Accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique pour les économies d’eau
Comment aider les agriculteurs à surmonter les défis de la transition agroécologique et à réduire leur consommation d'eau pour irriguer les cultures ? Mené dans le département du Gers, le projet TASCII pour « Transition agroécologique des systèmes de culture irrigués innovants » vise à accompagner les agriculteurs du territoire dans le passage de leurs systèmes conventionnels à des pratiques plus économes en eau, comme l’agriculture de conservation des sols. Cet article explore les méthodes d’accompagnement mises en œuvre, étudie les freins et leviers rencontrés, ainsi que le suivi et l’évaluation des impacts. Il présente enfin les résultats observés tant sur les pratiques agricoles que sur les dynamiques d'acteurs concernés.
Le contexte du projet et de son déploiement
Caractéristiques de la zone d’étude
Le projet TASCII, pour « Transition agroécologique des systèmes de culture irrigués innovants » est mené dans le département du Gers, dans la région agricole de l’Astarac (encadré 1). Ses objectifs sont les suivants :
i) expérimenter des systèmes en agriculture de conservation des sols (ACS) en station expérimentale (Lacaze et al., 2024) ;
ii) accompagner un réseau d’agriculteurs pilotes (AP) dans la transition vers l’ACS (objet du présent article) ;
iii) réaliser une analyse multicritère des systèmes sur les économies d’intrants, dont l’eau (Lacaze et al., 2024).
Parmi les objectifs de la partie ii), le projet vise à identifier les freins et les leviers à la transition agroécologique, ainsi que les formes d’accompagnement adaptées à cette transition. Le projet a été financé par l’Agence de l’eau Adour Garonne (AEAG) sur la période 2020-2024 et par la région Occitanie sur la période 2020-2023). Les résultats présentés se focalisent sur les années 2019-2022.
Les exploitations suivies dans le cadre du projet TASCII (Transition agroécologique des systèmes de culture irrigués innovants) se situent dans le département du Gers, dans la région agricole de l’Astarac. La surface agricole utile (SAU) moyenne des exploitations agricoles dans le département est de 67 ha en 2020 et 85 ha pour les exploitations en grandes cultures (Agreste, 2023). Dans la région agricole de l’Astarac, la SAU est plus petite que la moyenne nationale (61 ha) (DRAAF Occitanie, 2022a).
La principale orientation technico-économique dans le département se concentre sur les grandes cultures (blé et maïs, 38 %). Les prairies permanentes sont également bien représentées (21 %). Le département du Gers est aussi le premier producteur de soja et tournesol à l’échelle nationale ; au total, les oléagineux représentent 24 % de l’assolement de la zone d’étude. On retrouve aussi dans le département l’élevage de volailles (14 % des exploitations agricoles) et de bovins viandes (21 % des exploitations agricoles) même si un net recul est noté de l’ordre de –25 % du total UGB (unité de gros bétail) entre 2010 et 2020 (Agreste, 2023).
Dans le département du Gers, 16 % des surfaces en production sont irriguées, principalement pour la culture du maïs qui représente 53 % des surfaces irriguées en 2020, suivie par le soja (24 %) (DRAAF Occitanie, 2022b). Le projet TASCII se déroule dans la station expérimentale de la Mirandette (Masseube, Gers), ainsi que dans un réseau d’agriculteurs pilotes (AP) localisés dans un rayon de 20 km. À l’image du Gers, les AP irriguent essentiellement leurs productions de maïs, de maïs semence et de soja. Ils produisent également du blé et de l’orge, du colza et du tournesol.
Seules 9 % des exploitations du département pratiquent le semis direct (SD). Chez les AP du projet, on retrouve les deux pratiques de travail du sol les plus fréquentes du département, labour conventionnel ou travail du sol réduit (techniques culturales simplifiées ou TCS), quasiment à part égale.
Les projections climatiques pour le Gers en 2050 prévoient une hausse des températures de + 1 à 2 °C, une augmentation du nombre de jours de sécheresse, une baisse des débits naturels des rivières de 20 à 40 %. Jusqu’à présent, le système Neste
Modèle conceptuel
Le projet TASCII s’articule autour de la mobilisation de plusieurs dispositifs expérimentaux et de l’accompagnement de plusieurs cercles d’acteurs.
