Céréaliers et biodiversité : une synergie à réaffirmer
Chapeau
Occupant en France près de la moitié des surfaces du territoire, l’agriculture est amenée à jouer un rôle majeur dans la préservation de la biodiversité, elle-même outil indispensable pour garantir une agriculture économiquement performante et respectueuse de l’environnement. Face à l’érosion de la biodiversité dans les espaces agricoles, les acteurs de la ruralité doivent donc aujourd’hui s’engager dans un accompagnement technique des agriculteurs et mobiliser l’ensemble des filières agricoles à travers le partage des bonnes pratiques ou les retours d’expérience, comme c’est le cas dans le programme Agrifaune, dont une des actions est présentée dans cet article.
Introduction
Le constat d’érosion de la biodiversité au niveau national et international n’est plus un mythe et les scientifiques tirent régulièrement la sonnette d’alarme comme en atteste le dernier rapport du GIEC (IPCC, 2021) et de l’IPBES (2019).
En France, et malgré une artificialisation de terre galopante (liée à l’urbanisation et au déploiement d’infrastructures de transport), la surface agricole utile représente encore 49 % du territoire (source Agreste 2018). Toutefois ces espaces ne sont pour autant pas épargnés par une perte de biodiversité, puisque divers suivis scientifiques, comme le suivi temporel des oiseaux communs (STOC), mettent en évidence une réduction drastique des espèces inféodées aux milieux agricoles, avec une diminution d’environ un tiers des effectifs en quinze ans. Dans ce contexte global, et en l’absence de leviers règlementaires ambitieux, il semble indispensable de fournir aux agriculteurs les plus volontaires, les outils techniques leur permettant d’adapter leurs pratiques culturales pour une meilleure prise en compte de la biodiversité.
L’étude « Reconnaissance de l’engagement individuel des agriculteurs dans Agrifaune » (REIAA)
Agrifaune est un programme partenarial lancé en 2006 qui vise à développer et promouvoir des outils et des méthodes permettant de concilier les réalités technico-économiques des exploitations agricoles et les enjeux de préservation de la biodiversité (encadré 1).
Encadré 1 – Le programme Agrifaune : un partenariat gagnant-gagnant.
Le programme Agrifaune est le fruit d’un partenariat de quatre structures nationales : l’Office français de la biodiversité (OFB), les Chambres d’agriculture France, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et la Fédération nationale des chasseurs (FNC).
Depuis 2006, ce programme vise à mobiliser les réseaux internes des structures nationales afin de réaliser des opérations de démonstration, d’acquérir des connaissances et expérimenter des solutions innovantes et valoriser les résultats et favoriser leur déploiement dans les territoires (figure 1).
Cinq thématiques prioritaires ont été identifiées pour la période en cours : les bords de champs, la gestion de l’entre-culture et les pratiques innovantes associées, le machinisme et la faune sauvage, les pratiques pastorales et la petite faune de montagne, et la biodiversité des territoires viticoles.
Plus d’informations sur le site internet : www.agrifaune.fr
Figure 1 – Le programme Agrifaune : un partenariat gagnant-gagnant.
Dans le cadre de ce programme, les partenaires ont lancé en 2019 une étude intitulée « Reconnaissance de l’engagement individuel des agriculteurs dans Agrifaune » (REIAA) avec un double objectif : identifier les pratiques favorables à la faune sauvage mises en œuvre par les agriculteurs pionniers et identifier la pertinence de ces pratiques d’un point de vue technico-économique et environnemental.
Pour réaliser ce travail, nous avons souhaité mettre en place une démarche « bottom-up » (encadré 2) afin de recenser des actions concrètes de terrain déjà mises en place par des agriculteurs, afin de les évaluer au regard de la littérature scientifique et techniques puis de les promouvoir et les valoriser dans les politiques publiques.
Encadré 2 – Valoriser des réalités de terrain à travers la démarche « Bottom-up ».
