Focus sur les services associatifs d’eau potable : de quoi parle-t-on ?
En France, loin des grands réseaux publics, des communautés ont pris en main leur accès à l’eau potable dès les années 1960-1970. Ces services associatifs, nés d’une logique d’auto-organisation, incarnent une réponse locale et collective à un besoin essentiel. Mais comment ces structures, souvent méconnues, résistent-elles aux défis contemporains ? Entre changements hydro-climatiques, dégradation de la qualité des eaux et mutations territoriales, leur pérennité interroge. Fondée sur une thèse récente et des enquêtes de terrain en Nièvre, Loire-Atlantique et Bretagne, cet article explore le rôle clé des proximités territoriales dans la survie et l’adaptation de ces services. À travers des entretiens et des observations, il révèle aussi les tensions entre enjeux locaux et globaux, et questionne la place de ces initiatives dans le paysage futur de la gestion de l’eau..
Introduction
Placée au cœur de cet article, la figure des « services associatifs » d’eau potable constitue un objet sociotechnique singulier en France. Dans les années 1960-1970, des habitants et des habitantes ont créé des structures de gestion de l’eau potable – parfois soutenues par des aides financières du génie rural (Fonds national pour le développement des adductions en eau) – de manière à desservir la population de ces hameaux. L’instauration des services associatifs prend naissance dans la carence de desserte en eau potable du service public ainsi que l’absence de futurs projets de raccordement. De nos jours, ces structures reposent sur une forme d’auto-organisation (Poupeau, 2020) : elles sont complètement indépendantes financièrement et la gouvernance interne repose sur un bureau associatif composé uniquement de bénévoles. D’un point de vue technique, le réseau est assez similaire à un petit système rural géré en régie par les mairies. Plusieurs de ces associations subsistent encore aujourd’hui, en parallèle au service public modernisateur, universaliste et intercommunal.
Cette publication est issue de mes travaux de recherche doctorale, intitulés « Enjeux globaux et trajectoires sociotechniques de l'eau potable : le cas des services associatifs », menés entre novembre 2020 et juillet 2024 au sein du laboratoire CNRS UMR 6590 Espaces et Sociétés. Si la thèse questionne les facteurs de persistance des services associatifs au regard des enjeux globaux et locaux, cet article vise avant tout à rendre visible l’existence de ces associations, à identifier les principaux enjeux auxquels elles sont confrontées et à exposer le rôle des proximités dans la pérennité de leur fonctionnement. Après une courte introduction, cet article présentera notre méthodologie de recherche et nos trois territoires d’études. Ensuite, les multiples enjeux auxquels les services associatifs font face puis le rôle des proximités au sein des associations seront analysés. Enfin, l’article se termine par une discussion conclusive sur les perspectives de ces structures.
Pour présenter cet objet singulier, il convient de justifier le choix de l’expression « services associatifs ». Cette formulation permet de regrouper diverses situations rencontrées sur les terrains d’étude tout en mettant en lumière les caractéristiques communes à ces entités. De fait, ce type de service associatif dépend d’un ancrage territorial micro-local si bien que ces structures sont parfois grandement invisibilisées voire invisibles (encadré 1). Si les structures étudiées sont enregistrées officiellement comme des associations (publication au Journal officiel), ce n’est pas le cas de l’ensemble de ces services qui parfois reposent sur des coopérations de fait sans formalisation juridique. En outre, on peut préciser que les statuts associatifs identifiés relèvent principalement de trois configurations : associations loi 1901, associations syndicales libres (ASL) et associations syndicales autorisées (ASA). De manière globale, ces objets singuliers constituent aujourd’hui des formes alternatives ou complémentaires au service public de l’eau, en dehors du « modèle néolibéral dominant » (Lamarche et Richez-Battesti, 2023) et des modes de gestion institués au niveau national.
