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Contribution de la télédétection pour caractériser les zones irriguées et les prélèvements d'eau pour l'irrigation

L'agriculture, en tant que principal consommateur d'eau, est particulièrement vulnérable à la diminution des ressources hydriques, notamment en période de forte évapotranspiration. Cet article présente les apports de la télédétection à la caractérisation des usages de l’eau par l’agriculture. Les opportunités offertes par les nouvelles missions d’observation et les méthodes de calcul sont introduites et discutées.

Introduction

Les changements globaux impactent directement les ressources en eau et leurs usages, au premier plan l’agriculture qui est une des activités les plus consommatrice d’eau et qui génère la majeure partie des volumes évaporés vers l’atmosphère. Parmi les leviers d’adaptation de l’agriculture, l’irrigation permet de compenser le déficit hydrique, mais elle se heurte à la disponibilité réduite de la ressource lors des périodes de forte évapotranspiration, engendrant d’ores-et-déjà des conflits d’usages qui risquent de s’aggraver avec les sécheresses à venir (réduction des débits de 30 % en moyenne d’ici 2050, résultats de projet Explore 21).

Face à cette situation critique, nous avons besoin de mieux comprendre les consommations et les besoins en eau des cultures, qu’elles soient irriguées ou non. En complément de réseaux d’observations ponctuelles au sol, fournissant des données plus ou moins facilement accessibles, la télédétection offre une couverture spatiale des surfaces sur l’ensemble du globe, avec une répétition dans le temps de plus en plus élevée. Diverses informations peuvent être dérivées des images satellitaires, comme des cartes d’occupation des sols, d’humidité par exemple, qui sont de plus en plus accessibles via des plateformes ouvertes au grand public. Est-ce une opportunité pour mieux évaluer les usages de l’eau par l’agriculture et gérer les crises ?

La télédétection, un outil opérationnel pour le suivi des surfaces agricoles

La télédétection fournit depuis plus d’une cinquantaine d’années des informations spatio-temporelles à différentes échelles pour caractériser les sols nus et les cultures. Ces informations sont téléchargeables gratuitement à partir de la plateforme Theia2 qui offre un catalogue d’images de satellites variés et de cartes thématiques dérivées de ces observations. Depuis 2016, grâce au programme européen Copernicus de surveillance de la terre, un certain nombre de services opérationnels délivre notamment des images des satellites Sentinel (1 et 2) à hautes résolutions spatiale et temporelle couvrant un large domaine spectral3. Sentinel 1 fournit des images tous les six jours dans le domaine des hyperfréquences (bande C avec deux polarisations VV et VH) et Sentinel 2 des réflectances tous les trois à cinq jours dans l’optique et le moyen infrarouge. Les deux satellites ont des pixels à dix mètres de résolution, ce qui permet de distinguer les parcelles.

Suivant le domaine spectral considéré, différentes informations sont accessibles pour caractériser les agrosystèmes (Courault et al., 2020). Ainsi dans le domaine optique, la signature spectrale de la végétation verte se distingue nettement par une absorption du signal mesuré dans le rouge et une forte réflectance dans le proche infrarouge. Ce domaine optique, dont on extrait un indice normalisé (Normalized Difference Vegetation Index, ou NDVI) est le plus souvent utilisé pour cartographier les cultures (Inglada et al., 2015) et suivre leurs stades phénologiques via l’estimation des variables biophysiques telles que l’indice foliaire (LAI), ou encore la fraction de végétation qui couvre le sol (FCover). Les méthodes proposées sont à présent relativement robustes et opérationnelles à différentes résolutions spatiales (Weiss et al., 2020). Ce domaine spectral permet également de bien distinguer les surfaces enneigées et délimiter les lacs et grandes retenues d’eau (Delenne et al., 2021).