La démarche de valorisation des acquis de terrain, aussi appelée « Bottom-up », est une démarche dite ascendante ou montante. L'intérêt de cette méthode est de s'inscrire dans une logique de co-construction des solutions mobilisables par les agriculteurs, en prenant en compte leurs attentes et leurs contraintes. Cette démarche est particulièrement adaptée pour la mise en place d'un cahier des charges de pratiques culturales vertueuses pour la faune sauvage, et pour la concertation entre les agriculteurs et les décideurs. Les décisions découlant de ce type de démarche sont généralement plus facilement acceptées par les parties prenantes (Chamaret et al., 2007).
Un échantillon de cent agriculteurs a été défini par l’intermédiaire des partenaires du programme Agrifaune, avec la volonté de représenter au mieux la diversité des systèmes de cultures français ainsi que leur répartition géographique.
Cet échantillon a été enquêté par l’intermédiaire d’entretiens téléphoniques, et pour un sous-échantillon de vingt-cinq d’entre eux, des visites d’exploitation ont été réalisées pour aller plus en détail dans la caractérisation et la compréhension des actions mises en place.
Ce travail a permis de mettre en évidence la grande richesse et la grande diversité des pratiques réalisées au quotidien par les agriculteurs enquêtés, puisqu’un total de quatre-vingt-sept pratiques a pu être recensé. Il est important de noter que les finalités premières recherchées par les agriculteurs concernent une amélioration de leur cadre de vie, le développement d’une biodiversité fonctionnelle sur leur exploitation (auxiliaires des cultures pour la régulation des ravageurs), mais aussi favoriser la petite faune de plaine (chassable et non chassable).
À la suite de la phase de recensement, les différentes pratiques ont été regroupées par classe afin de pouvoir être confrontées à la littérature scientifique (utilisation de la ressource Conservation Evidence de l'université de Cambridge ; Dicks et al., 2013) et technique disponible et d'identifier leur pertinence d'un point de vue technico-économique et environnemental.
L’analyse réalisée met en évidence un profond décalage entre l’indisponibilité de données technico-économiques et la disponibilité des données techniques. Le monde de la recherche, en collaboration avec les instituts techniques, doit donc rapidement prendre la mesure de ces manques afin d’initier les études permettant de répondre aux préoccupations décrites dans l’étude REIAA.
Valoriser l’étude REIAA à travers l’élaboration d’un guide pratique et technique
Parmi la grande richesse des quatre-vingt-sept pratiques recensées auprès de l’échantillon d’agriculteurs, neuf ont été sélectionnées pour faire l’objet d’une valorisation plus large au regard de deux critères :
– leur caractère prioritaire pour enrayer l'érosion de la biodiversité tel que mis en évidence par les dernières études publiées sur le sujet (Sirami et al., 2019),
– la symbolique qu’elles représentent pour le monde agricole.
Ces neuf pratiques ont été traduites en fiches techniques de même architecture :
– des éléments de contexte avec les objectifs de la mesure,
– du contenu scientifique et technique avec les bénéfices attendus,
– la méthodologie permettant la mise en place de la pratique décrite,
– des paroles d’experts et des conseils,
– du contenu opérationnel avec les modalités de mise en place sur l’exploitation,
– des idées pour aller plus loin.
L’ensemble de ces fiches a été regroupé dans un guide pratique de cinquante-deux pages intitulé « Céréaliers et biodiversité, une synergie à réaffirmer », publié en partenariat avec l'Association générale des producteurs de blé (figure 2). Nous présentons dans la suite un résumé du contenu des fiches.
Figure 2 – Guide technique produit dans le cadre du REIAA.
Fiche pratique n°1 : l’optimisation des bordures de champs
La bordure de champs est définie par la zone de végétation située entre la culture et le milieu adjacent (exemple entre une culture de blé et un chemin). Souvent considérées comme des réservoirs de ravageurs et d’adventices par les agriculteurs, elles représentent des zones de refuges pour un grand nombre d’espèces comme les insectes ou les oiseaux, qui y effectuent tout ou partie de leur cycle de vie (alimentation, reproduction, etc.). Leur capacité d’accueil est toutefois entièrement dépendante de leur état écologique.