Ces associations ont été créées pour répondre à un besoin vital d’accès à une desserte individuelle d’eau potable à domicile. En l’absence de projets de service public locaux, la population locale, s’appuyant notamment sur le matériel et le savoir-faire des agriculteurs, a construit son propre réseau d’eau potable privé. De ce fait, ces structures sont souvent invisibilisées, situées dans une « zone grise », en marge du système modernisateur.
Qu’il s’agisse des agences régionales de santé (ARS) ou bien des agences de l’eau, ces associations sont plus ou moins identifiées par ces dernières en fonction des territoires. L’ARS est le principal interlocuteur des services associatifs, vis-à-vis des services de l’État, pour assurer le contrôle sanitaire obligatoire de l’eau potable. Quant aux agences de l’eau, elles sont très peu en contact avec ces associations, ignorant parfois jusqu’à leur existence. De ce fait, les services associatifs fonctionnent en autonomie et participent à des configurations bien singulières de la gestion de l’eau potable. Selon les territoires, les services de l’État s’impliquent à des degrés variables dans les échanges et le suivi de ces associations.
Identifier et caractériser les services associatifs d’eau potable : méthodologie
Cette recherche suit une approche qualitative d’enquête en s’appuyant sur le recueil de matériaux et de données, des visites de site et des entretiens semi-directifs principalement. Ainsi, la première phase de l’enquête a consisté à effectuer des entretiens préalables d’exploration empirique de l’objet de recherche. Par la suite, une deuxième phase, plus conséquente, a permis d’élargir l’enquête à d’autres territoires, et à des structures plus nombreuses et diversifiées. Ainsi, l’enquête auprès de plus de quatre-vingts acteurs a produit des matériaux discursifs et conséquents. Par une démarche inductive (Volvey et al., 2012), l’étude a d’abord concerné des services associatifs localisés (une trentaine) puis des acteurs en lien direct ou indirect avec ces derniers : des gestionnaires du service public, les services de l’État, les collectivités, les élus, etc. L’exploitation qualitative des matériaux d’entretien et d’observation s’est effectuée à partir d’un travail de retranscription puis d’une analyse thématique codée utilisant le logiciel MaxQDA. Ma participation au projet « Représentations de l'eau et services d'eau : changements de paradigmes et transitions socio-écologiques dans les espaces ruraux »
Trois territoires de recherche dans une dimension comparative
Les principaux terrains de recherche se situent dans les départements de la Nièvre et de la Loire-Atlantique (figure 1). Un dernier terrain en Finistère permet d’avoir une approche « en miroir ». Dans la Nièvre, dix-sept services associatifs de huit communes appartenant aux communautés de communes « Sommet Morvan et Grands Lacs » et « Tannay Brinon » ont été investigués. En Loire-Atlantique, notre intérêt s’est porté sur quatorze associations localisées au sein de trois communes de Redon Agglomération. Enfin, deux services associatifs situés dans la métropole de Brest dans le Finistère ont été étudiés.
Volontairement sélectionnés pour travailler sur des configurations territoriales diversifiées (tableau 1), ces terrains se différencient par les types et tailles d’EPCI concernés (métropole, communauté d’agglomérations, communauté de communes), le nombre d’habitants (de 86 à 15 000 par commune étudiée), et la densité de population (de 12 habitants au km2 à 967 hab/km2), etc. Les communes étudiées présentent une dominante rurale à l’exception de celle de la métropole de Brest. Les tailles des associations en activité varient selon les territoires puisque dans la Nièvre elles sont de petites tailles (majoritairement entre 2 à 50 raccordements), de taille moyenne en Loire-Atlantique (de 26 à 100 raccordements) alors que dans le Finistère, il s’agit de structures de grande taille (de 201 à 500 raccordements).
Source : Enquête personnelle, 2020-2024 ; INSEE, 2022. Réalisation : L. Dell’Aquila - 2023.
Figure 1. Cartographie de la densité de population des cas d’études.