Concernant les dispositifs expérimentaux :
– des essais sont menés sur la station expérimentale de la Mirandette en ACS, TCS et labour, avec différentes modalités d’irrigation (canon enrouleur, aspersion, goutte-à-goutte, pluvial ; 15 modalités sur 4 blocs nommés A, B, C et D ; Lacaze et al., 2024) ;
– des essais sont menés chez cinq agriculteurs pilotes avec une modalité innovante en ACS (SCII = système de culture irrigué innovant), répondant aux objectifs spécifiques de l’exploitant, et un témoin (TCS ou labour) représentatif du système de culture dominant de l’exploitation agricole (Lacaze et al., 2024).
Concernant les cercles d’acteurs, le projet s’intéresse, en référence au cadre conceptuel de Rogers (1962), à différents groupes :
– les innovants : les agriculteurs experts ;
– les adoptants précoces : les agriculteurs pilotes ;
– la majorité précoce : les participants aux portes ouvertes ;
– la majorité tardive : les lecteurs des productions.
Les agriculteurs pilotes (AP) bénéficient d’un dispositif d’accompagnement itératif en cinq étapes (figure 1). Le projet TASCII adopte une posture d’observation participante. Les objectifs et itinéraires techniques sont définis individuellement par chaque AP. Les AP sont également consultés pour la production d’indicateurs de suivi et l’évaluation de chaque campagne. L’équipe du projet observe ce que les AP envisagent de réaliser durant la campagne, ce qu’ils réalisent effectivement, les questionnements, les freins et les leviers rencontrés et leur évolution dans le temps. Des ateliers et des réunions bouts de champ ponctuent la campagne culturale.
Dans ce cadre, des experts agriculteurs et académiques sont conviés. Entre chaque événement, un fil de discussion est alimenté.
Des journées portes ouvertes sont organisées auprès de différents publics. Différents supports de communication sont produits.
En parallèle, des travaux spécifiques sont entrepris pour développer l’ingénierie de l’accompagnement auprès des acteurs du département. L'objectif est de positionner le projet TASCII en termes de méthodologie et de résultats au sein de l’écosystème d’acteurs.
Enfin, le projet s’intègre dans d’autres réseaux et projets
Collecte de données
Pour étudier l’accompagnement de la transition agroécologique, des données internes au projet TASCII ont été collectées ainsi que des données externes relatives à des cas d’étude du sud-ouest et essentiellement de l’ex région Midi-Pyrénées.
Cette étude s’appuie sur :
– une série d’entretiens individuels semi-directifs menés auprès des agriculteurs et des animateurs de collectifs pour un panel de projets d’accompagnement de la transition agroécologique en grandes cultures dans l’ex région Midi-Pyrénées, dont le projet TASCII ;
– les itinéraires techniques mis en œuvre et les évaluations de chaque animation par les agriculteurs pilotes dans le cadre du projet TASCII.
Les thématiques de transition agroécologique considérées dans l’échantillon de cas d’étude concernaient : la fertilité des sols, l’ACS, l’autonomie des exploitations, la réduction des intrants, l’érosion hydrique des sols, la couverture végétale, les biostimulants, les économies d’eau, la diversification et les labels bas carbone.
La taille des collectifs des cas d’étude variait de cinq à des ensembles de groupes constitués par une vingtaine d’agriculteurs.
Les entretiens ont permis d’identifier :
– les enjeux, sujets, thèmes abordés ;
– les postures d’animation adoptées et le degré de participation des collectifs (mise en place du projet, fonctionnement du groupe, animations proposées et menées) ;
– les moyens mis en œuvre pour le projet ;
– les freins, leviers rencontrés, les solutions mises en place, en cours de projets ou au cours des animations.
Traitement des données
Les données font l’objet d’une analyse qualitative et quantitative (tableau 1).
