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Conseils pratiques pour l’utilisation du bouturage pour le génie végétal en berges de cours d’eau

Connue comme une méthode de revégétalisation ancestrale, le bouturage s'impose encore aujourd’hui comme la technique la plus simple et économique pour le contrôle de l’érosion en rivière. Cet article vise à synthétiser, à partir des documents disponibles à l’échelle internationale, les potentialités de l'utilisation du bouturage en tant que technique d’aménagement et de protection des berges, en présentant les espèces végétales à privilégier ainsi que les recommandations et spécifications techniques à appliquer pour assurer leur succès.

Le génie végétal pour la protection des berges

Face à l’intensification des défis environnementaux, la nécessité d'une gestion durable et éclairée des écosystèmes riverains devient de plus en plus pressante. C'est dans ce contexte que le génie végétal s'impose comme une réponse stratégique. Plutôt que de s'appuyer exclusivement sur des structures en génie civil, cette approche mise sur l'utilisation judicieuse de la végétation et de ses aptitudes biologiques, physiologiques et physiques pour renforcer les berges en imitant les modèles naturels (Lachat, 1994 ; Frossard et Evette, 2009). Les techniques de génie végétal, qui ont fait leurs preuves dans le passé, s'intègrent aujourd'hui pleinement dans les pratiques contemporaines (encadré 1). Elles sont appliquées dans des domaines variés, allant de la lutte contre l’érosion ou la végétalisation de sites dégradés, à la restauration et conservation écologique, en passant par la lutte contre les espèces envahissantes (Adam et al., 2008 ; Frossard et Evette, 2009 ; Bonin et al., 2013 ; Evette et al., 2022). Ces techniques, en harmonie avec les processus naturels, offrent des solutions efficaces et durables pour la gestion et la préservation des écosystèmes riverains.

Encadré 1. Le génie végétal pour la stabilisation des berges de cours d’eau : une histoire ancienne.

Souvent utilisé comme alternative au génie civil, le génie végétal se définit comme l'utilisation judicieuse de la végétation et de ses aptitudes biologiques, physiologiques et physiques pour renforcer les berges en imitant les modèles naturels (Frossard et Evette, 2009). L'approche fondamentale du génie végétal consiste à créer des structures vivantes qui répondent à des critères techniques et mécaniques rigoureux en utilisant des matériaux de construction vivants. Les végétaux sont agencés, combinés et fixés de manière spécifique pour former des structures intégrées à la berge ou au talus, inspirées des modèles naturels. Ces ouvrages, une fois réalisés, se comportent comme des structures organisées, cohérentes et efficaces contre l'érosion dès leur achèvement.

Le génie végétal pour la lutte contre l’érosion en rivière trouve son origine il y a près de deux milles ans en Chine et en Europe avec des techniques rudimentaires de fixation des sols à l'aide de végétaux employées pour sécuriser les terres agricoles et prévenir les érosions (Evette et al., 2009). Son utilisation semble précéder de loin les premiers traités techniques sur le sujet. Au fil des siècles, ces méthodes ont évolué, intégrant des connaissances plus approfondies sur les systèmes racinaires, la biologie des plantes, et leur interaction avec les sols. Le génie végétal moderne, tel qu'on le connaît aujourd'hui, s'est structuré au XIXe siècle avec l'émergence de plus en plus de travaux techniques sur le sujet, notamment en lien avec la restauration des terrains de montagne. Il combine ainsi des savoir-faire traditionnels avec des approches scientifiques contemporaines, offrant des solutions durables pour la gestion des écosystèmes et la restauration des milieux naturels dégradés.

Figure 1. Comparaison des méthodes ancestrales de lutte contre l’érosion et des techniques modernes : à gauche, iconographie ancestrale de la construction d’ouvrages à base de fascines et tressage pour la navigation, Cornelius Meyer (1685) ; à droite, ouvrage moderne de génie végétal constitué de lits de plants et plançons associés à un pied de berge enroché.
Source : © Sébastien De Danieli.

Le génie végétal en berge de rivière repose en grande partie sur le processus de reproduction végétative des plantes, un mode de reproduction asexuée qui permet à un nouvel individu de se développer à partir d'un fragment d'une plante parentale, sans l'intervention de graines. Ce processus est utilisé dans une vaste gamme de techniques, telles que le bouturage, les lits de plants et plançons, les fascines vivantes, les couches de branches à rejets, et bien d'autres, chacune étant adaptée à un contexte d'utilisation spécifique. Pour la plupart de ces techniques, c’est la reprise des éléments vivants qui assure la stabilisation à long terme des berges. Le génie végétal, semblable à une boîte à outils, propose des solutions techniques diversifiées pour le contrôle de l'érosion, notamment en milieu riverain. Les multiples applications de ce processus de reproduction végétative démontrent son rôle central dans la création de solutions durables pour la gestion et la restauration des écosystèmes fluviaux, côtiers et même des talus, confirmant ainsi son statut de pierre angulaire du génie végétal.

