Évaluation des performances des systèmes de cultures en agriculture de conservation des sols et du matériel d’irrigation
Le projet TASCII, Transition agroécologique des systèmes de cultures irrigués innovants, a pour ambitions de tester, de caractériser et d’évaluer l'agriculture de conservation des sols (ACS) en transition agroécologique dans le contexte de l'agriculture irriguée du Gers. Le projet s’appuie sur les pratiques d’ACS ainsi que sur différentes modalités de gestion et de matériel d’irrigation. Dans cet article, la performance du matériel d’irrigation (goutte à goutte enterré, couverture intégrale et canon enrouleur), les performances environnementales, socio-économiques et l’état hydrique de la plante et du sol sont étudiés.
Introduction
Le territoire du Gers est considéré comme l’un des plus sensibles à l’érosion hydrique des sols (BRGM, 2010 ; GIS Sol, 2011). Ce phénomène est amplifié par les pratiques culturales conventionnelles dominantes, qui impliquent un travail du sol (labour notamment) et l’absence de couverture végétale du sol durant l’hiver. Le Gers étant un département vallonné, les zones de coteaux pentues amplifient le ruissellement et l’érosion des sols, ce qui a notamment pour impact une baisse de la fertilité des sols.
Des systèmes de culture visent à pallier cette problématique et sont basés sur l’agriculture de conservation des sols (ACS).
La conduite de cultures irriguées en ACS s’est développée depuis 2017 sur la ferme expérimentale de La Mirandette à Masseube (Gers) suite aux conclusions du projet EDEN
Le projet TASCII vise à contribuer à la transition agroécologique des systèmes conventionnels dominants en grandes cultures irriguées, en vue d’une gestion durable des ressources en eau et en sol et ce, sans compromettre significativement les rendements des cultures et donc, la viabilité des exploitations agricoles. Il s’appuie, d’une part, sur les pratiques d’ACS et, d’autre part, sur la gestion et le matériel d’irrigation. La transition des systèmes de culture irrigués envisagée dans le cadre du projet pilote s’intéresse, en particulier, aux critères suivants :
− l’économie d’eau d’irrigation et d’énergie consommée ;
− la conservation du sol et la restauration de sa fertilité ;
− la performance socioéconomique des systèmes de culture irrigués ;
− la réduction progressive et « significative » de l’utilisation des produits phytosanitaires de synthèse.
Dans cet article, la performance agro-technique du matériel d'irrigation, les performances environnementales, socioéconomiques et les dynamiques hydriques sol-plante seront étudiées.
Dans la suite de l’article, par soucis de simplification, nous utiliserons le terme de semis direct (SD) à la place d’ACS dans l’appellation des parcelles.
Matériels et méthodes
Description de la zone d’étude
Les sols gersois sont de type Luvisols (ou Boulbène). Le climat est influencé par le régime océanique qui est dominant (temps doux et humide) et le régime méditerranéen qui provoque des pluies torrentielles.
Le Gers compte 6 680 exploitations agricoles et totalise une surface agricole utile (SAU) de 448 499 ha (DRAAF Occitanie
Environ 23 % de la SAU totale du département est irrigable et 16 % de la SAU totale est irriguée. 70 764 ha ont été irrigués en 2020 (DRAAF Occitanie, 2022 ; d’après RA2020) dont 37 497 ha de maïs grain. Cela représente une augmentation de 10 % par rapport aux données du RA-2010. Les cultures de maïs grain et de soja représentent à elles seules 77 % de la superficie irriguée du département (respectivement 53 % et 24 % - DRAAF Occitanie, 2022 ; d’après RA-2020).
Le volet expérimentation du projet TASCII est situé sur la ferme expérimentale de la Mirandette (Gers) et chez des agriculteurs représentatifs de l’agriculture gersoise, les agriculteurs pilotes (AP), c’est-à-dire des polyculteurs-céréaliers qui irriguent principalement la culture de maïs grain, maïs semence, soja. Ces agriculteurs ont pour système de référence soit le labour, soit les techniques culturales simplifiées (TCS). Les AP sont donc représentatifs de la zone d’étude.