Interne Accompagnement des agriculteurs pilotes de TASCII | Externe Positionnement du projet TASCII dans l’écosystème des projets d’accompagnement de la transition agroécologique régionale | |
Qualitative | – Apprentissages – Niveau de transition cadre ESR (efficience, substitution, reconception ; Hill et MacRae, 1995) – Niveau d’approche systémique (différentiation des itinéraires techniques entre le SCII et le témoin) – Freins – Leviers – Type d’accompagnement | – Freins – Leviers – Types d’accompagnement |
Quantitative | – Évaluation de l’accompagnement – Augmentation du parcellaire en transition – Investissement dans du matériel spécifique | – Niveau de participation des agriculteurs et agricultrices à chaque étape de l’accompagnement (cadre d’analyse, cf. annexe) – Nombre d’animations proposées par campagne – Moyens impliqués |
Analyse des résultats
Les freins et leviers de la transition agroécologique
Les entretiens ont révélé que la qualité de l’accompagnement de la transition agroécologique dépend des éléments listés dans la figure 2. Quatre des cinq critères identifiés sont de l’ordre du savoir-faire et du savoir-être du facilitateur.
Les agriculteurs du projet TASCII ont souligné l’importance du test en conditions réelles, de la mise à disposition de matériel, et du soutien du collectif pour les accompagner dans leur démarche de transition.
Les freins de l’accompagnement de la transition agroécologique, listés dans le tableau 2, sont d’ordre structurel, économique, logistique et relatifs aux compétences d’animation.
Freins | Part (%) |
Moyens humains pour l’accompagnement (manque de temps) | 24 % |
Fédéreration (difficulté à maintenir la dynamique) | 21 % |
Freins à la modification/diversification des systèmes de cultures | 16 % |
Moyens financiers pour l’accompagnement (manque de budget) | 13 % |
Disponibilités des agriculteurs et agricultrices (sursollicités, grande charge de travail) | 13 % |
Freins économiques et logistiques (matériel/ investissement, disponibilités) | 8 % |
Éloignement des exploitations agricoles (difficultés pour organiser des essais et des rencontres) | 5 % |
Par ailleurs, les AP du projet TASCII ont identifié les incertitudes sur l’évolution des systèmes et l’acquisition de nouvelles compétences comme des freins à la transition. Une étude complémentaire sur les perceptions d’agriculteurs impliqués dans des projets de transition dans le Sud-Ouest
– l’écart entre les mesures environnementales et les objectifs économiques de court terme ;
– le manque de reconnaissance des efforts environnementaux et agroécologiques des agriculteurs par la société ;
– les incohérences sociétales fragilisant les efforts réalisés, notamment en ce qui concerne la cohérence des règlementations nationales et internationales.
Positionnement du projet TASCII dans l’écosystème des projets d’accompagnement de la transition agroécologique du Sud-Ouest
Le niveau de participation des agriculteurs varie beaucoup d’un projet à l’autre et d’une étape à l’autre (initiation du projet, définition de la problématique traitée, définition des systèmes de cultures, choix des indicateurs, suivi, évaluation). Les taux de participation les plus élevés se situent lors des étapes de définition des problématiques traitées (70 % des projets) et à l’initiation des projets (50 % des projets). En revanche, le processus de choix des indicateurs est peu participatif.
Dans le cas du projet TASCII, son initiation était partiellement participative car portée par le responsable de la station expérimentale, lui-même agriculteur. Le suivi, qui est lourd, n’est qu’en partie réalisé par les agriculteurs. En effet, la plupart des projets s’intéressent à un nombre restreint d’indicateurs, souvent uniquement le rendement, parfois l’indice de fréquence des traitements (IFT). Le projet TASCII s’en différencie par son analyse multicritères (socio-technico-économique et environnemental) ainsi que par son suivi expérimental poussé, couvrant différents aspects tels que le développement végétatif (culture, couvert), la vie du sol (analyses de sol, comptage de vers de terre, suivi de l’activité biologique) et les dynamiques hydriques (irrigation, sondes et stress des plantes).
Une autre spécificité du projet TASCII réside dans la compensation reçue par les agriculteurs pour faciliter la transition. Ils ne sont pas rémunérés et ne bénéficient pas de mesures agro environnementales territorialisées (MAET) comme c’est le cas dans d’autres groupes enquêtés. En revanche, Rives & Eaux du Sud-Ouest (ex CACG) réalise les semis directs grâce au matériel de la station expérimentale. Cette démarche est un avantage si l’on considère que les investissements sont l’un des principaux freins de la transition agroécologique pour les agriculteurs. En revanche, dans une démarche d’accompagnement Learning by doing (Kolb, 1984), la réalisation du semis direct par un tiers pose la question de l’appropriation de ce matériel spécifique par les AP.
