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Peut-on utiliser l’ADN environnemental pour le suivi quantitatif des populations de poissons migrateurs ?

Face au déclin alarmant des poissons migrateurs amphihalins, de nouvelles méthodes de suivi s’imposent. Cette étude explore le potentiel de l’ADN environnemental comme outil non invasif pour détecter et estimer la présence de plusieurs espèces emblématiques dans les cours d’eau français. Elle met en lumière à la fois les promesses et les limites de cette approche, en lien avec des facteurs environnementaux clés.

Introduction

Les espèces migratrices amphihalines, comme le saumon atlantique (Salmo salar), l’anguille européenne (Anguilla anguilla), ou la grande alose (Alosa alosa), alternent entre les milieux marins et d’eaux douces au cours de leur cycle de vie. Elles jouent un rôle écologique essentiel en transportant des nutriments d’origine marine vers les écosystèmes d’eau douce et sont des indicateurs clés de la qualité et de la continuité écologique des écosystèmes aquatiques (Merg et al., 2020). Historiquement abondantes, ces espèces représentent un patrimoine naturel et culturel précieux et ont largement contribué au développement économique local, notamment par le biais de la pêche. Cependant, leurs populations ont fortement décliné au cours des dernières décennies en raison de multiples pressions anthropiques, telles que la fragmentation des cours d’eau, la dégradation des habitats, la surpêche et les effets du changement climatique (Merg et al., 2020). Certaines espèces, comme l’anguille européenne, sont aujourd’hui classées « en danger critique d’extinction » par l’UICN1.

Pour enrayer ce déclin, plusieurs initiatives ont été mises en œuvre en France. Le plan Saumon, lancé dans les années 1970, ainsi que le décret « amphihalin » de 1994, ont conduit à la création de structures dédiées telles que les COGEPOMI et PLAGEPOMI2, intégrées aux SDAGE3 dans le cadre de la directive cadre sur l’eau. Plus récemment, le Plan national pour les migrateurs amphihalins (PNMA, 2022) est venu renforcer ces dispositifs, en mettant l’accent sur la restauration des habitats et l’amélioration de la continuité écologique.

Malgré ces efforts, le suivi des populations reste insuffisant. Seuls quelques fleuves côtiers français sont équipés de stations de contrôle ou de systèmes de vidéo-comptage permettant un suivi quantitatif régulier des espèces amphihalines. Dans la majorité des cours d’eau, les suivis se limitent, au mieux, à des indices d’abondance issus de campagnes de pêche électrique ou de piégeage. Ces méthodes ont plusieurs inconvénients : elles sont invasives, coûteuses en ressources humaines et matérielles, et se concentrent principalement sur les zones amont des bassins versants, généralement peu larges et peu profondes. De plus, elles fournissent peu de données pour certaines espèces patrimoniales ou d’intérêt pour la conservation, tels que les aloses, les lamproies et l’anguille (André et al., 2018).

Ces limitations ont suscité un intérêt croissant pour les méthodes basées sur l’analyse de l’ADN environnemental (ADNe), qui détectent les traces d’ADN libéré par les organismes dans leur milieu. Ces techniques ont connu un essor considérable au cours des dix dernières années, en raison de leur capacité accrue à détecter les espèces et inventorier les communautés (Blackman et al., 2024). Elles sont désormais largement utilisées pour la surveillance d’espèces menacées ou invasives (Biggs et al., 2015), et bénéficient du soutien tant de la communauté scientifique que de certaines agences gouvernementales, en complément ou alternative des méthodes classiques (Pawlowski et al., 2021).

Cependant, l’un des grands défis est d’évaluer la capacité de l’ADNe à estimer de manière fiable l’abondance ou la biomasse des organismes, des données essentielles pour la gestion des populations (Yates et al., 2023). La dispersion et la dégradation de l’ADNe dans le milieu dépendent de nombreux paramètres, à la fois biotiques comme le métabolisme des espèces (Thalinger et al., 2021) et abiotiques tels que la température, le débit, le pH ou l’intensité lumineuse (Rourke et al., 2022 pour une revue récente de ces facteurs). Ainsi, les conditions hydrologiques locales peuvent affecter la persistance et la concentration d’ADNe en modifiant sa dilution ou sa rétention dans certains habitats (Capo et al., 2019). Ces facteurs peuvent limiter la comparabilité des résultats entre différents habitats ou périodes de l’année. Une standardisation rigoureuse des protocoles d’échantillonnage et d’analyse est donc nécessaire (Beentjes et al., 2019 ; Takahashi et al., 2023) et l’intégration de données environnementales et biologiques dans des modèles prédictifs pourrait améliorer la précision des estimations d’abondance (Urban et al., 2022). En somme, l’ADNe est un outil non invasif prometteur pour le suivi et la gestion des populations aquatiques, mais des recherches complémentaires sont nécessaires pour surmonter les incertitudes méthodologiques et écologiques associées à son application.