Dispositif expérimental
Les essais portent sur vingt-quatre systèmes de culture avec différentes modalités de travail du sol (ACS en SD, TCS en rotation et couvert végétal, labour avec et sans couvert végétal) et différentes modalités d’irrigation (enrouleur, aspersion, goutte-à-goutte et pluvial). Les suivis sont menés à la Mirandette et chez les AP localisés dans un rayon de vingt kilomètres autour de la station expérimentale. Le projet a adopté une approche système à l’instar des travaux de Giuliano et al. (2021), c’est-à-dire que pour chaque parcelle, des objectifs particuliers sont fixés. Une approche participative a été développée pour amener chaque agriculteur à définir ses objectifs, ses systèmes de culture et ses indicateurs de suivi (Audouin et al., 2024). Le système de culture est conçu pour répondre au mieux à ses propres objectifs. Un temps dédié au suivi et à l’adaptation des systèmes est proposé une ou plusieurs fois par campagne. Plusieurs facteurs peuvent varier d’un système de culture à l’autre, ce qui différencie cette approche systémique d’une approche factorielle dans laquelle un faible nombre de facteurs varie afin de faciliter la comparaison. L’approche factorielle a alors le défaut de défavoriser un ou plusieurs systèmes qui ne seront pas dans des conditions optimales (date de semis, variété, etc.).
Les caractéristiques des différentes parcelles et systèmes de culture étudiés sont présentées dans le tableau 1.
N° de parcelle | Superficie (ha) | Travail du sol | Rotation | Couvert végétal | Types d’irrigation |
Étude 1 : Efficience comparée du goutte-à-goutte enterré par rapport à l'aspersion en couverture intégrale en ACS | |||||
Îlot A | |||||
A1 | 0,45 | SD | Oui | Oui | GGE graines rigides (GR) tous les 100 cm |
A2 | 0,51 | SD | Oui | Oui | GGE graines rigides (GR) tous les 150 cm |
A3 | 0,24 | SD | Oui | Oui | GGE graines souples (GS) tous les 100 cm |
A4 | 0,47 | SD | Oui | Oui | ASP-CI |
A6 | 0,19 | SD | Oui | Oui | Témoin non irrigué (haut de versant) |
Étude 2 : Comparaison de deux intensités de non-travail du sol avec irrigation au canon enrouleur | |||||
Îlot B : Répétition climatique (décalage d'un an dans la rotation) de l'îlot C | |||||
B2’ | 0,47 | TCS | Oui | Oui | Témoin non irrigué |
B2 | 0,85 | TCS | Oui | Oui | ASP-CE |
B1 | 0,86 | SD | Oui | Oui | ASP-CE |
Îlot C : Répétition climatique (décalage d'un an dans la rotation) de l'îlot B | |||||
C2’ | 0,20 | TCS | Oui | Oui | Témoin non irrigué (bas de versant) |
C2 | 0,81 | TCS | Oui | Oui | ASP-CE |
C1 | 0,77 | SD | Oui | Oui | ASP-CE |
C1’ | 0,27 | SD | Oui | Oui | Témoin non irrigué (bas de versant) |
Îlot D | |||||
D1 | 2,93 | SD | Non | Oui | ASP-CE |
D2 | 2,37 | Labour | Non | Non | ASP-CE |
Les rotations culturales mises en place sur les îlots A, B et C (répétition climatique = décalage de la rotation d’un an avec l’îlot B) sont les suivantes : îlots A : maïs-soja-blé-maïs ; îlots B et C : maïs-soja-maïs-blé.
Concernant l’îlot D, les parcelles sont conduites en monoculture de maïs. Le parcellaire expérimental est présenté sur la figure 1.
Chez les AP, un couple de parcelles (témoin vs SCII = système de culture irrigué innovant) est suivi et comparé. Deux agriculteurs sont en monoculture de maïs, un en rotation maïs-soja-blé-orge et les derniers, rotation à majorité maïs, avec du blé.
Mesures expérimentales
Les principales mesures, dont les résultats sont présentés dans cet article, portent sur les performances des systèmes d’irrigation (goutte-à-goutte enterré, couverture intégrale et canon enrouleur), les performances environnementales, socio-économiques et sur le comportement hydrique des sols et le confort hydrique des cultures.
Indicateurs de comparaison des matériels d’irrigation
L’étude du système d’irrigation ainsi que des consommations en eau des différents systèmes de cultures a été réalisée par la comparaison des parcelles sur la base de la productivité supplémentaire de l’eau d’irrigation (PSEI) calculée sur les parcelles de la Mirandette (surplus de rendement par unité de volume d’eau d’irrigation). La productivité de l’eau totale PET ((rendement total par unité de volume d'eau reçu par la parcelle – pluie et irrigation) a également été étudiée.
Ces deux indicateurs de l’efficience de l’utilisation de l’eau sont calculés de la manière suivante :
– la productivité de l’eau totale (PET) : elle rend compte de la valorisation de l’eau totale reçue par la parcelle (pluie + irrigation). La PET est calculée comme suit :
- PET exprimé en kg/m3 d’eau,
- rendement de la culture principale et du couvert exprimé en kg de matière sèche,
- volume d’eau total (pluie + irrigation) exprimé en m3 ;
– la productivité du surplus de rendement permis par l’irrigation (PSEI) : elle correspond au surplus de rendement par unité de volume d’eau d’irrigation appliqué et donc au différentiel de rendement entre la parcelle irriguée et son témoin pluvial. L’indicateur est calculé pour les parcelles de la Mirandette exclusivement.
