ordre de 10 à 12 cm, ce qui améliore la réserve utile en eau (RU) des parcelles.

La parcelle 2 étant constituée à l’origine d’un sol sableux, l’apport de sédiments a modifié sa texture aujourd’hui limono-sableuse, permettant d’améliorer sensiblement la valeur agronomique du sol.

Cette amélioration de la texture facilite l’installation des plantes. Ainsi, une forte croissance des appareils racinaires a été observée au cours du temps, témoin de la vigueur de la végétation (photo 1).

Photo 1 – Systèmes racinaires relevés dans les sites revégétalisés quatre années après le semis.

Source : G. Friboulet, EDF.

Cet enracinement est essentiel pour la stabilisation des sols, notamment en terrains pentus, et contribue à limiter l’érosion.

Comme les caractéristiques des sédiments sont finalement très proches de celles des sols en place, aucun déséquilibre n’est observé (figure 2). Le pH reste alcalin [8,1] et le taux de calcaire relativement important [15 %] conserve sa partie active inférieure à 1 %. Le taux de matière organique [de 5,5 à 7,1 %] est légèrement plus élevé que celui des parcelles d’origine [4,0 à 5,1] et dépend de l’importance du pâturage, mais la teneur en azote reste cependant très faible [0,3 %]. La capacité d’échanges cationiques a sensiblement progressé, passant de [6 à 10 meq/100 g] mais reste faible. Le rapport C/N se maintient à l’équilibre autour de 12. Les teneurs en phosphore évoluent en fonction de la pression de pâturage. L’indice risque de battance n’a pas évolué et reste faible [0,3].

Figure 2 – Teneurs en éléments fertilisants. Les seuils définissent des propriétés idéales d’un sol support de végétation.

Source : ADEME-SITERRE.

Des indicateurs de reprise de végétation

Les taux de recouvrement de la végétation sont comparés entre les deux mélanges, quatre années après semis. En 2021, le mélange CV qui ne comprend que des espèces à certification obligatoire présente un taux de recouvrement de 73,5 %, alors que le mélange PHYT qui contient en outre des espèces sauvages d’origine locale a un taux de recouvrement de 80,8 %. La différence entre ces deux valeurs est non significative (p-value = 0,1896) selon le test de corrélation de Pearson.

Le taux de reprise des espèces semées permet d’apprécier l’efficacité des mélanges les premières années. En quatre ans, les espèces du mélange CV se sont davantage exprimées que celles du mélange PHYT, avec des taux supérieurs à 65 % pour le premier contre 40 % pour le second. Les 11 espèces du mélange CV ont été observées durant les quatre années de suivi, alors que deux espèces sur les 20 semées du mélange PHYT n’ont jamais été observées sur cette période : Patzkea paniculata et Hypericum perforatum. Ceci peut être lié aux capacités de germinations réduites des espèces, ou simplement à des conditions édaphiques défavorables.

La richesse spécifique seule ne permet pas d’évaluer la réussite de la revégétalisation car elle inclut toutes les espèces présentes, y compris les espèces rudérales. Elle donne toutefois une indication sur l’évolution du cortège floristique. En l’occurrence, cette richesse varie selon les années d’observation, en lien probablement avec les saisons climatiques.

Des indicateurs écologiques

L’écosystème de référence correspond à l’état souhaitable, attendu après revégétalisation, atteignable via une succession d’étapes appelées trajectoires (Le Floc'h & Aronson, 1995). Les espèces semées ont pour rôle d’initier ou d’accélérer la constitution d’une série de végétation adaptée au biotope initial, qui va le faire évoluer jusqu’à l’état souhaitable, et rendre le milieu fonctionnel pour les usages attendus.

Dans notre cas, cet indicateur est apprécié en analysant l’évolution du nombre d’espèces cibles présentes dans les sites revégétalisés. Ce nombre évolue de la même façon quel que soit le mélange semé entre 2018 et 2021, mais les valeurs restent faibles par rapport aux 65 espèces présentes dans l’écosystème de référence.

