Dans un contexte de pression croissante sur les ressources naturelles, l’éducation à l’environnement s’impose comme un levier essentiel. À Madagascar, une expérimentation menée dans le lycée technique et professionnel Ambositra explore comment l’approche par compétences, appliquée à la gestion intégrée de l’eau, peut renforcer les apprentissages tout en formant des élèves autonomes, responsables et engagés dans la protection de leur environnement.
Introduction
Les objectifs de l’éducation à l’environnement (EE), comme l’UNESCO les avait conçus, consistaient essentiellement « à amener les individus et les collectivités à saisir la complexité de l’environnement, qu’il soit de type anthropique ou naturel, afin d’être en mesure de participer de manière responsable à la prévention et à la gestion de l’environnement » (UNESCO, 1978). Les différentes conférences internationales sur l’environnement ont progressivement conduit à l’émergence du concept de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), dont la mise en œuvre repose, entre autres, sur l’éducation environnementale en tant qu’outil clé. Pour relever ce défi, son enseignement/apprentissage doit être armé d’un cadre d’orientation efficace.
L’évaluation des besoins en eau agricole et l’analyse des impacts liés à la mise en œuvre de la GIRE ont précédé la présente étude. Il est important de souligner que la concrétisation de la GIRE ne relève pas uniquement de l’État ou d’organismes spécialisés : elle repose également sur l’implication d’une population sensibilisée et éduquée. C’est dans cette perspective que s’inscrit cette recherche intitulée : « L’éducation environnementale pour la gestion intégrée des ressources en eau au lycée technique et professionnel Ambositra ».
La question de recherche est formulée comme suit : quelles sont les retombées des orientations pédagogiques en éducation environnementale ? À cette question, l’hypothèse avancée propose que, basées sur l’apprentissage contextualisé, les orientations pédagogiques de l’approche par compétences (encadré 1) favorisent la construction des savoirs sous toutes ses formes. La compétence rempli le critère d’interdisciplinarité. Comme le souligne Perrenoud (1995), toute compétence de haut niveau est transversale au sens où elle mobilise des connaissances et des méthodes issues de plus d’une discipline.
Encadré 1. Vers une approche par compétences pour l’éducation à l’environnement à Madagascar.
L’immobilisme de l’éducation environnementale constaté dans les années 1960 et 1970 (Sigaut, 2011) peut être attribué à l’influence de l’approche behavioriste. Cette approche pédagogique est fondée sur le conditionnement où l’apprentissage est vu comme un processus pour le changement de comportement.
Les bases du behaviorisme sont issues des travaux de Pavlov, de Thorndike, et de Skinner (Brahimi, 2011). Dans sa théorie sur le conditionnement répondant, Pavlov soutient l’apprentissage conditionné par un stimulus. Pour Skinner, ce conditionnement s’opère dans la théorie du renforcement et de la punition. Thorndike, avec sa théorie du connexionnisme, va tenter de combler les lacunes du conditionnement répondant en insistant sur l’apprentissage par essais et erreurs, renforcé par la répétition et par les récompenses.
À partir des années 1980, l’apprentissage est vu comme un processus de changement de structure mentale. Cette vision fut appuyée par l’orientation pédagogique du cognitivisme (Legendre, 2005). Puis, dans les années 1990, une autre évolution voit l’apprentissage comme un processus de construction de connaissance. Piaget et Vygotsky sont les pionniers de cette nouvelle vision dans leurs travaux sur le constructivisme (Masciotra, 2007) et le socioconstructivisme (Vygotsky, 1978). Les orientations cognitiviste, constructiviste et socioconstructiviste sont les concepts constitutifs de l’approche par compétences ou APC. Cette approche est la tendance actuelle dans l’éducation scolaire à Madagascar.
Matériel
Zone d’études
Le lycée technique et professionnel (LTP) Ambositra est un établissement scolaire public situé à Ambositra, commune urbaine de la région Amoron’i Mania. Actuellement, il y a trois secteurs de formation au LTP Ambositra : le secteur génie civil, le secteur industriel et le secteur tertiaire. Chaque secteur est représenté par des spécialités comme l’indique le tableau 1.
