Typologie des ripisylves des rivières de Guadeloupe, un premier pas vers le développement de techniques de génie végétal avec des espèces locales
Chapeau
En Guadeloupe, l’écosystème des berges de rivières en milieu urbain est souvent impacté et fragilisé par des aménagements de génie civil réalisés pour protéger les biens et les personnes des risques naturels. L’artificialisation des berges pourrait toutefois être évitée par le recours aux techniques de génie végétal, qui consistent à utiliser les végétaux dans les ouvrages de protection. Le projet « PROTÉGER » vise à promouvoir et développer ces techniques sur les rivières de Guadeloupe. Cet article présente la première phase du projet qui a permis de mettre en place une typologie des ripisylves de Guadeloupe et de sélectionner les espèces végétales locales les plus adaptées au maintien et au renforcement des berges de cours d’eau.
La Guadeloupe, l’île aux belles eaux
La Guadeloupe fait partie de l’archipel des Antilles et est composée de deux îles principales : la Grande-Terre à l’est et la Basse-Terre à l’ouest, séparées par un bras de mer nommé la Rivière salée. La Guadeloupe bénéficie d’un climat tropical où se distinguent deux saisons : la saison sèche, de janvier à juin, appelée carême et la saison des pluies, dite « hivernage », qui se déroule entre juillet et décembre. La Grande-Terre avec ses plateaux calcaires culmine à 136 mètres d’altitude et subit de sévères sécheresses. La Basse-Terre avec son volcan
La végétation de Guadeloupe est riche de 1 706 plantes vasculaires. Elle recèle de nombreuses espèces endémiques des Petites-Antilles. Selon les groupes taxonomiques, l'endémisme passe de 10 % à plus de 30 %. Avec 367 espèces, le nombre d'arbres dans l'archipel de la Guadeloupe est presque trois fois supérieur à celui de l'Europe. Parmi les 1 706 plantes vasculaires de l’île, on compte aujourd'hui 256 espèces menacées sur la liste rouge UICN
L’hétérogénéité des conditions topographiques et pluviométriques explique que la grande majorité des cours d’eau se trouvent sur la Basse-Terre ; plus de cinquante cours d’eau à écoulement permanent drainent ainsi l’île. Lorsqu'elles traversent des paysages agricoles, ces rivières sont souvent associées à des corridors forestiers qui les bordent.
Ce sont des petits bassins versants de 10 à 40 km² qui alimentent ces cours d’eau. Les temps de concentration y sont très courts et les débits peuvent ainsi monter rapidement. Leur régime hydrologique associé est principalement de type torrentiel, largement influencé par les pluies journalières et les variations saisonnières.
L’artificialisation des cours d’eau de Guadeloupe
La démographie guadeloupéenne a connu une forte augmentation durant les années 1980. Avec elle, l’urbanisation et la rurbanisation n’ont cessé de croître et de nombreuses constructions ont vu le jour dans des zones à risques, en particulier aux abords des rivières.
Au niveau de ces zones à risques, les maisons sont susceptibles d’être soumises à des inondations récurrentes. Certains terrains privés voient leur surface diminuer à cause de l’érosion des berges des rivières attenantes, qui doivent alors être aménagées pour protéger les biens et les personnes. C’est la Région Guadeloupe qui intervient et réalise ces travaux dans le cadre de son « Programme pluriannuel des travaux de restauration et d'entretien des cours d'eau et ravines ». Les travaux réalisés sont variés et nombreux, le plus commun étant le confortement des berges par enrochement ou mise en œuvre de mur de gabions. L’exemple de la Rivière des Pères illustre la stabilisation des berges au droit d’une usine, par pose d’un mur en gabions (photo 1).
Selon les besoins, la canalisation de certains cours d’eau constitue également une solution mise en place ; la plus connue étant celle de la Rivière aux Herbes (photo 2). En 2004, la Région Guadeloupe a décidé de subventionner un aménagement pour limiter les dégâts causés par les crues dans le bourg de Basse-Terre. Cet aménagement a consisté à canaliser l’aval du cours d’eau sur une longueur de 140 mètres.