Finistère | Loire-Atlantique | Nièvre | |
Type d’établissement public de coopération intercommunale EPCI) | Métropole | Communes d'agglomérations | Communauté de communes |
EPCI | Brest Métropole | Redon Agglomération | Morvan Sommets et Grands Lacs et Tannay Brinon Corbigny |
Dynamique démographique départementale (INSEE – 2013, 2018) | Légère hausse (+ 0,9 %) | Forte hause (+ 6,3 %) | Forte diminution (– 4,4 %) |
Évolution du nombre de services associatifs (de 1990 à 2024) | Forte diminution | Diminution | Stable |
Localisation des services associatifs | Proche d'une métropole (10 km) | Proche d’une agglomération (1,5 à 10 km) | Éloigné des grandes agglomérations (10 à 25 km) |
Rôle structurant du dénivelé (à l’échelle micro-locale) | Fort | Modéré | Très fort |
Densité des EPCI (INSEE – 2020) | 967 hab/km2 | 67,3 hab/km2 | 12,7 hab/km2 |
Typologie fonctionnelle de l’INSEE de la dispersion des habitats | Urbain | Péri-urbain | Rural |
Gestionnaire du service public d’eau | Eau du Ponant | Atlantic'eau | SIAEP Pannecière |
À l’instar de la Loire-Atlantique, les services du Finistère s’appuient sur un réseau technique composé d’un ou plusieurs captages, parfois souterrains, avec plusieurs traitements automatisés (photos 1 , 2 et 3). Par exemple, pour faire face aux normes sanitaires imposées, une association s’est récemment modernisée avec l’ajout de filtres à charbon actif pour le traitement de pesticides. Dans la Nièvre, le niveau de technicité est simplifié avec des réseaux principalement gravitaires et une chloration manuelle qui correspond souvent à l’unique traitement de potabilisation de l’eau. De plus, la gestion associative de l’eau sur ce territoire est caractérisée par l’absence de compteurs et une facturation forfaitaire annuelle.
© L. Dell’Aquila – 2022.
Photo 1. Station de captage d’un service associatif (Loire-Atlantique).
© L. Dell’Aquila – 2023.
Photo 2. Réservoirs d’eau d’une station de captage d’un service associatif (Finistère).
© L. Dell’Aquila – 2023.
Photo 3. Installation technique des traitements d’eau d’un service associatif (Finistère).
La gestion de l’eau potable s’insère dans des enjeux multi-scalaires
Les enjeux liés à la gouvernance de la ressource en eau s’ajoutent aux problématiques globales sur les usages de l’eau, en particulier les conflits socio-économiques sur la ressource et la pérennité des fonctionnalités des milieux aquatiques (Blanchon, 2024). Certains de ces enjeux globaux de politiques publiques s’expriment et se combinent à l’échelle locale, à l’image du service public et de la gestion de l’eau potable associative : aux tensions qualitatives et quantitatives se combinent les dimensions réglementaires. Les services d’eau potable doivent prendre en considération des contradictions internes propres à ces systèmes sociotechniques. Par exemple, le prix de l’eau demeure un enjeu social central auquel s’oppose la nécessité de moderniser les réseaux d’eau. Certains territoires doivent trouver des solutions techniques pour traiter l’eau face au durcissement des règles européennes de potabilité (per- et polyfluoroalkylées (PFAS), etc.), Ainsi, les services d’eau sont intégrés dans une matrice pluri-scalaire d’enjeux et de situations conflictuelles.
Les services associatifs sont confrontés à des problématiques de qualité d’eau, sur des paramètres physico-chimiques comme le potentiel hydrogène (pH) ou les nitrates. Des traitements adaptés sont mis en place en cas de dépassement constant, comme l’indique cette association.
« Et donc il y a cinq ans, on a fait installer un dénitrateur qui est toujours en fonctionnement et qui nous permet de rabaisser le taux de nitrate dans l’eau distribuée entre 10 et 40 [mg/L] ».