Le bouturage comme technique d’aménagement et de protection des berges

Définition

Parmi les solutions offertes par le génie végétal, le bouturage, sensu stricto, se distingue comme l’une des techniques les plus simples à mettre en œuvre, alliant rapidité et économie. Basée sur la multiplication végétative, cette méthode consiste à prélever puis planter une partie d’une espèce ligneuse (généralement une branche) appelée bouture, qui peut ou non contenir des bourgeons latéraux ou terminaux. Le réseau racinaire de la bouture se développant agit comme une assise mécanique en profondeur, consolidant la berge tout en assurant un drainage efficace. Parallèlement, la biomasse aérienne protège les sols en ralentissant le courant et en formant une couche protectrice lors des crues.

Le bouturage, qui figure comme l'une des plus anciennes techniques de revégétalisation, offre de nombreux avantages pour les projets de restauration et de conservation des écosystèmes. En plus des bénéfices généraux associés au génie végétal, tels que la création d'habitats naturels et l'amélioration de la connectivité des écosystèmes, cette méthode assure la reproduction fidèle des caractéristiques génétiques des plantes parentales dans la mesure où les boutures ont été prises localement, garantissant ainsi la préservation des traits biologiques adaptés à l'environnement. Le bouturage se distingue par sa mise en œuvre rapide et économique, depuis le prélèvement jusqu'à la mise en terre, nécessitant peu de moyens techniques ou financiers, tout en s'appuyant sur un matériel végétal facilement accessible. Son efficacité croît avec le développement des végétaux, permettant un enracinement profond et une croissance rapide, car la bouture est directement plantée dans le sol. Bien que fragile au départ, la bouture renforce sa résistance avec le temps, pouvant multiplier sa biomasse par dix entre la première et seconde saison de végétation (Lavaine, 2013), assurant une stabilité suffisante pour sécuriser le sommet des berges. Même si cette technique s'avère très performante, elle est souvent combinée avec d'autres méthodes pour garantir une stabilité optimale de l'ensemble.

Sélection des espèces

La sélection des espèces végétales utilisables pour le bouturage en génie végétal se base sur des critères biotechniques1, écologiques et géographiques (encadré 2). Parmi ces espèces, on observe une nette prédominance du genre Salix, avec pas moins de 23 espèces de saules utilisées en génie végétal en Europe de l’Ouest, offrant une diversité couvrant diverses conditions écologiques, allant des régions méditerranéennes jusqu'à l’étage subalpin (Evette et al., 2012). Répondant aux traits bio-techniques recherchés et aux contraintes écologiques spécifiques des zones alluviales (inondations, variation rapide du niveau d’eau, stress mécanique, etc.), les saules ont prouvé leur efficacité dans le domaine du génie végétal et sont aujourd'hui largement utilisées (photo 1). Toutefois, le recours à des espèces naturellement inféodées à des environnements humides peut poser problème dans des régions où les contraintes de xéricité sont plus fortes, notamment dans la zone méditerranéenne, marquée par une sécheresse durant la période végétative. Les tamaris, considérés comme des espèces phréatophytes2 facultatives, peuvent parfois être préférés dans ces conditions (Lavaine et al., 2015). L'ajustement de la technique et la sélection judicieuse des espèces sont ainsi cruciaux pour assurer la durabilité et renforcer la résilience des écosystèmes, en particulier dans les régions confrontées à des contraintes de sécheresse accentuées par le changement climatique.

Encadré 2. Les espèces utilisées en génie végétal en Europe et leurs caractéristiques.

En milieu riverain, la famille des Salicacées se distingue comme la plus adaptée pour une utilisation en génie végétal. Les espèces du genre Salix (les saules) se caractérisent par des adaptations physiologiques et une résilience écologique particulières, les prédisposant à être employées dans des projets de conservation et de restauration des milieux riverains dans diverses zones climatiques. Ces espèces répondent naturellement à l'ensemble des traits bio-techniques recherchés pour le génie végétal, les plaçant en tant qu'acteurs essentiels dans les efforts de restauration, notamment dans le cadre du bouturage. Espèces pionnières, elles présentent des taux de reprise élevés et sont capables de multiplication végétative ; leur croissance favorise le développement du système racinaire ; enfin, elles démontrent une tolérance remarquable à la submersion et aux contraintes mécaniques (contraintes tractrices, brisures, écorçage par le transport solide, etc.). La réponse aux contraintes locales s'accompagne d'une variabilité phénotypique notable, mettant en lumière l'adaptabilité remarquable des saules face aux différentes conditions environnementales.