Photo 1 – Rivières des pères, Baillif, Guadeloupe.
Source : André Evette.
Photo 2 – Rivière aux herbes, Basse-Terre, Guadeloupe.
Source : André Evette.
D’autres techniques d’aménagement ont été testées, occasionnellement et sur des petits tronçons, par la Région Guadeloupe. Un aménagement dit de technique mixte a ainsi été réalisé sur la rivière Lostau, commune de Bouillante. Il est constitué d'un enrochement homogène de blocs d’andésite du pied de berge au haut de berge, accompagné de plantations de vétiver et de poirier pays en haut de talus (Evette, 2015).
L'artificialisation des berges est donc en constante augmentation en Guadeloupe. Bien que rassurante pour les propriétaires riverains, cette artificialisation a des conséquences néfastes sur l'équilibre de « l'écosystème rivière ». Elle dégrade ces milieux potentiellement riches que représentent les berges, et compromet ainsi les fonctions et services qu'ils assurent. En effet, la végétation des berges joue un rôle prépondérant au sein des écosystèmes d’eau courante et de continuité écologique terrestre. Sa grande diversité, véritable patrimoine écologique, renferme une réserve génétique au potentiel inestimable. La végétation riveraine offre également à la faune aquatique une mosaïque d’habitats indispensable aux alevins de poissons et larves de crustacés qui y trouvent refuge le temps de grandir. Elle constitue par ailleurs une source de nourriture sans cesse renouvelée. Cette végétation particulière joue également un rôle d’ombrage et de régulation thermique des eaux. Elle s’apparente à un filtre en participant à la rétention des particules en suspension dans les eaux de ruissellement provenant des terres voisines ; ce rôle est d’autant plus important qu’il protège les récifs coralliens très sensibles à la turbidité de l'eau et à la sédimentation. Elle freine les courants pendant les crues, filtre les pollutions diffuses et maintient les berges. La ripisylve remplit ainsi de nombreux services écosystémiques. Outre les espèces végétales autochtones inféodées aux milieux rivulaires, les ripisylves accueillent également les animaux qui y transitent. Lorsqu'elles sont suffisamment développées, ces formations constituent un corridor écologique, fonction essentielle à la conservation de la biodiversité des rivières et des milieux connexes. Ces corridors riverains permettent aux animaux terrestres de passer d'un site favorable à un autre, et constituent des axes privilégiés pour la circulation d’oiseaux et de propagules végétales. Ils créent ainsi une continuité dans des milieux souvent fragmentés. Les corridors boisés le long des cours d’eau jouent de ce fait un rôle direct privilégié aux interfaces de la trame verte et de la trame bleue. La conservation d’une ripisylve de qualité et de ses fonctions de corridors associées apparaît donc particulièrement importante à ce titre. L’aménagement des berges dégradées à l’aide de technique de génie végétal permettrait la réapparition de la végétation des berges et contribuerait donc directement à la restauration du bon potentiel écologique du cours d’eau, dans un souci d’atteinte du bon état écologique
Des débuts balbutiants pour le génie végétal en Guadeloupe
En Guadeloupe, un certain nombre de tentatives de mise en place de techniques de génie végétal sur les berges de cours d’eau ont ainsi été initiées. Deux études menées en 2001 à la demande de la Direction de l’environnement (DIREN) visaient ainsi à s’interroger sur les techniques de génie végétal pouvant être développées sur le territoire. L’une fut menée par le bureau d’étude Biotec (Adam, 2001), l’autre par l’université Antilles-Guyane (Rousteau, 2001).
En 2005, l’Office national des forêts (ONF) fut mandaté par la DIREN pour travailler sur la première phase du plan de gestion de la Grande Rivière à Goyaves. Ce plan incluait un relevé des espèces dominantes des ripisylves et projetait la création d’ouvrages de génie végétal (reconstitution de ripisylves par plantations et bouturages, fascines, lits de plants et plançons, techniques mixtes…) (DIREN Guadeloupe, 2005a ; DIREN Guadeloupe, 2005b). Ce projet n'a malheureusement jamais vu le jour.