C’est dans ce contexte que nous avons entrepris de développer des indicateurs basés sur l’ADNe pour évaluer la présence et l’abondance de cinq espèces de poissons migrateurs amphihalins : le saumon, la truite de mer, l’alose, la lamproie marine et l’anguille. L’objectif principal était de déterminer si les concentrations d’ADNe détectées dans l’eau pouvaient refléter de manière fiable l’abondance réelle de ces espèces. Pour tester la robustesse de ces indicateurs face aux variations environnementales, des prélèvements ont été réalisés dans des fleuves présentant des tailles, des caractéristiques hydro-morphologiques et des conditions saisonnières diverses.

Conception et validation de marqueurs génétiques

Il existe deux grandes familles d’approches moléculaires pour l’analyse de l’ADNe : les approches « multi-spécifiques » comme le « metabarcoding » qui reposent sur des méthodes de PCR et des technologies de séquençage haut-débit pour caractériser les espèces présentes dans un échantillon grâce à des marqueurs génétiques génériques et les approches dites « spécifiques ». Ces dernières s’appuient sur la « PCR quantitative » (qPCR) ou la « PCR digitale » (dPCR) pour détecter et quantifier l’ADN d’une espèce précise en ciblant des séquences d’ADN propres à cette espèce.

Le metabarcoding est particulièrement adapté pour inventorier les communautés sans apriori, mais il fournit une estimation souvent peu fiable des proportions relatives d’ADN par espèce, en raison des biais d’amplification et de séquençage. Pour contourner ces limitations, nous avons opté pour la dPCR, qui permet une quantification absolue du nombre de copies d’ADN via la partition de l’échantillon en des milliers de micro-réactions indépendantes, éliminant ainsi la dépendance aux courbes d’étalonnage (Hindson et al., 2013) (encadré 1).

Encadré 1. La PCR digitale, une méthode précise d’estimation des concentrations d’ADNe dans l’eau.

La PCR digitale offre plusieurs avantages par rapport à la PCR quantitative classique : elle permet une quantification absolue de l’ADN cible sans recourir à des courbes standard, ce qui améliore la précision, la sensibilité et la reproductibilité. La dPCR est particulièrement adaptée pour détecter de faibles concentrations d’ADN dans des échantillons complexes ou dégradés. L’échantillon d’ADN est réparti dans milliers de nanopartitions microscopiques, dans chacune desquelles il y a une réaction de PCR individuelle. La figure illustre les nuages de points obtenus à l’issue d’une PCR digitale « QIAcuity One, 5 plex » (QIAGEN) réalisée à partir d’ADN de tissu de truite et de lamproie. La détection est réalisée par lecture de fluorescence, dont l’intensité (reflétée par la hauteur des points) permet de distinguer les partitions positives (affichées en bleu) des négatives (affichées en gris). Dans cet exemple, 185 partitions positives ont été détectées pour l’ADN de truite commune, soit une concentration estimée à 10,2 copies/µL.

Pour chacune des cinq espèces cibles (Salmo salar, Salmo trutta, Alosa spp., Petromyzon marinus, Anguilla anguilla), nous avons conçu, à l’aide d’analyse in silico, des jeux d’amorces et de sondes spécifiques ciblant des courtes régions d’ADN mitochondrial. Nous avons ensuite vérifié sur les bases de données publiques en ligne, l’absence théorique d’amplification d’ADNe d’autres espèces sympatriques. Ces marqueurs ont ensuite été validés en conditions contrôlées sur des mélanges d’ADN extraits de tissus des cinq espèces afin de vérifier l’absence d’amplification croisée, d’évaluer la répétabilité des mesures de dPCR et le seuil de détection optimal pour chaque marqueur. Des tests complémentaires ont également été menés en conditions semi-contrôlées sur des filtrats d’eau prélevés dans des bassines (60 litres d’eau de l’Oir, affluent de la Sélune), où des juvéniles de truites, de saumons et d’anguilles avaient été placés. Ces différents tests ont révélé que le marqueur « saumon » était moins sensible que les autres marqueurs. De plus, ils ont montré que les concentrations d’ADN mesurées étaient plus élevées lorsque les extraits d’ADN du filtrat d’eau étaient dilués, suggérant la présence de substances inhibitrices de la PCR, probablement dues à une charge élevée de matière organique dans l’Oir au moment des prélèvements. Ces résultats soulignent l’importance d’une optimisation spécifique à chaque marqueur, notamment via des tests d’efficacité, et d’une caractérisation fine des effets « matrice » lors de l’échantillonnage.