Le domaine de l’infra-rouge thermique permet d’accéder à la température de surface qui est indirectement liée au statut hydrique des surfaces. Une surface bien alimentée en eau aura une température de surface inférieure à une surface stressée. Différentes approches de modélisation sont basées sur l’utilisation de ces données thermiques combinées à des données optiques pour estimer l’évapotranspiration des surfaces (Khanal et al., 2017). Une chaîne de traitement opérationnelle « EVASPA », développée par les équipes INRAE de l’unité mixte de recherche Environnement méditerranéen et modélisation des agro-hydrosystèmes (EMMAH) et du Centre d'études spatiales de la biosphère (Cesbio), combinant des images dans les domaines optiques et thermiques inclut différents modèles suivant une approche ensembliste4 pour produire des cartes d’évapotranspiration associées à leur incertitude sur de larges territoires (Gallego-Elvira et al., 2013). Jusqu’à présent, les satellites ayant des bandes spectrales thermiques ne permettaient pas de combiner haute fréquence temporelle et fine résolution spatiale (par exemple, le satellite MODIS délivre une image tous les jours à un kilomètre de solution dans le domaine thermique Landsat une image tous les seize jours s’il n’y a pas de nuages avec une résolution de l’ordre de cent mètres). À partir de 2026, une nouvelle mission franco-indienne soutenue par le Centre national d'études spatiales (CNES), la mission TRISHNA, offrira des données optiques et thermiques tous les trois jours à cinquante mètres de résolution et des cartes d’évapotranspiration (ET) dérivées d’EVASPA seront fournies sur tout le globe. Ces produits seront particulièrement utiles pour aider à la gestion de l’eau d’irrigation (Roujean et al., 2021). S’il y a des nuages, il n’est pas possible d’exploiter ces images optiques ou thermiques. Le temps de revisite d’une même zone doit être élevé pour pouvoir interpoler les données entre deux dates d’acquisition, sinon il faut utiliser des données radar qui délivrent des données quel que soit l’état du ciel.

Le domaine des micro-ondes, qu'il soit passif ou actif, génère des signaux qui sont influencés par les propriétés diélectriques des surfaces, c'est-à-dire par leur capacité à conduire et à pénétrer les ondes électromagnétiques. En micro-ondes passives, ces signaux prennent la forme de températures de brillance, tandis qu'en micro-ondes actives, ils se manifestent par des coefficients de rétrodiffusion. Ces signaux sont particulièrement sensibles à la teneur en eau de la végétation et des premiers centimètres du sol, ainsi qu'à des caractéristiques structurales comme la rugosité du sol et la densité ou la géométrie du couvert végétal. Des cartes de l’humidité de la couche superficielle du sol (sur environ les cinq premiers centimètres) sont disponibles à l’échelle globale tous les trois jours depuis 2010, à partir de différents capteurs radar tels que SMAP, SMOS, MODIS (Molero et al., 2016) et plus récemment sur certaines parties de la France à partir de Sentinel 1 à l’échelle parcellaire via la plateforme Theia (Bazzi et al., 2021).

De nombreuses variables d’intérêt liées à l’eau (synthétisées dans le tableau 1) sont à présent en libre accès et permettent d’identifier les différents types de cultures, suivre les humidités de surface et la dynamique des couverts. En revanche les cartographies des zones irriguées réactualisées chaque année sur tout le territoire ne sont pas encore disponibles même si différentes méthodes pré-opérationnelles ont déjà été évaluées sur un certain nombre de régions (Demarez et al., 2019a, 2019b). L’estimation des dates d’irrigation et des volumes d’eau apportés est encore au stade de recherche. Les sections suivantes décrivent les avancées sur ces points.

Tableau 1. Produits opérationnels utiles pour suivre les cultures et aider à la gestion de l’eau (voir aussi les autres produits disponibles sous Theia : https://www.theia-land.fr/produits-thematiques/).

Variable d’intérêt

Produits (source) détails

Identification des cultures

Humidité des sols

Variables biophysiques

Évapotranspiration

Réservoirs, étendues d’eau

Cartographie OSO Theia5, France + DOM (Sentinel) 24 classes échelle pixel et parcelle.

Copernicus products SM6 daily 1 km, SMP Theia (plot)7 échelle parcelle tous les 6 jours Sentinel 1.

Copernicus products LAI8, FCOVER, FAPAR (300 m – 1 km) (Sentinel 2), à venir 2025 (10 m Theia).

MODIS169 (8 jours) 500-1km NASA, (à venir 2026 cartes ET sorties EVAPSA pour TRISHNA).