Tableau 1. Spécialités de formation au lycée technique et professionnel Ambositra.
Secteur
Spécialité
Génie civil
DM
Dessinateur-métreur
CEC
Chef d’équipe de chantier
Industriel
OB
Ouvrage bois
Tertiaire
G2
Gestion comptable
G3
Gestion commerciale
Les orientations pédagogiques en approche par compétence
Diverses taxonomies sont attribuées aux orientations pédagogiques de l’éducation environnementale, entre autres, le modèle behavioriste (Janse Van Rensburg, 1995) et l’écopédagogie (Eulefeld, 1995). Mais dans la logique de l’apprentissage en lycée technique et professionnel, la compétence ne doit pas rester dans la dimension théorique. Elle se mesure aussi et surtout sur le plan pratique. Parmi les définitions possibles, nous retenons celle avancée par Jonnaert (2009) qui souligne que « La compétence est la mise en œuvre, par une personne ou un groupe de personne, de savoirs, savoir-être, savoir-faire ou de savoir-devenir dans une situation donnée ». Cette mise en œuvre est d’une importance capitale dans le cadre de l’éducation environnementale car il s’agit ici d’impliquer la génération future dans la gestion intégrée des ressources en eau. Cette intégration requiert le savoir-agir. Tardif (2006) définit la compétence comme étant « un savoir-agir complexe qui prend appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations ». Selon Le Boterf (2006), la compétence est un savoir-agir qui suppose de savoir combiner et mobiliser des ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, réseaux) ; le vouloir-agir qui se réfère à la motivation et l’engagement personnel du sujet ; le pouvoir-agir qui renvoie à l’existence d’un contexte. En se référant à ces définitions, trois théories, à savoir, le cognitivisme, le constructivisme et le socioconstructivisme semblent pertinentes pour notre objectif (encadré 2).
Encadré 2. Trois approches théoriques de l’apprentissage : cognitivisme, constructivisme et socioconstructivisme.
Le cognitivisme consiste à traiter les capacités et processus mentaux de façon naturelle. La psychologie cognitive est mobilisée pour étudier les processus mentaux et les fonctions cognitives telles que l’attention ou la mémoire (Lieury et Léger, 2020). La psychologie sociale est la stratégie pédagogique pour développer le processus métacognitif qui est une démarche d’introspection et d’autorégulation. Les habiletés d’introspection consistent en un dialogue avec soi-même afin d’objectiver les expériences métacognitives de soi. Les habiletés d’autorégulation consistent à intervenir consciemment et délibérément dans sa démarche cognitive pour désautomatiser les conduites défavorables et renforcer les stratégies de réussite (Legendre, 2005). L’intelligence artificielle va servir également, en tant que discipline des sciences cognitives (Mangin et Gousse-Lessard, 2022), pour apprendre la GIRE.
Le constructivisme est un processus dynamique de recherche d’équilibre entre le sujet et son environnement. Le mouvement constructiviste s’inspire des travaux de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant. Il souligne que l’important dans l’apprentissage est le résultat des efforts entrepris. La connaissance du sujet se construit au fil de ses différentes interactions avec son environnement, telle est l’idée centrale de la conception de l’apprentissage. Dans ce sens, le savoir n’est pas inné ou transmis par l’environnement : c’est le résultat d’une adaptation continuelle du sujet à la réalité à connaître. L’adaptation intellectuelle est un état d’équilibre entre l’assimilation et l’accommodation – Piaget (1968) citée par Brahimi (2011). L’assimilation est la faculté du sujet à résoudre un problème nouveau en déployant ses propres outils intellectuels, son intelligence. L’accommodation est la modification de l’activité intellectuelle résultant de l’assimilation dans le cas échéant. Pour instaurer l’équilibre entre ces deux compétences, l’assimilation est suivie d’une accommodation (Masciotra, 2007).