Est-ce que les marqueurs d’ADNe détectent efficacement les poissons migrateurs en milieu naturel ?

Des campagnes de prélèvements par filtration d’ADNe ont été réalisées entre juillet 2022 et septembre 2023 sur cinq fleuves équipés de stations de comptage : l’Oir (affluent de la Sélune), la Bresle, le Scorff, la Nivelle (gérées par l’ORE DiaPFC4) et l’Adour (Migradour) (encadré 2 et Raphalen et al., 2024 pour les détails de la stratégie d’échantillonnage et des paramètres collectées). Les données de comptage, par piégeage ou vidéo, permettent d’estimer, tout au long de l’année, l’abondance de poissons traversant la station lors de leur montaison. Pour chacun des fleuves, plusieurs sites de prélèvement d’eau ont été choisis, situés de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres en amont des stations de comptage. Lors de chaque prélèvement, les opérateurs de terrain ont collecté différents paramètres physico-chimiques susceptibles d’agir sur la vitesse de transport et de dégradation de l’ADNe, comme la vitesse du courant, la turbidité, le pH et la température.

Encadré 2. Comment échantillonner l’ADNe dans l’eau ?

Quel filtre (taille des pores, surface et composition) ? Quel temps et volume de filtration ? Combien de réplicats ? Ces questions illustrent un problème majeur dans les protocoles d’échantillonnage d’ADNe : le manque de standardisation ou de recommandations claires pour adapter le protocole en fonction de la question, des modèles biologiques et des conditions environnementales. Il est souvent difficile de faire un choix, d’autant que la littérature scientifique et les compagnies privées proposent une grande diversité d’approches, avec des volumes filtrés qui vont de quelques centaines de millilitres à plusieurs dizaines de litres d’eau. Le choix du matériau du filtre (par exemple, polyéthersulfone – PES ou nylon) joue également un rôle clé dans l’efficacité de la récupération de l’ADN, influençant directement les résultats.

Pour cette étude, il nous fallait une solution standard applicable à tous les sites et toutes les périodes de filtration. Nous avons donc opté pour des capsules WATERRA intégrant un filtre PES de 0,45 micron avec une surface de 600 cm². Ces capsules ont permis de filtrer entre 6 et 30 litres d’eau même dans les cas où l’eau était chargée en sédiments et/ou particules organiques, là où d’autres filtres plus petits colmataient très rapidement. Nous avons fourni à chaque opérateur des petites pompes à membranes fabriquées maison, alimentées par des batteries lithium 12 volts installées dans des caissons étanches. Les capsules de filtration sont connectées aux pompes par un système de tuyaux semi-rigides et d’adaptateurs facilement interchangeables entre les sites, permettant de limiter les risques de contamination.

À gauche : vue de l’intérieur de la pompe. À droite : filtration d’ADNe par Anaïs Paulin-Fayolle (INRAE Ecobiop) sur l’Adour.

-> Accéder à la vidéo de démonstration : https://youtu.be/lzdFfMLZ7j4?si=2v94sfWsAtZpIUtl

