Observer les rivières autrement : cartographier la (re)connexion hydrosociale à partir du cas de la Bièvre
Dans un contexte où la reconquête des rivières urbaines ne se limite plus à des objectifs hydrauliques ou écologiques, le cas de la Bièvre restaurée invite à repenser la relation entre eau et société. En mobilisant la notion de connectivité hydrosociale, cette étude explore comment accessibilité, usages et intégration paysagère traduisent concrètement la reconnexion progressive entre la ville et sa rivière. L’analyse menée sur l’ensemble du cours d’eau, enrichie par des comparaisons avec d’autres bassins franciliens, met en lumière la diversité des configurations spatiales et le poids des héritages urbains dans les dynamiques de restauration.
La connectivité hydrosociale comme cadre d’analyse relationnelle
Depuis les années 2000, la restauration écologique des rivières urbaines s’est intensifiée, portée par les politiques de gestion intégrée de l’eau, la reconquête de la biodiversité et les stratégies d’adaptation au changement climatique (Cantos et al., 2024). Si ces actions s’appuient sur les principes de continuité écologique promus par la directive cadre sur l’eau (2000), elles recouvrent une diversité d’interventions – réouverture, reméandrage, désimperméabilisation – mobilisant des apports issus de l’hydrologie, de l’écologie fluviale et de la géomorphologie (Moldoveanu et Popescu, 2022). Toutefois, ces interventions techniques ne suffisent pas à comprendre pleinement les enjeux liés aux cours d’eau urbains. Elles soulèvent des questions plus larges sur la place de la rivière en ville et sur les modalités de relation que les habitants peuvent entretenir avec ces milieux transformés (Cottet et al., 2021 ; Elias et al., 2021). Dans cette perspective, les sciences sociales ont contribué à enrichir le regard porté sur les rivières, en les considérant comme des objets hybrides, à la fois infrastructures naturelles, lieux de vie, supports de mémoire et d’usages pluriels (May, 2006 ; Swyngedouw, 2007). La notion de connectivité hydrosociale (encadré 1) formalise ce changement de perspective. Elle permet d’appréhender les cours d’eau comme des systèmes socio-environnementaux, où la configuration physique du milieu conditionne les interactions sociales, les pratiques et les représentations. Elle permet de mettre en regard les dimensions sociales, spatiales et d’usage avec les enjeux de restauration écologique, en renseignant le potentiel de relation entre populations et rivières. Sans intégrer directement de données environnementales, la connectivité hydrosociale constitue un outil complémentaire aux diagnostics écologiques et hydromorphologiques, en introduisant des critères d’accessibilité, d’usage et de visibilité utiles à la planification.
À partir du cas de la Bièvre, cet article mobilise cette approche pour construire une typologie spatialisée des potentialités de rencontre avec la rivière pour en évaluer le potentiel de réappropriation. L’objectif est aussi de tester la transférabilité de cette grille d’analyse à d’autres petits cours d’eau urbains.
Formalisée par Kondolf et Pinto (2017), qui reprennent la notion de connectivité en écologie fonctionnelle, la connectivité hydrosociale étend la continuité fluviale aux dimensions sociales et culturelles des relations entre populations et rivières. Elle désigne « la circulation des personnes, des biens, des idées et des cultures le long et à travers les cours d’eau », selon trois axes : longitudinal (cheminement), latéral (accès ou franchissement) et vertical (contact avec l’eau).
Cette approche relationnelle, initialement appliquée aux grands fleuves urbains internationaux, a été adaptée en France aux petites rivières périurbaines (Germaine et al., 2021 ; Germaine et Temple-Boyer, 2022 ; Imbert-Bossard et al., 2024). Dans ces contextes souvent marqués par l’enfouissement ou l’enclavement du lit, la connectivité hydrosociale analyse le potentiel de (re)connexion des habitants à leur rivière.
