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Microchimie comparative des otolithes et des écailles de saumon Atlantique (Salmo salar)

Identifier les migrants parmi les populations de saumon atlantique (Salmo salar) revêt une importance capitale, car leur dispersion peut contribuer à renforcer la résilience des populations face aux diverses pressions environnementales et humaines qu'elles subissent. Toutefois, l'extraction des otolithes, habituellement utilisée à cette fin, entraîne la mort des spécimens. Afin de pallier ce problème, des chercheurs ont exploré le potentiel des écailles comme alternative non létale, en se focalisant sur les saumons de la façade atlantique française. Les résultats révèlent que la microchimie des écailles est moins fiable que celle des otolithes, principalement en raison des altérations chimiques subies en milieu marin.

De l'importance de connaitre la structuration spatiale d'une population

Les populations de poissons sont rarement isolées. Il est fréquent que des individus d’une population donnée se dispersent spatialement pour se reproduire dans d’autres populations. Cette structure en métapopulation peut avoir des conséquences démographiques et génétiques importantes (Rieman et Dunham, 2000 ; Carlson et al., 2014). En effet, les dispersants peuvent influencer la dynamique locale de la population, contribuer au maintien de petites populations ou favoriser la recolonisation de milieux restaurés. L’évaluation des capacités de dispersion des poissons anadromes1 et de leur structure en métapopulation est donc nécessaire afin de mieux comprendre le fonctionnement des populations et définir des mesures de gestion appropriées. Pourtant, dispersion et structure en métapopulation des salmonidés restent encore très mal connues, en particulier en ce qui concerne le saumon atlantique (Salmo salar). L’enjeu est donc de pouvoir identifier et discriminer les individus dispersants de ceux revenant dans leur rivière natale afin d’évaluer le taux de dispersion et leur contribution à la population locale.

Afin d’évaluer le taux de dispersion et la contribution des dispersants à la population locale, il est nécessaire de connaître l’origine spatiale (rivière natale) des individus. L’analyse microchimique des otolithes permet cette identification à une échelle spatiale fine avec une grande fiabilité (Martin et al., 2013 ; Brennan et al., 2015 ; Daverat et Martin, 2016). Cependant, cette approche est létale puisqu’elle impose le sacrifice d’individus pour prélever les otolithes. Actuellement, l’échantillonnage se base principalement sur l’acquisition d’individus morts capturés par pêche. L’échantillonnage associé est potentiellement biaisé (captures sélectives) et limité, car dépendant des taux de prélèvement et participations des pêcheurs, ainsi que de la période d’ouverture de la pêche. Une alternative serait d’utiliser l’analyse microchimique des écailles de salmonidés. En effet, les écailles représentent un échantillonnage non létal, facile à prélever et abondant (une large collection est déjà disponible sur de nombreuses populations en France, voir par exemple la base https://colisa.fr/).

Des méthodes de pointe en chimie analytique (ablation laser couplée à des spectromètres de masses quadripolaire et multicollection) permettent de déterminer la composition microchimique des otolithes. Des études préliminaires menées chez des saumons juvéniles et adultes d'une vingtaine de rivières appartenant à neuf bassins ou régions de la façade atlantique (Adour, Allier, Asturies, Bidasoa, Bretagne, Dordogne, Galice, Garonne, Nivelle) ont pu montrer qu’il est possible de déterminer/discriminer leur bassin d'origine, mais également d'affiner l'analyse en attribuant au niveau du sous-bassin, voire de la rivière une très large majorité d'individus (Bareille et al., 2017). L'origine piscicole d'un certain nombre d'individus a également pu être déterminée.

Cette approche a par la suite été appliquée à plus de 750 otolithes de saumons adultes de retour en rivière entre 2009 et 2015 dans le bassin de l’Adour et la Nivelle, avec la possibilité de déterminer avec une très grande fiabilité leur origine, tant en termes de bassin versant que de sous-bassin, voire de rivière (Bareille et al., 2017). Cette très bonne réassignation des individus sur la base des signaux otolithométriques a été possible malgré la variabilité inter-annuelle des signaux géochimiques observés dans les rivières d'origine, soulignant la singularité géographique de la composition des otolithes, en faisant un outil robuste.

Utiliser les écailles comme alternative aux otolithes ?