ASTWBD10 (30 m ASTER), MYD28C311 (MODIS 1 km) SWOT12

Les produits issus de la télédétection disponibles et en cours de développement utiles pour la gestion de l’eau en agriculture

Cartes des cultures

Pour la gestion territoriale de l’eau, il est important de connaître les consommations d’eau pour chaque espèce cultivée qui dépendent bien évidemment du type de culture, de son stade de développement et des réserves du sol. La connaissance de l’ensemble des cultures à l’échelle territoriale ou d’un bassin versant, est souvent très incomplète. Il existe des déclarations de cultures faites par les agriculteurs pour recevoir des subventions PAC13 qui sont répertoriées dans le registre parcellaire graphique (RPG), mais qui ne couvrent pas toutes les cultures et ces informations sont délivrées avec un certain délai quelques mois après la fin de l’année déclarée. L’utilisation d’images satellitaires permet une mise à jour plus fréquente, avec des précisions parfois très élevées pour certaines cultures, sans pour autant garantir une précision absolue, compte tenu de la période d’acquisition des images et de la proximité des signatures spectrales entre certaines cultures. La carte annuelle délivrée par la plateforme Theia distingue actuellement vingt-quatre classes, dont, dans les cultures d’été, le maïs, tournesol, sorgho, riz, soja et cultures de type tubercules/racines. Cette carte est fournie en format raster sur l’ensemble de la France et des départements d’outre-mer. Elle est aussi disponible en format vecteur moyenné selon le parcellaire. Généralement accessible au début du premier trimestre de l'année suivante, elle permet de créer une couche d’occupation du sol, en complément du RPG. Des améliorations sont en cours pour sortir des cartes à une fréquence plus élevée et prendre notamment en compte les rotations intra-annuelles et les intercultures (développement en cours au Cesbio). Par ailleurs, BPI France et le CNES financent actuellement des projets coordonnés par des entreprises privées (KERMAP14 et MEOOS15) incluant une expertise recherche (INRAE EMMAH et Cesbio), pour produire régulièrement à plus haute fréquence à l’échelle de la France des cartographies des intercultures et des surfaces irriguées. Les sorties opérationnelles sont attendues pour 2026. La mise à disposition des données Sentinel 2 corrigées via Theia, ainsi que d'algorithmes pour la cartographie des surfaces, facilite de plus en plus l'adoption de méthodes pour créer des cartographies spécifiques. Cela inclut, par exemple, l'utilisation combinée des images Sentinel 1 et 2, l'application de multiples indices composites et l'emploi d'algorithmes de classification accessibles sur des plateformes en ligne (voir par exemple Orieschnig et al., 2021).

Cartographie des surfaces irriguées

L’utilisation d’indices de végétation

De nombreuses études ont montré que les indices de végétation calculés à partir de bandes spectrales dans le domaine de l’optique permettent de distinguer des cultures irriguées des cultures pluviales (Pageot et al., 2020). Suivant l’importance des apports d’eau d’irrigation par rapport aux apports naturels, les différences de développement des cultures seront plus ou moins marquées. Ainsi, la distinction sera plus ou moins précise selon les cultures, les régions et les années. La figure 1 illustre la variation des indices de végétation pour des parcelles de maïs (irriguées en mauve et non irriguées en rose) dans le Sud-Ouest de la France, pour quatre années successives. Suivant les périodes de l’année, l’écart est plus marqué. L’été, où les apports d’eau sont importants, permet de mieux identifier les parcelles irriguées.

Ren et al. (2021) ont utilisé le NDVI de MODIS et de Landsat en évaluant trois algorithmes de classifications (Random Forest, Support Vector Machine et réseau de neurones) pour cartographier du maïs irrigué et pluvial dans le Nebraska et obtenu une précision élevée variant entre 89 et 90 %. La précision est très dépendante du jeu d’observations utilisé pour l’entrainement de ces méthodes. Plus les données sont nombreuses et représentatives de la variabilité de la zone d’étude, plus les scores sont élevés.

Figure 1. Profils temporels de NDVI calculés sur des cultures irriguées dans le Sud-Ouest de la France pour différentes années à partir d’images Sentinel 2 (la ligne pointillée rouge représente les parcelles non irriguées sélectionnées, la ligne grise les parcelles in situ non irriguées, la ligne pointillée bleue, les parcelles irriguées sélectionnées (les zones ombrées l’écart-type) (Bazzi et Baghdadi, 2024).