En 2015, lors de la mission d’expertise de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) (Evette, 2015), l’utilisation de vétiver a pu être notée sur deux sites, sur des talus au-dessus d’enrochements, accompagnée ou non par un linéaire de plantations ligneuses. Ces essais ont été réalisés sur la ravine Caco à Gourbeyre et sur la rivière Lostau à Bouillante.
Les retours d’expérience en génie végétal restent donc faibles et s’apparentent plus à du verdissement de travaux de génie civil qu’à des techniques mixtes ou des techniques de génie végétal issues de l’ingénierie écologique. La composition floristique rivulaire naturelle est d’ailleurs peu respectée. En effet, l’espèce la plus couramment utilisée correspond à une espèce exotique : le vétiver. En outre, l’utilisation de cette dernière n'aide pas l’amorce de la reconquête des espèces indigènes et la restauration d'une végétation rivulaire fonctionnelle. Les techniques employées jusque-là ne répondent donc pas à la définition du génie végétal.
Le génie végétal est un ensemble de techniques de construction fondées sur l’observation et l’imitation des modèles naturels pour répondre à des problématiques d’aménagement du territoire.
Un des préalables au génie végétal est donc de bien connaître les modèles naturels à imiter. Malheureusement, en Guadeloupe, les connaissances sur les cortèges floristiques des corridors rivulaires restaient jusqu’alors insuffisantes. En effet, avant la présente étude et à notre connaissance, aucun travail scientifique n'avait porté sur la composition floristique de cet écotone. Il est à noter que simultanément à ce travail, un projet de thèse sur les ripisylves a été mené par l'Université des Antilles. Le présent article expose les résultats de la description des ripisylves de Guadeloupe et la description des espèces potentiellement utilisables en génie végétal, travail qui correspond à la phase 1 d’un projet global de promotion et de développement du génie végétal sur les rivières de Guadeloupe : le projet PROTÉGER, décrit dans l’encadré 1.
Encadré 1 – Le projet PROTÉGER, Un projet de protection des populations et de conservation du patrimoine naturel.
Depuis sa création en 1989, le parc national de la Guadeloupe (PNG) a pour mission principale de veiller à la bonne conservation du patrimoine naturel. Sur les espaces qu'il préserve, il assure la gestion et la restauration des habitats à haute valeur environnementale, en considérant la flore et la faune associées. Depuis 2009, ces actions ne sont plus uniquement centrées sur les cœurs de parc mais s’élargissent aujourd’hui à 21 communes avoisinantes dont 20 adhérentes. Le parc national devient ainsi un véritable acteur du développement durable au service d’un territoire inclus dans l'un des 35 points chauds de biodiversité dans le monde. Puisque la majorité des cours d'eau de la Basse-Terre prennent naissance dans le cœur du parc national, c’est tout naturellement que le parc national de la Guadeloupe s’est préoccupé de la préservation de la qualité biologique des rivières et du maintien de leur fonctionnement écologique. Des inventaires de biodiversité, mais également des expérimentations visant à l'amélioration de la continuité écologique sur les cours d'eau de Guadeloupe sont ainsi menés par les équipes de l’établissement. Ces études aspirent à compléter les connaissances sur ces écosystèmes.
En complément de ces études, et pour lutter contre l'artificialisation progressive des berges, le parc national s’est engagé, dans sa charte de territoire, à développer des projets permettant de « préserver les milieux d'eau douce » et de « maintenir et restaurer les corridors écologiques » (Parc national de Guadeloupe, 2014). Pour mener à bien ces objectifs, le parc national de la Guadeloupe lance un projet d’intérêt public visant à développer des techniques de génie écologique utilisables dans le cadre du confortement des berges des rivières, et résistantes aux conditions climatiques extrêmes rencontrées. C’est dans cet objectif et suite à une mission d'expertise d’Irstea (Evette, 2015) mandatée par le service « Patrimoines » du parc national, qu’est lancé en 2015 le projet PROTÉGER : « Promotion et développement du génie-écologique sur les rivières de Guadeloupe ».