Pour éviter le sacrifice qu’imposent le prélèvement des otolithes, une alternative serait d’utiliser l’analyse microchimique des écailles de salmonidés. En effet, les écailles représentent un échantillonnage non létal, facile à prélever et abondant. Des études réalisées sur la truite fario (Salmo trutta) ont montré que les écailles semblent fournir une étiquette biogéochimique de performance comparable avec les otolithes (Wells et al., 2003a ; Ramsay et al., 2011 ; Ramsay et al., 2012). Étant donné la grande variabilité inter-élément et interspécifique de déposition (Zimmerman et al., 2013 ; Tzadik et al., 2017), une étude complémentaire sur le saumon atlantique semble indispensable et prometteuse comme récemment démontré par Flem et al. (2017). Ces études se sont cependant concentrées sur des individus juvéniles n'ayant jamais changé de conditions environnementales au cours de leur vie et pour lesquelles l'analyse in toto des écailles est possible. Dans le cas d'adultes anadromes, la superposition/juxtaposition de dépôts marins sur la zone formée en phase juvénile (absence de recouvrement protégeant la zone de dépôt juvénile contrairement à l’otolithe) pourrait diluer la signature rivière originelle, nécessitant une approche analytique spécifique (décapage de surface, par exemple). De plus, la composition chimique des écailles pourrait ne pas être figée comme celle des otolithes, laissant la possibilité d’échanges d'ions pouvant intervenir après passage en milieu marin (changement dans l’hydroxyapatite des écailles après leur déposition en phase juvénile ; Ryan et al., 2016 pour Salmo trutta). La possibilité d'une telle altération chimique (Wells et al., 2003b) chez des poissons anadromes peut affecter les performances d'assignations natales. Des recherches additionnelles sont donc nécessaires pour évaluer la stabilité temporelle des éléments microchimiques chez le saumon atlantique, notamment après passage en milieu marin, et par suite la possibilité d’adapter un protocole analytique permettant de minimiser les effets des altérations post-dépôt.

Outre le remaniement chimique post-migratoire de l'écaille, une autre difficulté méthodologique vient de la stratification naturelle de l'écaille. Deux couches superposées peuvent être identifiées sur une écaille. La première est une couche externe dure et minéralisée composée de phosphate de calcium (appelée hydroxyapatite). Cette couche externe recouvre la couche basale dont la minéralisation est pauvre et est majoritairement composée de collagène (figure 1a). La couche externe représente environ 30 % de la masse de l’écaille. Durant la croissance de l’écaille, cette couche augmente en aire et non pas en épaisseur, car elle se forme par incrémentation d’anneaux concentriques ou circuli et parallèles les uns aux autres. La couche basale est un empilement de couches fibreuses de collagène arrangées de manière lamellaire et dont le nombre croît avec l’âge de l’individu. Chaque nouvelle couche est plus grande que la précédente rendant ainsi l’empilement plus épais au centre de l’écaille et s’affinant vers les parties antérieures.

L'une des principales difficultés méthodologiques rencontrées en travaillant sur l'écaille consiste à n'ablater que la partie superficielle. En effet, seule la couche superficielle composée d'hydroxyapatite fortement minéralisée renferme les informations microchimiques susceptibles de renseigner l'origine natale des individus. Des coupes fines transversales réalisées au milieu d'écailles de saumons adultes ont révélé une épaisseur d'environ 8-20 µm, respectivement en fonction du positionnement intra ou inter-circuli (figure 1a). Un transect d’ablation trop profond sur la zone dorsale de l’écaille pourrait mélanger les signatures chimiques contenues dans la couche externe et dans la couche basale, biaisant ou bruitant ainsi potentiellement toutes les mesures réalisées (figure 1b). Les dernières avancées technologiques offrent une résolution analytique bien supérieure à celles utilisées auparavant avec des seuils de détection bien plus bas et une capacité d’ablation superficielle de la matière. Il est donc possible de n'ablater que la couche superficielle d'intérêt tout en sublimant suffisamment de matériel pour une quantification (figure 1c). Il n'en demeure pas moins que des phénomènes d'altération (remobilisation, dépôt et/ou échanges d’ions) pourraient intervenir dans cette partie superficielle lors du séjour en mer.

Figure 1. Stratification d'une écaille et ablation laser.
a) L'épaisseur de la couche d'hydroxyapatite a été mesurée sur les individus utilisés dans la présente étude d'après une coupe transversale médiane. b) Ablation laser profonde sublimant une partie de la couche basale constituée de collagène et venant bruiter les signatures microchimiques. c) Ablation superficielle n'ablatant que la couche superficielle d'intérêt.