Dans un contexte de pelouses naturelles, la dispersion des espèces sauvages locales vient enrichir les cortèges d’espèces semées. On observe une colonisation naturelle par les espèces locales qui s’accélère en lien avec la reconstitution progressive du sol. La gestion pastorale joue ici un rôle déterminant dans la trajectoire de la végétation, à travers l’impact – favorable ou au contraire défavorable selon la charge, la durée, la fréquence et les dates de pâturage – de l’abroutissement, du piétinement et de l’eutrophisation par les déjections animales.

Des indicateurs agronomiques

En agronomie, les espèces fourragères et appétentes pour les troupeaux sont un bon indicateur de la valeur agronomique des formations végétales. La part des graminoïdes et des Fabacées dans les sites restaurés est donc déterminante pour répondre à l’objectif agronomique de la restauration. Nous avons mesuré la part de ces deux grands groupes dans les deux mélanges (CV et PHYT) et dans l’écosystème de référence. Les taux sont quasi-équivalents dans les deux mélanges semés (14 à 18,5 % pour les graminoïdes, 13 à 16 % pour les Fabacées) et dans la zone témoin (21,5 % pour les graminoïdes, 10,8 % pour les Fabacées), mais le cortège de graminoïdes et Fabacées des zones semées est bien différent de celui observé dans la pelouse de référence. Dactylis glomerata, Festuca rubra, Lolium perenne, Onobrychis viciifolia, espèces fourragères de faible qualité des prairies de basse et moyenne altitude, sont dominantes sur les zones semées, au détriment de Festuca laevigata, Poa alpina ou Onobrychis montana, espèces indigènes des pelouses subalpines.

Les espèces inventoriées ont aussi été analysées selon leurs stratégies écologiques d’après le modèle de Grime (Grime, 1974) qui permet de les caractériser selon l’intensité relative de la tolérance à la compétition, au stress ou aux perturbations (espèces rudérales). Nous nous intéressons à ce dernier groupe qui représente 6,1 % dans le mélange CV et 18,6 % dans le mélange PHYT, alors qu’il est nul dans l’écosystème de référence. Ces pourcentages indiquent que les prairies sont en cours de maturation : les espèces pionnières comme Capsella bursa-pastori, Medicago lupulina et Polygonum aviculare perdurent encore quatre années après semis.

Discussion

Une reprise lente et peu dynamique

Afin de mesurer la réussite de cette opération de revégétalisation, nous proposons d’analyser plusieurs indicateurs simples, liés aux espèces végétales présentes. Pour chacun de ces indicateurs, on compare l’écosystème de référence aux mélanges semés. Les graphiques en radar (figure 3) synthétisent les données obtenues pour les différents indicateurs analysés pour les mélanges de graines semées et pour la pelouse subalpine considérée comme écosystème de référence.

Figure 3 – Indicateurs de revégétalisation comparant les sites revégétalisés et la pelouse subalpine de référence. Toutes les valeurs sont en pourcentage (%).

Quatre années après le semis, le milieu est encore loin d'être végétalisé à l'image de l'écosystème de référence, mais les taux de recouvrement ont fortement augmenté dans les deux mélanges. Avec des taux de recouvrement supérieurs à 70 %, l'objectif de réduire les risques d'érosion du sol est atteint (Peratoner, 2003). Pour être pérenne dans le temps, ces taux devront se maintenir plusieurs années consécutives : le sur-piétinement par les bovins peut donc perturber cet équilibre encore fragile. En effet, les modelés de terrain de ces pelouses subalpines sont fortement marqués par les phénomènes de solifluxion (écoulement lent, le long d'une pente, du sol superficiel gorgé d'eau) qui s'exercent régulièrement au printemps et à l'automne en période post- et pré-nivale. Le sol, imbibé d'eau de fonte de neige ou de pluie, subit une dégradation et participe à l'augmentation de la proportion de sol nu (Rey et al., 2004). La protection du sol par la végétation est indispensable pour réduire l'érosion hydrique de surface, donc pour préserver la ressource fourragère présente sur les sites étudiés. Un bon couvert végétal est donc primordial pour garantir la pérennité de la communauté végétale reconstituée.