- PSEI exprimé en kg/m3 d’eau d’irrigation,
- surplus de rendement correspond à la différence entre
- le rendement de la parcelle irriguée et pluviale, exprimé en kg
- volume d’irrigation en m3.
Fertilité et vie du sol
L’indicateur de l’activité biologique des sols décrit dans cet article est la densité de vers de terre, dont les mesures ont été réalisées lors des campagnes de 2021 et 2022. En effet, la densité de vers de terre indique le niveau de développement de la vie biologique du sol. En 2021, le protocole moutarde
Confort des plantes et suivi de la tension en eau des sols
Des sondes tensiométriques sont installées sur les différentes parcelles suivies. Les sondes sont de type Watermark. Trois sondes sont installées à 30 cm de profondeur et trois autres à 60 cm afin de consolider les données mesurées et d’obtenir une représentativité de la mesure. Les tensions sont mesurées en temps réel et consultables sur un espace web.
La mesure de la conductance stomatique des cultures est réalisée grâce au poromètre AP4 (Delta T services). Cet appareil mesure la transpiration et la conductance stomatique, c’est-à-dire la quantité d’eau qui se dégage des stomates, l’humidité de l’air dans la chambre de mesure. La mesure obtenue est une conductance stomatique exprimée en cm/siemens. Le suivi est réalisé de manière hebdomadaire. Les conditions météorologiques et la proximité de la dernière irrigation opérée lors de la mesure sont notées, de même que l’ETP (évapotranspiration potentielle) transmis par la station météo.
Une série de dix à quinze mesures est réalisée à chaque date pour chacune des parcelles afin que la moyenne obtenue soit représentative de la parcelle.
Évaluation multicritère
L’analyse multicritère des différents systèmes de culture se base sur les différents itinéraires techniques opérés qui sont capitalisés puis renseignés sur le logiciel Systerre®. Ce logiciel permet de calculer une vingtaine d’indicateurs techniques, environnementaux, économiques et sociaux. Pour cela, il est aussi nécessaire de récupérer les prix des intrants utilisés (fertilisants, produits phytosanitaires, semences, etc.), prix de vente de la récolte de la culture principale, les frais de séchage liés à l’humidité de la récolte. À chaque opération culturale est associée un matériel agricole (le tracté et le tractant). Les informations sur la puissance du tracteur par exemple, le débit de chantier, coût d’achat (neuf ou occasion), main d’œuvre associée, etc. sont renseignées pour chaque AP chez lequel l’essai est mené. Les opérations culturales, la puissance des tracteurs utilisés, et notamment les produits utilisés peuvent différer d’une parcelle à l’autre.
Résultats et discussion
Les quatre années d’expérimentation du projet pilote TASCII (2019-2022) ont permis de réaliser une première analyse et évaluation des performances des systèmes de culture en SD en comparaison à leurs témoins en TCS ou labour, et d’étudier les performances des différents systèmes d’irrigation testés sur la ferme expérimentale. Les résultats liés au confort hydrique des cultures et à la tension en eau des sols ne sont présentés que pour l’année 2022.
Performance des systèmes en SD (résultat de l'année 2022) en lien avec le confort hydrique
Suivi de la tension en eau des sols
Le suivi de la tension en eau des sols à 30 et 60 cm de profondeur sur l’îlot D (figure 2), où le contraste entre les systèmes de culture est le plus fort (comparaison SD à du labour) et où l’irrigation a été différenciée, montre que la tension en eau du sol à 30 cm de profondeur est souvent plus importante sur la parcelle en labour (figure 6). Il est important de noter que l’irrigation en SD a été plus importante (un tour d’eau supplémentaire) et a commencé plus tôt qu’en labour (quinze jours avant) en raison de la présence du couvert, implanté sur une longue période, qui a consommé de l’eau pour son développement. Cet apport visait ainsi à compenser la consommation du couvert et remplir la réserve utile.
On observe une diminution rapide et plus importante de la tension en eau des sols à 30 cm de profondeur sur la parcelle en labour (pente de la courbe plus importante qu’en SD) après irrigation ou pluie significative. La tension augmente ensuite rapidement et fortement. Le sol semble s’assécher un peu plus vite en labour qu’en SD à 30 cm de profondeur du fait de l’absence de couvert laissé en surface notamment. On note également que la tension mesurée à 30 cm est plus importante qu’à 60 cm lors du début de suivi. En fin de suivi, la tension mesurée à 60 cm est plus élevée qu’à 30 cm (asséchement en profondeur) et est plus forte en SD que sur le témoin (à 30 et 60 cm de profondeur). La pluie enregistrée entre le 15 et le 18/08 a fait diminuer plus fortement la tension en labour. À cette période du suivi, les parcelles sont au même stade phénologique. On note également, qu’à partir du 04/09, la tension à 30 cm mesurée en labour devient supérieure à celle mesurée en SD.