Des données issues de la façade atlantique

Les écailles de soixante-quinze saumons adultes provenant de dix-huit rivières issues de deux zones géographiques, la Bretagne et le Bassin aquitain Sud, ont été analysées. Ces deux zones permettent d’avoir une couverture assez large de la diversité des environnements géochimiques rencontrés en métropole (bassin principalement sédimentaire au sud et métamorphique/granitique au nord). L’origine natale de tous ces individus avait été déterminée avec une très bonne probabilité d'assignation (0,90 ± 0,08 ; moyenne ± écart-type) grâce au modèle d'assignation préalablement établi sur les données microchimiques des otolithes de juvéniles (région sud) ou d’adultes et de l'eau issus de différentes rivières (Bretagne). L'origine natale ainsi inférée par analyse microchimique a été considérée comme fiable et servira de point de comparaison par rapport aux attributions réalisées chez les mêmes individus à partir des données scalimétriques.

Utilisation de la chimie analytique de pointe

Les écailles ont été nettoyées et séchées selon la méthode décrite dans Seeley et al. (2017), afin de retirer la matière organique contenue à sa surface (mucus). Les concentrations élémentaires ont été analysées dans la partie juvénile des otolithes ou des écailles par un système d’ablation laser couplée à un spectromètre de masse à plasma induit (LA-ICP-MS) de la plateforme PAMAL (Plateforme d’analyse des métaux traces par ablation laser) de l'IPREM (Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l'environnement et les matériaux, Université de Pau). Cette technique consiste à micro-échantillonner une fine quantité de matière de la surface d’un solide (spot d’une dizaine de microns) grâce à un laser et la transférer dans le spectromètre pour en déterminer la composition en ions d’intérêt. Le laser utilisé est un laser femtoseconde (IR 1030 nm, Alfamet, Amplitude Systèmes, Pessac) équipé d’une caméra qui permet de régler précisément la zone de tir à quelques microns. La spécificité de ce laser est sa cadence de tir qui est de l’ordre du femto seconde (360 fs) permettant de réaliser un micro-échantillonnage des solides avec une haute résolution spatiale. Comme précédemment mentionné, l'une des principales difficultés méthodologiques rencontrées en travaillant sur l'écaille consiste à n'ablater que la partir superficielle (composée d'hydroxyapatite fortement minéralisé). Des coupes fines transversales réalisées au milieu d'écailles de saumons adultes ont révélé une épaisseur d'environ 20-8 µm, respectivement en fonction du positionnement intra ou inter-circuli. La paramétrisation du laser nous a permis d’augmenter la quantité de matière ablatée en surface et non en profondeur et donc d’augmenter la sensibilité de l’analyse sans atteindre la sous-couche de collagène. Afin que la comparaison écaille/otolithes soit pertinente, tous les modèles d'assignation reprennent les mêmes éléments chimiques (à savoir strontium Sr, barium Ba, manganèse Mn et magnésium Mg).

Une signature microchimique spatialement variable

La figure 2 illustre le contraste existant dans la composition en strontium, baryum, magnésium et manganèse relevée entre les différentes rivières dans l'eau (lorsque disponible/quantifiable), ainsi que dans la partie juvénile des otolithes ou des écailles. Une partition de la variance a été réalisée à l'aide d'une ANOVA2 afin de déterminer la variation inter-rivière (exprimée en pourcentage). Cette variation conditionne en effet très fortement le potentiel discriminant des analyses réalisées ultérieurement et est en mesure de renseigner l'altération potentielle des écailles suite au séjour en domaine marin. Si cette fraction demeure comparable entre les otolithes et les écailles pour le manganèse et dans une moindre mesure le baryum, elle chute drastiquement pour le magnésium (d'un facteur 2) et surtout pour le strontium (d'un facteur 5). L'uniformisation des signatures microchimiques enregistrées dans les écailles pour certains éléments ne permet pas d'obtenir une bonne corrélation entre les valeurs obtenues à partir des écailles et des otolithes (corrélation de Pearson de 0,9 pour le baryum ; 0,52 pour le strontium ; 0,19 pour le manganèse et 0,02 pour le magnésium).

Figure 2. Quantification et visualisation de la variabilité inter-rivière des concentrations.
Strontium (haut à gauche), baryum (haut à droite), manganèse (bas à droite) et magnésium (bas à gauche). Dans chaque onglet (eau, otolithe, écaille), les rivières ont été ordonnées par valeurs croissantes, sans correspondance d'un onglet à l'autre. La valeur indiquée en haut de chaque onglet correspond au pourcentage de variance inter-rivière déterminé par l'ANOVA (analyse de la variance).