Les espèces du genre Populus (les peupliers) sont également des acteurs potentiels du génie végétal, partageant de nombreuses caractéristiques avec les saules. Le peuplier noir sauvage (Populus nigra) émerge particulièrement comme une espèce d'intérêt, avec un bon taux de reprise au bouturage et un appareil racinaire dense et puissant contribuant à la stabilité des berges.

Toujours en milieux riverains, dans les régions soumises à des contraintes xériques plus prononcées, tels que des climats méditerranéens, il existe des espèces plus adaptées dont les tamaris (Famille des Tamaricacées) qui partagent la plupart des caractéristiques biotechniques recherchées, similaires à celles des saules : capacité de survie et de multiplication végétative, croissance rapide, tolérance aux contraintes mécaniques, résistance à la submersion, et un système racinaire développé. Leur caractéristique distinctive réside dans leur adaptation aux conditions de sécheresse. Certaines espèces ont déjà démontré leur efficacité dans d’autres contextes que les milieux riverains, notamment la stabilisation des talus et des dunes en milieu méditerranéen et sur le littoral atlantique.

Le tableau 1 récapitule les propriétés et les utilisations des espèces les plus couramment employées en génie végétal en milieu riverain. Il présente leurs taux de reprise, leur rapport volume racines/tiges (si connu), leur vitesse de croissance, leur résistance à la sécheresse, ainsi que leurs applications potentielles dans diverses techniques de génie végétal.

Photo 1. Saules développés issus d'un ouvrage de génie végétal.
© Sébastien De Danieli.

Origine des matériaux vivants (milieux naturels vs pépinière)

La sélection des espèces végétales est essentielle pour assurer le succès des projets de restauration écologique et de stabilisation des sols par bouturage (tableau 1). Cependant, l'origine de ces végétaux est tout aussi déterminante. Bien que l'utilisation de plantes provenant de pépinières avec un certificat de provenance soit possible, le prélèvement de végétaux au sein d'un peuplement indigène naturel situé à proximité du site est généralement préféré, qu’il soit naturel ou d’un ouvrage établi depuis plusieurs années à proximité (économique et écologique).

L'intégration de plantes indigènes et locales dans le cadre du génie végétal offre de nombreux avantages écologiques et pratiques. Ces végétaux, mieux adaptés aux conditions environnementales locales, présentent une résilience accrue et optimisent ainsi l'efficacité des interventions de restauration écologique, de stabilisation des sols, et de protection des berges. De plus, ils nécessitent moins d'entretien et de ressources supplémentaires, telles que l'eau ou les fertilisants, par rapport aux espèces non locales. Enfin, les plantes indigènes jouent un rôle clé dans le maintien des écosystèmes locaux en fournissant des habitats et des ressources alimentaires pour la faune locale.

À ce titre, la marque « Végétal local » représente un outil précieux. Cette initiative vise à sélectionner et promouvoir des espèces végétales labellisées, adaptées aux conditions locales, offrant ainsi une garantie de qualité et d'adaptabilité des végétaux utilisés en génie végétal (OFB, 2022).

Tableau 1. Propriétés et utilisation des espèces les plus utilisées en génie végétal, adapté de Bonin et al. (2013).

Espèce

Taux de reprise au bouturage (%)

Rapport volumes racines/tiges

Vitesse de croissance

Résistance à la sécheresse

Pied de berge

Milieu et haut de berge

Plantation

Références

Fascines & tressage

Couches de branches à rejets

Lits de plants et plançons et caisson végétalisé

Boutures

Plants

Branches

Pieux

Branches

Pieux

Branches

Plants

Myricaria germanica (L.) Desv

50-80

4

Faible

Intolérante

a

x

a

x

a

a

a

a

7, 2, 5, 6

Populus nigra L.

70-100

0,4

Rapide

Modérément tolérante

c

c

b

b

b

b

b

b

9, 13, 7, 1, 5, 12

Salix alba L.

> 70

0,5

Élevée

Modérément tolérante

c

c

9, 14,11, 13, 4, 7, 3

Salix appendiculata Vill.

Faible

1,7

Rapide

Modérément tolérante

d

e

d

d

d

9, 11, 7, 3, 2

Salix atrocinerea Brot.