Elle s’appuie sur l’observation des formes paysagères (berges, trame viaire, végétation), des aménagements (mobilier, signalétique, cheminements). La rivière est alors envisagée comme un « fragment de socionature » (Lespez et al., 2021), dont la matérialité — formes des berges, accès, aménagements — révèle et conditionne le potentiel de relation aux milieux aquatiques et humides. Le diagnostic hydrosocial permet de qualifier le potentiel de reconnexion ville–rivière à partir de critères morpho-paysager. Il offre ainsi un cadre complémentaire à d’autres outils multicritères, comme l’indice URBS
Méthodologie : qualification de la connectivité sur le linéaire de la Bièvre
Ce travail s’inscrit dans une approche socio-environnementale qui considère les rivières urbaines comme des objets hybrides, à l’intersection de dynamiques écologiques, sociales et techniques. La connectivité hydrosociale est ici mobilisée comme un indicateur transversal pour qualifier les configurations spatiales susceptibles de favoriser une reconnexion entre populations et milieux aquatiques. Dans un second temps, cette lecture est mise en regard avec les dynamiques de restauration écologique, afin d’éclairer les conditions socio-politiques – foncières, institutionnelles, paysagères – qui facilitent ou freinent leur mise en œuvre en contexte urbain marqués par une forte hétérogénéité.
Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une recherche doctorale financée par l’Université Paris-Nanterre. Une partie des relevés de terrain a été réalisée dans le cadre d’un enseignement d’initiation à la recherche auprès d’étudiants et étudiantes en Licence 3 de Géographie et Aménagement entre janvier et mai 2024 prolongé par un stage en juillet 2024 qui a consisté à construire une cartographie interactive afin de rendre accessible le diagnostic aux gestionnaires et habitants et habitantes de la vallée de la Bièvre sous la forme d’une Storymap réalisée par Stéphanie Gabette, étudiante en Licence 3 de géographie à L'Université Paris-Nanterre.
L’application de cette méthode s’est concentrée sur l’ensemble du linéaire de la Bièvre, un cours d’eau de trente-six kilomètres reliant le hameau des Bouviers à Guyancourt à la Seine, au niveau de la gare d’Austerlitz à Paris. Ce territoire constitue un cas emblématique de fragmentation spatiale et symbolique des petits cours d’eau urbains d’Île-de-France. Depuis une vingtaine d’années, la Bièvre fait l’objet de multiples opérations de restauration portées par une diversité d’acteurs institutionnels (SIAVB
Chacun de ces tronçons a fait l’objet d’un relevé de terrain sur les deux rives, effectué simultanément par deux observateurs afin de garantir la cohérence des observations, à partir d’une grille articulée autour de cinq dimensions de la connectivité hydrosociale (figure 1).
Source : RABIA Aïda, juillet 2025 (d’après Germaine et al., 2021).
Figure 1. Grille d’analyse de la connectivité hydrosociale. Présentation des critères analysés.
Chaque critère a ensuite été codé selon une échelle de trois niveaux (0, 1, 2), permettant une évaluation comparée du potentiel de connexion sociale avec la rivière en vue de réaliser une analyse en composantes principales (ACP) et une classification ascendante hiérarchique (CAH). La figure 2 présente la localisation des cinquante tronçons étudiés le long de la Bièvre.
Source : RABIA Aïda, juin, 2025.
Figure 2. Carte des cinquante tronçons étudiés sur le linéaire de la Bièvre.
Afin d’interpréter les résultats issus de cette analyse, chaque tronçon a ensuite été associé à un type de connectivité hydrosociale, permettant de qualifier les différentes configurations d’interaction entre la rivière et son environnement social, spatial et écologique (figure 3). La dénomination de ces types s’appuie à la fois sur des références existantes et sur une classification spécifique élaborée pour cette recherche.
Source : RABIA Aïda, juin, 2025.
Figure 3. Caractéristiques des cinquante tronçons étudiés sur le linéaire de la Bièvre.
Les catégories « enterrée », « greenway » et « partiellement accessible » reprennent la terminologie utilisée par Germaine et al. (2021) pour le cas du Morbras, tandis que le type « résidentiel » fait écho à la typologie proposée par Germaine et al. (2022) dans l’analyse du Croult et du Petit Rosne. Dans ces travaux, la nomenclature est principalement mobilisée en lien avec le contexte géographique et la densité du bâti, sans développement particulier sur les modalités de dénomination.
Deux types supplémentaires – « rivière d’agrément » et « rivière socio-écologique » – ont été définis spécifiquement par les autrices de la présente étude. Leur distinction repose sur les modalités d’accès et les fonctions associées au cours d’eau :
- le type « rivière d’agrément » correspond à des espaces où la rivière est mise en valeur pour sa dimension paysagère et récréative, souvent en lien avec une densité bâtie plus forte ;
- le type « rivière socio-écologique » renvoie à des configurations où la dimension écologique et végétalisée prime, dans des espaces de type parc urbain offrant un rapport plus distancié à l’eau mais une présence forte du vivant et des usages de nature.