La richesse spécifique et le taux d’espèces cibles restent faibles par rapport à la référence et variables selon les années. Le cortège floristique est en cours d’évolution : la dynamique végétale est naturellement lente dans ces conditions écologiques contraignantes. La présence d’espèces rudérales souligne bien cette phase de succession. Le taux d’espèces rudérales est encore largement supérieur à l’écosystème de référence quel que soit le mélange considéré. Les dispersions spatiales et temporelles des espèces locales ont lieu puisque d’autres espèces que celles semées ont pu s’installer, à travers une dispersion par voie végétative mais aussi via les diaspores de l’année ou de la banque de semences du sol.

Graminoïdes et Fabacées sont largement présentes dans les zones semées et leur taux est quasi équivalent à celui de la référence. Mais les espèces présentes sont différentes de l'écosystème de référence et leur intérêt pastoral reste médiocre, en raison d'une faible phytomasse aérienne et d'un potentiel fourrager limité (Bornand et al., 2007).

L’apport de sédiments aura été certainement important pour la reprise de végétation en tant que support de culture, pour leurs qualités de correction de la texture et pour l’amélioration de la rétention hydrique. Le taux de matière organique a d’abord favorisé les espèces semées qui sont généralement présentes en prairies de basse altitude. Puis, l’évolution des conditions édaphiques et la rudesse des contions bioclimatiques avec des périodes de végétation courte font évoluer lentement le cortège de végétation. Des espèces de pelouses alpines (les espèces cibles), plus adaptées au site, apparaissent et leur nombre augmentent au cours du temps.

Pour mieux faire

Les zones restaurées sont encore loin de ressembler à la pelouse subalpine de référence, à l'échelle de temps du suivi réalisé. Pour expliquer ce constat, il nous semble, en premier lieu, que le choix des espèces semées n'est pas optimal. Compte-tenu des conditions bioclimatiques de ce site, fortement influencées par l'altitude, il semble plus opportun d'utiliser soit un mélange d'espèces sauvages et locales récoltées dans la zone Alpes, soit de récolter des graines en mélange dans des pelouses de référence avec un retard de fauche, afin de collecter les graines mûres puis d'épandre ce mélange de graines et débris végétaux sur les zones à restaurer (Huc et al., 2018). L'utilisation de semences sauvages d'origine locale, surtout dans un contexte de milieu naturel d'altitude, permet d'augmenter la réussite des semis, conserver la diversité génétique et éviter la disparition d'écotypes adaptés aux conditions locales.

En second lieu, il est important de rappeler que le pâturage influence très fortement, et parfois durablement l’évolution du couvert végétal. Sur des sols encore embryonnaires et fragiles, a fortiori soumis aux événements climatiques de ces dernières années (canicule et sécheresse), une charge de pâturage trop élevée et/ou des dates de pâturage inadéquates peuvent s’avérer bloquantes pour laisser aux espèces cibles la possibilité de terminer leur cycle de vie, et favoriser ainsi la reconstitution du sol et l’implantation durable de la végétation attendue.

Enfin des apports plus importants de sédiments (de plus de 15 cm d’épaisseur) auraient permis d’augmenter plus notablement le réservoir hydrique utilisable par la végétation.

Conclusion

Cette étude sur la restauration de pelouses agro-pastorales à base de sédiments et de semis de graines a contribué à définir des références afin d’encadrer la valorisation de sédiments lacustres en agriculture comme restructuration de sols. Au niveau écologique, l’augmentation de l’épaisseur de sol a permis une amélioration du système racinaire des espèces semées et une augmentation de la richesse floristique, même si le cortège présent contient encore un nombre restreint d’espèces cibles de l’écosystème de référence. Au niveau hydrologique, on observe une amélioration de la réserve en eau du sol donc un besoin réduit en eau d’irrigation et une meilleure résistance des sols et de la végétation aux événements climatiques extrêmes. Au niveau agricole, on note une amélioration des rendements fourragers, une limitation des risques de lessivages des intrants et une diminution des impacts sur la qualité des eaux grâce au pouvoir filtrant de la végétation. D’un point de vue méthodologique, ces expérimentations ont permis de tester et valider différentes modalités d’utilisation des sédiments et différents mélanges d’espèces végétales, y compris des semences d’origine locale dans un contexte agro-pastoral. Ainsi des solutions opérationnelles ont été apportées pour améliorer ou reconstituer le sol, et créer de nouveaux débouchés pour la gestion des sédiments et des matières organiques locales (Peratoner, 2003).