Cf. S. cinerea

Faible

Très intolérante

x

x

x

x

x

x

7, 3

Salix aurita L.

40-70

Moyenne

Très intolérante

x

x

x

x

d

d

9, 11, 4, 7, 3, 2

Salix caesia Vill.

> 50

Lente

x

x

x

x

f

f

9, 2

Salix cinerea L.

> 70 sauf exception

Faible

Très intolérante

x

x

x

x

x

x

9, 14, 11, 4, 7, 8, 3

Salix daphnoides Vill.

> 90

Rapide

Particulièrement en juvénile

Intolérante

10, 14, 11, 4, 13, 7, 3, 2

Salix eleagnos Scop.

70-90

1,8

Faible sauf en juvénile

Tolérante

10, 14, 4, 13, 8, 7, 3, 2

Salix foetida Schleich. ex DC

> 50

Jusqu’à 96 pour Rousset et al., in prep

Lente

Intolérante

x

x

a

x

f

a

f

9, 11, 7, 2

Salix × fragilis L.

> 95

Élevée

Intolérante

x

c

g

9, 11, 4, 3

Salix hastata L.

> 60

Élevée

Modérément tolérante

a

a

9, 2

Salix myrsinifolia Salisb.

70-90

1,8

Élevée

Très intolérante

x

a

9, 10, 14, 13, 4, 7, 3, 2

Salix pentandra L.

70-90

Moyenne sauf en juvénile

Très intolérante

10, 14, 11, 4, 7, 3, 2

Salix purpurea L.

> 90

1,5

Faible sauf en juvénile

Tolérante

x

a

9, 14, 13, 7, 3, 2

Salix triandra L.

70-90

0,4

Élevée

Très intolérante

h

x

a

9, 10, 8, 7, 3, 2

Salix viminalis L.

90-100

2,2

Très élevée

Très intolérante

a

a

14, 11, 13, 4, 7, 3

Tamarix gallica L.

80-100

3

Élevée particulièrement en juvénile

Très bonne

x

x

1, 5, 6

x : espèce non adaptée ; √ : espèce adaptée en toutes conditions ; a : espèce adaptée, sous réserve de trouver un matériel végétal de taille suffisante (longueur, diamètre et régularité) et en quantité suffisante ; b : espèce adaptée, mais utilisation en quantité limitée pour éviter de fermer le milieu et de préférence en en haut de berge ; c : espèce adaptée, sous la forme de pieux morts et en pied de berge uniquement ; d : espèce avec un taux de reprise faible, à utiliser en mélange avec d’autres espèces et en garantissant des conditions optimales de reprise ; e : espèce adaptée pour une utilisation sous la forme de pieux morts, sous réserve de trouver des branches de taille suffisante ; f : espèce adaptée, sous réserve de disponibilité en pépinière ; g : espèce adaptée, relativement fragile à la mise en place ; h : espèce aux rameaux fragiles et tortueux peu favorables au tressage qui nécessite l’association avec d’autres espèces.
Références citées dans le tableau
  • 1. Arizpe, D., Mendes, A., & Rabaça, J. E. (2008). Sustainable Riparian Zones—A management guide. Generalitat Valenciana, España. https://dspace.uevora.pt/rdpc/handle/10174/6864
  • 2. Bonin, L., Evette, A., Frossard, P.-A., Prunier, P., Roman, D., & Valé, N. (2013). Génie végétal en rivière de montagne — Connaissances et retours d’expériences sur l’utilisation d’espèces et de techniques végétales : Végétalisation de berges et ouvrages bois. https://hal.science/hal-02598614/
  • 3. Evette, A., Breton, V., Forestier, O., Lavaine, C., & Lemoine, G. (2009). Les saules utilisés en génie végétal.
  • 4. Graf, C., Böll, A., & Graf, F. (2003). Des plantes pour lutter contre l’érosion et les glissements en surface. Not. prat.
  • 5. Lavaine, C. (2013). Évaluation des capacités biotechniques de boutures de Salicaceae et Tamaricaceae sur un gradient de sécheresse [These de doctorat, Lyon, École normale supérieure].
  • 6. Lavaine, C., Evette, A., & Piégay, H. (2015). European Tamaricaceae in Bioengineering on Dry Soils. Environmental Management, 56(1). https://doi.org/10.1007/s00267-015-0499-8
  • 7. Niinemets, Ü., & Valladares, F. (2006). Tolerance to Shade, Drought, and Waterlogging of Temperate Northern Hemisphere Trees and Shrubs. Ecological Monographs, 76(4), 521‑547. https://doi.org/10.1890/0012-9615(2006)076[0521:TTSDAW]2.0.CO;2
  • 8. Sauli, G., Cornelini, P., & Preti, F. (2006). Manuale di ingegneria naturalisca vol. 3 sistemazone dei versanti.
  • 9. Schiechtl, H. M. (1973). Sicherungsarbeiten im Landschaftsbau : Grundlagen lebende baustoffe Methoden.
  • 10. Schiechtl, H. M. (1980). Bioengineering for land reclamation and conservation. University of Alberta Press.
  • 11. Schiechtl, H. M., & Stern, R. (1997). Water bioengineering techniques for watercourse bank and shoreline protection (L. Jaklitsch, Trad.; Blackwell Science). David H. Barker.
  • 12. Tison, J.-M., & De Foucault, B. (2014). Flora gallica—Flore de France (Biotope (Mèze)).
  • 13. Venti, F., Bazzurro, F., Palmeri, F., Uffreduzzi, T., Venanzoni, R., & Gibelli, G. (2003). Manuale tecnico di Ingegneria Naturalistica della Provincia di Terni D. Venti, F. Bazzurro, F. Palmeri, T. Uffreduzzi, R. Venanzoni and G. Gibelli (Provincia_di_Terni ed.).
  • 14. Zuffi, D. (1989). Génie biologique—Cours sur la stabilisation végétale des talus. Inspection cantonale des forêts.