Algorithmes, combinaison d’images, multi-temporalité : les recherches en cours

Une façon de s’affranchir de l’acquisition de données au sol (souvent lourde et coûteuse) est de se baser sur l’utilisation de points caractéristiques issus de l’analyse des séries temporelles calculées à l’échelle des parcelles individualisées. Cette méthode a été utilisée par Abubakar et al. (2022) pour cartographier les prairies irriguées de Crau et a donné de très bonne précision de détection des surfaces irriguées variant suivant les années entre 96 et 98 %, supérieure à la classification OSO fournie par Theia. Les prairies irriguées se distinguent par trois fauches en cours d’année, faisant chuter la surface foliaire. La méthode repose sur la détection des minima de LAI sur une période définie par des seuils calibrés à partir d’un jeu restreint de parcelles connues (figure 2).

Figure 2. Cartographie des prairies irriguées en Crau (zones vertes) basées sur la détection des minima détectés sur le profil temporel du LAI dérivé de Sentinel 2 calculé pour chaque parcelle (courbe bleue, ou courbe orange pour les valeurs lissées). Les performances ont été comparées à la classification OSO fournie par Theia pour différentes années (Abubakar et al., 2022).

Bazzi et al. (2019a) ont proposé une autre méthode basée sur l’utilisation de métriques dérivées de l’analyse du profil temporel du rapport de signaux radar Sentinel 1 (VV/VH, rapport des deux polarisations reçues suivant une cible verticale et horizontale) pour cartographier le riz en Camargue. Une classification de type Random Forest utilise ensuite ces métriques pour cartographier les cultures. La précision obtenue est élevée, de l’ordre de 96 % de parcelles irriguées bien classées sur l’ensemble de la région. Afin de couvrir un panel plus diversifié de cultures, Bazzi et al. (2019b) ont développé une approche combinant données optiques (NDVI issu de Sentinel 2) et radar (VV et VH) pour distinguer les cultures irriguées de différentes régions. La méthode se décompose en plusieurs étapes selon un arbre de décision avec une structure hiérarchique. Elle considère les écarts de polarisation VV (bande considérée souvent plus sensible à l’humidité de surface) entre deux dates successives en comparant deux résolutions spatiales 10 m et 10 km. Suivant la variation observée pour les deux résolutions 10 m et 10 km, des hypothèses sont posées en considérant que la pluie affecte une plus grande zone que l’irrigation. Cette méthode a été appliquée avec succès sur le bassin de la Durance (figure 3) et a été comparée à la méthode Iota2 développée par le Cesbio (Pageot et al., 2020), reposant sur une classification Random Forest considérant un grand nombre d’observations pour la calibration. Les précisions de détection des zones irriguées sont élevées pour les deux méthodes (> 75 %) avec des variations suivant les secteurs du territoire analysé et suivant les années. Si la méthode Iota2 donne plutôt des meilleurs scores sur l’ensemble du bassin et permet de couvrir toutes les cultures, elle demande néanmoins un échantillonnage spatial représentatif suffisant et les années humides peuvent conduire à des cultures irriguées moins bien identifiées par rapport aux cultures pluviales. La première méthode semi-supervisée (Bazzi et al., 2019b) présente l’avantage de caler un certain nombre de seuils en fonction d’un échantillon de parcelles réduit, mais elle ne peut pas s’appliquer pour l’instant aux vignes/vergers sur lesquels l’algorithme n’est pas encore adapté. Une des limites majeures lors de l'utilisation des données radar en bande C pour la détection de l’irrigation est la pénétration limitée du signal en bande C (longueur d'onde ~ 6 cm) pour les couverts très développés.

Figure 3. Résultats de cartographies des cultures irriguées sur le bassin de la Durance obtenus suivant deux méthodes : méthode semi-supervisée développée à l’UMR Tétis (Bazzi et al., 2020b), et méthode supervisée, Iota2 développée au Cesbio (Pageot et al, 2020) et précisions de cultures bien classées (%) calculées sur trois années (travail réalisé dans le cadre du projet LIFE Eau supervisé par le Syndicat mixte d’aménagement de la Durance (SMAVD16).