Lors de ce suivi, le maximum de tension atteint en labour est de 147 cbars tandis qu’il est de 115 cbars au plus haut sur le SD à 30 cm de profondeur. Le système en SD avec les différents apports d’eau en cours de campagne (irrigation et précipitations) semble, en termes de disponibilité en eau dans le sol, avoir été dans de meilleurs conditions que le labour.
Suivi de la conductance stomatique
La figure 3 représente l’évolution des ETP (évapotranspiration potentielle) et des mesures de conductance stomatique réalisées en 2022, première campagne de mesure pour cet appareil en année sèche, avec un poromètre sur la période du 13/06/22 au 25/07/22.
La conductance stomatique est inversement proportionnelle au stress hydrique. Le classement suivant est observé :
parcelles pluviales TCS < parcelles pluviales SD < parcelles TCS/labour irriguées < parcelles SD irriguées
Au 08/07 PM, la parcelle D2 voit sa conductance stomatique dépasser celle de la parcelle D1 SD du fait de son irrigation le 07/07 en fin d’après-midi. Elle apparaît ainsi moins stressée ponctuellement sans que cela soit représentatif de la dynamique globale. À partir de cette date, on observe que la fermeture des stomates semble plus prononcée sur les parcelles pluviales. En fin de campagne, après une longue période de fortes chaleurs et de sécheresse, les parcelles SD irriguées semblent mieux résister au stress hydrique.
Figure 3– Évolution de la conductance stomatique des parcelles de la Mirandette (résultats de la campagne 2022, année sèche).
Performance de l’irrigation
Performance agro techniques des systèmes d’irrigation
Productivité de l’eau totale (figure 4)
La PET comptabilise la biomasse produite par le couvert ainsi que la culture principale, ramenée à l’eau reçue par la parcelle (irrigation et pluviométrie). Lors de la campagne 2021, la PET calculée est plus élevée en SD pour 5/7 parcelles.
En 2022, 4/5 parcelles en SD ont obtenu une meilleure PET que leur témoin malgré des rendements légèrement plus faibles qu’en TCS. La production de biomasse par le couvert a été globalement plus importante en SD du fait de la durée d’implantation plus importante sur ces dernières. En ce qui concerne les parcelles en SD de l’îlot D et chez l’AP5, l’absence de couvert en labour a joué en faveur du SD.
Figure 4 – Productivité de l’eau totale (PET) des parcelles de maïs lors des campagnes contrastées de 2021 (année humide) et 2022 (année sèche).
Productivité du surplus de rendement permis par l'eau d'irrigation – campagne 2022 (figure 5)
Le calcul de la PSEI ne peut être réalisé que si la parcelle d’intérêt possède un témoin pluvial et pour des cultures irriguées (ex. : maïs ou soja).
Dans les conditions climatiques de 2022, année sèche, l’irrigation du maïs a permis un gain sur la partie en SD de 2,3 kg de rendement par m3 d’eau d’irrigation. Ce gain est de 3,5 kg de rendement/m3 sur le témoin en TCS.
Le gain est supérieur en TCS en raison d’un meilleur rendement obtenu en TCS irrigué en comparaison à la parcelle en SD qui a connu des attaques de limaces et une levée du maïs difficile sur certaines zones de la parcelle (la production de couvert végétal n’est pas intégrée au calcul). Le semis a été réalisé dans un couvert très dense, avec une présence de seigle qui a gêné la levée.
La même quantité d’irrigation a été apportée sur les deux parcelles.
Figure 5. Productivité du surplus de rendement permis par l'eau d'irrigation (PSEI) par rapport à un témoin pluvial.
La comparaison des modalités d’irrigation pour les parcelles SD par rapport aux témoins TCS irrigués au CE (figure 6), montre que la quantité moyenne d’eau d’irrigation appliquée sur les parcelles en GGE est plus faible que celle appliquée via l’irrigation au CE (- 5 % à - 8 %) Le système en CI ne montre pas d’économie d’eau d’irrigation par rapport au CE (+ 19 %).
Figure 6. Comparaison de la quantité moyenne d’irrigation appliquée selon le matériel d’irrigation (témoin : TCS irrigué au CE).