Mise en œuvre du bouturage

Aménagements et précautions préalables

Bien que l’on vise à minimiser les perturbations écologiques lors d’un aménagement, certaines actions s'avèrent nécessaires et doivent être prises en compte lors de la planification du site. Ces interventions sont cruciales non seulement pour assurer la bonne reprise de la végétation, mais aussi pour faciliter la mise en œuvre des travaux. Pour garantir le bon déroulement des opérations et, si nécessaire, assurer l'accessibilité des engins (qui peuvent également être adaptés aux contraintes environnementales), il est essentiel de débroussailler, d'abattre sélectivement certains arbres, et de procéder au terrassement du sol. En génie végétal, le terrassement joue un rôle clé en adoucissant la pente et en évitant la verticalité, ce qui crée des conditions optimales pour la reprise des végétaux. La décompaction du sol sera également réalisée si nécessaire, car un sol trop compact ne favorise pas la croissance des plantes. Par ailleurs, la présence d'espèces exotiques envahissantes doit être rigoureusement contrôlée à chaque étape du projet, avec des mesures spécifiques pour éviter leur propagation par l'eau, le transport de terre, ou les engins, tout en veillant à ne pas retirer de matériaux contaminés du site.

Pour favoriser la reprise végétative des boutures, on peut envisager l'ajout de terre ou d'humus si les conditions du sol sont particulièrement pauvres. Toutefois, cela reste rare, car l'un des principaux avantages du bouturage avec des espèces comme les saules (espèces principalement utilisées pour le bouturage) réside dans leur caractère pionnier. Ces plantes sont capables de s'affranchir, dans la plupart des cas, de l'utilisation d'horizon A ou d'autres substrats humifères.

Après la mise en place des boutures, l'application de paillage peut être utile pour conserver l'humidité dans les sols trop drainants. À l’inverse, dans les sols saturés en eau, un drainage adéquat peut être nécessaire pour assurer la réussite de l'enracinement des végétaux.

Prélèvement du matériel végétal

Le prélèvement du matériel végétal pour les boutures doit s'effectuer pendant la période de dormance de la végétation, entre octobre/novembre et mars/avril dans les régions tempérées d'Europe (Gray et Sotir, 1996 ; Schiechtl et Stern, 1996). Durant cette période, les végétaux ont réduit leur fonctionnement et ont stocké des réserves de glucides sous forme complexe qui pourront être remobilisées à la reprise des végétaux. La mise en place des boutures pendant la période de dormance de la végétation présente l'avantage de réduire le stress de la transplantation et d’augmenter les probabilités de succès des opérations.

Le prélèvement de boutures pour les projets de génie végétal doit être réalisé avec des outils parfaitement affûtés, comme des scies ou des sécateurs, afin de garantir des coupes nettes et précises, essentielles pour la reprise végétative (photo 2). Il est impératif de suivre les règles de collecte en milieu naturel, en accordant une attention particulière à l'équilibre des prélèvements pour préserver la biodiversité. La récolte doit être effectuée avec vigilance, en évitant les sites protégés et les sites sensibles, et en obtenant l'autorisation du propriétaire si nécessaire.