Concernant les types d’accompagnement proposés, ils sont résumés en figure 3.
Dans le cadre du projet TASCII, les discussions en groupe occupent une place centrale. Le projet a également permis la création d’un groupe de discussion sur un réseau social dédié pour maintenir les échanges entre les animations. En revanche, l’apport en termes de formations formelles ou de documentation technique est relativement limité. Des interventions d’experts sont toutefois proposées. Les échanges individuels sont également moins fréquents. Cependant, le responsable de la station expérimentale connaît personnellement les membres du collectif, ce qui favorise les échanges individuels et informels, sans que ceux-ci ne soient capitalisés et mesurés. Ce point soulève la question de l’équilibre à trouver, en période de transition et d’incertitude, entre une démarche d’innovation complètement ouverte et ascendante et des apports descendants qui impactent les trajectoires des AP, mais qui ont l’avantage de leur apporter un point de vue assertif rassurant.
Le projet TASCII
Résultats directs
Niveau de transition
Quand on analyse les niveaux de transition selon le cadre ESR : efficience, substitution, reconception (Hill et MacRae, 1995), en comparant les SCII aux systèmes témoins, on note que les AP du projet TASCII sont davantage engagés dans une dynamique d’efficience et de substitution que de reconception. En effet, le levier de différenciation des rotations culturales par rapport au système témoin n’est pas actionné. En termes de reconception, seuls les couverts varient dans quelques cas et certaines années. Les AP cherchent donc à intégrer les changements associés aux piliers de l’ACS dans des systèmes de culture existants, sans modification majeure (tableau 3).
Numéro de levier | Leviers | Modalité |
1 | Variété culture principale | Mirandette |
2 | Adaptation de l’espacement inter-rang | Tous |
3 | Adaptation de la densité de semis | Tous |
4 | Anticipation irrigation | Mirandette, AP2, AP3 |
5 | Couvert-diversité espèces | Mirandette, AP5, AP2, AP3 |
6 | Adaptation de la date de semis | Tous |
7 | Suivi tension | Tous |
8 | Pratique d'une rotation | Mirandette (A, B, C), AP3, AP5 |
9 | Adaptation engrais | Mirandette, AP2, AP4, AP5 |
Quand on s’intéresse au niveau de l’approche systémique adopté, on note que le niveau de transition atteint, tel qu’illustré par le nombre de leviers actionnés, est plus important à la station expérimentale de la Mirandette que dans les essais des AP. Cela se justifie facilement par le moindre risque encouru en station (tableau 4).
Code parcelle | Irrigation | Leviers actionnés (%) |
A1 + A4 | Goutte-à-goutte et couverture intégrale | 100 % |
B1 | Enrouleur | 100 % |
C1 | Enrouleur | 89 % |
D1 | Enrouleur | 89 % |
AP1 SD | Enrouleur | 33 % |
AP2 SD | Enrouleur | 67 % |
AP3 SD | Enrouleur | 67 % |
AP4 SD | Enrouleur | 44 % |
AP5 SD | Enrouleur | 56 % |
Le faible nombre de facteurs différenciant les systèmes témoins des SCII sous-tend que l’un des deux systèmes n’est pas en condition optimale. Par exemple, le passage en ACS combiné aux objectifs d’économie d’intrant peut entraîner le report de la destruction des couverts et donc de semis de la culture principale. Il peut également conduire à choisir une autre variété de culture principale pour éviter les périodes de tension maximale sur la ressource en eau et à adapter la rotation culturale pour gérer des adventices. Le changement d’un faible nombre de levier entre le système témoin et le SCII indique soit i) que le SCII, ici en ACS, reprend le modèle témoin en appliquant une modification de faible envergure ; soit ii) que le SCII a été mis en condition optimale et le témoin n’est plus représentatif du modèle dominant de l’exploitation agricole et n’est pas en conditions optimale. Dans le cas i), l’expérimentation ne permet pas d’explorer l’innovation à son plein potentiel. Dans le cas ii) le comparatif est faussé. C’est en règle générale le cas i) qui est observé étant donné la difficulté de « reconception » des systèmes de culture qui engendre d’importants changements pour l’exploitation agricole. Cependant, nous observons que deux AP ont choisi de faire évoluer leur système témoin vers un modèle d’innovation intermédiaire en le passant du labour au TCS.