Estimation par télédétection des dates d’irrigation et des quantités d’eau apportées

Une première catégorie de méthodes repose uniquement sur des données de télédétection, principalement radar telles que celle proposée par El Hajj et al. (2014). Ces auteurs ont utilisé les données radar SAR17, TerraSAR en bande X pour détecter des dates d’irrigation de prairies en Crau et montré que les arrosages pouvaient être identifiés jusqu'à trois jours avant l'acquisition SAR. Si les images TerraSAR sont intéressantes notamment pour leur fine résolution (1 m), elles couvrent une superficie plus limitée et sont moins fréquentes pour un suivi opérationnel. La méthode a été améliorée par Bazzi et al. (2020a) qui ont construit un algorithme d'arbre de décision capable de détecter les événements d'irrigation à l'échelle de la parcelle à partir de données Sentinel 1 plus accessibles (notamment en utilisant la bande VV). L’algorithme, appelé IEDM (Irrigation Events Detection Model) a été appliqué sur différentes cultures de prairies en Crau et céréales en Catalogne, Occitanie, et région Provence-Alpes-Côte d’Azur en France (Baghdadi et al., 2019). La méthode compare le signal VV rétrodiffusé à l'échelle de la parcelle à celui obtenu à l'échelle du bassin (10 km x 10 km) en supposant que ce dernier n'est affecté que par les précipitations tandis que le premier est affecté à la fois par les précipitations et l'irrigation. Sur la Crau, l’irrigation est gravitaire avec des arrosages tous les huit à dix jours de mars à octobre (figure 4). La précision globale obtenue est de 82 % d’épisodes correctement détectés. La méthode a été appliquée dans différents contextes agroclimatiques notamment sur des céréales en Grèce et au Liban (Bazzi et al., 2022 ; Bazzi et al., 2020b). La précision globale est plus faible de l’ordre de 67 %. Elle varie en fonction des conditions climatiques des zones étudiées (généralement plus élevée dans les régions semi-arides 85 % et plus faible dans les zones tempérées, 53 %) (Bazzi et al., 2022).

Figure 4. Résultats des irrigations détectées (points bleus) sur une prairie de Crau irriguée en gravitaire tous les dix jours, selon la méthode développée par Bazzi et al. (2020) basée sur l’utilisation de données Sentinel 1 (trait pointillé en noir, signal VV ascendant à une résolution de 10 m) et de données Sentinel 2 (NDVI en vert). La ligne pointillée rouge correspond au signal VV agrégé à 10 km.

D’autres approches d’estimation des volumes d’eau d’irrigation s’appuient sur la réponse de la culture aux apports d’eau, en combinant modèles de culture et données de télédétection pour retrouver les dates et doses apportées (Hamze et al., 2023a ; Hamze et al., 2023b). Dans Hamze et al. (2023b), les LAI dérivés des données Sentinel 2 sont confrontés aux prédictions simulées à partir du modèle de culture Optirrig. Le modèle réalise autant de simulations que de combinaisons couplant dates d’irrigation et doses définies. La comparaison des LAI simulés aux LAI observés permet de retrouver la combinaison la plus probable en utilisant un algorithme d’optimisation. L’application de cette méthode (illustrée sur la figure 5, à gauche) à des couverts de maïs en région Occitanie a montré que la plupart des dates d'irrigation a été correctement détectée avec des erreurs comprises entre zéro et trois jours, tandis que les doses apportées (20, 30 ou 40 mm) sont aussi globalement bien identifiées dans plus de 80 % des cas. La méthode a été améliorée en considérant dans le même modèle (Optirrig) les humidités de surface dérivées de données Sentinel 1 qui sont comparées aux simulations. La précision est de 86 % de dates d’irrigation retrouvées ((Hamze et al., 2023) Les résultats obtenus sur deux sites sont présentés en figure 5, à droite).

Figure 5. Approches inverses combinant modélisation et télédétection pour retrouver les dates d’irrigation et les quantités d’eau apportées (résultats issus de Hamze et al., 2023a ; Hamze et al., 2023b).
Graphique de droite : les barres jaunes correspondent aux quantités d’eau simulées apportées par irrigation ; en gris, les données réelles ; en vert : les pluies, la courbe verte avec les croix au NDVI.

Le problème d’équifinalité peut compliquer la détermination des dates d’irrigation, plusieurs combinaisons de date et dose pouvant donner des résultats quasi identiques. L’information satellitaire peut en revanche être utilisée pour définir l’état du couvert dans un modèle de culture. L’outil SATIRR, par exemple, a été conçu pour l’aide à la décision d’irriguer à partir du modèle SAMIR (Simonneaux et al., 2009). Il est calibré avec des séries temporelles d’indices de végétation. Il a été appliqué au Maroc pour piloter l’irrigation d’une parcelle de blé en temps réel en tenant compte du besoin réel de la plante, estimé à partir d’un coefficient de stress calculé à l’échelle de la parcelle (Le Page et al., 2014). L’outil développé au CESBIO a été transféré à des entreprises privées (Terranis (Wago) et E_Tumba) pour des applications commerciales.