Les branches sélectionnées doivent être droites, saines, exemptes de maladies et parasites, et présenter un âge optimal de deux à quatre ans (à évaluer en fonction du diamètre de la branche). La longueur et le diamètre des boutures sont également déterminants : l'utilisation de portions ligneuses plus longues et plus épaisses permet d'assurer un enracinement, une croissance, et une résistance accrue. La longueur idéale des boutures se situe entre 40 cm et 100 cm selon la disponibilité, pour un diamètre de 1 cm à 5 cm. Il est recommandé de prélever des branches légèrement plus longues que la longueur finale souhaitée, afin de permettre une recoupe sur le site après la plantation. Lors de cette étape, l'extrémité supérieure doit être clairement identifiée pour respecter l'orientation naturelle lors de la plantation future.

Photo 2– Prélèvement des boutures à l’aide d’un sécateur électrique affuté.
© Sébastien De Danieli.

Transport et stockage

En travaillant avec des matériaux vivants, la situation idéale est de disposer d’un lieu de prélèvement à proximité immédiate du site de plantation, éliminant ainsi le besoin de transport et de stockage, tout en réduisant les risques d'endommagement et de dessèchement pendant le déplacement. Pour maximiser les chances de réussite dans ce scénario, la mise en terre des boutures doit s'effectuer dans un délai d'un à deux jours avec un stockage de courte durée, et jusqu'à quatre heures maximum sans stockage particulier. Cette situation idéale demeure cependant rare. Il est souvent difficile d'avoir un approvisionnement qualitativement et quantitativement suffisant à proximité immédiate d'un futur aménagement.

Une fois prélevées, les boutures doivent être transportées soit sur le site de l'ouvrage si la mise en terre peut être immédiate, soit sur un site de stockage le cas échéant. Il est essentiel de veiller à ce que les boutures ne soient pas endommagées pendant le transport. Elles sont disposées à plat dans des caisses ou des sacs en polyéthylène scellés, organisées en fagots attachés avec de la ficelle, regroupant des spécimens de la même espèce ou du même individu pour une meilleure traçabilité. Idéalement, les boutures sont transportées dans des véhicules non chauffés, réfrigérés, ou dans une glacière. Le risque majeur associé au transport et au stockage des boutures est le dessèchement, il est crucial de les maintenir bien humidifiées et de les protéger de la chaleur en permanence, par exemple en les recouvrant de bâches réfléchissantes ou de toiles de jute humidifiées, et en les pla-çant à l'ombre dans un endroit frais, idéalement à une température ne dépassant pas 4 °C (Gray et Sotir, 1996 ; Schiechtl et Stern, 1996).

Si le délai entre le prélèvement et la mise en terre dépasse quelques jours, il est nécessaire de stocker les boutures afin de les maintenir artificiellement en dormance jusqu'à la plantation, évitant ainsi les risques de dessèchement, d'endommagement ou de moisissure (Gray et Sotir, 1996 ; Schiechtl et Stern, 1997). La période de stockage ne doit pas dépasser huit mois et se réalise généralement dans des chambres froides entre 0 et – 2 °C avec une humidité de 98 %. D'autres méthodes de stockage consistent à protéger les boutures en les recouvrant de branches de résineux ou de feuilles pour les maintenir à l'ombre et au frais, voire en les enfouissant directement dans de la neige ou de la terre humide, le cas échéant à arroser régulièrement pour éviter le dessèchement. La présence de rejets végétatifs ou de bourgeons débourrés sur les boutures doit être un indicateur du début de la levée de la dormance et de la croissance. Durant la période de stockage, il est crucial de maintenir la dormance au maximum pour éviter que les boutures n'épuisent leur stock d’énergie pour la reprise avant même la mise en terre. On préfèrera favoriser la levée et de dormance et la reprise juste avant la mise en terre. Les spécimens qui ne peuvent plus être maintenus en dormance doivent donc être remplacés.

Préparation du matériel végétal

Avant la mise en terre, la réalisation d'une mise en jauge, qui consiste à immerger les boutures dans de l'eau, offre la possibilité de réactiver les bourgeons dormants et de stimuler le développement des racines, accélérant ainsi le processus d'enracinement et de croissance à l'intérieur de la couche interne de l'écorce. Il est essentiel d'utiliser de l'eau courante ou de changer régulièrement l'eau pour éviter la stagnation, pouvant devenir en quelques jours un vecteur de maladies. Bien que cette technique soit courante Outre-Atlantique, elle est encore relativement rare dans les projets de restauration en France. Sur notre territoire, on utilise la mise en jauge comme moyen de stockage sur plusieurs jours entre le prélèvement et la mise en place des boutures. La principale différence par rapport à la mise en jauge traditionnelle réside dans le temps d’immersion plus long et l'absence de stockage préalable.