Satisfaction des agriculteurs pilotes (AP)
Chaque animation proposée dans le dispositif d’accompagnement est évaluée par les AP. Le tableau 5 synthétise leurs retours.
| Notation (/10) | |||
Campagne culturale | 2020 | 2021 | 2022 | |
Atelier restitution-reconception | Suivi général du projet | 9,7 | 7,5 | 7,5 |
Suivi de l’irrigation (sondes et bulletins) | 8,2 | 7,5 | 7,5 | |
Ateliers de co-conception et de suivi-évaluation | 9,7 | 6,3 | 6,3 | |
Bout de champ | Évaluation des résultats des essais de la campagne | 8,6 | - | 7,5 |
Moyenne | 9,0 | 7,1 | 7,2 |
La satisfaction des AP varie d’une campagne à l’autre, ce qui s’explique notamment par les rotations, les caractéristiques climatiques annuelles, voire une évolution des attentes des agriculteurs.
Globalement les AP sont relativement satisfaits de l’accompagnement et des essais menés. La transition est un processus long. L’ACS présente généralement des résultats plus faibles les premières années, le temps que les caractéristiques du sol s’améliorent comme en témoigne l’un des AP du projet : « Je suis intéressé depuis plusieurs années par l’ACS mais plutôt prudent de nature. Le projet TASCII était pour moi une très bonne opportunité pour mieux me rendre compte des résultats de l’ACS sur une parcelle de l’exploitation. Depuis la mise en place de l’essai en 2020, je vois déjà des effets sur la battance et l’érosion, mais Il est encore trop tôt pour observer des résultats sur l’améliorations du sol ou les économies d’eau » AP3, polyculteur – éleveurs disposant de 100 ha de culture dont 50 ha irrigués (maïs, soja).
Adoption de la pratique
Si nous devons juger l’adhésion à la transition agroécologique, nous pouvons nous baser sur l’évolution de la taille du réseau (nombre d’AP), l’augmentation du parcellaire et l’investissement. En termes de participants, deux AP et un agriculteur expert n’ont pas souhaité poursuivre l’ACS dans leur exploitation en raison de problématiques de gestion des activités. L’un d’eux explique que la production de maïs semence sur son exploitation agricole réduit ses disponibilités au mois de mai. Le décalage du SD, pour la croissance des couverts végétaux et le réchauffement adéquat du sol, fait du mois de mai la période privilégiée pour le semis direct. Cet AP a choisi de favoriser la production de maïs semence au mois de mai plutôt que le semis en SD. Le second s’est lancé vers des projets de méthanisation.
Cependant, deux des AP se sont associés à un troisième agriculteur, hors projet TASCII, pour la création d’une coopérative d'utilisation de matériel agricole (CUMA) pour l’achat d’un semoir direct, ce qui traduit une bonne adhésion à la démarche de transition.
Résultats indirects
En interne
Les entretiens auprès des agriculteurs du collectif ont démontré l’importance de constituer un collectif. Les AP indiquent que la formation d’un petit groupe de parole leur permet de se rassurer dans cette période de transition et d’incertitude qui nécessite l’acquisition de nouvelles compétences. Cette transition génère une certaine forme d’isolement. De plus, les AP reçoivent des remarques dubitatives ou négatives sur leur démarche innovante, remarques dont la répétition ne les laisse pas indifférents. L’appartenance au collectif permet de répartir la responsabilité endossée : « Je ne suis pas le seul à être dans la panade », « On peut en discuter ». Les sessions d’animation en présence et à distance et les moments de convivialité sont de visu des éléments clefs de l’accompagnement de la transition. Elles mobilisent des moyens importants, pas toujours au rendez-vous des projets, que cela soit en raison d’un défaut de dimensionnement initial du projet ou en raison de la disponibilité effective des équipes. Une réflexion a été menée en 2022 sur la composition des membres du groupe de conversation afin d’améliorer le sentiment de bienveillance et de sécurité et de fluidifier les échanges. Le groupe a été restreint aux pairs afin de limiter la sensation d’observation des membres par des personnes externes.