L’objectif principal du projet PROTÉGER est de préserver la biodiversité des milieux aquatiques de Guadeloupe, tout en protégeant la population et leurs biens des risques encourus lors des crues et événements cycloniques, via l’utilisation de techniques de génie végétal. Le projet PROTÉGER développe une approche globale, il part ainsi de la description des milieux naturels, prévoit le développement des connaissances nécessaires à l'utilisation de plantes autochtones, la réalisation de chantiers pilotes et se finalise par la création d'outils permettant le transfert des connaissances acquises vers le territoire (fiches techniques, site internet, formation...). Le projet s'inscrit donc pleinement dans son territoire avec des partenariats entre les gestionnaires de l'environnement, les scientifiques et les collectivités locales. Il se décompose en 4 phases :
• la phase 1, objet du présent article, a permis de caractériser les ripisylves et d’améliorer les connaissances des espèces qui les constituent, tout en sélectionnant des espèces d’intérêt à utiliser pour les techniques de génie végétal ;
• la phase 2, en cours, a pour but de s'assurer que les espèces autochtones sélectionnées possèdent les propriétés biologiques et mécaniques indispensables à leur utilisation dans des chantiers de génie végétal. Elle teste également les techniques utilisables en Guadeloupe sur des chantiers pilotes expérimentaux ;
• la phase 3 sera consacrée à transférer les connaissances et les compétences aux partenaires intéressés, et à établir en routine des chantiers de stabilisation de berges via des techniques de génie végétal ;
• la phase 4 permettra la diffusion des connaissances acquises vers la région Caraïbe par l'élaboration d'un guide méthodologique.
Figure 1 – Schéma synthétique présentant le projet PROTEGER et ses 4 phases.
Le génie végétal étant une solution fondée sur la nature, la première phase du projet a donc consisté à définir la typologie des ripisylves existantes et à déterminer les espèces végétales indigènes qui participent au maintien des berges des rivières. En développant un socle indispensable et novateur, cette phase ouvre la voie à la valorisation des espèces indigènes dans les futurs chantiers d'aménagement. L'indigénat caractérise un taxon, une population ou un groupement végétal dont la présence dans le lieu où il se trouve aujourd'hui est tellement ancienne (notion d'archéophyte) qu'on ne peut présupposer de son caractère natif ou introduit (Métailié & Da Lage, 2015). L'exemplarité du projet repose sur la promotion de cet indigénat. En effet, l'état des ripisylves de Guadeloupe est actuellement préoccupant. Ces habitats sont menacés par la forte pression d'espèces exotiques : les 3/4 des berges étudiées dans cette phase 1 abritent des espèces exotiques et 1/4 des espèces inventoriées sont exotiques. La flore autochtone régresse, remplacée localement par des espèces exotiques, dont certaines très envahissantes, forment des peuplements pérennes paucispécifiques ou parfois monospécifiques. Une homogénéisation biotique progressive affecte ainsi les milieux ripicoles de basse altitude.
La mise en place de techniques de génie végétal doit prendre en compte ce constat, en veillant à ne pas aggraver la situation. L'utilisation d'espèces telles que le vétiver, le bambou ou le gliricidia (espèces utilisées dans le génie végétal en milieu tropical) dans le cadre des chantiers du projet PROTÉGER est proscrite. Car en plus d'être un outil de protection des berges, PROTÉGER vise la restauration des ripisylves autochtones.
En promouvant les espèces indigènes, le parc national travaille à la restauration des services écosystémiques des ripisylves et remplit ainsi sa mission de conservation du patrimoine naturel antillais.
Méthodologie et résultats
L'étude de la typologie des ripisylves de Guadeloupe et la proposition d'espèces utilisables en génie végétal sur les berges (Gayot et al., 2018) ont été confiées par le parc national de Guadeloupe à l'Office national des forêts. Ces résultats ont permis de fortement améliorer les connaissances sur ces milieux et leurs espèces, jusqu'ici peu documentées.