Avant la plantation, les boutures doivent être taillées à la longueur appropriée, avec la partie supérieure coupée de manière perpendiculaire à la branche (coupée droite) ou en ou en biseau pour réduire le risque de stagnation d'eau à la surface de la bouture et pour éviter le gel par la suite. La partie inférieure doit être taillée en biseau ou en pointe pour faciliter son enfoncement dans le sol. Cette opération, effectuée à l'aide d'un sécateur ou d'un ébrancheur bien affûté, nécessite une coupe nette et précise, sans écorchure, car une coupe imparfaite rendrait la reprise végétative plus difficile en augmentant le risque de poche d’air, de moisissure et de développement de champignons, ainsi que le risque de gel.

Mise en terre

Pour simplifier l’étape de mise en terre, il est courant de préparer les trous au préalable afin d’éviter d’abimer l’écorce des boutures en les enfonçant dans la terre (Lachat, 1994 ; Schiechtl et Stern, 1996 ; Adam et al., 2008) (voir guide visuel sur la mise en terre efficace des boutures, figure 2). Réalisés en utilisant une tige en métal, telle qu'une barre à mine, enfoncée à l'aide d'un marteau, les pré-trous sont d’un diamètre légèrement inférieur à celui des boutures, pour garantir un contact optimal entre la bouture nouvellement plantée et le sol. Dans les sols meubles, il est possible de battre directement les boutures dans le sol en apportant une attention particulière à ne pas les abîmer lors de la mise en terre. Les boutures sont plantées avec les bourgeons dirigés vers le ciel, formant un angle perpendiculaire à la surface du sol (y compris sur des sols en pente), enfoncées entre 3/4 et 4/5 de leur longueur (photo 3). Cette disposition favorise un meilleur rapport racines/tiges, prévient le dessèchement et diminue le risque d'emportement lors de crues importantes (Adam et al., 2008). L'utilisation d'un marteau, d'un maillet ou même du pied permet de les enfoncer. L'objectif est de minimiser les dom-mages, en préservant au maximum l'écorce, bien que des dommages mineurs à l'extrémité supérieure soient inévitables. En cas de besoin, l'extrémité peut être recoupée perpendiculairement à la branche après la plantation pour assurer une extrémité propre et éviter les infestations de phytophages ou de champignons. Pour garantir le succès des boutures, un bon contact avec le substrat est essentiel, tout en évitant la formation de poches d'air. Il est donc conseillé de tasser légèrement la terre autour des branches pour éliminer les poches d'air, en maintenant fermement la bouture pour réduire les mouvements latéraux et sans comprimer excessivement le sol. Concernant le placement des boutures, il est important de les positionner légèrement au-dessus du niveau des premiers ligneux naturellement présents sur la berge. Une position trop basse les expose à des submersions constantes, tandis qu'un positionnement trop élevé peut les exposer à un assèchement excessif. Idéalement, on recommande de planter deux à trois boutures par mètre carré (Adam et al., 2008). Cependant, la densité pratiquée dépend de l’objectif prioritaire du bouturage. Pour assurer une stabilité optimale ou pour rivaliser avec des plantes invasives, il est conseillé d'opter pour une densité de trois à quatre, voire jusqu'à cinq boutures par mètre carré. Dans le cadre d'une simple végétalisation, des densités plus faibles sont envisageables, de même qu'une plantation discontinue en massifs, par exemple.

Figure 2. Guide visuel de la mise en terre efficace d’une bouture à l’aide d’un maillet, modifié depuis Lachat (1994) et HEPIA.

La première année, les boutures de ligneux, encore dépourvues de racines profondes, ont une contribution limitée à la stabilisation des sols (Lachat, 1994). Pour pallier ce manque, l'utilisation de géotextiles biodégradables est courante sur les zones nouvellement remaniées, offrant un contrôle de l'érosion de surface, contre le ruissellement ou le ravinement, tout en retenant les graines et en améliorant les conditions microclimatiques du sol (Adam et al., 2008). Ces matériaux, fabriqués à partir de diverses fibres, sont fixés avant la mise en place des boutures et se dégradent progressivement pour contribuer à la fertilité du sol. Des semences sont dans la plupart des cas ajoutées, en s’assurant d’adapter la composition du mélange grainier pour éviter la compétition interspécifique, en évitant notamment les espèces herbacées trop hautes ou à fort développement.

Photo 3– Enracinement réussi des boutures après plantation et reprise.
© Sébastien De Danieli.