Concernant la comparaison du volume d’irrigation entre les parcelles SD et TCS irriguées au CE, nous notons un maintien des volumes voire leur augmentation malgré les potentialités de réduction notées (figure 2), à part chez l’un des AP une année. L’absence de valorisation de ces opportunités traduit des problématiques logistiques ou des freins psychologiques représentatifs de ce que peuvent rencontrer les agriculteurs de la zone dans cette démarche de transition vers des économies d’eau. En effet, d’une part, pour l’îlot B, l’irrigation n’était pas différenciée entre ces systèmes en raison du positionnement inadéquat du CE et de la dimension des parcelles, du manque de temps/d’enrouleurs pour réaliser une irrigation différenciée. La gestion de l’irrigation n’a pas été optimale pour les deux parcelles. Cette problématique a été résolue en 2023. La gestion de l’irrigation a pu alors se baser sur le système SD avec un seuil de déclenchement de l’irrigation situé à 80-100 centibars par rapport au pilotage aux sondes tensiométriques situées à 30 cm de profondeur et des économies d’eau en conséquence. D’autre part, durant les années de transition, la volonté d’améliorer rapidement la qualité des sols peut amener à sacrifier les économies d’eau dans un premier temps pour les améliorer par la suite. En conséquence, les agriculteurs ont parfois fait le choix de semer en SD plus tard que sur leurs témoins afin de laisser le couvert végétal se développer au maximum, dans le but d’améliorer le taux de matière organique. Les variétés n’ayant pas nécessairement été adaptées pour changer l’indice de précocité, un décalage dans les stades culturaux s’est opéré. Le sol était plus sec au démarrage de la culture. Le maïs en SD a fait une partie de son cycle, où les besoins en eau sont importants, durant la période sèche. Un tour d’eau supplémentaire a donc été réalisé. En conséquence, chez 3/5 AP, la quantité d’irrigation appliquée a été plus faible sur les témoins (de – 22 à – 36 %). Le dernier AP a appliqué les mêmes quantités d’irrigation que ce soit en SD ou sur le témoin. Sur D1, on note que la quantité d’irrigation a été plus importante en SD lors des deux campagnes considérées. Les variétés semées ont été les mêmes entre les deux parcelles. Cependant, il est important de noter que la parcelle labour n’a pas eu de couvert implanté entre les deux cultures de maïs, tandis que la parcelle SD en avait. De plus, en 2022, la durée d’implantation du CV a été longue et le CV s’est bien développé et a ainsi produit plusieurs tonnes de biomasse sèche.
Les années suivantes, l’hiver sec a conduit, au contraire les agriculteurs à ne pas miser sur les couverts et à semer plus tôt. Ils ont ainsi pu améliorer leur gestion de l’eau. Cependant des améliorations complémentaires pourraient être observées grâce à une animation plus poussée concernant les résultats des sondes et sur l’emploi de variétés précoces.
La figure 7 vise à comparer les rendements moyens obtenus en maïs sur les différentes parcelles sur la période 2019-2022. Les témoins sont tous irrigués au CE.
Figure 7. Comparaison des rendements moyens obtenus en maïs, 2019-2022.
Les quatre premières années de transition, les rendements moyens 2019/2022 en maïs sont globalement plus faibles en SD en comparaison aux témoins respectifs. En moyenne, pour les parcelles irriguées de la Mirandette, la baisse de rendement atteint 24 % par rapport aux témoins. Si l’on se concentre sur le système d’irrigation utilisé, on peut noter une diminution plus importante du rendement moyen des parcelles en SD irriguées au GGE (– 36,3 %) et encore plus au GGE avec gaines espacées de 1,5 où l’on note une baisse de rendement de 40 % par rapport au témoin TCS irrigué au CE. Le rendement moyen n’est réduit que de 19 % en irrigation en CI.
Pour les parcelles irriguées au CE, la baisse de rendement moyen observée est de 14,5 % (C1 et D1), et ce malgré une campagne culturale 2022 particulièrement compliquée sur la parcelle C1 en maïs. Il a été observé une levée difficile à certains endroits de la parcelle du fait d’un couvert dense et de l’attaque de ravageurs et notamment de limaces. Cela est également observé sur C1 pluviale. Si l’on compare cette dernière à son témoin pluvial, le rendement moyen y est réduit de 20 %.
Chez les AP, le rendement moyen est équivalent pour un des AP (+ 1 % en SD). Il est réduit en moyenne de 16,5 % (résultats s’échelonnant de – 4 % à – 25 %). Les facteurs irrigation et matériels d'irrigation ne sont pas les seuls facteurs explicatifs de cette baisse de rendement.
En ce qui concerne la consommation d'énergie utile
La consommation d’énergie utile est également plus faible en SD irrigué en CI en comparaison au témoin TCS irrigué au CE pour les mêmes raisons citées précédemment, mais dans une moindre mesure (– 14 %).