Les bordures en bon état de conservation sont composées d’une diversité de plantes sauvages pérennes, nectarifères et ne nécessitent donc pas d’entretien annuel obligatoire. La présence d’adventices sur les bordures est le signe d’une déstructuration de la flore indigène due à une ou des perturbations sur celle-ci : travail du sol, dérive de désherbant ou d’engrais. Pour les maintenir dans le meilleur état possible, il faut donc éviter au maximum ces perturbations.
D’après les études menées dans le cadre du programme Agrifaune, la largeur d’une bordure de champs fonctionnelle ne doit pas mesurer moins d’un mètre.
Afin de pouvoir faciliter la caractérisation des bordures de champs, un outil de diagnostic a été développé par Agrifaune : la typologie des bordures de champs. Par une suite d’observations sur le terrain, ce dernier permet d’identifier les modalités de gestion adaptées aux différents contextes de l’exploitation.
Par exemple, dans les cas extrêmes où les adventices seraient quasiment exclusivement présentes sur la bordure, il est préconisé d’effectuer un re-semis de cette bordure avec un mélange composé d’espèces d’origine locale et donc adaptées au contexte pédologique. Le re-semis des bordures de champs avec des espèces adaptées (si possible d’origine locale) est relativement onéreux, il est donc à préconiser en dernier recours.
La surface représentée par ces infrastructures agroécologiques, considérées comme des éléments de trames vertes, n’est pas anodine. On considère que sur une exploitation de 120 ha en plaine céréalière, les bordures de champs représentent en moyenne 2 ha.
Fiche pratique n°2 : la mosaïque culturale (figure 3)
La mosaïque culturale correspond à une alternance des cultures dans le temps (rotation culturale) et dans l’espace, à l’échelle de l’exploitation, du territoire voire du paysage.
L’objectif de cette pratique, qui vise elle aussi à favoriser la biodiversité, est de fournir une zone propice à la réalisation de tout ou partie du cycle de vie (refuge, alimentation, reproduction, etc.) d’un plus grand nombre d’espèces sauvages possible.
Dans les faits, cela se traduit par le positionnement méthodique de cultures d’hiver et de printemps ainsi que par le choix des variétés semées, afin d’assurer des zones de couverts en pas japonais dans le paysage agricole. Cette logique induit d’éviter au maximum la mise en place de grands îlots d’une même culture.
Pour un parcellaire groupé, il est recommandé de découper ses parcelles en bandes longues et étroites dont la largeur est un multiple de l’outil le plus large présent sur l’exploitation (souvent le pulvérisateur ou le matériel d’irrigation : voir fiche 7) afin de créer des îlots compris entre 150 et 200 m de large.
Pour l’entomofaune rampante au sol (comme les carabes), la proximité immédiate de ces différentes cultures est nécessaire, car ils ne peuvent pas se déplacer à plus de 80-90 m de la bordure.
L’alternance parfaite de cultures fait partie d’un triptyque contribuant à la préservation de la biodiversité. Les deux autres éléments étant les aménagements et le développement de l’effet lisière, développé ci-après.
Fiche pratique n°3 : les aménagements favorables aux auxiliaires et à la biodiversité
Les aménagements en faveur de la biodiversité peuvent être variés et prendre différentes formes telles que les couverts herbacés, les jachères, les cultures mellifères, les haies, les mares, les buissons ou encore les tas de pierre ou murets.
Il est important de comprendre que l’aménagement idéal n’existe pas. Il doit correspondre aux motivations, au système de production et à l’environnement de l’agriculteur. L’important est de privilégier une diversité d’aménagements répartis de façon homogène sur l’ensemble du territoire tout en veillant à leur interconnexion afin de permettre le déplacement des espèces.
Ces différentes infrastructures agroécologiques (IAE) sont des repères indispensables pour la biodiversité car elles vont abriter et nourrir une diversité d’espèces durant les périodes de transition comme la récolte, le travail du sol, ou les traitements phytosanitaires.
Notons que 90 % des auxiliaires ont besoin à un moment de leur cycle de vie d’un milieu non cultivé, notamment pour leur alimentation.
Une diversité de floraisons étalées sur toute l’année favorise ainsi une grande diversité d’espèces d’insectes pollinisateurs dont les auxiliaires des cultures comme les syrphes (petites mouches) qui ont besoin de nectar et de pollen pour pouvoir pondre puis permettre aux larves de réguler les populations de ravageurs comme les pucerons ou les larves d’autres insectes.