Les associations de la Nièvre connaissent davantage de dépassements des seuils sur des paramètres microbiologiques ; la problématique est identifiée par les gestionnaires, et une solution est promptement mise en place (ex : dosage de chlore, nettoyage du réservoir, etc.).
Concernant les problématiques quantitatives, les associations déplorent être confrontées à ces enjeux alors même que dans les représentations collectives, certains de ces territoires ne semblaient jusqu’alors pas concernés du fait d’une omniprésence de l’eau. Depuis quelques années, et notamment la sécheresse de 2022, une prise de conscience semble se dessiner tant du côté des associations que des autres acteurs du territoire.
« Il y a encore cinq ans […] on pensait que c’était inépuisable. Et aujourd’hui on se fait complètement rattraper par les enjeux quantitatifs ».
Les services associatifs, du fait de leur fonctionnement largement bénévole, connaissent des difficultés spécifiques. La première correspond à leur gestion financière et administrative ; le personnel bénévole est relativement réduit, il lui est difficile de faire face aux coûts et aux prescriptions normatives liées à la gestion d’un réseau. À l’heure actuelle, ces associations ne sont aucunement soutenues financièrement, y compris lorsqu’elles représentent l’unique moyen d’accéder à une eau potable en raison de l’absence de service public sur leur territoire. La deuxième problématique tient au renouvellement des membres impliqués au sein de l’association. En effet, dans certains villages et hameaux, trouver des personnes disponibles et en capacité de réaliser des petits travaux d’entretien est de plus en plus difficile.
L’activation de proximités pour répondre à certains enjeux
Les résultats de notre recherche mettent en lumière le rôle des proximités dans la réponse à certains enjeux. Trois types de proximité sont mobilisés pour apporter des solutions. Tout d’abord, la proximité environnementale qui relève de la construction historique des associations paraît rejoindre la proximité géographique. Il s’agit de la « proximité à », autrement dit, cela implique la distance géométrique, qui dans ce cas, correspond à la distance entre le site de captage, de production et les lieux de desserte (Gilly et Torre, 2000). De fait, à l’époque de leur création, l’objectif premier du réseau de desserte était d’aller au plus direct, pour avoir le moins de linéaire de canalisations possible, faciliter l’écoulement et réduire ainsi les coûts de production du service. Ainsi, on peut affirmer que ces petits systèmes techniques sont adaptés à l’habitat dispersé, peu dense, et à la topographie locale (photo 4). Les traitements sont réduits au strict nécessaire pour permettre de remplir les critères de potabilité.
© L. Dell’Aquila – 2022.
Photo 4. Vue du paysage vallonné depuis une station de captage d’un service associatif (Nièvre).
En lien avec cette proximité environnementale, les gestionnaires de service témoignent de leurs préoccupations au sujet de la protection des sites et des aires d’alimentation des captages. Les associations tendent progressivement à respecter la réglementation en instaurant des périmètres de protection de captages (photo 5), en négociant des règles d’usages des sols et en cherchant à racheter les terrains lorsqu’ils ne leur appartiennent pas. Plusieurs services s’intéressent à la préservation des milieux et de l’environnement ; on peut citer l’exemple d’une association qui par son intervention a réussi à empêcher une coupe rase de feuillus proches de son périmètre.
© L. Dell’Aquila – 2022.
Photo 5. Périmètre de protection immédiat d’une station de captage d’un service associatif (Nièvre).
Cette « proximité à » s’exprime également dans la gouvernance de la structure locale et associative, où la sensibilité des usagers et des protagonistes est forte. La gestion quantitative de la ressource et ses usages connaissent une forme de contrôle social et d’autorégulation avec une surveillance régulière des variations de quantité d’eau en période d’étiage. Des mesures de sensibilisation sont prises en amont ou lors d’un constat significatif d’un changement du niveau de la ressource : l’information est relayée instantanément et les habitants régulent leurs consommations.