Gestion et suivi

Bien que la conception initiale vise à minimiser les futures opérations de soins et d'entretien des aménagements végétaux, l'absence de suivi au cours des premières années après les travaux peut entraîner des échecs. Pour maximiser les chances de réussite, un entretien sur au moins les trois premières années peut s'avérer nécessaire. Il peut inclure des actions telles que l'arrosage, le remplacement des boutures endommagées ou mortes, la gestion des espèces envahissantes, le fauchage pour éviter la concurrence, ainsi que la réparation et l'entretien des dégâts, voire la reconstruction après des crues.

Coûts

Un des principaux avantages du bouturage réside dans son coût abordable, estimé en moyenne à quatre euros hors taxe par unité, incluant la fourniture et la mise en place, pour une bouture provenant d'une pépinière agréée. Ce tarif s'élève à cinq euros en moyenne pour une bouture prélevée en milieu naturel.

Conclusion et perspectives

Il est primordial de rappeler que les systèmes riches et complexes que sont les zones riveraines doivent être laissés libres d'exercer leur capacité d'érosion et de divagation lorsque c’est possible, et que les ouvrages de contrôle de l’érosion, même respectueux de l’environnement, doivent être réservés à la protection des biens et des personnes. Dans le cas où une intervention est jugée nécessaire, le bouturage représente un outil d’intérêt. Facile à mettre en place et peu coûteux, le bouturage est une technique fondamentale en génie végétal. Sa polyvalence souligne son rôle crucial dans la restauration écologique des écosystèmes riverains. C'est une option durable, éclairée et respectueuse de l'environnement.

Bien que le bouturage soit utilisé avec succès dans beaucoup de régions, son champ d’application semble pouvoir encore être étendu. L’étage subalpin ou encore les milieux tropicaux sont par exemple des conditions et contextes géographiques sous lesquels cette technique est encore très peu utilisée. Il existe d’ailleurs une demande croissante dans ces contextes géographiques variés, mais il est crucial de mener des études supplémentaires pour évaluer leur résistance et les facteurs de réussite de leur mise en œuvre dans de telles conditions. En explorant leur utilisation dans des contextes variés, il sera possible de découvrir de nouvelles applications en augmentant ainsi leur potentiel dans la gestion de l’environnement et la prévention des risques.

Notes

  • 1. Caractéristiques ou propriétés spécifiques des espèces qui sont utiles pour la stabilisation des ouvrages (par exemple : la croissance racinaire, la résistance aux conditions environnementales difficiles, etc.).
  • 2. Plante dont le développement est dépendant de la présence d’une nappe phréatique ou la frange capillaire au-dessus de la zone phréatique via un système racinaire profond.

Références

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  • OFB. (2022). Référentiel technique associé au règlement d’usage de la marque collective simple Végétal Local. Office français de la biodiversité. https://www.vegetal-local.fr/sites/default/files/2020-Référentiel_technique_VLocal_modif_6dec2019.pdf
  • Schiechtl, H. M., & Stern, R. (1996). Ground bioengineering techniques.For slope protection and erosion control. Wiley-Blackwell.

Résumé

Connue comme une méthode de revégétalisation ancestrale, le bouturage s'impose encore aujourd’hui comme la technique la plus simple et économique pour le contrôle de l’érosion en rivière. Cet article vise à synthétiser les potentialités de l'utilisation du bouturage en tant que technique d’aménagement et de protection des berges, en présentant les espèces végétales à privilégier ainsi que les recommandations et spécifications techniques à appliquer pour assurer leur succès.

Auteurs


Marie DIDIER

marie.didier@inrae.fr

https://orcid.org/0009-0008-1506-2710

Affiliation : Univ. Grenoble Alpes, INRAE, LESSEM, 38402 St-Martin-d'Hères

Pays : France


André EVETTE

https://orcid.org/0000-0002-0927-0037

Affiliation : Univ. Grenoble Alpes, INRAE, LESSEM, 38402 St-Martin-d'Hères

Pays : France


Patrice PRUNIER

Affiliation : HEPIA Genève, Filière Gestion de la nature, Jussy

Pays : Switzerland


Pierre-André FROSSARD

Affiliation : HEPIA Genève, Filière Gestion de la nature, Jussy

Pays : Switzerland


Anne VIVIER

Affiliation : Office français de la biodiversité (OFB), 94300 Vincennes

Pays : France


Mathias PIRES

Affiliation : Univ. Grenoble Alpes, INRAE, LESSEM, 38402 St-Martin-d'Hères

Pays : France


Juliette ROUSSET

Affiliation : Univ. Grenoble Alpes, INRAE, LESSEM, 38402 St-Martin-d'Hères

Pays : France

Pièces jointes

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