Pour les insectes volants (coccinelles, abeilles…), en février, ce sont les noisetiers qui vont offrir de la ressource alimentaire, en mars les prunelliers, en avril le colza et en juillet/août les tournesols.
Au-delà des intérêts pour la biodiversité, les aménagements apportent également d’autres externalités positives comme le stockage du carbone, l’aspect paysager, la limitation de l’érosion et le transfert des pollutions diffuses. Pour toutes ces raisons, la localisation de l’aménagement sera déterminante quant à son efficacité. Les espaces à forts enjeux écologiques (zones humides), les zones du parcellaire les moins productives et les moins efficaces à cultiver sont les zones à aménager en priorité, de même que les zones de ruissellement de l’eau, les versants de pentes à plus de 5 % ou les exutoires de réseaux de drainage, afin de limiter conjointement les transferts érosifs et de substances phytosanitaires.
Fiche pratique n°4 : l’entretien des zones herbacées
Une zone herbacée en bon état écologique est une zone composée de plusieurs familles de plantes à fleurs non adventices pour les cultures. Pour conserver une composition optimale, il faut éviter toute perturbation (dérive du travail du sol, fertilisation ou traitement phytosanitaire) qui pourrait entraîner la germination et/ou favoriser le développement des plantes adventices (plantes nitrophiles). Dans ce cas de figure, il est alors conseillé de ne pas entretenir annuellement les zones herbeuses qui sont essentielles à la biodiversité. Cependant après plusieurs années, il peut arriver qu’une bande enherbée ou une jachère soit colonisée et devienne un réservoir d’adventices (comme le chardon des champs). L’entretien mécanique, de type écimage haut, est alors une solution pertinente.
Il est important de noter que l’impact du broyage sur les insectes présents dans le couvert végétal, est beaucoup plus important que la fauche. Ce constat est amplifié par un broyage ras, puisque seulement 10 % des insectes survivent à ce type de pratique en début de printemps. Une fauche à 30-40 cm du sol est donc à privilégier.
Lorsque cela est possible, un entretien hivernal devra être privilégié, puisque moins impactant pour la biodiversité. L’exportation de la fauche est également conseillée puisqu’elle permettra le développement des graines naturellement présentes dans le sol. Cette technique concoure à la diversification des essences présentes dans la bordure et limite fortement le développement des adventices nitrophiles.
Fiche pratique n°5 : la protection de la biodiversité lors des travaux agricoles
Les politiques de remembrements, combinées à l’avènement du machinisme agricole, conduisent aujourd’hui les constructeurs à produire des engins agricoles de taille démesurée et capable de travailler à des vitesses impressionnantes. Le bénéfice est sans appel pour le débit de chantier lors des travaux agricoles tels que le semis, le déchaumage, la fauche ou la récolte, mais l’impact négatif l’est tout autant sur la biodiversité.
Fort heureusement, il existe différentes techniques pour réduire la pression sur les espèces (figure 4).
La première consiste à adapter son schéma de travail afin de permettre aux différentes espèces de pouvoir regagner naturellement des zones de refuges. Dans cette optique, le travail centripète, c’est-à-dire de l’extérieur vers l’intérieur de la parcelle, est à proscrire puisqu’il conduit à regrouper les animaux au centre de la parcelle et les piéger lors du dernier passage de la machine. Il convient donc de réaliser un travail centrifuge, c’est-à-dire de l’intérieur vers l’extérieur de la parcelle, afin de pousser les animaux vers un milieu non travaillé.
Figure 4 – Itinéraire de travail respectueux de la faune sauvage. Les traits pleins correspondent au circuit à réaliser en début de chantier et les pointillés à la poursuite des travaux.