Ces échanges entre pairs, dont certains plus expérimentés, permettent de gagner en efficience plus rapidement. En effet les producteurs prennent des risques conséquents en modifiant leurs habitudes dans un laps de temps limité : « Dans une vie, on a que quarante campagnes, donc quarante tests ». Le partage d’expérience apporte un gain de temps dans la démarche de transition en évitant certains écueils.
En externe
La station expérimentale de la Mirandette a été ouverte au public lors des journées portes ouvertes (soixante à soixante-dix participants en 2020 et en 2023). Elle a également accueilli des techniciens de coopérative, des groupes d’agriculteurs encadrés par la Chambre d’agriculture d’Indre et Loire (vingt agriculteurs) et des scientifiques. Des étudiants ont été formés dans le cadre du projet (institut universitaire de technologie d’Auch et lycée agricole St Christophe de Masseube). Le projet a utilisé différents moyens de communication, dont deux webinaires qui ont réuni trente personnes, et la publication de deux articles de vulgarisation et trois articles de presse. Comme indiqué plus haut, le projet TASCII s’intègre dans quatre réseaux. Les AP reçoivent également des visites sur leurs parcelles d’essai ou constatent que des agriculteurs s’arrêtent pour observer leurs parcelles. La démonstration par l’exemple est un facteur clef pour sensibiliser les agriculteurs moins engagés dans des démarches de transition. Ces activités de communication et ces essais contribuent à la transition agroécologique sans que l’on ne puisse mesurer leurs effets avec précision.
Discussion
Format des essais
Le format du dispositif expérimental proposé impacte les résultats obtenus. En effet, les essais sont menés sur de petites surfaces chez les AP (1 ha en moyenne). La taille restreinte des parcelles d’essais pousse les AP à apporter des améliorations conjointement sur leur témoin et leur SCII. La différenciation des systèmes est donc réduite pour des raisons pratiques.
D’autre part, la faible part de surface impliquée dans les essais présente à la fois l’avantage de limiter les risques économiques, et l’inconvénient de mobiliser des parcelles non prioritaires d’un point de vue économique. Les agriculteurs disposent de périodes de temps restreintes pour réaliser les opérations culturales. Ces périodes sont d’autant plus resserrées que les AP font appel à des entreprises de travaux agricoles pour certains travaux. La priorité est alors donnée aux plus grandes surfaces.
Difficultés d’appréhension de la démarche systémique
Pour certains AP, l'approche systémique et l'actionnement de plusieurs leviers agronomiques simultanément posent problème car ils souhaitent pouvoir tirer des conclusions facilement des essais. Aussi, ont-ils tendance à rentrer dans une logique d’approche factorielle dans leurs opérations culturales en faisant varier le moins de facteurs possible.
Représentativité des résultats
La représentativité des résultats présentés peut être questionnée sous trois angles méthodologiques.
D’une part, l’exercice d’enquête porte un biais entre les faits et leur mise en récit, elle-même dépendante de la personnalité de l’enquêté. L’analyse de données qualitatives fait l’objet d’interprétations subjectives, influencées par les caractéristiques et le parcours de la personne menant l’étude.
D’autre part, le projet TASCII n’est qu’un des éléments contribuant au cheminement des AP dans la transition. Chacun d’entre eux s’inscrit dans divers réseaux, s’informe et se forme. Le niveau d’innovation dont ils font preuve ne peut donc être attribué qu’au seul projet.
Finalement, les AP ne sont engagés dans la transition agroécologique que depuis 2019. Certains n’ont pas encore bouclé leur rotation culturale. Les années climatiques étaient particulièrement contrastées et donc les cultures de leurs rotations respectives n’ont été mises à l’épreuve que dans un contexte climatique particulier. Il est admis que la transition vers l’ACS nécessite une dizaine d'années avant de stabiliser les résultats. Aussi, ces résultats sont voués à évoluer dans le temps.
Approfondir l’outillage de l’accompagnement
Dans le cadre du projet TASCII, nous relevons plusieurs leviers pour améliorer l’accompagnement proposé :
– proposer davantage d’animations avec un effort particulier sur le groupe de conversation, son dimensionnement, la nature des participants et les moyens associés ;
– diffuser davantage de documentation technique aux AP ;
– intégrer de nouveaux intervenants et agriculteurs experts au dispositif ;
– veiller à la prise en main des nouveaux outils ;
– mener une réflexion sur l’indemnisation du risque pris par les AP.