Une discrimination spatiale multi-échelle moins efficace à partir des écailles

Nous nous sommes intéressés à la discrimination spatiale qu'il était possible d'obtenir à partir de la composition microchimique des écailles et des otolithes. Il s'agit à terme de pouvoir assigner un individu adulte anadrome à sa rivière d'origine. Plus précisément, les performances d'assignation sont comparées pour différentes échelles spatiales (bassin, sous-bassin, rivière, etc.) en fonction de la nature des données. Plus la résolution spatiale augmente (attribution spécifique à une rivière), plus l'erreur d'assignation est généralement importante. A contrario, l'erreur d'assignation est généralement plus faible lorsque l'assignation est réalisée à une plus grande échelle (ex. bassin versant). Puisqu'il est assez peu réaliste de pouvoir discriminer toutes les rivières sélectionnées avec de bonnes performances, nous les avons séquentiellement regroupées afin de créer des ensembles de plus en plus gros. Ce regroupement a été réalisé à partir de leurs similarités microchimiques. Cette approche multi-échelle nous a permis de quantifier les performances d'assignation embrassant toutes les échelles possibles, de deux grands ensembles englobants chacun plusieurs rivières jusqu'à une résolution bien plus fine où apparaissent dix-huit rivières distinctes.

Les performances ont à chaque fois été calculées en utilisant le pourcentage d'individus correctement assignés dans un processus de validation croisé (l'approche consiste à éviter tout raisonnement circulaire en n'utilisant pas les mêmes individus pour construire un modèle discriminant et estimer sa performance. Ici 75 % des données initiales sont aléatoirement tirées avec remise, tandis que les 25 % restant servent à quantifier les performances. Afin d'explorer un maximum de configurations, 1 000 itérations sont utilisées). La méthode discriminante choisie était une approche supervisée de machine learning appelée Random Forest, particulièrement efficace pour les problématiques de classification/prédiction et qui peut se substituer aux traditionnelles analyses discriminantes linéaires ou quadratiques. Cette méthode permet d'estimer individuellement la probabilité relative d'appartenance à chacune des rivières (ou regroupement de rivières). Seules les probabilités d'attributions dépassant une valeur seuil (THR variant de 0,1 à 0,9 par pas de 0,1) sont conservées. Ce critère permet ainsi de mesurer nos indices de performances discriminantes uniquement sur les individus présentant un niveau de certitude fixé.

Les performances discriminantes de toutes les analyses réalisées ont été synthétisées dans la figure 3. On y voit l'erreur globale moyenne de reclassification (pourcentage d'individus incorrectement reclassifiés) en fonction du nombre de regroupements de rivières (de deux grands regroupements à dix-huit rivières individualisées). Un total de neuf courbes est représenté pour chaque pièce sclérifiée, correspondant sans distinction, à des valeurs seuil (THR) allant de 0,1 à 0,9 par pas de 0,1. Globalement les performances discriminantes basées sur les otolithes sont toujours largement supérieures à celles des écailles, quelle que soit la résolution spatiale considérée. Ainsi, il est possible de différentier cinq grands regroupements de rivières avec une erreur moyenne de reclassification d'environ 20 % à partir des otolithes, contre près de 70 % à partir des écailles (alors qu'une assignation aléatoire produirait une erreur de 80 %). De façon similaire, la discrimination complète des dix-huit rivières considérées entraîne une erreur de reclassification moyenne d'environ 40 % en se basant sur les otolithes et de plus de 85 % en se basant sur les écailles. À titre de comparaison, une attribution aléatoire des individus résulterait en une erreur moyenne de 94 %, signe que les écailles sont très faiblement informatives à ce niveau de résolution spatiale.

Cette baisse de performance ne peut pas être imputable à une ablation laser trop profonde qui aurait atteint la couche basale de collagène, comme cela a pu être le cas dans des études antérieures rencontrées dans la littérature. En revanche, elle est sans nul doute à mettre en relation avec le remaniement chimique des écailles suite au passage des individus en milieu marin. Quelques publications attestent que la microchimie des écailles, tout comme l'otolithe, reflète le milieu dans lequel évolue un poisson et qu'il est ainsi possible de déterminer les mouvements inter-rivière ainsi que l'origine natale des individus (Cappo et al., 2005 ; Flem et al., 2005 ; Muhlfeld et al., 2005 ; Adey et al., 2009 ; Ramsay et al., 2012 ; Campbell et al., 2015). Cependant, contrairement à l'otolithe, les dépôts minéraux ne sont pas inertes et la composition élémentaire des écailles peut être remaniée, tout particulièrement en cas de changement drastique du milieu, comme cela est le cas pour le passage d'une rivière vers une masse océanique. Ce point a plusieurs fois été évoqué dans la littérature sans toutefois être jamais complètement confirmé (Ryan et al., 2019). Les quatre éléments considérés dans cette étude semblent être affectés avec toutefois une ampleur variable. L’absence de corrélation entre le ratio Sr:Ca et le strontium de l’eau supporte l’hypothèse de l’altération drastique des signatures.