L’analyse de la concordance entre les données de détection des espèces obtenues à partir des marqueurs d’ADNe et les observations réalisées aux stations de comptage ont révélé une forte variabilité selon les fleuves et les espèces (figure 1). Pour l’alose sur l’Adour et la Nivelle, l’espèce a été détectée dans plus de 80 % des cas, alors que sur le Scorff aucun signal à partir d’ADNe n’a été observé, bien que plus de 80 individus ont traversé le piège du Moulin des Princes à la fin du printemps 2023. Ce dernier résultat pourrait s’expliquer par l’éloignement des sites de prélèvement d’ADNe — situés à plus de 10 km des zones de fraie connues. Concernant la truite commune, la détectabilité est satisfaisante sur la Bresle, l’Oir et l’Adour, mais demeure là encore relativement faible sur le Scorff. De plus, un certain nombre de faux positifs sont présents et correspondent aux cas où de l’ADN de truite est détecté alors qu’aucun poisson n’a été recensé à la station de comptage durant les sept jours précédents. Ces faux positifs peuvent être liés à l’accumulation en amont de truites de mer qui sont remontées les semaines précédentes ou à la présence de populations sédentaires de truite fario, qui libèrent de l’ADN qui transite vers l’aval. Pour la lamproie et l’anguille, on retrouve également entre 20 et 30 % de faux positifs selon les fleuves et les sites de filtration. Les prélèvements d’ADNe ne sont pas forcément synchrones avec les pics de montaison des espèces et ces résultats montrent que la détection d’ADNe reflète des dynamiques complexes, liées à la phénologie des espèces (présence de juvéniles, cycles de montaison/dévalaison) et la distance entre les habitats et les sites de filtration. Pour le saumon atlantique, comme attendu après les tests en conditions contrôlées, le marqueur d’ADNe utilisé manque de sensibilité et l’espèce est mal détectée même sur l’Adour où plus de 600 individus ont pourtant été dénombrés à la station de Massey entre mi-mai et fin-juillet 2023.

Figure 1. Concordance entre les données de détection des espèces avec les marqueurs d’ADNe et les observations de poissons à la station de comptage sur l’Adour et l’Oir (présence/absence lors des sept derniers jours précédant la filtration).

Relation entre quantité d’ADNe et abondance des espèces

Sur la plupart des fleuves, nous avons observé des pics de concentration d’ADNe d’intensité variable à la fin du printemps ou au début de l’été, coïncidant avec les pics de montaison de truites ou des aloses. Ces pics d’ADNe apparaissent parfois décalés dans le temps et la corrélation entre la concentration d’ADN et l’abondance est nettement meilleure lorsque l’on prend en compte le cumul d’observations sur plusieurs semaines (figure 2).

Figure 2. Corrélation entre le cumul d’observations à la station de comptage de l’Adour (Masseys) et les concentration d’ADNe de truite commune (STR), alose (ALA) et lamproie marine (LPM). Les corrélations ont été calculées en considérant le cumul d’observations pendant 3, 7, 10, 15, 21 ou 30 jours.

La capacité de la méthode testée ici à mesurer des concentrations d’ADNe, reflétant l’abondance des poissons migrateurs, varie beaucoup entre les fleuves et les périodes de l’année, probablement en raison des variations des conditions hydrologiques et physico-chimiques. Ainsi, les marqueurs d’ADNe peinent à détecter et à quantifier les populations de civelles et juvéniles de truite au début du printemps (mars-avril). Cette faible performance des marqueurs d’ADNe au printemps pourrait être liée à l’augmentation de la turbidité à cette période, notamment sur l’Oir et le Scorff. En effet, l’accumulation de matières organiques dans les capsules de filtration constitue un défi majeur pour la gestion de substances inhibitrices de PCR. Il est donc nécessaire de développer d’autres protocoles d’extraction d’ADNe capables d’éliminer plus efficacement ces composés inhibiteurs.

Ces faibles signaux ADNe au début du printemps pourraient également s’expliquer par l’augmentation des débits des fleuves, qui dilue mécaniquement l’ADNe et réduit sa concentration par litre d’eau filtrée, par rapport à l’été (Rourke et al., 2022). La solution pourrait consister à standardiser les mesures de concentration en fonction du débit. Cependant, le débit n’est pas le seul facteur influençant la concentration d’ADNe. La température de l’eau, qui influe sur l’activité métabolique et microbiologique, varie selon les saisons et semble jouer un rôle clé dans la libération et la persistance de l’ADNe. Ainsi sur l’Adour, on a observé des concentrations optimales d’ADNe pour des plages de température intermédiaire, autour de 18 °C (figure 3). Pour mieux comprendre les liens complexes entre la quantité d’ADNe et l’abondance des espèces, il est donc impératif de modéliser conjointement l’effet du débit et de la température.

Figure 3. Effet de la température de l’eau et du débit sur les concentrations d’ADNe sur l’Adour. Le gradient de couleur indique l’intensité de la réponse prédite par le modèle GAM (Generalized Additive Model) dans les différentes conditions de température et de débit.