Cependant, il est important de préciser que la reconstitution d’un écosystème naturel diversifié et fonctionnel est une affaire de temps long et que la revégétalisation sur des sols nouvellement constitués peut favoriser l’installation d’espèces pionnières et rudérales. Aussi, de telles expérimentations nécessitent une gestion appropriée, notamment en contexte pastoral, pour pouvoir aboutir in fine à un écosystème identique à l’écosystème initial.

Notes

  • Appellation d’origine protégée.
  • NPK est un sigle qui signifie azote, phosphore et potassium, d'après leur symbole chimique.

Références

  • Le Floc'h, E., & Aronson, J. (1995). Écologie de la restauration. Définition de quelques concepts de base. Nature-Sciences-Sociétés, Hors-série, vol. 3, p. 29-35, https://doi.org/10.1051/nss/199503s029
  • Rey, F., Ballais, J.-L., Marre, A., Rovera, G. (2004). Rôle de la végétation dans la protection contre l’érosion hydrique de surface. Comptes Rendus Geoscience, vol. 336, Issue 11, p. 991-998, https://doi.org/10.1016/j.crte.2004.03.012
  • Peratoner, G. (2003). Organic seed propagation of alpine species and their use in ecological restoration of ski runs in mountain regions. Kassel University Press, Kassel, Germany.
  • Bornand, A., Bassignana, M., Bernard-Brunet, C., Labonne, S., Cozic, P. (2007). Les végétations d’alpage de la Vanoise. Description agro-écologique et gestion pastorale. Quae éditions, 239 p.
  • Huc, S., Arlandis, J., Dupré la Tour, A., Rouillon, A., Spiegelberger, T. (2018). Sem’lesAlpes. Des semences d’origine locale pour la restauration de milieux ouverts en montagne alpine, Conservatoire botanique national alpin, 104 p., http://www.cbn-alpin-biblio.fr/GED_CBNA/112367993054/BB_32923_web.pdf
  • Fourvel, G. (2018). Valorisation agronomique des sédiments fins de retenues hydroélectriques en construction d’anthroposols fertiles. Thèse, Université Loire Bretagne, 396 p.

Résumé

Utiliser les sédiments lacustres lors d’une vidange de barrage est un moyen d’enrichir le sol dans un contexte agropastoral de montagne. A partir d’une expérience menée dans les Alpes françaises du Nord (barrage du Mont Cenis), deux mélanges grainiers, dont l’un avec des semences sauvages d’origine locale, ont été testés selon deux modalités de reconstitution de sol (deux mélanges de sédiments, compost et fumier). Cinq années de suivi de végétation et d’analyses du sol ont permis d’observer l’évolution du cortège floristique et l’amélioration physico-chimique du sol. Il en résulte des solutions opérationnelles apportées aux agriculteurs pour reconstituer le sol, améliorer la biodiversité des prairies et optimiser les pratiques de pâturages.

Auteurs


Stéphanie HUC

s.huc@cbn-alpin.fr

Affiliation : Conservatoire botanique national alpin, Domaine de Charance, 05000 Gap.

Pays : France


Gilles FRIBOULET

Affiliation : EDF R&D, Avenue des Renardières, 77250 Moret-Loing-et-Orvanne.

Pays : France


David PAULIN

Affiliation : Conservatoire botanique national alpin, 148 rue Pasteur, 73000 Chambéry.

Pays : France

Pièces jointes

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