Conclusion
Le projet TASCII vise à accompagner un groupe d'agriculteurs pilotes dans la transition agroécologique, en particulier vers l'agriculture de conservation des sols pour économiser les intrants, notamment l'eau. Il utilise un processus itératif de co-construction, de test et d'évaluation multicritère et participative des essais sur la ferme expérimentale de la Mirandette et chez des AP. Une observation participante permet de capitaliser les choix des agriculteurs et d'évaluer leur évolution. Le projet mène également une réflexion sur l'accompagnement régional de la transition agroécologique pour en tirer des enseignements. Les leviers de l’accompagnement comprennent la qualité de la facilitation et le transfert d'informations techniques, tandis que les freins sont structurels, économiques, logistiques et liés aux compétences d'animation. Le projet propose une démarche participative structurée et une analyse approfondie, mais moins de formations et de diffusion de documents techniques que d'autres projets similaires. Les résultats montrent que les agriculteurs utilisent principalement des leviers d'efficience et de substitution plutôt que de reconception, et que l'approche systémique peut être améliorée. Les agriculteurs sont globalement satisfaits de l'accompagnement, bien que le niveau d'adoption varie. Le projet contribue à la transition des agriculteurs, mais il est difficile d'attribuer tous les résultats au projet. Les parcelles utilisées dans le projet servent de vitrines pour les autres acteurs du territoire, mais leur impact est difficile à mesurer.
Le projet se poursuit pour la campagne 2024 et ambitionne d’élargir le réseau d’agriculteurs pilotes et experts, de densifier l’animation en présentiel et via le groupe de communication. Il est également prévu de créer des échanges avec d’autres projets et réseaux d’agriculteurs pilotes et d’augmenter le transfert de résultats techniques sous formats pédagogiques.
En savoir plus
- Bonnes pratiques pour l’eau du grand Sud-Ouest – Économiser l’eau d’irrigation grâce à l’agriculture de conservation des sols (projet TASCII), fiche projet (2023) : https://bonnespratiques-eau.fr/2023/03/27/economiser-leau-dirrigation-grace-a-lagriculture-de-conservation-des-sols/
- TASCII et l'enseignement agricole – Témoignage d'Elwen LE BRAS, étudiant en génie biologique option agronomie à l'IUT d'Auch, sur sa participation au projet TASCII : https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=1IwZPN40bz8
- Programme TETRAE – Grandes cultures, irrigation et agroécologie : la ferme expérimentale de la Mirandette : https://youtu.be/0s3vdl5SxOk?si=3Z467yppmEOiexLm
Annexes
Stade Niveau | Initiation de projets | Problématique traitée (objectifs individuels) | Système de culture | Choix des indicateurs | Suivi | Évaluation |
0 | Information et recrutement des agriculteurs après le montage du projet | Pas de définition d'objectifs individuels : les objectifs sont ceux du projet | Systèmes de cultures du projet | Indicateurs proposés par le projet | Pas de suivi | Pas d’évaluation |
1 | Consultation des agriculteurs avant de soumettre le projet | Proposition d'objectifs par l’animateur | Proposition de systèmes de cultures par l’animateur | Consultation des agriculteurs sur les indicateurs | Suivi effectué par l’agriculteur | Évaluation des essais avec évolutions mineures |
1,5 | Demande d'agriculteurs pour travailler sur la thématique | Demande d’agriculteurs de viser tel(s) objectif(s) | L'agriculteur définit son système de cultures pour l'essai | Co-construction Des indicateurs avec l’animateur | Suivi accompagné par l’animateur | Évaluation des essais avec évolutions majeures possibles |
2 | Construction du programme ensemble | Co-construction d’objectifs | Co-construction des systèmes de cultures | Co-construction des indicateurs avec l’animateur et autres personnes ressources | Suivi groupé, en collectif | Tout l'accompagnement est évalué par les agriculteurs et évolution de l’accompagnement en fonction des résultats obtenus |
_________________________________
Photo d’entête : kamonrat – Adobe Stock
Notes
- 1. Le canal de la Neste compose, avec un ensemble de retenues (Puydarrieux, Gimone, Astarac, Castelnau-Magnoac, etc.), de rigoles et les rivières qu'il alimente, le « système Neste » qui permet de maintenir le niveau d'eau des rivières en conciliant de nombreux usages, dont les usages agricoles.