La « proximité à » est couplée à la « proximité entre » les acteurs, à savoir le fonctionnement en synergie des acteurs en charge de la gestion du service. Les habitants-usagers appartiennent à un espace de rapports sociaux et s’appuient sur des processus d’interconnaissance pour soutenir le bon fonctionnement du service (Bahers et al., 2017). Ainsi, on observe sur le terrain une forte mobilisation des ressources locales et des actions reposant sur les principes d’économie circulaire : recours à des matériels privés (habitants ou proches), activation du savoir-faire des membres... C’est cette circulation des biens et des savoirs qui conduit à produire un service à faibles coûts et prix.
« Même la pompe doseuse, on a un petit jeune qui est rentré [récemment dans l’association], il a récupéré ça à son boulot, il est dans le milieu ».
À cette première composante de la proximité organisée (proximité « entre ») se cumule la proximité relationnelle. Au sein des associations et entre ces dernières, le partage, les échanges et la circulation des informations (Lebrun, 2023) sont essentiels à la viabilité et à l’optimisation du fonctionnement du système technique. En interne, l’interconnaissance favorise la réactivité des membres et des professionnels (lors d’incidents, par exemple) et en externe, elle facilite la transmission des savoirs. Certaines associations s’entraident selon leurs compétences : techniques, juridiques, etc. Dans bon nombre de villages, les associations jouent un rôle social, vecteur d’échanges et de solidarité dépassant largement le cadre de la gestion de l’eau. Dans l’autre sens, des personnes extérieures viennent soutenir la gestion locale de l’eau du fait de l’absence de force vive. Ces relations réciproques favorisent l’investissement, la transmission et le renouvellement des membres au sein des associations, entre les générations ainsi qu’avec les nouveaux arrivants.
« C’est drôlement bien qu'il y ait ce réseau d'eau, à titre personnel ça m'a permis de rencontrer tous les gens que je ne connaissais pas. Je discute, ce côté-là c'est vraiment bien, il n'y a pas grand-chose d'autre ici que ce réseau d'eau ».
L’activation de ces différents types de proximités favorise une gestion adaptative de la ressource en eau. Selon les besoins, quels qu’ils soient, les membres des associations s’organisent en interne, parfois même en sollicitant des personnes externes, pour maintenir une gestion de l’eau au coût le plus juste. Dans la majorité des structures, ce mode de gestion rejoint une revendication socio-économique et politique, celle de payer l’eau « à son juste coût », sans passer par un intermédiaire marchand ni générer aucun bénéfice. La condition reste une implication bénévole forte et la création de liens à différentes échelles pour maintenir le bon fonctionnement des structures et respecter les exigences sanitaires.
Dans plusieurs associations, une forme de démocratie locale et participative, parfois horizontale et pluridimensionnelle, se développe à l’échelle micro-locale et cherche une efficience technique, sociale, économique et in fine politique.
« Ça a des avantages de gérer ça en commun parce qu’on a l’impression de faire de la micro-démocratie ».
Autrement dit, l’organisation, les codes et les règles spécifiques au service ont été établis et se modifient au sein de la communauté. Cette approche participative et négociée a permis la création et le maintien de dispositifs adaptés aux enjeux locaux. Les services associatifs montrent une volonté farouche d’autonomie et une forme d’attachement au service et à sa gestion très locale. Sans s’attarder davantage, il convient de préciser que certains de ces éléments d’adaptation représentent des facteurs de pérennité. L’activation de plusieurs types de proximité, en fonction des besoins démontre une capacité d’adaptation des associations dans le temps et explicite leur capacité à maintenir des prix du service d’eau largement plus faibles que le service public.
Dans plusieurs territoires, la portée des associations dépasse la gestion unique de l’eau potable, pour davantage questionner la gestion du territoire à l’échelle du hameau, comme le souligne ce témoignage évoquant le rôle fédérateur et dynamisant des réunions.