Le socioconstructivisme est une extension du constructivisme. Vygotsky soutient que le développement des fonctions psychiques supérieures est moins génétique qu’appropriatif. En fait, l’appropriation est l’assimilation du psychisme historiquement accumulé sous forme de rapports sociaux entre les humains. Cette assimilation a besoin de médiation car le psychisme humain existe et se développe à la fois en chaque individu et hors de chacun (Thullier, 2008). Dans l’approche socioconstructiviste, l’enseignement-apprentissage interactif se coconstruit à travers des outils convenables pour l’élève (Vygotsky, 1978 ; Vygotsky et Luria, 1994). Par médiation, l’apprenant est en position de communication, d’argumentation et de réflexion car la prise de conscience détermine notre façon d’agir. Cette médiation est dynamisée par le travail du négatif ou l’accompagnement (Thullier, 2008).
Méthodes
Observation et expérimentation
Nous avons intégré l’éducation à l’environnement (EE) dans le cours de français selon les démarches pédagogiques de l’approche par compétences (APC). L’observation et l’expérimentation se sont déroulées durant trois années scolaires : de 2023 à 2025. Des textes sur la GIRE et des sujets d’ordre général ont fait l’objet d’études pour enseigner la grammaire, la conjugaison et le français. Les documents exploités pour évaluer la motivation des apprenants sont les fiches de notes, les cahiers de présence, et les cahiers d’exercice. Des tests théoriques et pratiques ont été effectués pour évaluer les compétences des apprenants à concevoir des projets environnementaux ainsi que leur esprit de créativité et d’entrepreneuriat.
Collecte et analyses des données
Pour appréhender le sujet étudié, des entretiens non directifs à questions ouvertes ont été effectués. L’échantillonnage concerne six classes des trois niveaux, issus des différentes spécialités du LTP Ambositra. Les analyses sont basées sur l’utilisation des logiciels SPSS et MS Excel. Le logiciel SPSS est utilisé pour démontrer la corrélation entre la connaissance des apprenants en GIRE, leurs connaissances en matières techniques et celles de la langue française. Pour les représentations qualitatives, les données sont traitées sur MS Excel. L’échantillonnage se résume dans le tableau 2.
Tableau 2. Échantillon des apprenants participants à l’éducation à l’environnement.
Secteur
Spécialité
Niveau
Effectif
Industriel
Ouvrage bois
3e année
28
Génie civil
Bâtiment et travaux publics
3e année
33
2e année
39
Tertiaire
Gestion comptable
2e année
26
1re année
27
Gestion commerciale
1re année
20
Résultats
Dans un premier temps, les données indiquent l’orientation actuelle de l’EE et ses impacts dans le quotidien des apprenants. Dans un second temps, les résultats de l’expérimentation de l’apprentissage de la GIRE à travers les orientations pédagogiques de l’APC seront exposés.
Appréhension de l’EE actuelle en milieu scolaire
Une évaluation diagnostique débute l’expérimentation. Pour connaître les impacts de l’orientation pédagogique actuelle et plus spécifiquement celle de l’EE sur le devenir des apprenants, l’entretien porte sur leurs métiers envisagés. La figure 1 indique les réponses les plus citées.
52,60 % des apprenants veulent devenir « ouvriers spécialisés ». Ce choix concerne surtout les apprenants en ouvrage bois et en bâtiment et travaux publics. Seuls 7,51 % des apprenants, identifiés dans la filière gestion comptable, choisissent le métier de « cadre supérieur dans des établissements publics » ou le « travail dans un organisme de micro-finance ». La « revente de marchandises générales » concerne les effectifs de la spécialité « gestion commerciale ». Quelques individus éparpillés dans les filières existantes envisagent de devenir enseignant dans un établissement public tandis que 6,94 % n’ont aucune idée en termes de métiers futurs (figure 1).
Figure 1. Évaluation diagnostique sur les métiers envisagés des apprenants.
Les connaissances des apprenants sur les causes de la destruction de l’environnement ont également fait l’objet d’une évaluation diagnostique (figure 2).