Ces deux catégories visent à rendre compte de formes contemporaines de connectivité hydrosociale dans lesquelles la qualité de l’accès, la fonction attribuée au cours d’eau et la perception paysagère jouent un rôle déterminant.
L’ensemble de ces six types constitue la grille de lecture utilisée pour interpréter les résultats de l’analyse statistique et spatiale présentés dans la section suivante.
Enfin, les résultats obtenus sur la Bièvre ont été mis en perspective avec d’autres cas de rivières urbaines étudiées en Île-de-France et dans l’Ouest de la France, afin de situer les configurations observées dans un cadre comparatif plus large.
Les analyses menées sur le Croult et le Petit Rosne – ce dernier constituant un affluent inclus dans le bassin versant du Croult – (Germaine et Temple-Boyer, 2022) ont constitué des références pour appréhender les gradients de connectivité hydrosociale en milieu périurbain dense. Les travaux d’Imbert-Bossard, Carcaud et Beaujouan (2024) sur la rivière Oudon à Segré ont, quant à eux, permis de confronter ces dynamiques à celles observées dans une petite ville moyenne. Ces études comparatives, mobilisées dans la discussion, offrent un cadre interprétatif pour évaluer la spécificité et la transférabilité des résultats obtenus sur la Bièvre.
Résultats : des formes différenciées de reconnexion à la Bièvre
Une accessibilité structurée par l’histoire urbaine et les conditions d’aménagement
L’analyse factorielle a conduit à identifier six types de tronçons, selon leur niveau d’accessibilité physique et visuelle, leur équipement, leur ambiance paysagère et les usages qu’ils permettent. Le linéaire présente un taux global d’accessibilité de 45 %, un niveau élevé pour une rivière non domaniale, mais marqué par de fortes disparités spatiales. L’amont (Guyancourt-Massy) concentre près de 40 % des tronçons ouverts, contre seulement 5 % à l’aval (Antony-Paris), où la Bièvre est en grande partie enfouie. Cette inégalité traduit un double héritage : d’une part, un héritage morpho-fonctionnel ancien lié à l’enfouissement progressif de la rivière dans le tissu urbain depuis le XIXe siècle ; d’autre part, la contrainte foncière forte qui limite les opportunités de reconquête dans les secteurs denses. La typologie issue de la CAH permet de mieux qualifier ces contrastes à travers six profils types (tableau 1).
Type de connectivité hydrosociale | Caractéristiques principales | Nombre de tronçons | Longueur totale (km) | Exemple de tronçon |
Rivière socio-écologique | Milieux semi-naturels valorisables mais peu aménagés pour le public | 6 | 7,3 | Étangs de Guyancourt, Bas Prés (Jouy-en-Josas) |
Rivière d’agrément | Visibilité, accessibilité et diversité d’usages fortes ; intégration paysagère et équipements nombreux | 7 | 0,79 | Parc des Prés (Fresnes), Jardin des Bièvres (l’Haÿ-les-Roses) |
Rivière « Greenway » | Accès et visibilité assurés via voies douces, mais peu de valorisation de la rivière ; aménagements minimalistes, espace linéaire peu propice à l’arrêt | 11 | 7,4 | Voie verte (Verrières–Massy), secteur du Golfy (Igny) |
Rivière partiellement accessible | Présence de cheminements, végétation, accès visuel partiel ; discontinuités d’usage et cloisonnements liés à des propriétés privées | 11 | 5,7 | Sortie de Massy |
Rivière résidentielle | Rivière audible ou partiellement visible, mais inaccessible car exclusivement située sur des propriétés privées | 6 | 3,4 | Bièvre Martinère Sud (Bièvres) |
Rivière enterrée | Aucune visibilité ni accès, rivière enfouie, parfois évoquée symboliquement par des plaques ou marquages | 9 | 11,8 | Paris (13e, Parc Kellermann), Antony |
Ces configurations présentent une répartition géographique différenciée. En amont, les tronçons « socio-écologiques » ou « greenway » prédominent. Par exemple, le site des Bas Prés à Jouy-en-Josas illustre une intégration forte de la rivière dans le paysage local, avec une largeur d’accès importante, un lit visible et un usage partagé de l’espace. De même, la voie verte entre Verrières-le-Buisson et Massy constitue un itinéraire continu où la Bièvre, bien que chenalisée structure un parcours paysager et de mobilité douce. À l’aval, en revanche, la Bièvre se fait plus discrète. Les tronçons ouverts sont rares, souvent contenus dans des parcs urbains où la rivière a été réintroduite à la faveur de réaménagements, comme à Fresnes dans l’ancienne friche des prés transformée en parc des prés de la Bièvre en 2003. Ces espaces relèvent du type « agrément » : ils sont bien équipés, fréquentés, mais la rivière reste marginale sur le plan écologique et symbolique. Notons toutefois quelques exceptions notables. À Cachan, sur le site des Rives d’Antan, ou le jardin de la Paix à Gentilly, l’aménagement urbain a conservé le tracé de la Bièvre enfouie, en matérialisant ses berges dans l’espace public. Ces cas illustrent l’importance des traces urbaines laissées par la rivière dans la mémoire du tissu bâti, et leur potentiel pour nourrir une reconnexion symbolique, même en l’absence de lit visible. Cet exemple permet par ailleurs de montrer que la connexion et la relation à la Bièvre – mais au cours d’eau en général – est plus riche et complexe qu’un accès physique à l’eau.