« C’est l'occasion de faire une espèce de conseil de hameau où on règle tout un tas de problèmes, on parle dix minutes de l'eau et on parle deux heures de tous les problèmes qui peuvent se poser comme le risque de feu, le dépérissement, l'entretien du terrain, etc. ».
Cette situation n’est pas systématique dans les cas étudiés. Une partie des associations rencontrées gère la ressource en eau potable uniquement, sans chercher à s’insérer dans d’autres dynamiques territoriales. D’autres sont portées par des conseillers municipaux qui assurent une articulation entre les dossiers des services associatifs de hameaux et les politiques d’aménagement de la commune. Les associations s’inscrivant dans des gradients de proximité, leur confère une invisibilité qui joue parfois en leur défaveur. En fonction des configurations territoriales, certaines associations font face à des limites, celles de leur intégration aux autres échelles, comme celles du grand cycle de l’eau et de la gestion intégrée (commissions locales de lEau).
Quelles perspectives pour ces services associatifs ?
Cet article met en lumière les ressorts de l’existence de services associatifs de gestion d’eau potable en France en Loire-Atlantique, dans la Nièvre et le Finistère. Simultanément, le nombre de services semblables dans le pays n’est pas connu et évolue sans doute. Face aux pressions croissantes liées aux normes sanitaires de potabilisation, à l’extension des réseaux publics conventionnels et à la vulnérabilité de l’engagement bénévole, il convient de souligner les facteurs de la pérennité de ces associations. D’abord, le rôle des proximités a été indispensable dans leur adaptation passée et récente ; dans le futur, les proximités serviront face à des exigences croissantes, liées aux enjeux globaux de changement hydro-climatique et d’altération de la qualité, aux dimensions administratives des statuts des associations, comme à leur gestion quotidienne. En effet, l’article souligne le rôle indispensable de régulation et de flexibilité des proximités dans le fonctionnement des services associatifs. Il conviendrait donc pour les pouvoirs publics de soutenir l’activation de ces proximités et de rappeler le rôle des acteurs du territoire pour la mise en valeur de ces interrelations. Un engagement croissant des différentes parties pour élargir les liens entre acteurs du territoire est à préconiser notamment pour dépasser la gestion unique du petit cycle de l’eau afin de prendre part à celui du grand cycle de l’eau. L’exemple du projet Coudrier, dans le Morvan, semble montrer la voie en accueillant au sein de la Maison du patrimoine oral de Bourgogne un centre de ressources dédié aux services associatifs du territoire. L’objectif est de continuer à tisser un réseau local pour trouver entre personnes concernées, des ressources, partager des expériences, s’entraider, se mobiliser collectivement, et ce en autogestion et en fonction des besoins exprimés.
Les services associatifs présentent des réalités singulières. Ils s’appuient sur les forces d’une histoire pluri-décennale et proposent une continuité de service d’eau potable. Ces associations ne cessent d’évoluer en adaptation perpétuelle aux politiques et aux contextes locaux. Les tensions quantitatives liées à la ressource et aux seuils de qualité croissent au gré des contextes globaux et spécifiques, mettant en question la garantie d’accès à une eau potable, aussi bien dans le service public que dans ces petits systèmes d’eau. Leur capacité d’adaptation joue un rôle indispensable dans leur pérennité face à une normalisation croissante et à des problématiques qualitatives et quantitatives.
Une première piste repose sur la poursuite des travaux de recherche sur un temps long, qui pourrait mener à établir un recensement exhaustif, à produire un observatoire de ces derniers et, par la généralisation d’enquêtes, à objectiver leur rôle territorial dans l’adaptation aux crises hydro-climatiques.
Une deuxième piste de poursuite de réflexion consiste à questionner l’existence des services similaires dans des contextes différents. Un travail de rédaction conjointe avec une autre jeune chercheure est en cours pour faire dialoguer les services associatifs en France et en Colombie.