- 2. TAI-OC du programme TETRAE, Groupement d’intérêt scientifique « Grandes cultures, agriculture de régénération des sols » (AgriSudOuest Innovation), réseau de fermes ATIOC-ATINA/OGAYA (Chambre régionale d’agriculture d’Occitanie).
- 3. Projet MENTAGRO (Santé mentale des agriculteurs en transition agroécologique) :
https://www.msa.fr/lfp/documents/98830/92244578/Projets+financés+-+AAP+Edition+2020
- 4. Les leviers identifiés à l’échelle du système de culture pour la réduction des intrants sont listés dans le tableau 3.
- 5. Animation intégrant un tour des parcelles expérimentales en cours de campagne culturale.
Références
- Agreste. (2023). Fiche territoriale synthétique RA 2020 « Gers ». DRAAF Occitanie. Consulté sur https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/IMG/html/fts_ra2020_gers.html
- Commission locale de l’eau NRG. (2023). SAGE Neste Rivières de Gascogne, État initial, Diagnostic, Synthèse, Atlas géographique. Consulté sur : https://sage-nrg.gers.fr/fileadmin/Site_SAGE/Ressources/SAGE_NRG_Etat_initial_Diag_Synthese_2023.pdf
- DRAAF Occitanie. (2022a). Fiche territoriale synthétique Recensement Agricole 2020 « ASTARAC - 32 ». Consulté sur : https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/IMG/html/fts_ra2020_astarac_32.html#démarche-de-valorisation
- DRAAF Occitanie. (2022b). Fiche RA 2020 - Irrigation – Territoire : Gers (32). Consulté sur : https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/IMG/html/fiche_irrigation_gers__32_-2.html
- Hill, S.B., & MacRae, R.J. (1995). Conceptual framework for the transition from conventional to sustainable agriculture. Journal of Sustainaible Agriculture(7)1, 81-87. doi:10.1300/J064v07n01_07
- Kolb, D.A. (1984). Experiential learning: experience as the source of learning and development. Englewood Cliffs, New Jersey. Editions Prentice-Hall. 38 p.
- Lacaze, F., Audouin, E., Bonillo, C., & Lhuissier, L. (2024). Évaluation des performances des systèmes de cultures en ACS et du matériel d’irrigation. Revue Sciences Eaux et Territoires, 46, 8146, https://doi.org/10.20870/Revue-SET.2024.45.8146
- Rogers E.M. (1962). Diffusion of innovations (1st edition).
Résumé
Les attentes sociétales envers l’agriculture augmentent, notamment en matière d’'agroécologie et d’économie d'eau. La transition des systèmes dits « conventionnels » vers des systèmes économes en intrants mène les agriculteurs hors de leur zone de confort. Ils doivent gérer de nouvelles incertitudes. Un accompagnement adapté doit être développé pour les appuyer dans ce cheminement. C’est dans ce contexte qu’a été conduit le projet TACSCII (Transition agroécologique des systèmes de culture irrigués innovants). Mené dans le département du Gers, il a pour objectif l’accompagnement d’un collectif d’agriculteurs pilotes dans la transition agroécologique, et plus spécifiquement dans la transition vers l’agriculture de conservation des sols, dans l’optique de réaliser des économies d’intrants dont des économies d’eau. Cet article explore les méthodes d’accompagnement mises en œuvre pour la transition agroécologique, le diagnostic des freins et leviers rencontrés en cours de route, ainsi que le suivi et l’évaluation des impacts. L’étude présente également les résultats directs observés sur les pratiques agricoles et les résultats indirects sur les collectifs et acteurs environnants. De plus, l’article situe cette méthode d’accompagnement dans le contexte plus large de l’écosystème régional soutenant la transition agroécologique des grandes cultures.
Pièces jointes
Pas de document comlémentaire pour cet articleStatistiques de l'article
Vues: 2009
Téléchargements
PDF: 39
XML: 4