La figure 4 présente la spatialisation de ces six types, révélant une nette polarisation entre un amont restructuré par de nombreuses opérations de restauration écologique et un aval où l’accès à la rivière est compliqué. Elle met également en lumière l’effet levier des projets de restauration pour faire émerger de nouveaux rapports à la rivière, même dans des contextes urbains denses.
Source : RABIA Aïda, juin, 2025.
Figure 4. Schéma des six types de connectivité hydrosociale le long de la Bièvre. Visualisation spatiale des résultats de la classification.
Les projets de restauration comme révélateurs d’opportunités foncières
L’analyse croisée des types de tronçons et de la localisation des projets de restauration révèle une répartition contrastée le long du linéaire de la Bièvre. Les interventions les plus ambitieuses se concentrent en amont du bassin versant, sur du foncier public maîtrisé. Dix projets y ont été menés entre 2000 et 2023, principalement sous l’impulsion du SIAVB. Ils prennent des formes variées : abaissement ou suppression de plans d’eau permanents, reméandrage de la rivière. Parmi les réalisations récentes, les bassins des Damoiseaux (2016) et le Bas Prés à Jouy-en-Josas (2023) incarnent une nouvelle manière de donner corps et visibilité à la rivière.
À l’aval, la dynamique de restauration écologique est plus limitée, freinée par une densité bâtie importante et un foncier plus contraint. Trois projets ont vu le jour sur la période étudiée. Tous consistent en une remise à ciel ouvert, exclusivement dans des espaces publics existants : le parc des Prés à Fresnes (2003), le jardin de la Bièvre à L’Haÿ-les-Roses (2014) et le parc des Coteaux à Arcueil (2022). Ces opérations, portées successivement par le Département du Val-de-Marne puis la Métropole du Grand Paris, ne permettent pas de rétablir la continuité écologique du cours d’eau. Elles témoignent néanmoins d’une volonté affirmée de redonner une matérialité et une visibilité sociale à une rivière enfouie depuis les années 1950, mais demeurant vivace dans les imaginaires et les revendications associatives locales.
Ces projets, qu’ils soient situés en amont ou en aval, s’inscrivent dans des contextes institutionnels porteurs, mobilisant une ingénierie technique et des capacités foncières significatives. Toutefois, leur mise en œuvre reste circonscrite à des espaces publics maîtrisés par les porteurs de projet (figure 4). La restauration de la Bièvre apparaît ainsi moins comme le fruit d’une stratégie unifiée que comme une mosaïque d’opportunités locales, fortement conditionnées par les configurations foncières et les fenêtres d’action politique. La typologie proposée permet d’objectiver les formes de fragmentation hydrosociale et d’identifier les leviers ou les blocages à une stratégie de restauration cohérente. Elle montre que ces projets relèvent d’abord de dynamiques territoriales portées par des acteurs, et non de simples réponses techniques. En révélant des inégalités d’accès potentiel à la rivière, cette analyse appelle à repenser la restauration urbaine dans une perspective élargie, intégrant les enjeux de justice environnementale et les dimensions sociales de la reconnexion entre ville et rivière.