Ces dispositifs alternatifs d’autogestion s’inscrivent pleinement dans des questionnements sur les communs territoriaux, sur les espaces de décision citoyenne et processus d’appropriation de l’action publique. Un autre prolongement possible serait donc la comparaison avec d’autres mises en œuvre de communs territoriaux investis par des habitants (Buchs et al., 2020), par exemple l’éolien citoyen, serait sûrement à même de nourrir la prospective des services d’eau associatifs.
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Photo d’entête : © INRAE - Christian Slagmulder
Notes
- 1. Programme d’telligence environnementale commun, Université de Rennes, mené conjointement avec des chercheurs et chercheuses de plusieurs disciplines (aménagement de l’espace et urbanisme, droit de l’environnement, ethnographie, etc.) (2023-2024).
Références
- Bahers, J. B., Durand, M., & Beraud, H. (2017). Quelle territorialité pour l’économie circulaire? Interprétation des typologies de proximité dans la gestion des déchets. Flux, 109110(3), 129-141. https://doi.org/10.3917/flux1.109.0129
- Blanchon, D. (2024). Géopolitique de l'eau. Entre conflits et coopérations. Le Cavalier Bleu.
- Buchs, A., Baron, C., Froger, G., & Peneranda, A. (2020). Communs (im)matériels: enjeux épistémologiques, institutionnels et politiques. Introduction au dossier «Communs (im)matériels. Conjuguer les dimensions matérielles et immatérielles des communs». Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, 11(2). https://doi.org/10.4000/developpementdurable.13701
- Gilly, J. P., & Torre, A. (2000). Proximity relations. Elements for an analytical framework. Dans M. B., Green, & R. B., Mac Naughton, (dirs.), Industrial Networks and Proximity, Aldershot, Ashgate, p. 1-16.
- Guénon, C. (2023). Le projet COUDRIER. COUDRIER. Hypothèses. https://doi.org/10.58079/138q5
- Lamarche, T., & Richez-Battesti, N. (2023). Produire est politique: les coopératives, levier de transformation. Introduction. Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs, (34| 1er semestre). https://doi.org/10.4000/regulation.22341
- Lebrun, N. (2023). Pour une conscience de proximit (é) s. GéoProximitéS, (0-2023). https://doi.org/10.58079/t47q
- Poupeau, F. (2020). De la critique écologique à la critique sociale. Auto-organisation communautaire et autonomie des dominés. Espaces et sociétés, 180181(1), 137-154. https://hal.science/hal-03508101v1
- Volvey, A., Calbérac, Y., & Houssay-Holzschuch, M. (2012). Terrains de je.(Du) sujet (au) géographique. Annales de géographie, 2012/5(n° 687-688), 441-461. https://doi.org/10.3917/ag.687.0441
Résumé
L’objet de notre étude porte sur la figure des services d'eau associatifs d’eau potable en France. Dans les années 1960-1970, des habitantes et des habitants ont créé des structures de gestion de l’eau potable pour avoir accès à une desserte individuelle, elles empruntent une forme d’auto-organisation. Cette communication alimentée par des travaux d’une thèse doctorale récemment soutenue (juillet 2024) s’attache à comprendre le rôle des proximités territoriales dans l’adaptation et la pérennité des services associatifs. Les principaux terrains d’étude se situent dans les départements de la Nièvre, de la Loire-Atlantique et de la Bretagne. Nous exposerons succinctement la méthodologie qualitative employée, principalement basée sur des entretiens semi-directifs et des visites de sites. Puis, nous présenterons également les enjeux locaux et globaux de changement hydro-climatique et d’altération de la qualité des eaux qui menacent la pérennité tant des services publics que des services associatifs d’eau potable. Enfin, cette communication s’attache à montrer le rôle indispensable des proximités dans le fonctionnement de ces services associatifs et questionne leur place dans l’évolution de ces derniers.
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