En l’absence d’irrigation et de travail du sol (parcelle pluviale C1’), la consommation d’énergie utile est très réduite.
Figure 8. Comparaison de la consommation d’énergie utile selon le matériel d’irrigation (témoin : TCS irrigué au CE).
Performance économique
Les résultats économiques moyens à l’échelle du système de culture sont présentés dans le tableau 2. Les résultats des parcelles irriguées au GGE sur l’îlot A sont moyennées entre les différentes modalités (écartement et type de gaines différents).
Moy A GGE | A CI SD | A pluv SD | C1 SD | C1’ SD pluv | C2 TCS | C2’ TCS pluv | D1 SD | D2 Labour | |
Chiffre d'affaire (CA) moyen (euros/ha) | 1 264 | 1 429 | 940 | 1 649 | 917 | 2 083 | 1 036 | 2 351 | 2 501 |
Charges opérationnelles (CO) moyennes (euros/ha) | 864 | 916 | 642 | 998 | 621 | 1 022 | 622 | 1 150 | 1 062 |
Marge brute (MB) moyenne hors aides (euros/ha) | 400 | 514 | 297 | 650 | 296 | 1 061 | 414 | 1 201 | 1 438 |
Globalement, on observe que les chiffres d’affaires moyens obtenus sur les parcelles pluviales (TCS ou SD) sont les plus faibles avec un résultat amélioré en TCS (– 11,5 % entre le SD et son témoin – îlot C). Cela peut notamment s’expliquer par des levées moins homogènes sur la parcelle SD, un semis dans un CV très dense ainsi que des attaques de limaces. Par ailleurs, l’îlot était conduit en maïs en 2022, année sèche, ce qui a fortement pénalisé les rendements obtenus sur cette parcelle. De plus, le semis du maïs cette même année, opéré mi-avril en TCS et en mai en SD, n’a pas permis à la modalité en SD de profiter des pluies après le semis.
Concernant les parcelles irriguées, le chiffre d’affaire moyen est plus faible pour les parcelles SD et plus particulièrement sur l’îlot A et C. L’abondance d’adventices observée sur l’îlot A lors d’une campagne a fortement impacté les rendements et ainsi le chiffre d'affaire. Pour la parcelle C1, la même explication que celle donnée pour la parcelle SD pluviale peut être avancée.
La différence obtenue entre les parcelles de l’îlot D est faible du fait notamment de rendements équivalents obtenus sur ces deux parcelles et corrects en 2022.
Les charges opérationnelles moyennes correspondent aux achats d’intrants tels que les semences, les produits phytosanitaires, les engrais, l’irrigation (redevance agence de l’eau, fuel et électricité) et les autres intrants.
Elles sont légèrement plus faibles entre les systèmes en SD et les témoins sur l’îlot C (pluviaux et irrigués).
Les parcelles pluviales ont logiquement les charges opérationnelles les plus faibles du fait de l’absence de charges liées à l’irrigation.
Les charges opérationnelles sont légèrement supérieures sur la parcelle SD de l’îlot D en comparaison à son témoin en labour. Cela est notamment lié à l’implantation du CV en SD, à une densité de semis supérieure pour la culture principale et à une quantité d’irrigation plus importante également en SD.
Si l’on compare les charges opérationnelles selon le matériel d’irrigation utilisé, on note que celles-ci sont un peu plus faibles lorsque l’irrigation est réalisée au GGE, par rapport à l’irrigation via la CI ou encore le CE.
À la Mirandette, les marges brutes moyennes hors aides (chiffre d’affaire – charges opérationnelles) sont améliorées sur les parcelles irriguées au CE comparées aux autres systèmes d’irrigation et aux parcelles pluviales. Parmi elles, les parcelles de l’îlot D ont les meilleurs résultats, elles sont suivies par l’îlot B (SdC diversifié). L’îlot D, conduit en monoculture de maïs, obtient des rendements moyens globalement supérieurs aux parcelles de l’îlot B (rendements plus faibles en soja et blé).
En termes de comparaison SD/témoin, la MB est réduite de – 16,5 % pour l’îlot D, de – 28,5 % pour les modalités irriguées au CE de l’îlot C et de – 38,7 % pour les modalités pluviales de l’îlot C.
Concernant la performance environnementale des systèmes en SD en comparaison à leurs témoins, deux indicateurs se détachent au profit des modalités en SD : la consommation de carburant et les émissions de GES directes.