Discussion : la connectivité hydrosociale, un outil d’analyse pour la planification territoriale de la restauration écologique
La typologie issue de l’analyse de la Bièvre révèle une forte hétérogénéité des formes de reconnexion à la rivière, tant en termes d’accessibilité que de diversité d’usages. Ces disparités s’expliquent moins par les caractéristiques hydrologiques du cours d’eau que par des dynamiques foncières, politiques et institutionnelles. Les tronçons les plus accessibles – notamment dans la haute vallée de la Bièvre – sont systématiquement situés sur du foncier public maîtrisé. Ils ont bénéficié d’interventions intégrant restauration écologique et aménagements favorisant l’accueil du public. À l’inverse, dans les secteurs densément urbanisés de l’aval, la rivière demeure peu accessible, malgré quelques réouvertures ponctuelles.
L’analyse comparative avec d’autres petits cours d’eau urbains ou périurbains franciliens – le Morbras, le Croult, le Petit Rosne (Germaine et al., 2021 ; 2022) et l’Oudon (Imbert-Bossard et al., 2024) – montre que la connectivité hydrosociale n’est pas directement liée à la taille du bassin versant ou au degré d’urbanisation. Elle dépend avant tout de la convergence entre disponibilité foncière et portage institutionnel (tableau 2). Le Morbras, bien que de taille plus modeste que la Bièvre, présente une continuité d’accès plus importante grâce à une gouvernance intercommunale stabilisée et à une inscription cohérente dans des espaces publics. À l’inverse, le Croult – pourtant géré par le même syndicat que le Petit Rosne – se distingue par une moindre diversité d’usages et une connectivité plus fragile, révélant une approche plus technique et moins ouverte à la multifonctionnalité. Enfin, le cas de l’Oudon révèle un fort gradient de connectivité sociale entre les espaces périurbains, où la rivière est progressivement revalorisée, et les centres-bourgs, où son potentiel de reconnexion reste limité. Malgré de nombreux projets, la rivière y est encore perçue comme un obstacle, souvent mise en valeur de manière indirecte comme support de cheminements doux.
Indicateurs | Bièvre | Morbras | Croult | Petit Rosne | Oudon |
Longueur du cours d’eau (km) | 36 | 17 | 25 | 15 | 103 |
Ordre de Strahler | 3 | 2 | 2 | 2 | 4 |
Superficie du BV (km2) | 200 | 55 | 193 | 72 | 1 480 |
Mode d’occupation du sol dominant | Forêt, espaces agricoles, bâtis | Espaces agricoles, bâtis | Espaces agricoles, bâtis | Bâtis | Espaces agricoles, forêts |
Taux d’urbanisation du bassin versant (%) | 68 | 50 | 50 | 30 | 3 |
Gestionnaires | SIAVB, MGP | SMAN, MGP | SIAH | SIAH | SBO |
Nombre total de projets de restauration écologique (2000-2023) | 16 | 2 | 3 | 2 | 10 |
Nombre de tronçons identifiés dans le diagnostic hydrosocial | 50 | 35 | 44 | 51 | 34 |
Accessibilité moyenne à la rivière (berges et eau) (%) | 45 | 38 | 36 | 42,5 | 32 |
Nombre de tronçons les plus accessibles sur l’ensemble du linéaire | 15 concernés sur les 50 tronçons identifiés | 12 concernés sur les 50 tronçons identifiés | 5 concernés sur les 44 tronçons identifiés | 9 concernés sur les 51 tronçons identifiés | 34 concernés sur les 166 tronçons identifiés |
Caractéristiques tronçons avec une connectivité hydrosociale forte | Rivière visible et accessible ; diversité d’usages (mobilité douce, jeux, détente) ; insertion dans espace public | Rivière accessible insérée dans des parcs aux usages multiples ; accueil du public | Accès à l’eau depuis les deux berges ; espaces publics aménagés ; accueil du public prévu dans le mobilier urbain ; berges végétalisées | Accès à l’eau depuis les deux berges ; espaces publics aménagés ; accueil du public prévu dans le mobilier urbain ; berges végétalisées | Accès à l’eau aménagé ; variété d’équipements ; continuité longitudinale sur la berge |
Les résultats confirment la pertinence de la connectivité hydrosociale pour analyser les écarts entre territoires et identifier les déterminants sociaux, institutionnels et paysagers des dynamiques de restauration. Cette approche complète les diagnostics écologiques classiques en intégrant les usages ordinaires, les logiques foncières et la présence symbolique des rivières dans l’espace public. Elle permet de penser la restauration comme un levier de recomposition territoriale à l’interface entre ville, société et milieux aquatiques.