Par ailleurs, nous avons également observé des différences notables entre les espèces et les sites d’échantillonnage d’un même fleuve, sans qu’il soit possible d’identifier clairement les causes de ces variations. Ces disparités pourraient être dues à des spécificités écologiques ou comportementales des espèces, ainsi que par des particularités des sites, comme la distance par rapport aux habitats clés ou les conditions locales. Pour aller plus loin, il est nécessaire de développer des modèles spécifiques à chaque espèce avec des stratégies d’échantillonnage mieux adaptées à leur cycle de vie (période de montaison/dévalaison) et leurs habitats.

Conclusion

Cette étude constitue une première étape dans le développement d’outils d’ADNe visant à détecter et évaluer l’abondance des poissons migrateurs dans des contextes environnementaux variés. Les résultats mettent en évidence des perspectives prometteuses, comme la détection par l’ADNe de pics de montaison d’alose et de truite, mais soulignent également plusieurs défis majeurs à relever pour permettre une application à grande échelle. En effet, la capacité à détecter et quantifier les espèces varie considérablement entre les sites d’études, ce qui souligne la nécessité d’adapter les protocoles en fonction des conditions environnementales spécifiques.

Les marqueurs d’ADNe conçus et validés permettent une détection des cinq espèces cibles (truite commune, saumon atlantique, lamproie marine, anguille européenne et alose spp.) en conditions contrôlées. Toutefois, leur sensibilité varie considérablement, notamment pour le marqueur ciblant l’ADNe de saumon, qui s’est avéré peu efficace, quelle que soit l’abondance ou les conditions environnementales. Il est donc nécessaire de tester d’autres couples d’amorces/sondes pour en trouver des plus sensibles.

Les protocoles de filtration utilisés ont démontré leur efficacité, notamment leur capacité à filtrer des volumes importants d’eau, même en présence de matière organique. Cependant, des problèmes d’inhibition de PCR liés à l’accumulation de substances organiques et de sédiments persistent. Ces problèmes d’inhibitions pourraient être atténuées avec des protocoles d’extraction optimisés pour ces matrices complexes et des ajustements dans la conservation des échantillons, notamment en les maintenant à basse température et réduisant des délais entre le prélèvement et l’analyse.

Les variations saisonnières et hydrologiques, telles que la turbidité et le débit des fleuves, influencent significativement les concentrations d’ADNe mesurées. Par exemple, les faibles concentrations observées au printemps pourraient être attribuées à l’augmentation des débits, qui dilue l’ADNe, et à une turbidité élevée qui complique la détection des espèces par dPCR. Une standardisation des mesures en fonction de ces variables est essentielle pour améliorer la comparabilité des résultats entre sites et saisons.

Enfin, cette étude démontre que l’ADNe peut compléter les méthodes traditionnelles de suivi, notamment pour les espèces comme la lamproie marine et l’anguille, pour lesquelles les données d’abondance à l’échelle nationale sont rares. Toutefois, la stratégie d’échantillonnage doit être ajustée pour mieux suivre les dynamiques de montaison et de dévalaison, avec des fréquences de prélèvement accrues autour des pics migratoires. En somme, pour que l’ADNe devienne un outil standardisé et fiable, il est indispensable de développer des modèles intégrant les dynamiques hydrologiques, la structure des habitats et les cycles de vie des espèces cibles. Cela nécessite également une collaboration renforcée avec les gestionnaires et le développement d’infrastructures publiques adaptées pour répondre aux besoins opérationnels et garantir une mise en œuvre efficace à grande échelle.

Remerciements

Nous remercions chaleureusement l’ensemble des personnes ayant contribué à la collecte des échantillons sur les différents sites : Jean-Pierre Destouches, Richard Delanoë et Julien Tremblay (INRAE U3E, Oir), Nicolas Jeannot, Fabien Quendo et Yoann Guilloux (INRAE U3E, Scorff), Brice Sauvaget, Gérard Eriau et Cédric Briand (EPTB, Vilaine), Anaïs Bernardin, Aurélie Flesselle et Lucie Lecoeur (INRAE U3E, Bresle), ainsi que Frédéric Lange, Stéphane Glise, Anaïs Paulin-Fayolle et Aurélie Manicki (INRAE Ecobiop, Gave d’Oloron et Nivelle). Nous remercions également Dominique Huteau (INRAE U3E) et Flavie Amilien (INRAE DECOD) pour la conception des pompes et la préparation des tampons de conservation.