Tous les apprenants ont identifié ces trois réponses : le rejet de déchets dans les cours d’eau, les feux de brousse et la culture sur brûlis, et le déboisement massif. Très peu d’entre eux observent l’absence d’entretien des infrastructures de drainage et d’assainissement et la présence de déchets non dégradables. Environ 6 à 7 % affirment que la destruction de l’environnement dans leur milieu provient des constructions illicites et de l’incohérence du plan d’urbanisme. Ces derniers observateurs sont ceux de la filière « bâtiment et travaux publics » (figure 2).
Figure 2. Évaluation diagnostique des connaissances des apprenants sur les causes de la destruction de l’environnement.
Les apprenants sont majoritairement originaires de famille d’agriculteurs et sont souvent confrontés aux problèmes liés au manque d’eau à la période de repiquage. La figure 3 présente leurs connaissances sur la gestion des ressources en eau.
Les problèmes liés à l’eau concernent en premier lieu la pollution issue des déchets urbains : tous les apprenants ont donné cette réponse et expliqué que l’insalubrité de l’eau est un facteur démotivant pour son usage agricole. 84,39 % des apprenants ont eu connaissance de conflits entre usagers de l’eau se manifestant à la période de mise en boue en riziculture. 75,72 % des interviewés expriment que les problèmes de sècheresse ou d’inondation proviennent de la perturbation climatique. Selon environ 60 % des apprenants, la déstabilisation du calendrier agricole et la difficulté d’approvisionnement en eau potable en saison sèche viennent de la non-maîtrise de l’eau. Très peu d’entre eux expriment les problèmes concernant les infrastructures hydroagricoles et les techniques d’irrigation. Les apprenants affirment avoir connu ces questions environnementales dès l’enseignement primaire (figure 3).
Figure 3. Évaluation diagnostique sur les connaissances des apprenants sur les problèmes liés à l’eau.
À travers l’EE à l’école, les apprenants ont appris dès leur plus jeune âge des solutions environnementales (figure 4).
Quatre réponses obtenues sur les solutions connues par les apprenants pour la restauration de l’environnement ont été présentées de façon unanime avec des formulations à l’impératif. Pour 100 % des cas, les résultats indiquent des interdictions au feu de brousse et au déboisement d’une part, et l’ordre de jeter les ordures dans le bac à ordure et de faire le reboisement d’autre part. 34 % expriment une réponse spécifique relative à l’interdiction d’émission de gaz à effet de serre (figure 4).
Figure 4. Évaluation diagnostique sur les connaissances des apprenants sur les solutions connues pour la restauration et la protection de l’environnement.
Mise en pratique de l’APC dans l’EE basée sur la GIRE
Dans le cadre de l’APC, on a demandé aux apprenants de faire des exposés par groupe. En réponse, ils ont conçu des projets respectueux de l’environnement (figure 5).
Les apprenants ont eux-mêmes conçu et réalisé des projets en réponse aux exposés par groupe. Les connaissances qui s’y rapportent résultent de travaux de recherche, de réflexion et d’expériences qu’ils ont effectués. 89 % des apprenants en ouvrage bois expriment la nécessité de bien traiter et travailler le bois pour plus de valeur ajoutée. Ils expliquent que la production massive de meuble de mauvaise qualité accentue la déforestation. Les apprenants ont également exprimé l’importance de la gestion des déchets : réutilisation des sciures pour combustible au foyer (43 %) et transformation des sciures en contre-plaqué (98 %). Ces projets ont conduit à des actions concrètes menées sur leur propre initiative, à leur domicile. Les activités comme la production de charbon écologique, la transformation et la réutilisation de sciures et le traitement de bois leur assurent un revenu supplémentaire (figure 5).
Figure 5. Les nouvelles compétences développées par les apprenants résultant de l’approche par compétences.
Au cours de l’apprentissage, les réponses données par les apprenants aux questions sur les métiers envisagés exposent de nouvelles idées (figure 6) par rapport à la situation initiale (figure 1).