Figure 3. Performances des analyses discriminantes (erreur, pourcentage d'individus incorrectement reclassifiés) en fonction de la résolution spatiale considérée pour les otolithes (gris) et les écailles (ocre).
Les différentes lignes correspondent aux résultats pour des valeurs seuil (THR) allant de 0,1 à 0,9 par pas de 0,1. Isoligne attendue en cas d'assignation aléatoire des individus en noir.

Une signature microchimique brouillée par le passage en mer

Alors que les juvéniles avant leur migration marine présentent des signatures microchimiques contrastées entre les rivières, mais néanmoins congruentes entre leurs écailles et leurs otolithes, la corrélation entre ces deux pièces sclérifiées est très nettement affaiblie lorsque les données sont collectées chez des adultes anadromes. Il en résulte que la structuration des signatures microchimiques qui permettait initialement une bonne discrimination à partir des otolithes est complètement désorganisée dans les écailles. Non contentes de présenter des performances discriminantes fortement contrastées, les données otolithométriques et scalimétriques présentent une très faible congruence (coefficient d'entrelacement de seulement 0,56). En d'autres termes, les erreurs d'assignations réalisées en se basant sur l'une ou l'autre des deux pièces sclérifiées ne présentent aucune similarité et conduisent à des assignations discordantes. Écailles et otolithes ne renvoient donc pas la même information chez les individus anadromes.

Comparés aux otolithes, tous les transects (série temporelle englobant toute la vie des poissons, depuis leur naissance jusqu'à leur mort) dévoilent des concentrations relativement homogènes du focus jusqu’au départ en mer. Étant donné la forte variabilité inter-rivière de la concentration en strontium, une telle homogénéisation du signal ne peut provenir que d'un remaniement tardif intervenant au niveau des écailles après la migration en milieu marin. En d'autres termes, l’intégralité de la couche superficielle d’une écaille s’enrichit en strontium en milieu marin, gommant toute variabilité/signal antérieur et empêchant toute investigation a posteriori de l'origine natale des poissons anadromes. Il faut également noter que l’altération observée est d’autant plus marquée pour les éléments dont les concentrations en eau de mer sont largement supérieures (Sr x 20, Mg x 200) à celles rencontrées en eaux douces. Un processus de remaniement similaire semble à l'œuvre concernant le magnésium dont la concentration est beaucoup plus élevée en milieu marin. De façon opposée, le milieu marin est très pauvre en manganèse et l'écaille ne peut donc pas s'enrichir de façon post-migratoire. Cela est également vrai pour le baryum dont la concentration est très faible dans les couches superficielles en milieu océanique (Bruland et al., 2014), limitant le risque de dépôt post-migration. À noter cependant que la variabilité inter-rivière du baryum est sensiblement atténuée dans les écailles par rapport aux otolithes, sans que les mécanismes chimiques/physiologiques sous-jacents ne soient connus. Cette observation est d'autant plus surprenante que le baryum est a priori métaboliquement inerte (Wells et al., 2000).

Afin de mieux illustrer ce remaniement, la figure 4 présente l'ensemble des transects réalisés à partir des poissons collectés à Arneguy (Bassin de l'Adour, vingt otolithes, six écailles), comprenant aussi bien la partie juvénile passée en rivière que celle adulte en mer. Cette rivière a été sélectionnée car elle présente une très faible concentration en strontium, contrastant bien avec le milieu marin qui en est chargé. Les données ont été standardisées de façon à ce que la zone pré-migratrice soit arbitrairement comprise dans l'intervalle [0-1] et la zone post-migratrice dans l'intervalle [1-2]. Si l'augmentation du strontium est très bien marquée pour l'ensemble des individus sur les otolithes après passage en mer, aucune augmentation n’apparait de façon claire sur les écailles. Il faut imaginer que la concentration en strontium contenu dans l'écaille durant la phase juvénile était initialement beaucoup plus basse que ce qui a été finalement quantifié à partir de poissons ayant séjourné en milieu marin. Ce remaniement post-migration a pour effet de masquer les signatures élémentaires existant entre les rivières avant migration, limitant de ce fait très fortement l'assignation rétrospective des adultes migrants.