Néanmoins, le découpage linéaire sous-estime la diversité des usages, la fréquentation réelle et les appropriations différenciées, notamment selon les profils sociaux. La dimension temporelle – saisonnalité, évolutions du bâti – reste également peu prise en compte. Ces limites appellent à croiser cette grille avec des méthodes qualitatives (enquêtes, observation, analyse paysagère) pour mieux saisir la pluralité des relations aux rivières et outiller des politiques de restauration écologique plus justes et situées.
Conclusion
L’analyse conduite sur la Bièvre confirme l’intérêt du cadre de la connectivité hydrosociale pour caractériser les relations différenciées entre rivières et tissus urbains. La typologie produite révèle une fragmentation marquée du linéaire, entre tronçons ouverts, enfouis, aménagés ou marginalisés. Elle met en évidence l’effet structurant de trois facteurs : la maîtrise foncière, la gouvernance locale et les héritages de l’urbanisation. Ces paramètres conditionnent plus fortement la qualité des liens ville-rivière que les dimensions strictement hydromorphologiques.
La confrontation avec d’autres rivières – le Morbras, le Croult, le Petit Rosne et l’Oudon – montre que ce cadre est transférable, sous réserve d’adapter les critères à chaque contexte. Il permet de dépasser les approches strictement écologiques et penser la restauration écologique comme une politique publique ayant à faire à des enjeux de justice environnementale. Cette grille offre ainsi un outil complémentaire à la planification et à l’évaluation des projets, en rendant compte des enjeux socio-politiques de la restauration écologique. Elle invite à penser la restauration non comme une finalité en soi, mais comme un levier de transformation territoriale ayant trait à des dimensions socio-politiques.
Storymaps présentant les données issues du diagnostic hydrosocial de la Bièvre.
Diagnostic hydro-social d'une rivière urbaine : https://storymaps.arcgis.com/stories/0ec7b24dc5e347c3ac2817600729d3c3
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Photo d’entête : Cyrilb1881 - CC BY-SA 3.0
Notes
- 1. Indice socio-environnemental des rivières urbaines.
- 2. Syndicat intercommunal pour l'assainissement de la Vallée de la Bièvre.
- 3. L’ordre de Strahler est une classification des réseaux hydrographique utilisée pour déterminer son niveau de complexité en tenant compte des affluents d’un cours d’eau. Un cours d'eau de premier ordre n’a pas d’affluent. L'ordre augmente d'une unité lorsque deux affluents de même ordre se rejoignent, et reste celui du cours d'eau le plus élevé lorsqu’un affluent de plus grand ordre se joint.
- 4. Les valeurs indiquent le nombre de tronçons présentant un niveau d’accessibilité élevé selon la grille d’analyse (score ≥ 2), sur le total de tronçons identifiés pour chaque contexte d’étude.
Références
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- Kondolf, G. M., & Pinto, P. J. (2017). The social connectivity of urban rivers. Geomorphology, 277, 182-196. https://doi.org/10.1016/j.geomorph.2016.09.028
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Résumé
Les projets de restauration écologique en milieu urbain posent la question du lien entre rivières et sociétés, au-delà des seuls objectifs hydrauliques ou écologiques. À partir du cas de la Bièvre, rivière francilienne restaurée après avoir été longtemps enfouie, cet article propose une lecture relationnelle de ces dynamiques à travers la notion de connectivité hydrosociale. Ce cadre permet d’évaluer conjointement l’accessibilité, la visibilité, les usages et l’intégration paysagère de la rivière dans l’espace urbain. Une enquête de terrain a été conduite sur tout le linéaire du cours d’eau, débouchant sur une typologie de six profils de configuration ville–rivière. L’analyse révèle une fragmentation marquée du linéaire et met en évidence le rôle déterminant de la maîtrise foncière et des héritages urbains dans les conditions concrètes de reconnexion. Une comparaison avec quatre autres cours d’eau (Morbras, Croult, Petit Rosne et Oudon) permet de discuter la transférabilité du cadre. En conclusion, la grille de lecture proposée constitue un outil opérationnel d’aide à la planification, dans une perspective de restauration écologique plus intégrée.