La seconde consiste à utiliser du matériel d’effarouchement pour éloigner le gibier de la parcelle travaillée. Dans le cadre du programme Agrifaune, de nombreux tests ont été réalisés sur des barres d’effarouchement lors de travaux de fauche du fourrage. Qu’ils soient à dents ou à chaines (selon la densité et la composition du couvert), ces outils sont montés à l’avant du tracteur et visent à mettre les animaux en mouvement. La première fauche d’herbe est réalisée à une période de forte sensibilité pour la faune sauvage puisque les mois de mars et d’avril correspondent aux premières naissances et éclosions. Dans le cas des espèces dites nidicoles, où les jeunes sont peu ou pas mobiles à la naissance comme le chevreuil, les travaux de fauches sont extrêmement destructeurs.
La dernière consiste à utiliser du matériel de détection, permettant d’identifier la présence d’un animal et ainsi l’éviter ou le déplacer. Depuis quelques années, des drones thermiques sont utilisés à cet effet. Un nouveau dispositif a également été mis sur le marché en 2021 : le Sensosafe de la société autrichienne Pöttinger. Des barres de capteurs optiques sont disposés en amont du matériel de fauche et préviennent le conducteur de la machine afin de stopper le tracteur et éviter l’animal.
D’une manière générale, il est important de comprendre que l’adaptation des pratiques agricoles aux périodes cruciales pour de nombreuses espèces aura un double impact : la préservation de la biodiversité (affection neurologique grave pouvant entrainer la mort, provoquée par l’ingestion d’aliments contaminés par une toxine puissante) et donc toucher les troupeaux.
Fiche pratique n°6 : le maintien des chaumes de céréales lors du semis de cultures intermédiaires pièges à nitrates pour la période de l’entre-culture
Les parcelles de céréales sont des habitats de choix pour les espèces inféodées aux grandes cultures, telles les perdrix grises, les cailles des blés, les alouettes des champs ou les bruants proyers. Ces dernières années, avec les moissons de plus en plus précoces, les déchaumages pour implanter les CIPAN (cultures intermédiaires pièges à nitrates) ont provoqué une perte d’habitat conséquent pour l’avifaune, l’empêchant de terminer son cycle de reproduction. La destruction des chaumes impacte également l’hivernage des oiseaux car, pour un bon nombre d’espèces, les chaumes de céréales sont des lieux d’alimentation privilégiés en graines d’adventices.
Pour information, une alouette des champs adulte consomme en moyenne 6 g de graines par jour. Sur une année, un couple d’alouettes peut consommer environ 3,2 kg de graines d’adventices pour neuf mois de présence en France. Cependant si les céréales sont déchaumées trop précocement, le temps de présence des alouettes sera presque divisé par deux et la consommation de graines d’adventices également. Ces oiseaux peuvent donc être considérés comme des auxiliaires de culture avec un potentiel impact sur le stock semencier d’adventices présent à la surface du sol. Un déchaumage plus tardif voire son abandon seront donc favorables à la fois à la biodiversité et à la régulation du stock d’adventices.
Pour concilier l’objectif de maintien des chaumes ou de la couverture vivante du sol avec le semis, il existe des alternatives au semis post déchaumage : le semis à la volée dans la céréale avant moisson et le semis direct dans les chaumes.
Fiche pratique n°7 : l’organisation du parcellaire et l’effet lisière
Dans les zones agricoles, les lisières de cultures sont des composantes essentielles pour la biodiversité. On considère qu’elles sont nécessaires au développement d’environ 90 % des auxiliaires, que les insectes rampants ne prospectent que les 80 premiers mètres de la parcelle et que 70 % des nids d’alouette des champs (oiseau qui niche au sol dans les cultures) sont installés dans les 25 premiers mètres de la bordure de parcelle.
Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour augmenter la portion de lisière d’une parcelle. D’abord respecter une surface maximale de parcelle. D’après la littérature scientifique, la taille idéale serait de 6 ha, ce qui selon le secteur géographique peut paraitre soit très au-delà de la moyenne (secteur bocager d’élevage à 3 ha de moyenne) soit très au-dessous (secteur de grande culture à 15 ha de moyenne). Ensuite, alterner les cultures au sein d’une même parcelle afin d’augmenter les effets lisières (qui sont favorables à la biodiversité), avec une réflexion à l’échelle de l’exploitation.