La zone d’étude
La première étape de cette étude a consisté en la définition des cours d'eau qui serviraient aux inventaires. Dans cet objectif, la cartographie des unités écologiques de Guadeloupe (Rousteau et al., 1996) et leurs niveaux d'anthropisation (Gayot et al., 2018) ont été croisés avec les données hydrogéomorphologiques (Guillen & Legendre, 2017) afin de sélectionner 15 cours d'eau représentatifs de la diversité des configurations rencontrées sur le territoire (figure 2 et figure 3).
Chaque cours d’eau a fait l’objet d’inventaires sur trois stations de 100 m de long réparties de l’aval à l’amont, elles-mêmes divisées en trois profils en travers, distants de 25 m ; soit un total de 135 profils représentant 270 berges décrites et inventoriées. Chaque station incluait si possible un méandre > 45° permettant d’intégrer une zone perturbée (glissement, érosion...) pour étudier le comportement de la flore et les espèces candidates pour le génie végétal.
Figure 2 – Présentation des stations inventoriées en fonction du gradient de pluviométrie.
Source : Gayot et al., 2018.
Figure 3 – Présentation de stations inventoriées en fonction de l'altitude.
Source : Gayot et al., 2018.
Les zones au-delà de 500 m d’altitude
Le protocole
Les cortèges floristiques ont été inventoriés par strate (herbacée : < 1 m ; arbustive : 1-5 m et arborée : > 5 m). Une espèce arborée peut donc occuper plusieurs strates suivant son stade. Les plantes dominantes de chaque strate ont été inventoriées sur une bande perpendiculaire à l’écoulement du cours d’eau, de 10 m de large pour la végétation non arborée et de 20 m pour la végétation arborée. Cette bande, centrée sur le profil, allait de la partie végétalisée la plus basse à la plus haute de la berge. L'identification des espèces s'est faite in situ ou d'après les échantillons collectés. La taxonomie et les statuts (protection, UICN) suivent le référentiel TaxRef10 de l’Inventaire national du patrimoine naturel. Le statut biogéographique suit l’arrêté du 8 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire de la Guadeloupe qui représente la révision la plus récente de l’indigénat en Guadeloupe.
Les résultats
La typologie des ripisylves a été construite en deux étapes. D'abord sur les types qui ont été définis par analyse statistique (Db-RDA : analyse de redondance basée sur les matrices de distances) via la construction d'un arbre de régression multivariée. Puis, sur des critères simples qui permettent à un observateur non spécialiste de détecter cette typologie sur le terrain tels que l’altitude, la pente ou encore le niveau de jonction entre les houppiers des deux rives (connexion des ripisylves).
L’étude a ainsi montré que l’altitude est statistiquement le facteur le plus discriminant pour construire la typologie des ripisylves. Sur ce critère, trois groupes sont ainsi définis : < 125 m, 125-300 m et > 300 m d’altitude, subdivisés ensuite suivant leur pente et leur largeur (approchée par la connexion des houppiers). À ces types sont associés des cortèges d’espèces indigènes caractéristiques d'un cortège floristique préservé et utilisables dans le cadre d'une restauration de l'habitat.
L’étude a également mis en évidence la richesse spécifique des ripisylves. Sur les 270 berges, 302 espèces dont 231 indigènes (dont certaines menacées ou protégées) ont été rencontrées ; soit 10 % de la flore indigène – et ce nombre aurait continué d’augmenter si de nouvelles berges avaient été inventoriées. La majorité des espèces est arborée, reflétant la nature très forestière de l’archipel et son exceptionnelle diversité.
Bien que cantonné aux ripisylves, ce travail constitue la plus importante base de données sur les relations entre plantes indigènes et environnement de Guadeloupe, grâce notamment aux nombreuses variables environnementales relevées par espèce. Cette base permet de construire le spectre des espèces spécialistes à généralistes et de montrer quelles sont les variables les plus importantes pour chaque espèce (salinité, pente de berge, altitude, pluie décennale…).