Figure 4. Superposition des signatures en strontium après standardisation de transects réalisés sur les otolithes (haut) et les écailles (bas) prélevés à Arnéguy.
À noter que le milieu marin est très fortement enrichi en strontium par rapport au milieu dulçaquicole. Si le passage de l'eau douce au domaine marin se traduit par un changement de la composition de l'otolithe, la transition est inexistante chez les écailles dont la composition a été remaniée lors du séjour en mer.

Conclusion

Les résultats ont montré que l'assignation de l'origine natale des saumons est, à résolution spatiale identique, beaucoup plus performante lorsqu'elle se base sur la microchimie des otolithes que sur celle des écailles. Dans tous les cas, même à faible résolution spatiale (tentative de discrimination de seulement quelques regroupements de rivières), les écailles ont des performances à peine meilleures que ce que ferait une assignation aléatoire des individus. Dans ce contexte, nous ne recommandons donc pas de recourir à cet outil pour déterminer l'origine natale de poissons anadromes à une fine résolution spatiale. Il ne semblerait pas non plus que cet outil soit bien adapté pour discriminer à plus large échelle la migration entre bassins versants éloignés, bien que notre échantillonnage n'était pas adapté pour aborder spécifiquement ce point. Cette différence de performance reposant principalement sur l’altération des signatures chimiques de l’écaille lors du passage en mer (atténuation des signatures natales), la microchimie des écailles reste pleinement applicable chez les juvéniles, ainsi que chez des individus sédentaires effectuant des mouvements inter-rivières/affluents ou chez des juvéniles changeant d'habitats sans jamais transiter par le milieu marin, ou du moins entre environnements géochimiques pas aussi contrastés que eaux douces-eaux salées.

Encadré 1. En savoir plus

Vignon, M., Bareille, G., Tabouret, H., Semperez, R. (2020). Première étude comparative de la microchimie des otolithes et des écailles pour déterminer l’origine spatiale des populations de saumon atlantique. Rapport de recherche. OFB-Inrae- Institut Agro-UPPA. 26 p.

https://hal.inrae.fr/hal-03104019

Photo d’entête : © Alfons Photographer (Adobe Stock).

Notes

  • 1. Qualifie les espèces animales marines qui remontent les rivières pour se reproduire en eau douce.
  • 2. Analyse de la variance.

Références

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Résumé

Dans la perspective de mieux comprendre le rôle de la dispersion dans la conservation des populations de saumon atlantique (Salmo salar) face aux pressions environnementales et anthropiques qu’ils subissent, il est vital de quantifier la part relative des migrants au sein des différentes populations. Pour répondre à cet enjeu, la composition microchimique de certaines structures biominérales permet chez les poissons de déterminer l’origine spatiale (rivière natale) des individus. Les otolithes (structures calcifiées présentent dans l'oreille interne des poissons) sont généralement utilisés à cet effet mais leur extraction est létale. Ici, une évaluation du potentiel microchimique des écailles a été conduite sur la façade atlantique française, comme alternative non létale à l'utilisation des otolithes. La comparaison des données issues des otolithes et des écailles nous permet de conclure que la microchimie des écailles provenant d'individus anadromes possède de très faibles performances, sans comparaison possible avec celles obtenues à l'aide des otolithes. Cette différence de performance repose principalement sur l’altération des signatures chimiques de l’écaille lors du passage en mer, se traduisant par une très forte atténuation des signatures natales.

Auteurs


Matthias VIGNON

matthias.vignon@univ-pau.fr

Affiliation : ECOBIOP, Universite de Pau et des Pays de l’Adour, INRAE, Saint-Pée-sur-Nivelle /Pôle Gestion des Migrateurs Amphihalins dans leurs Environnements, OFB, INRAE, L'Institut Agro, UPPA, Rennes

Pays : France


Gilles BAREILLE

Affiliation : IPREM, UPPA, CNRS, Pau

Pays : France


Christophe PEYCHERAN

Affiliation : IPREM, UPPA, CNRS, Pau

Pays : France


Hélène TABOURET

Affiliation : IPREM, UPPA, CNRS, Pau

Pays : France

Pièces jointes

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