Enfin, redéfinir la forme de la parcelle indépendamment de sa surface totale. On considère qu’une parcelle carrée de 244 m de côtés (= 6 ha) offre 976 m de lisière contre 1 240 m pour une parcelle rectangle de 500 m de long et 120 m de large (= 6 ha). Nous pouvons donc dire que ce sont les parcelles étroites et longues qui offrent une surface de lisière la plus importante. Leur découpage en un nombre rond de passages de l’engin le plus grand (souvent le pulvérisateur) permet d’améliorer l’efficacité du travail, limite les manœuvres et évite les doublements de dose.
À l’échelle de l’exploitation, le parcellaire est rarement homogène au niveau de la qualité de sol, de la forme et la taille des parcelles. Pour les parcelles tortueuses, il est possible de les découper en îlots de forme optimale. Les espaces périphériques ainsi libérés sont des zones qu’il est possible d’aménager en priorité, par des lisière ou d’autres IAE (voir fiche n°3). De cette façon, on optimise les travaux dans les parcelles aux formes non avantageuses et l’agriculteur perd moins de temps à manœuvrer dans les courts tours du pulvérisateur, les faux angles ou les fortes courbes.
Fiche pratique n°8 : la couverture permanente des sols
Un sol est considéré couvert en présence d’une végétation soit vivante soit morte. Les bénéfices d’une couverture permanente sont nombreux : comme le stockage de carbone qui pourrait atteindre 126 kg/ha/an avec un couvert vivant maintenu entre six et huit mois sur la parcelle, ou l’augmentation du taux de matière organique dans le sol induisant une amélioration de la portance.
Dans la pratique, la mise en place d’engrais verts est préconisée. Les mélanges diversifiés, c’est-à-dire composés de plusieurs espèces, sont généralement plus productifs que les mélanges simples car quelques espèces arriveront à se développer quelles que soient les conditions climatiques de l’année. Ils peuvent également permettre de répondre à divers objectifs, qu’ils soient agronomiques ou écologiques (photo 1).
Un couvert favorable à la biodiversité doit être suffisamment :
– couvrant pour créer un abri en période hivernale et concurrencer les adventices ;
– circulant pour que la petite faune sauvage puisse se déplacer facilement.
Pour accompagner les agriculteurs dans le choix des couverts les plus adaptés à leur besoin, le programme Agrifaune propose des mélanges labellisés.
Photo 1 – Pâturage tournant dynamique d'un couvert d'inter-culture.
Crédit photo : D. Granger.
Fiche pratique n°9 : l’aménagement des bâtiments d’exploitation
Les bâtiments agricoles comme les greniers, les granges ou les hauts de silos, abritent des espèces d’oiseaux utiles notamment en plaines céréalières. Il est possible de les aménager avec des nichoirs ou des gîtes afin de les rendre favorables à l’accueil de rapaces ou de chauves-souris. En effet, toute cette faune apportera divers services sur l’exploitation comme la régulation des micromammifères ou des insectes ravageurs.
Conclusion
Face à l’érosion de la biodiversité, et plus spécifiquement dans les espaces agricoles, les acteurs de la ruralité doivent, aujourd’hui plus que jamais, s’engager dans un accompagnement technique des agriculteurs et bien au-delà des plus sensibilisés. La mobilisation de l’ensemble des filières agricoles semble être un levier indispensable pour renforcer les changements de pratiques des agriculteurs. C’est d’ailleurs en ce sens que l’Office français de la biodiversité contribue au quotidien à l’accompagnement des changements en faveur d’une meilleure conciliation entre agriculture et biodiversité, à travers par exemple le partage des bonnes pratiques ou les retours d’expérience en ce sens, comme c’est le cas dans le programme Agrifaune.
C’est en outillant efficacement les acteurs du territoire que les pratiques agricoles pourront évoluer de façon significative pour plus de résilience.
Toutefois, les outils développés doivent être accessibles et contenir des données facilement assimilables pour les agriculteurs. Ce qui semble aujourd’hui être le cas pour les données agronomiques et écologiques mais pas pour les données technico-économiques. C’est donc en ce sens que les acteurs de la filière, mais également la recherche, doivent travailler pour permettre une massification des pratiques décrites dans cet article.