En savoir plus

Lacoeuilhe, A., Hérard, K., Poncet, L., & Touroult, J. (2024). Intérêts et enjeux de l’utilisation de l’ADN environnemental pour l’inventaire, le suivi et la surveillance de la biodiversité des milieux dulcicoles, marins et terrestres. Patrinat (OFB-CNRS-MNHN), Paris. https://hal.science/hal-04561160

Pawlowski, J., Apothéloz-Perret-Gentil, L., & Altermatt, F. (2020b). Environmental DNA : What’s behind the term ? Clarifying the terminology and recommendations for its future use in biomonitoring. Molecular Ecology, 29(22), 4258‑4264. https://doi.org/10.1111/mec.1564

Raphalen, Z., Vautier, M., Besnard, A. L., Nikolic, N., & Quéméré, E. (2024). Développement d’indicateurs d’abondance basés sur l’ADNe pour un suivi non-invasif et à large échelle des poissons migrateurs. Rapport final – Fiche POLE OFB-INRAE MIAME.

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Photo d’entête : Extraite de la vidéo « Technique d'échantillonnage d'eau et de sédiments dont seront extraits de l'ADN environnemental » (chaîne Youtube @umrecobiop2466)

Notes

  • 1. Union internationale pour la conservation de la nature.
  • 2. Les comités de gestion des poissons migrateurs (COGEPOMI) mettent en œuvre les plans de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI).
  • 3. Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux.
  • 4. Observatoire de recherche en environnement « Poissons diadromes dans les fleuves côtiers ».

Références

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Résumé

Dans le contexte actuel de fort déclin des populations de poissons amphihalins, l’ADN environnemental (ADNe) émerge comme une approche non invasive prometteuse pour compléter les approches traditionnelles de suivi. Dans cette étude, nous avons développé et validé des marqueurs génétiques spécifiques permettant de détecter et d’identifier sans ambiguïté cinq espèces emblématiques de poissons migrateurs (truite commune, saumon atlantique, lamproie marine, anguille européenne et alose spp.). Nous avons ensuite évalué si la quantité d’ADNe détectée dans l’eau à l’aide de ces marqueurs pouvait refléter de manière fiable les abondances mesurées au niveau des stations de comptage de cinq fleuves. Les résultats montrent une détection efficace pour certaines espèces et contextes, mais avec une variabilité importante selon les marqueurs et les conditions environnementales (température, turbidité, débit). Ainsi, sur l’Adour, des pics de concentrations d’ADNe ont été observées en décalage de quelques semaines après les pics de migration d’Alose et de truite. La température de l’eau semble jouer un rôle majeur dans la libération et la persistance de l’ADNe avec des concentrations optimales d’ADNe obtenues pour les plages de température intermédiaires (autour de 18 °C). En revanche, les variations de débit, notamment au printemps, semblent réduire la détectabilité des espèces en raison de la dilution de l’ADNe. Cette étude constitue une étape importante dans l’intégration de l’ADNe comme outil complémentaire aux méthodes traditionnelles de suivi des poissons migrateurs amphihalins, notamment pour les espèces peu documentées à l’échelle nationale. Cependant, la complexité des processus de transport et de dégradation de l'ADN dans l’eau – encore partiellement élucidée, et la forte variabilité observée entre les cours d’eau incitent à poursuivre ces recherches sur plusieurs années pour optimiser les protocoles de prélèvement et d’analyse, et intégrer avec précision les paramètres environnementaux dans des modèles prédictifs fiables.

Auteurs


Erwan QUÉMÉRÉ

erwan.quemere@inrae.fr

Affiliation : DECOD (Dynamique et Durabilité des Ecosystèmes), L’Institut Agro, IFREMER, INRAE, Rennes

Pays : France


Zoé RAPHALEN

Affiliation : DECOD (Dynamique et Durabilité des Ecosystèmes), L’Institut Agro, IFREMER, INRAE, Rennes

Pays : France


Anne-Laure BESNARD

Affiliation : DECOD (Dynamique et Durabilité des Ecosystèmes), L’Institut Agro, IFREMER, INRAE, Rennes

Pays : France


Marine VAUTIER

Affiliation : UMR CARRTEL, INRAE, Université Savoie Mont Blanc, Thonon-les-Bains Cedex

Pays : France


Natacha NIKOLIC

Affiliation : ECOBIOP, Université de Pau et des Pays de l’Adour, INRAE, Saint-Pée-sur-Nivelle / Université de Toulouse III Paul Sabatier, CRBE, CNRS, IRD, Toulouse

Pays : France

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