Vers une estimation des prélèvements d’eau par l’agriculture à l’échelle de bassins ?

La capacité des méthodes de télédétection pour estimer les consommations en eau des cultures à large échelle (bassins versants, territoires, régions) est bien sûr limitée par la précision des caractérisations obtenues à l’échelle parcellaire (occupation du sol, recours ou non à l’irrigation, calendriers d’irrigation…). Toutefois, considérer un ensemble de parcelles permet de lisser les erreurs et espérer des estimations assez précises des consommations en eau par l’agriculture, à partir de modèles agro-hydrologiques agrégeant les bilans hydriques calculés à l’échelle parcellaire.

L’utilisation des observables de télédétection dans la modélisation agro-hydrologique présente un double intérêt : d’une part prendre en compte la variabilité des caractéristiques de surface (identification des zones irriguées, proximité des ressources en eau potentielles) ; d’autre part, pouvoir caler et/ou valider certains paramètres (ou variables d’intérêt) à partir d’observations ou produits issus des données satellites (LAI/FCOVER, humidité des sols, évapotranspiration réelle).

L’utilisation d’indices de végétation (comme le NDVI), obtenus à partir de Sentinel 2, permet par exemple de caler les paramètres représentant le développement des cultures (dates d’émergence, FCOVER, coefficient cultural), spatialisés à l’échelle d’un territoire. Brochet et al. (2024) montrent ainsi, sur le bassin de la Gimone (Garonne amont), l’intérêt de cette spatialisation obtenue à partir de données Sentinel 2 sur ce bassin de 800 km², où les dates d’émergence observées pour le maïs sont échelonnées sur deux mois. L’ajustement des phases de développement permet ainsi de bien reconstituer les prélèvements d’eau d’irrigation à l’échelle du bassin (figure 6).

Figure 6. Calcul des prélèvements agricoles simulés à partir du modèle SWAT versus prélèvements mesurés, Gimone et Marcaoué, comparaison pour deux années de simulations avec apport (en bleu) et sans apport de la télédétection (en jaune) (Brochet et al., 2024).

Un autre exemple de plateforme de modélisation couplant modèle de culture (STICS), modèle hydrologique (MODCOU) et intégrant de la télédétection pour cartographier les cultures irriguées est le simulateur spatialisé qui a été appliqué sur la Crau, et qui permet de reproduire les productions de prairies et d’évaluer l’impact des irrigations sur la recharge de la nappe (Trolard et al., 2020). L’introduction des produits dérivés de satellites tels que le LAI, la date de coupe dans le modèle STICS a montré une amélioration significative des simulations de production des prairies (Courault et al., 2020). Ces modèles lorsqu’ils sont bien calibrés, permettent de simuler des scénarios de changements de pratiques, notamment de diminution de l’irrigation et de quantifier les impacts sur les ressources (Bailleux et al, 2015 ; Trolard et al., 2020).

Conclusion

La télédétection, couplée à l’utilisation de modèles agro-hydrologiques, représente un potentiel important pour le suivi et la gestion des volumes d’eau utilisés par l’agriculture. Certaines méthodes sont maintenant suffisamment matures pour être utilisées de manière opérationnelle, comme les cartes d’occupation du sol (produit OSO de Theia, le suivi du développement de couverts végétaux via l’analyse de séries temporelles d’indices de végétation et sous certaines conditions la détection des surfaces irriguées. Ces différentes informations peuvent permettre d’adapter les apports d’eau suivant les réels besoins des cultures et ainsi d’optimiser les ressources, surtout en période critique l’été. Il reste certains verrous à lever, comme la détection de cultures associées ou intermédiaires, ou encore la capacité à détecter les techniques d’irrigation et les volumes d’eau apportés par irrigation pour les cultures pérennes comme la vigne ou les vergers. L’estimation des volumes utilisés en est encore à ses débuts et doit faire l’objet de recherches avant d’espérer des méthodes opérationnelles sur ce type de cultures. L’estimation à l’aide de la télédétection de la réserve utile des sols, élément déterminant des stratégies d’irrigation, est également une piste de recherche essentielle.