Dans un même temps, les acteurs institutionnels doivent proposer un accompagnement financier qui facilitera le déploiement des pratiques. Au-delà d’un plan stratégique national (déclinaison française de la Politique agricole commune) proposant une meilleure prise en compte des enjeux de transition des pratiques agricoles, des réflexions doivent être menées pour identifier d’autre leviers financiers et de concertation territoriale comme par exemple sur la mise en place d’un PSE (paiement pour services environnementaux) national issu de financement public ou privé, regroupant les différents acteurs de terrain (agriculteurs, syndicat, coopératives, chasseurs…).
L’intégration des pistes d’action détaillées dans cet article dans les changements transformateurs qui s’engagent aujourd’hui pour la préservation de notre biodiversité doivent, plus que jamais, devenir une priorité commune.
En savoir plus
Site internet de EIP-AGRI Agriculture and innovation : https://ec.europa.eu/eip/agriculture/en/publications : ce site internet contient de nombreuses synthèses scientifiques réalisées avec des acteurs (conseillers, agriculteurs, etc.) : ex : publications du Focus Group on Ecological Areas.
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Photographie d’entête : © C. Maître (INRAE).
Références
- Chamaret, A., O'Connor, M., Recoche, G. (2007). Top-down/bottom-up approach for developing sustainable development indicators for mining: application to the Arlit uranium mines (Niger). International Journal of Sustainable Development, Inderscience Enterprises Ltd, vol. 10(1/2), p. 161-174, doi:10.1504/IJSD.2007.014420
- IPBES (2019). Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, in: Brondizio, E., S., Settele, J., Díaz, S., Ngo H. T. (editors). IPBES secretariat, Bonn, Germany, 1 148 p., doi:10.5281/zenodo.3831673
- IPCC (2021). Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, in: Masson-Delmotte, V., Zhai, P., Pirani, A., Connors, S. L., Péan, C., Berger, S., Caud, N., Chen, Y., Goldfarb, L., Gomis, M. I., Huang, M., Leitzell, K., Lonnoy, E., Matthews, J. B. R. Maycock, T. K., Waterfield, T., Yelekçi, O., Yu, R., Zhou, B. (eds.). Cambridge University Press. 40 p., https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM_final.pdf
- Dicks, L. V., Ashpole, J. E., Dänhardt, J., James, K., Jönsson, A., Randall, N., Showler, D. A., Smith, R. K., Turpie, S., Williams, D., Sutherland, W. J. (2013). Farmland Conservation: Evidence for the effects of interventions in northern and western Europe. Exeter, Pelagic Publishing.
- Sirami, C., Gross, N., Bosem Baillod, A., Bertrand, C., Carrié, R., et al. (2019). Increasing crop heterogeneity enhances multitrophic diversity across agricultural regions. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, National Academy of Sciences, 2019, 116 (33), p.16442-16447, doi:10.1073/pnas.1906419116
Résumé
Face au constat d’une biodiversité en déclin et notamment dans les espaces agricoles, les quatre partenaires nationaux du programme Agrifaune ont mis en place une étude intitulée « Reconnaissance de l’engagement individuel des agriculteurs dans Agrifaune » (REIAA). En s’appuyant sur un échantillon de cent agriculteurs, elle a permis de recenser quatre-vingt-sept pratiques agricoles favorables à la biodiversité tout en identifiant leur pertinence technico-économique et environnementale. Malgré un manque de données scientifiques sur l’impact de ces pratiques, les expériences de terrain ont conduit les partenaires à éditer un guide technique présentant en détail les neuf pratiques les plus emblématiques, issues de l’enquête, pour concilier agronomie, économie et biodiversité. Convaincu que l’agriculture a un rôle majeur à jouer dans la préservation de la biodiversité du fait de la surface qu’elle occupe sur le territoire national, il semble prioritaire de donner aux agriculteurs des outils efficaces leur permettant un accompagnement technique dans l’adaptation de leurs pratiques agricoles dans ce sens. Toutefois, face à l’urgence climatique et écologique, le changement ne peut pas uniquement reposer sur les agriculteurs. Des leviers efficaces et ambitieux doivent désormais être mobilisés afin d’impliquer toutes les filières agricoles.
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