À partir de cette base, ont été sélectionnées 80 espèces pour lesquelles les critères utiles au génie végétal avaient été documentés à partir d’observation de terrain et de bibliographie. Sur cette première sélection d’espèces, les 30 meilleures candidates pour le génie végétal ont été identifiées et ont fait l’objet de fiches descriptives détaillées (figure 4).
Figure 4 – Fiche espèce – Courbaril.
Source : Gayot et al., 2018.
Au-delà de la typologie et des fiches spécifiques pour le génie végétal, ce travail a aussi montré l’état préoccupant des ripisylves, notamment sur la partie aval des cours d’eau. Certains types de ripisylves n’ont pas été rencontrés à l’état non anthropisé, ce qui témoigne de la dégradation des habitats naturels et de l’urgence de restaurer les ripisylves en deçà de 200 m d’altitude.
Les espèces exotiques, souvent très adaptées aux milieux naturellement perturbés que sont les ripisylves, se sont avérées très nombreuses dans ces habitats. Seuls les types de ripisylves situés aux plus hautes altitudes en étaient exempts. Certaines espèces exotiques, notamment arborées, sont aujourd’hui constitutives des ripisylves, au même titre que les espèces indigènes, et parfois même structurantes. Ces espèces, peu diverses mais très présentes jusqu’à 200 m d’altitude, homogénéisent les cortèges des différents types : les mêmes espèces exotiques reviennent ainsi dans la plupart des types. Ce sont notamment le cocotier, le manguier, l’amandier, l'arbre à pain ou le bambou, qui, ensemble peuvent dominer la flore locale dans les zones de forêt secondarisées, aux dépends des espèces locales pionnières.
Tableau 1 – Typologie des ripisylves des rivières de Guadeloupe.
Section de cours d’eau inférieure à 125 mètres d’altitude
1. Mangrove
2. Rivière en zone inondable (forêt marécageuse ou zone inondable défrichée)
3. Rivière étroite de plaine, à pente nulle
4. Rivière ouverte (rivières larges, ripisylves non connectées et pente faible à moyenne)
5. Rivière semi-ouverte (assez large, ripisylves partiellement connectées et pente moyenne)
6. Rivière fermée à pente moyenne (étroite, à ripisylves totalement connectées)
7. Rivière fermée à pente forte (étroite, à ripisylves totalement connectées ; type ravine)
Section de cours d’eau compris entre 125 mètres et 300 mètres d’altitude
8. Rivière ouverte à pente moyenne (large, à ripisylves partiellement ou non connectées)
9. Rivière semi-ouverte ou fermée, pente moyenne (étroite, ripisylves au moins en partie connectées)
10. Rivière fermée à pente forte (= étroite, à ripisylves totalement connectées ; type ravine)
Section de cours d’eau compris supérieure à 300 mètres d’altitude
11. Rivière de plateau, fermée à pente moyenne (= étroit, à ripisylves totalement connectées)
12. Rivière fermée à pente forte (= étroite, à ripisylves totalement connectées)
À chaque type de ripisylve est associé un profil de rivière listant les espèces indicatrices et caractéristiques d’un cortège floristique préservé (figure 5).
Figure 5 – Profil du type n°9 : rivière semi-ouverte ou fermée, pente moyenne.
Conclusion : 12 types de ripisylves en Guadeloupe
L'étude de la typologie des ripisylves de Guadeloupe et des espèces utilisables en génie végétal sur les berges (Gayot et al., 2018) a permis d'une part de définir 12 types de ripisylves (tableau 1) et d'autre part de documenter parmi les 302 taxons rencontrés, 80 espèces potentiellement utilisables en génie végétal. L'étude présente 30 d'entre elles sous forme de fiches individuelles (tableau 2, figure 4) disponibles sur le site internet du projet et donnant leur description, leur phénologie, leur statut de protection, leur écologie, leur usage ainsi que leur condition d'utilisation (type de ripisylve associé).
Tableau 2 – Caractéristiques générales des 30 espèces sélectionnées comme potentiellement utilisables en génie végétal lors de la phase 1 du projet PROTÉGER.