L’accès à de plus en plus de nouvelles informations, couplées à des méthodes d’assimilation de données multi-capteurs dans les modèles agro-hydrologiques, d’usages de modèles basés sur l’intelligence artificielle devrait permettre de grandes avancées pour accéder à ces variables d’intérêt. La mission franco-indienne TRISHNA, avec notamment un suivi à haute résolution spatiale et temporelle des températures de surface, ouvre aussi de nouvelles perspectives pour le suivi des systèmes irrigués et la détection de zones touchées par des stress hydriques. Ces données seront capitales dans les années futures pour aider les gestionnaires de l’eau à l’échelle des territoires et diminuer les conflits entre usagers.

L’accès à de plus en plus de nouvelles informations, couplées à des méthodes d’assimilation de données multi-capteurs dans les modèles agro-hydrologiques, d’usages de modèles basés sur l’intelligence artificielle devrait permettre de grandes avancées pour accéder à ces variables d’intérêt. La mission franco-indienne TRISHNA, avec notamment un suivi à haute résolution spatiale et temporelle des températures de surface, ouvre aussi de nouvelles perspectives pour le suivi des systèmes irrigués et la détection de zones touchées par des stress hydriques. Ces données seront capitales dans les années futures pour aider les gestionnaires de l’eau à l’échelle des territoires et diminuer les conflits entre usagers.

Note des auteurs

Cette synthèse des travaux en télédétection des surfaces irriguées s’appuie sur les réflexions menées par le consortium GI-EAU financé par le métaprogramme « CLIMAE » d’INRAE.

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Photo d’entête : Business Pics – Adobe Stock – Généré à l’aide de l’IA

Notes

Références

  • Abubakar, M., Chanzy, A., Pouget, G., Flamain, F., & Courault, D. (2022). Detection of irrigated permanent grasslands with sentinel-2 based on temporal patterns of the leaf area index (LAI). Remote Sensing, 14(13), 3056. doi:10.3390/rs14133056
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  • Bailleux, A., Olioso, A., Trolard, F., Chanzy, A., Lecerf, R., Lecharpentier, P., Ruget, F., & Ruy, S. (2015). Changements globaux : quels impacts sur l’aquifère de la crau ? Revue Société géologique de France : géologues, numéro 187, Revue Société géologique de France : géologues, numéro 187, ISSN0016.7916, 6 p.
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Résumé

La télédétection, en offrant une couverture spatiale et temporelle étendue, permet une meilleure compréhension des besoins en eau des cultures. Actuellement, diverses variables liées à l'eau sont en libre accès, permettant de suivre les types de cultures, l'humidité des sols, et la dynamique des couverts végétaux. Cependant, les cartes annuelles des zones irriguées manquent encore, bien que des méthodes prometteuses soient en développement. Les estimations des dates d'irrigation et des volumes d'eau apportés restent également en phase de recherche. Les sections développées dans cet article décrivent des avancées sur ces points. Les images satellitaires, comme celles délivrées sur la plateforme THEIA, fournissent des mises à jour régulières des cartes des cultures, identifiant 24 classes en France et outre-mer. D'ici 2026, des projets visent à améliorer la fréquence et la précision de ces cartes. Pour les surfaces irriguées, l'utilisation d'indices de végétation et de données radar permet de distinguer les cultures irriguées des non-irriguées, avec une précision variable. Enfin, des approches combinant télédétection et modèles agro-hydrologiques montrent un potentiel significatif pour la gestion de l'eau agricole, malgré des défis persistants.

Auteurs


Dominique COURAULT

dominique.courault@inrae.fr

Affiliation : UMR EMMAH, INRAE-Avignon Université, 84914 Avignon

Pays : France


Gilles BELAUD

Affiliation : G-EAU, INRAE, AgroParisTech, Cirad, IRD, Montpellier SupAgro, Univ Montpellier, 34196 Montpellier Cedex 5

Pays : France


Valérie DEMAREZ

Affiliation : CESBIO, 31401 Toulouse Cedex 9

Pays : France


Nicolas BAGHDADI

Affiliation : UMR TETIS, AgroParisTech, CIRAD, CNRS, INRAE, 34196 Montpellier Cedex 5

Pays : France


Jean-Stéphane BAILLY

Affiliation : UMR LISAH, Univ. Montpellier, AgroParisTech, INRAE, Institut Agro, IRD, 34060 Montpellier Cedex 5

Pays : France

Pièces jointes

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