Ces métiers sont liés à leurs spécialités (tableau 2) et à la vie quotidienne en tant qu’enfants issus de familles d’agriculteurs. Les apprenants sont conscients du fait que pour entreprendre, il faut aussi promouvoir le développement durable tout en protégeant les ressources en eau. La totalité des apprenants du génie civil sont conscients que la conception de grande ville, dans l’avenir, nécessite leurs compétences (figure 6).
Figure 6. Nouveaux objectifs des apprenants en termes de métiers envisagés.
La figure 7 illustre l’évolution constatée de cette expérimentation répartie sur cinq périodes d’observations.
Sur l’échelle de 0 à 20, les notes des apprenants suite à des tests soulignent que les connaissances en GIRE incitent la conception de projet environnemental. En tant que discipline transversale, l’apprentissage de la GIRE par l’APC favorise l’esprit entrepreneurial et l’esprit de créativité. Cultiver la motivation à apprendre pour maîtriser sa spécialité requiert une période plus large car certaines disciplines liées à l’enseignement général sont difficiles à maîtriser. Cette motivation est constatée au travers de l’amélioration des notes des apprenants. Elle s’observe également dans leur assiduité, ponctualité, dévouement et l’effort sous toutes ses formes (figure 7).
Figure 7. Courbe illustrant l’interdisciplinarité de l’éducation à l’environnement et l’évolution de son apprentissage.
La GIRE s’appuie sur des critères d’efficience économique, d’équité sociale et de durabilité environnementale. En sensibilisant à la GIRE, le comportement et la mentalité des apprenants changent. Nous avons analysé la corrélation entre les compétences en GIRE et la maîtrise des disciplines scientifiques (figure 8).
On observe une amélioration constante dans la maîtrise des disciplines scientifiques chez les apprenants ayant un niveau de compétences élevé en GIRE. La valeur minimale des notes débute au-dessus de 4/10 lors de l’évaluation diagnostique de leurs compétences en GIRE et en matières techniques. Avec les processus d’autorégulation et d’introspection, d’assimilation et d’accommodation, de médiation et d’accomplissement, ces notes augmentent progressivement. Avant l’évaluation finale, sa valeur maximale s’élève déjà à 10/10.
Figure 8. Corrélation entre compétence en gestion intégrée des ressources en eau et maîtrise des disciplines techniques.
Comme l’EE est enseignée par le biais de l’enseignement de la langue française, la relation produite par l’association entre ces deux variables et la maîtrise des disciplines techniques ont été analysées (figure 9).
Le résultat sur la corrélation entre la langue française et les compétences en GIRE indique que les deux variables interagissent. L’enseignement/apprentissage du français réalisé dans le contexte de la GIRE favorise la compétence linguistique. Cette dernière permet la maîtrise des disciplines techniques (figure 9).
Figure 9. Corrélation entre maîtrise de la langue française et connaissance théorique en gestion intégrée des ressources en eau.
Discussions
Orientation behavioriste de l’EE en milieu scolaire actuelle
L’évaluation diagnostique montre que l’EE actuelle reste fortement influencée par le behaviorisme, centré sur la transmission théorique et s’appuie sur l’accumulation de connaissances (figures 1 à 4). Cette orientation engendre chez les apprenants des habiletés de bas niveau intellectuel tels que le verbalisme excessif et la mémorisation abusive. Cette analyse est identique à celle présentée par Brahimi (2011).
Dans la figure 4, les réponses des apprenants sur leurs connaissances environnementales sont formulées à l’impératif avec des expressions d’ordre et d’interdiction. En outre, la majorité des apprenants souhaitent devenir ouvriers spécialisés (figure 1), un choix influencé par cette orientation pédagogique et par l’absence d’une véritable éducation environnementale dans l’enseignement technique et professionnel. Bien que celle-ci soit intégrée dans les cours de langue malgache, ses retombées ne correspondent pas à la vision du développement durable. Sous l’influence des matières techniques, les pratiques éducatives développées tendent à produire de simples exécutants au service d’un modèle productiviste, un constat déjà identifié en France (Laval, 2009).