Nom de l’espèce |
Milieu préférentiel |
Port de l’espèce |
|||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Zone humide |
Forêt du littoral |
Forêt xérophile |
Forêt mésophile |
Forêt hygrophile |
Cultivée |
Arborée |
Arbustif |
Herbacé |
|
Piper dilatatum |
x |
x |
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Thelypteris reticulata |
x |
x |
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Selaginella flabellata |
x |
x |
x |
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Commelina diffusa |
x |
x |
x |
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Hymenachne amplexicaulis |
x |
x |
x |
x |
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Blechnum occidentale |
x |
x |
|||||||
Chimarrhis cymosa |
x |
x |
x |
||||||
Ischnosiphon arouma |
x |
x |
x |
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Acrostichum danaeifolium |
x |
x |
x |
||||||
Inga ingoides |
x |
x |
x |
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Ludwigia hyssopifolia |
x |
x |
x |
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Senna alata |
x |
x |
x |
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Hymenaea courbaril |
x |
x |
x |
x |
x |
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Phyllanthus mimosoides |
x |
x |
x |
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Chrysophyllum argenteum |
x |
x |
x |
x |
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Cordia sulcata |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
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Pterocarpus officinalis |
x |
x |
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Sphagneticola trilobata |
x |
x |
x |
x |
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Montrichardia arborescens |
x |
x |
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Rhizophora mangle |
x |
x |
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Inga laurina |
x |
x |
x |
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Lonchocarpus heptaphyllus |
x |
x |
x |
x |
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Cedrela odorata |
x |
x |
x |
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Tabebuia heterophylla |
x |
x |
x |
x |
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Citharexylum spinosum |
x |
x |
x |
x |
x |
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Ceiba pentandra |
x |
x |
x |
x |
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Mimosa pigra |
x |
x |
x |
x |
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Homalium racemosum |
x |
x |
x |
x |
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Annona glabra |
x |
x |
x |
x |
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Calophyllum antillanum |
x |
x |
x |
x |
En partenariat avec la Région Guadeloupe, l'Université des Antilles, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, le parc national de la Guadeloupe, et avec l'appui financier de l'Office français de la biodiversité et de l'Union européenne via son fond FEDER, les espèces potentiellement utilisables en génie végétal sont étudiées plus finement dans la phase 2 du projet PROTÉGER. L'objectif sera de confirmer, ou non, leur intérêt en tant que matériel vivant dans les chantiers de génie végétal. Pour cela, elles seront mises en culture afin de connaître leur potentiel et les modalités techniques de leur utilisation dans les ouvrages, (par exemple sous forme de semences, de plants, de boutures, de plançons ou de fascines) (Mira et al., 2021a ; Mira et al., 2021b ; Mira et al., 2022). Ce travail permettra également de connaître et de maîtriser la reproduction de ces espèces, ainsi que les éléments techniques pour leur culture ultérieure en pépinières. On pourra ainsi assurer la diffusion des connaissances dans l'objectif d'une large utilisation pour le génie végétal aux Antilles. Parallèlement aux expérimentations ex situ, des expérimentations sous forme de chantiers pilotes in situ sont prévues et mettront à contribution des espèces sélectionnées pour leur facilité d'utilisation.
La maîtrise de la culture des 30 espèces en pépinières permettrait non seulement d'assurer la fourniture d’un matériel végétal suffisant dans le cadre des chantiers de génie végétal, mais également de garantir la conservation de ces espèces indigènes à la Guadeloupe et au-delà, de les intégrer dans des projets de restauration écologique pour la restauration forestière et/ou en lien avec la trame verte.
Pour en savoir plus
Site internet (français, anglais, espagnol) dédié au projet PROTEGER :
https://genie-vegetal-caraibe.org/
Notes
- Dénommé « La soufrière ».
- Union internationale pour la conservation de la nature.
- Conformément à la directive européenne cadre sur l’eau.
- À cette altitude, le risque d’inondation est faible. De plus, la quasi-totalité de l’espace est protégée par la réglementation « cœur de parc » qui interdit tous travaux d’aménagement en cœur de parc.