La consommation moyenne de carburant à l’échelle du système de culture, qui ne prend pas en compte le déplacement des canons pour l’irrigation, est inférieure en SD comparé aux témoins pour tous les couples de parcelles. Elle est en moyenne réduite de – 53 % en SD. Les résultats s’échelonnent de – 28 % à – 66 % par rapport aux témoins. Cette tendance est observée pour toutes les campagnes et s’explique notamment par l’absence de préparation du sol pour le semis en SD en comparaison aux témoins.
Elle est globalement plus faible sur les parcelles de la Mirandette comparé aux parcelles des AP.
En SD, la consommation la plus faible concerne l’îlot C puis les îlots B et A (tous en rotation). L’îlot D en monoculture de maïs a une consommation de carburant supérieure. En TCS/Labour, elle est plus faible en labour (D2) que sur la parcelle TCS diversifiée. Le nombre de passage moyen sur la parcelle en labour est légèrement plus faible.
Si l’on mène l’analyse par culture, en 2022, la consommation de carburant à la Mirandette pour les parcelles SD est plus importante en blé (41,3 L/ha) puis en soja (AP4 : 39,2 L/ha) et enfin en maïs (37,4 L/ha). Lors des campagnes 2020 et 2021, la consommation de carburant moyenne pour la culture de soja, sur les parcelles SD de la Mirandette est de 31,5 L/ha. Elle est également inférieure à la consommation de carburant liée à la culture de maïs.
Par contre, pour la culture du blé, on ne note pas de différence importante entre le SD et son témoin.
Les émissions de GES directes moyennes (in situ l’exploitation), liées aux postes engrais, irrigation et carburant (hors irrigation), sont réduites en SD en comparaison aux parelles témoins pour 92 % des parcelles en SD. Elles sont réduites de 17 % en moyenne à la Mirandette et de 9 % chez les AP. La part de la fertilisation dans les émissions de GES directes est importante et représente plus de 72 % des émissions.
Si l’on compare ces résultats par rapport aux rotations, on observe logiquement, que les parcelles dont la rotation inclus du soja ont des niveaux d’émission de GES directes encore plus faibles.
Les émissions de GES directes liées à la culture du soja en SD sont 6,3 fois plus faibles qu’en maïs en SD (et 4,8 fois moins en TCS) et 5,9 fois moins qu’en blé en SD (et 4,2 fois moins en TCS).
De plus, on observe, au sein de l’îlot A, des émissions de GES directes plus importantes pour la parcelle en CI.
D’autres indicateurs tels que le temps de travail, la vie du sol (notamment les vers de terre) sont en faveur du SD en comparaison à leurs témoins conventionnels. Ces résultats ont été observés pour chaque année du projet, à la Mirandette et chez les AP.
Le temps de travail est en moyenne réduit de 27 % en SD par rapport au témoin (AP et Mirandette).
Performance globale
Les résultats moyens des comparaisons SD/témoin de quinze indicateurs sont présentés dans la figure 9.
Globalement, on observe que les parcelles SD obtiennent de meilleurs résultats pour les indicateurs de performance agronomique et environnementale en comparaison aux témoins.
Sur les quinze indicateurs présentés, huit sont en faveur du SD. Ce sont les performances techniques et économiques qui sont les moins bonnes à ce stade de la transition.
Les résultats présentés sont encourageants en période de transition, processus long et dont il est généralement établi par la littérature que l’équilibre est atteint au bout d’une dizaine d'années. En effet, les résultats présentés ci-dessus ont été acquis sur des systèmes jeunes, qui sont, en 2022, dans leur quatrième année en SD. Par ailleurs, de nombreuses marges d’améliorations sont relevées quant à l’irrigation si l’on se fie aux résultats de la tension en eau des sols et du confort hydrique (conductance stomatique).
De plus, la transition représente un risque important pour les agriculteurs, le temps que le travail mécanique puisse être compensé par le travail biologique et physique du sol, dépendant du temps de régénération du sol. Un accompagnement resserré avec l’appui d’agriculteurs experts est donc nécessaire (Audouin et al., 2024).
Conclusions et perspectives
L’analyse de la performance des systèmes d’irrigation (comparaison SD GGE, CI et CE aux TCS/labour CE) a montré que l’irrigation au GGE permettait de réaliser des économies d’énergie et d’eau d’irrigation consommée mais conduisait à des rendements plus faibles que ceux obtenus par irrigation au CE et notamment lorsque la parcelle est irriguée au GGE avec gaines espacées de 1,5 m.
Plus globalement, l’analyse de la productivité de l’eau totale a montré que la majorité des parcelles en SD avaient obtenus de meilleurs résultats que leurs témoins. Ce résultat est encore plus visible si l’on compare le SD au labour sans couvert. L’eau semble être mieux valorisée par les parcelles en SD. En ce qui concerne la productivité supplémentaire permise par l’eau d’irrigation, comparé au pluvial, l’irrigation de la parcelle TCS permet un gain de rendement par m3 d’eau d’irrigation plus important qu’en SD à ce stade de la transition.