Vers l’application effective de l’APC pour une concrétisation de la GIRE
L’expérimentation basée sur la métacognition, ou capacité à réfléchir sur ses propres processus mentaux, montrent qu’en se questionnant, les apprenants développent une nouvelle perception d’eux-mêmes et deviennent promoteur d’un monde meilleur (figures 5 et 6). Ce résultat rejoint les travaux de P. Allix (2021), qui mettent en avant l’effet bénéfique de la métacognition sur la compréhension cognitive et la réussite des élèves. Une corrélation positive (figures 8 et 9) est établie entre l’acquisition de compétences en GIRE et la maîtrise des disciplines techniques. Le résultat sur l’évolution de l’apprentissage démontre une amélioration dynamique des apprenants. L’apprentissage contextualisé a renforcé chez les élèves l’esprit entrepreneurial, la créativité, la motivation et la capacité à concevoir des projets environnementaux. Cette contextualisation favorise l’engagement cognitif, physique et psycho-affectif des élèves (Boelen et Nicolas, 2023).
Les travaux de groupe ont conduit à des réalisations concrètes (figure 5) adoptées durablement par certains élèves. Après avoir acquis une nouvelle compétence (assimilation), les apprenants en cherchent une autre ou bien tentent d’apporter une amélioration ou modification aux créations réalisées (accommodation). Il est à souligner que ces créations font partie de la concrétisation de la GIRE dont le contenu intègre aussi la science de la vie et de la terre. Une étude récente aborde dans son résultat que le constructivisme permet aux élèves l’autoconstruction de connaissance et facilite l’enseignement de la science de la vie et de la terre (Ghariz et al., 2023).
La maîtrise du français, langue d’enseignement à Madagascar, s’avère cruciale pour accéder aux connaissances en GIRE (figure 8). Cela justifie l’intégration de l’éducation environnementale dans les cours de français, en s’appuyant sur une médiation pédagogique active (Koubeissy et al., 2023). L’aspect socioconstructivisme de l’apprentissage permet d’entretenir de façon pérenne les compétences.
L’étude met en évidence que les dimensions cognitiviste, constructiviste et socioconstructiviste de l’APC intègrent les principes d’une éducation pour un avenir viable. Cette éducation favorise la construction de savoirs coopératifs et non mercantiles afin d’établir une relation de parenté, d’empathie et de bienveillance à l’égard de l’environnement global (Gilbert et Boutet, 2022). Les projets élaborés apportent aussi des revenus (figure 5) et stimulent la poursuite d’objectifs personnels (figure 6), contribuant ainsi au développement durable et à l’émergence de jeunes promoteurs de l’éducation environnementale. Les activités réflexives permettent aux apprenants de mobiliser leurs savoirs au service de l’environnement, comme cela a aussi été observé dans des formations en ostéopathie (Quesnay et al., 2022). Janse van Rensburg (1995) parle d’une réflexivité porteuse de « savoir transformateur », orientée vers un changement social.
Si 98 % des apprenants se sont mobilisés pour la fabrication de charbon écologique, sans y être obligés ou sensibilisés, c’est que la réflexivité a apporté un changement radical dans le quotidien de ces jeunes. Idem pour les apprenants de la section « ouvrage bois » dont une majorité préfère transformer les sciures en contre-plaqué plutôt qu’en combustible. Leur apprentissage leur a permis la rationalisation : un contre-plaqué est plus écologique qu’un combustible, et offre plus de valeur ajoutée. L’évolution des aspirations professionnelles (figure 6) et la transversalité disciplinaire de l’EE (figure 7) rappellent les travaux de A. El Azzouzi (2023), qui montrent l’impact positif de l’EE sur la compréhension des sciences physiques et la motivation vers des carrières scientifiques. Ces résultats se recoupent avec ceux de cette recherche, où les élèves envisagent désormais des professions alignées avec la préservation de l’environnement et des ressources en eau (figure 6).