Références
- Adam, P. (2001). Étude sur la stabilisation intégrée des berges des rivières. Rapport n°99-105. DIREN Guadeloupe, 41 p.
- DIREN Guadeloupe (2005a). Plan de Gestion de la Grande Rivière à Goyaves - Phase 1 État des Lieux et Diagnostic, 108 p.
- DIREN Guadeloupe (2005b). Plan de Gestion de la Grande Rivière à Goyaves – Phase 2 Propositions de Travaux, 46 p.
- Evette, A. (2015). Projet de promotion et de développement du génie-végétal en Guadeloupe. Rapport de mission d’expertise. Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, 64 p.
- Gayot, M., Procopio, L., Conjard S., Boulange E., Bernus J. (2018). Étude de la typologie des ripisylves de Guadeloupe et proposition d'espèces utilisables en génie végétal sur les berges ; Volume i : rapport d’étude. Office national des Forêts. Basse-Terre, Guadeloupe, 106 p.
- Guillen, L., Legendre, Y. (2017). Étude sur la typologie des ripisylves des rivières de Guadeloupe. Rapport intermédiaire N°1. BRGM/RC-66689-FR, 237 p.
- Métailié, G., Da Lage, A. (2015). Dictionnaire de biogéographie végétale. CNRS éditions, 203 p.
- Mira, E., Evette, A., Tournebize, R., Labbouz, L., Robert, M., Rousteau, A. (2021a). Quelles espèces utiliser pour le génie végétal aux Antilles ?, Science Eaux & Territoires, article hors-série 75, https://doi.org/10.14758/set-revue.2021.HS.04.
- Mira, E., Evette, A., Labbouz, L., Robert, M., Rousteau, A., Tournebize, R. (2021b). Investigation of the asexual reproductive characteristics of native species for soil bioengineering in the West Indies, Journal of Tropical Forest Science, 33(3), p. 333-342, https://doi.org/10.26525/jtfs2021.33.3.333
- Mira, E., Rousteau, A., Tournebize, R., Labbouz, L., Robert M., Evette, A. (2022). The Conservation and Restoration of Riparian Forests along Caribbean Riverbanks Using Legume Trees, Sustainability, 14(7): 3709, https://doi.org/10.3390/su14073709
- Parc national de Guadeloupe. (2014). Charte de territoire du parc national de la Guadeloupe, cahier n°2, 88 p.
- Rousteau, A., Portecop, J., Rollet, B. (1996). Carte écologique de la Guadeloupe. ONF, UAG, PNG, CGG, Jarry, Guadeloupe.
- Rousteau, A. (2001). Étude préalable à la végétalisation des berges. DIREN Guadeloupe, 26 p.
Résumé
Le projet PROTÉGER vise à promouvoir les techniques de génie végétal pour préserver l’extrême biodiversité des milieux rivulaires de Guadeloupe, tout en protégeant la population et leurs biens, des risques encourus lors des crues de rivière et des évènements cycloniques. La première phase du projet a consisté à décrire les ripisylves de l’archipel, afin d’en connaitre les modèles naturels et de pouvoir s’en inspirer pour développer des solutions fondées sur la nature. Sur les 270 berges échantillonnées, 302 espèces dont 231 indigènes ont été rencontrées, soit 10 % de la flore locale, reflétant la nature très forestière de l’archipel et son exceptionnelle diversité. L’analyse de ces relevés a permis de définir 12 types de ripisylves, et de documenter 80 espèces potentiellement utilisables en génie végétal. L’étude présente 30 d'entre elles sous forme de fiches individuelles disponibles sur le site internet du projet avec leur description, leur phénologie, leur statut de protection, leur écologie, leur usage et leur condition d’utilisation. Au-delà de la typologie et des fiches spécifiques, ce travail a aussi montré l’état alarmant des ripisylves de Guadeloupe, notamment sur la partie aval des cours d‘eau, avec des habitats dégradés par la pollution et la présence d’espèces exotiques envahissantes.
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