Le suivi de la tension en eau des sols ainsi que de la conductance stomatique en 2022 nous montrent que des économies d’eau d’irrigation sont possibles en SD et que ces dernières semblent avoir mieux résisté au stress hydrique que leurs témoins. Des modifications du dispositif expérimental et du parc matériel ont été opérées en 2023 afin de faciliter la dissociation de l’irrigation entre le SD et son témoin et afin d’observer l’impact d’économies d’eau forcées sur les indicateurs technico-économiques.
L’analyse à l’échelle du système de culture montre des résultats en faveur des systèmes en SD par rapport à leurs témoins en travail du sol, en particulier pour les indicateurs socio-environnementaux (consommation de carburant, émissions de GES, vie du sol, temps de travail).
En ce qui concerne la performance économique des systèmes en SD, celle-ci est altérée pour certaines parcelles en raison de rendements un peu plus faibles en SD, à des charges de semences (couvert, culture principale) plus importantes. Pour d’autres, la performance est équivalente au témoin. On note cependant que les charges opérationnelles sont légèrement supérieures pour les témoins du fait des opérations de travail du sol notamment.
Des marges de progrès persistent pour la réduction des intrants (engrais, eau, produits phytosanitaires) et donc pour les charges opérationnelles. Nous pouvons espérer une amélioration des rendements au fur et à mesure de l’avancée de la transition.
Ce système en SD nécessite l’acquisition de nouvelles compétences (technicité du SD, gestion de l’eau, des adventices, ravageurs et fertilisants), l’appropriation de nouveaux outils (semoir SD, tensiomètres) et demande un changement d’approche du système de culture, une reconception qui engendrent une réorganisation du travail. Un accompagnement complémentaire ad hoc a été proposé pour 2023.
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Photo d’entête : itsajoop – Adobe Stock
Notes
- 1. EDEN : Entrepôts de données spatiales au service de l’évaluation des performances énergétiques des entreprises agricoles.
- 2. Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Occitanie.
- 3. Recensement agricole 2020.
- 4. Le protocole moutarde consiste à arroser, d'un mélange d'eau et de moutarde, trois zones d'1 m² chacune. La molécule irritante contenue dans la moutarde permet de faire remonter en surface les vers de terre présents.
- 5. Électricité pour l’irrigation et consommation de carburant lors des interventions culturales.
Références
- Agreste. (2023). Fiche territoriale synthétique RA 2020 « Gers ». DRAAF Occitanie. Consulté sur https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/IMG/html/fts_ra2020_gers.html
- Audouin, E., Rochwerger, A., Lacaze, F., Bonillo, C., & Lhuissier, L. (2024). Accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique pour les économies d’eau. Revue Sciences Eaux et Territoires, 46, 8145. doi:10.20870/Revue-SET.2024.45.8145
- BRGM. (2010). Les pertes en terre par érosion hydrique des sols.
- DRAAF Occitanie. (2022). Fiche RA 2020 - Irrigation – Territoire : Gers (32). Consulté sur https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/IMG/html/fiche_irrigation_gers__32_-2.html
- GIS SOL. (2011). Synthèse sur l’état des sols de France. Groupement d’intérêt scientifique sur les sols, 24 p.
- Giuliano, S., Alletto, L., Deswarte, C., Perdrieux, F., Daydé, J., & Debaeke, P. (2021). Reducing herbicide use and leaching in agronomically performant maize-based cropping systems : An 8-year study. The Science Of The Total Environment, 788, 147695. doi:10.1016/j.scitotenv.2021.147695
Résumé
Le projet TASCII (Transition agroécologique des systèmes de cultures irrigués innovants) a été mis en place en 2019 par la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), en partenariat avec INRAE, sur la ferme expérimentale de la Mirandette (Masseube, Gers) et chez cinq agriculteurs pilotes qui ont intégré le projet. Il vise à tester, caractériser et évaluer l'agriculture de conservation des sols (ACS) en transition agroécologique dans le contexte de l'agriculture irriguée des Coteaux de Gascogne (Gers). L’évaluation multicritères consiste à comparer les performances (environnementale, économique, agronomique) des systèmes de cultures irrigués en ACS, caractérisée par l’absence de travail du sol, la rotation culturale et la couverture permanente, par rapport à des systèmes conventionnels dans la zone d’étude (TCS ou techniques culturales simplifiées, ou labour). L’analyse s’intéresse notamment aux indicateurs d’efficience de l’utilisation de l’eau. L’évaluation multicritères est analysée au prisme de la caractérisation des essais (suivi hydrique et du développement végétatif).
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