Conclusion
Dans le cadre de cette recherche, l’éducation environnementale a servi d’outil pour la concrétisation de la gestion intégrée des ressources en eau. Pour ce faire, une méthodologie basée sur les orientations pédagogiques de l’approche par compétences a été adoptée. L’expérimentation a été menée auprès des apprenants du lycée technique et professionnel Ambositra à travers un dispositif d’enseignement/apprentissage axé sur l’éducation environnementale.
L’analyse de la situation actuelle de l’éducation environnementale souligne une prédominance du behaviorisme dans les pratiques pédagogiques. Les forces de cette approche consistent à instaurer la discipline et favoriser la mémorisation. En revanche, elle favorise l’immobilisme : les savoirs enseignés ne débouchent pas sur des actions concrètes ; les activités anthropiques nuisibles à l’environnement persistent ; les apprenants demeurent passifs. De plus, les retombées de cette approche sur les performances scolaires demeurent faibles.
Face à cet immobilisme, une approche cognitiviste a été mise en œuvre au cours de l’apprentissage pour favoriser l’introspection et l’autorégulation des apprenants. Dans une perspective de développement de compétences – définies comme un savoir-agir complexe – l’approche socioconstructiviste a également été mobilisée, mettant l’accent sur la médiation et la réalisation d’actions concrètes. D’autres dimensions pédagogiques issues de diverses taxonomies de l’éducation environnementale, telles que l’éducation pour un avenir durable et la réflexivité, se retrouvent également dans l’APC.
Il en résulte que la combinaison de l’APC, de la GIRE et de l’enseignement du français favorise la maîtrise des disciplines techniques et scientifiques. Ce résultat est pertinent dans le cadre du développement durable car il contribue à la gestion des ressources naturelles.
Allix, P. (2021). Les sciences cognitives au service de la réussite scolaire des collégiens : bénéfices d’un programme pédagogique métacognitif axé sur le fonctionnement cérébral et cognitif dans les apprentissages [thèse de doctorat, Normandie Université]. HAL thèses. https://theses.hal.science/tel-035454allix13v1
Boelen, V., & Nicolas, L. (2023). Les pratiques d’ « éducation par la Nature » : une approche éducative émergente à l’ère de l’Anthropocène. Éducation Relative À L Environnement, Volume 18.2. doi:10.4000/12fjl
Brahimi, C. (2011). L’approche par compétences : un levier de changement des pratiques en santé publique au Québec.Institut National de Santé Publique du Québec. http://www.inspq.qc.ca
El Azzouzi, A., Elachqar, A., & Kaddar, F. (2023). L’éducation environnementale et les enjeux scientifiques de l’apprentissage des sciences physiques : recherche sur l’évolution de l’intérêt des apprenants. SHS Web Of Conferences, 175, 01001. doi:10.1051/shsconf/202317501001
Eulefeld, G. (1995). Environmental education in the Federal Republic of Germany. History Of European Ideas, 21(1), 17‑29. https://doi.org/10.1016/0191-6599(94)e0092-s
Ghariz, G., Boucetta, N., Boubih, S., Alaoui, M. E., Idrissi, R. J., & Seghir, H. (2023). L’approche Constructiviste dans l’Enseignement des Sciences de la Vie et de la Terre au Maroc. SHS Web Of Conferences, 175, 01008. doi:10.1051/shsconf/20231750100
Gilbert, M., & Boutet, M. (2022). Éducation pour un avenir viable et formation pratique en enseignement : Vers un écodispositif d’intégration. Éducation Relative À L Environnement, Volume 17-2. doi:10.4000/ere.9459
Janse Van Rensburg, E. (1995). Environmental education and research in Southern Africa. A landscape of shifting priorities.[thèse de doctorat, Chair of Environmental Education, Rhodes University]. https://vital.seals.ac.za/vital/access/manager/Repository/vital:1513
Jonnaert, P. (2009). Compétences et socioconstructivisme : un cadre théorique. Perspective en éducation et formation. De boeck.
Koubeissy, R., Malo, A., & Borges, C. (2023). La médiation sociale pour comprendre l’expérience socioscolaire d’élèves immigrantes : regards croisés d’enseignantes et d’élèves autour des pratiques de soutien à l’apprentissage. Éducation et Francophonie, 51(2). doi:10.7202/1109677ar
Laval, C. (2009). La réforme managériale et sécuritaire de l’école. Dans R. Gori, B. Cassin, & C. Laval (dir.). L’appel des appels, l’insurrection des consciences (pp. 153-168). Fayard.
Le Boterf, G. (2006). Construire les compétences individuelles et collectives, Éditions d’Organisation.
Legendre, M. F. (2005). Lev Vygotsky et le socioconstructivisme en éducation. Dans C. Gathier & M. Tardif (dir.), La pédagogie : théories et pratiques de l’Antiquité à nos jours (pp. 333-349). Gaétan Morin Éditeur.
Lieury, A., & Léger, L. (2020). Introduction à la psychologie cognitive (2e édition). Dunod
Mangin, C., & Gousse-Lessard, A. (2022). Les sciences cognitives face aux changements climatiques : apports et limites pour l’éducation relative à l’environnement. Éducation Relative À L Environnement, Volume 17-1. doi:10.4000/ere.8307
Masciotra, D. (2007). Le constructivisme en termes simples. Vie pédagogique, 143, 48-53. https://www.researchgate.net/publication/249008500
Perrenoud, P. (1995). Des savoirs aux compétences. De quoi parle-t-on en parlant de compétences ? Pédagogie collégiale, 9(1), 21-24.
Piaget, J. (1968). Le structuralisme. Collection « Que sais-je ? ». Presses Universitaires de France.
Quesnay, P., Poumay, M., & Gagnayre, R. (2022). Accompagner la mise en œuvre de l’approche par compétences dans les formations en santé : perspectives d’une stratégie de changement pragmatique portée par un individu tercéisateur dans un institut de formation en ostéopathie. Pédagogie Médicale, 23(1), 49‑67. https://doi.org/10.1051/pmed/2022001
Sigaut, O. (2011). L’éducation à l’environnement, entre politique et politiques publiques. Éducation Relative À L Environnement, Volume 9. doi:10.4000/ere.1491
Tardif, J. (2006). L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement. Chenelière Éducation.
Thullier, J. (2008). Dialectique et Médiation dans la pensée de Vygotski. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 42, 69-82.
UNESCO. (1978). Rapport final. Conférence intergouvernementale sur l’éducation à l’environnement. Tbilissi, République de Géorgie (anciennement URSS), 14 au 26 Octobre 1977. Paris.
Vygotsky, L. S. (1978). Mind in society: The development of higher psychological processes. Harvard University Press.
Vygotsky, L. S., & Luria, A. (1994). Tool and symbol in child development. Dans R. Van Der Veer & J. Valsiner (dir.), The Vygotsky reader (pp. 99-175). Blackwell.
Résumé
Dans le contexte scolaire, l’approche par compétences (APC) s’impose aujourd’hui comme une orientation pédagogique dominante. Toutefois, dans le système éducatif malgache, sa mise en œuvre reste largement théorique et peu concrète, comme en témoignent les pratiques quotidiennes, notamment dans le domaine de l’éducation à l’environnement. L’objectif de cette recherche consiste à examiner les retombées des orientations pédagogiques de l’éducation environnementale fondée sur l’APC. L’expérimentation menée sur trois années scolaires a été réalisée auprès des élèves du lycée technique et professionnel Ambositra. Ces derniers ont bénéficié d’une éducation environnementale articulée autour de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) en mobilisant les démarches propres à l’APC. Les résultats montrent que l’intégration de la GIRE, en tant que discipline scientifique transversale, favorise la maîtrise des disciplines techniques. De plus l’adoption des courants pédagogiques du cognitivisme, du constructivisme et du socioconstructivisme dans le processus d’apprentissage contribue à former des citoyens responsables, autonomes et engagés. Ces approches favorisent l’association entre les compétences et le savoir-agir, condition essentielle à la promotion d’un développement durable et à la pérennité environnementale.